AOC media - Analyse Opinion Critique

https://aoc.media

  • Crise démocratique : comme un parfum de bonapartisme… - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/08/28/crise-democratique-comme-un-parfum-de-bonapartisme

    En refusant d’endosser le rôle d’arbitre et d’honnête courtier qui découle du nouvel équilibre des pouvoirs né de sa défaite aux élections législatives, le chef de l’Etat remet dangereusement en cause l’ancrage parlementaire de la Constitution et prend le risque d’une crise démocratique grave.

    https://justpaste.it/9buzs

  • Benjamin Biard : « Face à l’extrême droite, l’#audiovisuel_public belge a institué un #cordon_sanitaire »

    Depuis 1991, les radios et télévisions publiques belges francophones ont banni de leurs studios et plateaux tous les représentants de l’extrême droite. Résultat : celle-ci n’a jamais percé politiquement. Le politiste #Benjamin_Biard revient sur une expérience unique qu’on peut considérer comme un exemple à suivre d’urgence.

    https://aoc.media/entretien/2024/07/12/benjamin-biard-face-a-lextreme-droite-laudiovisuel-public-belge-a-institue-un

    #médias #Belgique #extrême_droite #télévision_publique #bannissement #barrage #exemple_à_suivre #bonnes_pratiques #TV #radio
    –-

    déjà signalé sur seenthis ici par @sombre, où il y a le texte complet :
    https://seenthis.net/messages/1061621

  • Turban des Sikhs en Grande-Bretagne et hijab des musulmanes en France - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/05/02/turban-des-sikhs-en-grande-bretagne-et-hijab-des-musulmanes-en-france

    Derrière ce qui apparaît comme une dichotomie facile opposant un « nous » républicain et hexagonal à un « eux » « anglo-saxon » et multiculturel se dessinent des trajectoires nationales, coloniales et post-coloniales complexes.
    Au milieu des années 1960, le turban sikh a failli être constitué en problème public par un courant politique assimilationniste de l’autre côté de la Manche, mais il ne l’a finalement jamais vraiment été. A contrario, les controverses sur « le voile » en France ont commencé à occuper le terrain politique et médiatique à la fin des années 1980, engluant la république dans une spirale d’interdiction dont elle ne semble jamais sortir, même pendant le deuxième mandat Macron, soit près de trente-cinq années après la première « affaire du voile » au collège Gabriel Havez de Creil (1989).

  • Le moment Festen du cinéma - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/07/31/le-moment-festen-du-cinema-2

    J’ai bien conscience que ce qui joue avec #Metoo dépasse largement le monde du cinéma, mais c’est de celui-ci que je voudrais parler ici. Dans Festen, pour les 60 ans du père, famille et amis sont réunis dans le manoir familial. Christian, le fils aîné est invité à porter un toast au début du dîner…

    À l’époque en 1998, je le rappelle, au siècle dernier, le public, la critique, et le monde du cinéma ont applaudi ce tour de force cinématographique, filmé en caméra DV bon marché pour renforcer l’effet de réalité. Dans cette fête de famille bourgeoise, au milieu du ballet des plats, des vins, des toasts et des blagues, l’un des enfants incestés de la famille révèle ce qui se cache derrière l’image du pater familias. Et comme le dit Judith Godrèche : « N’incarnons pas des héroïnes à l’écran pour nous retrouver cachées dans les bois dans la vraie vie, n’incarnons pas des héros révolutionnaires ou humanistes pour nous lever le matin en sachant qu’un réalisateur a abusé d’une jeune actrice, et ne rien dire. »

    Or, si de nombreuses femmes dans le milieu du cinéma, actrices, réalisatrices, techniciennes, ont participé du mouvement #Metoo, l’ont accompagné et porté, on peut constater qu’à l’exception de quelques-uns, les hommes sont restés au mieux silencieux quand ils n’ont pas tenté de faire taire ou de salir celles qui osent parler. Judith Godrèche questionne le silence : « Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot. »

    https://justpaste.it/fe545

  • Éloge de la «lecture oisive»
    ping @nicole

    Lecture rapide vs compostage lent - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/07/23/lecture-rapide-vs-compostage-lent-2

    La vitesse, nous l’aimons, nous l’aimons déraisonnablement, nous l’aimons pour elle­-même. Dans la rue nous voulons marcher vite, sur les sites de rencontre nous voulons vite conclure. Nous ne voulons pas perdre de temps dans les files d’attente, nous voulons des retours sur investissement rapides, nous adorons les recettes de cuisine express, et nous sommes globalement impatients de savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Et ça fait longtemps que ça dure. Et c’est comme ça pour tout. Par exemple ce texte, vous avez hâte de savoir de quoi il va vous parler, et peut-être avez­-vous regardé le discret ascenseur de la page pour avoir une idée du temps que ça prendra pour en arriver au bout. Lire aussi, ça doit aller vite.

    https://justpaste.it/fe1fy

  • Et maintenant… refaire de la politique - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/07/14/et-maintenant-refaire-de-la-politique

    Contrairement à ce que l’on peut lire, le pays n’est ainsi pas « coupé en deux » avec deux France qui se feraient face. Malgré la richesse globale de la nation, le pays se désagrège lentement faute de capacité des dirigeants politiques, économiques ou associatifs à faire vivre au quotidien les valeurs et les espoirs qui rassemblent les citoyens et rendent chacun plus fort. Il n’est pas anodin de constater que, lorsque l’on interroge les habitants sur leur vision de leur territoire ou du secteur dans lequel ils travaillent, la même interrogation revient de façon lancinante : ils se demandent « où va la France ? » Ce que dit le moment, c’est qu’il est temps pour chacun de refaire de la politique, partout.

    L’urgence à discuter collectivement de tous ces sujets est d’autant plus forte que les habitants perçoivent les défis qui s’annoncent dans les prochaines années[1] – et qui sont déjà largement engagés : que ce soit le changement climatique, l’avènement de l’IA, les problèmes liés à la grande dépendance des personnes âgées, les difficultés récurrentes à faire toute leur place aux jeunes de ce pays, nos vies sont d’ores et déjà bouleversées et un doute très fort s’exprime quant à la capacité de nos dirigeants à peser sur le cours des choses. À force de clamer que la politique ne peut rien face aux marchés ou qu’il n’y a pas d’alternative aux perspectives économiques ou climatiques édictées par les experts, les élus ont perdu tout crédit.

    Il ne faut donc pas se tromper de diagnostic : derrière l’exaspération et la colère, ce ne sont pas des Gaulois réfractaires qui s’expriment mais plutôt une forte demande de changement qui ne trouve pas de débouché. Derrière le besoin d’ordre et d’autorité, ce n’est pas une attente de caporalisation qui se cache mais plutôt une demande que le pouvoir du peuple et de ses représentants soit réaffirmé c’est-à-dire, au sens propre, une attente de démocratie.

    Quand on évoque l’avenir, les chiffres qui s’accumulent peuvent impressionner : à chaque fois, des centaines de milliards à trouver pour soutenir notre école, pour sauver nos hôpitaux, pour construire nos centrales, pour remettre à niveau nos infrastructures ferrées, pour isoler nos maisons et nos bâtiments… Mais on oublie de dire que, dans le même temps, notre pays produira plus de 100 000 milliards d’euros de richesses et investira au moins 20 à 30 000 milliards d’euros d’ici 2050. Concrètement, la France n’a pas un problème de ressources mais un problème d’affectation de ces ressources… c’est-à-dire un problème de choix et de capacité à les imposer : un problème politique.

    Ces dernières décennies, le solutionnisme des experts a présidé aux grands choix dans tous les domaines : politiques économiques et sociales, urbanisme, environnement, etc. Le risque, après la séquence démocratique que l’on vient de vivre, serait que les experts « de gauche » se pressent pour expliquer que le problème c’était la politique des experts « de droite » et que, dans l’histoire, l’urgence démocratique passe par la fenêtre… ou soit cantonnée par les appareils politiques à la seule « démocratie parlementaire ».

    Il devient décisif de plus associer les citoyens aux choix qui les concernent en commençant par discuter tous ensemble de l’avenir du pays et par traiter de tous les sujets en partant de la façon dont les habitants les vivent et les analysent. Il ne s’agit pas de négliger les savoirs experts : ils sont importants et les habitants eux-mêmes le disent dès qu’ils en ont l’occasion. Seulement il faut que chacun soit bien à sa place : pour éprouver un sentiment de justice y compris quand le sort nous semble défavorable, il faut consentir ce qui suppose d’avoir été pleinement associé aux choix qui nous impacteront.

    #Politique #France

  • Et maintenant… refaire de la politique - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/07/14/et-maintenant-refaire-de-la-politique

    Quand on évoque l’avenir, les chiffres qui s’accumulent peuvent impressionner : à chaque fois, des centaines de milliards à trouver pour soutenir notre école, pour sauver nos hôpitaux, pour construire nos centrales, pour remettre à niveau nos infrastructures ferrées, pour isoler nos maisons et nos bâtiments… Mais on oublie de dire que, dans le même temps, notre pays produira plus de 100 000 milliards d’euros de richesses et investira au moins 20 à 30 000 milliards d’euros d’ici 2050. Concrètement, la France n’a pas un problème de ressources mais un problème d’affectation de ces ressources… c’est-à-dire un problème de choix et de capacité à les imposer : un problème politique.

  • Benjamin Biard : « Face à l’extrême droite, l’audiovisuel public belge a institué un cordon sanitaire » - AOC media
    https://aoc.media/entretien/2024/07/12/benjamin-biard-face-a-lextreme-droite-laudiovisuel-public-belge-a-institue-un

    C’est un secret bien gardé. À tel point que rares sont celles et ceux à Radio France comme à France Télévisions qui le savent : dès 1991, l’audiovisuel public belge francophone a instauré et consolidé un cordon sanitaire médiatique visant à empêcher les partis d’extrême droite à accéder à toute parole publique en direct, les privant du même coup d’entretiens et participation à des débats. Prise par l’administrateur général de la RTBF et son conseil d’administration, cette décision d’autorégulation fut par la suite validée tant par la justice que par l’autorité de contrôle des médias belge, équivalent de l’ARCOM. Comment une telle décision a-t-elle être prise ? Quels en ont été et en sont toujours les effets ? Pourquoi la Flandre ne l’a-t-elle pas mise en œuvre ? Serait-elle imaginable en France ? Auteur de deux rapports consacrés à la lutte contre l’extrême droite, Benjamin Biard, politiste au Centre de recherches et d’informations socio-politiques – une institution consultée par la RTBF lors de l’invention du dispositif – répond. SB

    https://justpaste.it/f8cat

  • Nous ne manquons pas de Premier ministre, mais de majorité - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/07/10/nous-ne-manquons-pas-de-premier-ministre-mais-de-majorite


    Par Jean-François Collin, haut fonctionnaire

    Dépourvu de majorité et ayant obtenu moins de voix que le RN, le Nouveau Front Populaire ne devrait pas promettre la lune, mais renforcer la démocratie de façon à nous prémunir contre toute embardée et redonner la parole aux citoyens. Plusieurs choix s’offrent à ses responsables.

    • C’est bien une analyse de haut fonctionnaire. Sur le plan institutionnel rien à dire. Seulement il y a comme un angle mort : la sociologie électorale et les causes du vote RN. Un grosse partie de ce vote émane d’une classe ouvrière déclassée et écrasée par la politique macroniste. En ce sens, je trouve, à rebours de l’auteur, que les déclarations des dirigeants de gauche depuis dimanche, qui, bon an mal an, arrivent à dire que l’important c’est : retraite, pouvoir d’achat, amortir les effets de l’inflation sur les classes les plus défavorisées, vont dans le bon sens et que par ailleurs on avait pas entendu un tel discours dans la bouche de dirigeants de gauche depuis un paquet de temps.

      Ok ça ne résout pas le problème de la formation d’un gouvernement qui tienne, bien qu’on puisse en discuter mais en sortant du cadre du « sommet de l’état » et en y adjoignant les corps intermédiaires (les syndicats entre autre qui ont à mon avis un sacré coup à jouer aujourd’hui) mais, en revanche, je pense que si on se fie aux solutions distillées dans cet article, donc en gros la constitution d’un « arc républicain » (déjà c’est mal barré puisque ça s’appuie sur un lexique macroniste) la conséquence immédiate sera de conforter la partie de la classe ouvrière qui vote facho dans ses choix, sur le mode « c’est tous les mêmes la preuve ils s’entendent entre eux ».

      Bref, les choix proposés sont des choix techniques d’un techno de l’état.

  • L’arc républicain : une mise au point - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point

    À la sortie de la convention de Philadelphie qui venait de rédiger la Constitution des États-Unis, Benjamin Franklin, interrogé par une femme qui lui demandait sous quel régime les Américains allaient vivre aurait répondu : « Une République si vous êtes capables de la préserver ». Pas une monarchie donc, mais pas une démocratie non plus, c’est-à-dire pas un régime où la majorité serait en mesure de faire tout ce que sa volonté lui suggérerait.
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    En d’autres termes, la république est un régime dans lequel la liberté et l’indépendance de chacun seraient garanties par des lois auxquelles les gouvernants seraient tenus de se plier, ainsi que par des droits conférés de manière égale à tous les citoyens et qu’aucune volonté majoritaire ne saurait franchir. Cela désigne ce que nous appelons aujourd’hui l’État de droit, dont la fonction est de protéger chacun contre l’exposition à un pouvoir arbitraire.

    Initialement, le projet républicain – ce que Rousseau appelait un « État régi par des lois » – impliquait que cette indépendance réelle de chacun serait assurée par ces seuls moyens : égalité des droits, généralité et publicité de la loi, ainsi que le caractère consenti du pouvoir. Mais très vite, on s’est aperçu que ces moyens institutionnels n’étaient pas suffisants pour permettre à tous d’accéder à une existence indépendante et d’échapper à la domination, parce que l’inégalité dans l’accès à la propriété des ressources naturelles et des moyens de production mettait certains dans la dépendance continuée de ceux qui pouvaient seuls leur offrir le travail nécessaire à leur survie.

    La République est alors devenue « sociale », exigeant qu’une partie de la propriété soit socialisée sous la forme de services publics accessibles à tous indépendamment de leur capacité à les payer (éducation, santé, régimes de retraite) et de droits sociaux destinés à mieux protéger les exclus de la propriété contre la domination, en particulier à l’intérieur de l’entreprise.

    La Constitution de 1958 reconnaît, dans son article 1er cette dimension sociale de la République mais, depuis les années 80 du siècle dernier, il semble que les gouvernements successifs aient « oublié » que le noyau dur de l’idée républicaine moderne consiste à créer les conditions de l’indépendance de chacun, chose impossible dans la société industrielle et post industrielle moderne sans des services publics puissants – dont la sécurité sociale est en France le modèle – et des droits sociaux vigoureux. Les partisans des politiques qui ont cherché à ébranler ces mécanismes de solidarité et de distribution plus égale de la richesse créée par tous sont donc des républicains en paroles mais des ennemis de la République dans les faits.

    Les partis de droite et de ce que certains ont appelé l’extrême centre invoquent la forme initiale du républicanisme, celle qui consiste à revendiquer exclusivement l’égalité des droits sous un pouvoir consenti et des lois impartiales et qui affirme que les services publics et les droits sociaux sont des « charges » et des entraves à la liberté alors qu’ils en sont la substance même.

    https://justpaste.it/etzc4

  • #L’arc_républicain : une mise au point - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point

    Seule la #gauche_sociale est fidèle à l’#idée_républicaine parce qu’elle veut la liberté et l’accès à une éducation de qualité pour tous et pas seulement pour quelques-uns. Ce n’est que lorsque de tels objectifs sont poursuivis que l’on peut dire, comme #Rousseau, que « l’intérêt public gouverne » et que « la chose publique est quelque chose ». Et c’est justement parce que notre société cesse tous les jours d’être la « chose de tous » (#res_publica) pour devenir celle de quelques-uns que beaucoup de ses membres rejettent l’idée même d’#égalité comme n’étant qu’une hypocrisie.

    Et enfin, il semble qu’aujourd’hui, pour obtenir son brevet de #républicanisme, il soit requis de proclamer haut et fort que l’on combat avec fermeté toute forme – non pas de racisme et d’exclusion – mais d’antisémitisme.

    Pourquoi cette exigence est-elle formulée avec une telle insistance ? Tout ce débat relève d’un chantage ignoble : soit vous soutenez inconditionnellement l’État d’Israël soit vous êtes antisémite. Quel rapport avec l’idée républicaine ? On a du mal à le comprendre. On peut être, comme le sont les républicains, indéfectiblement opposé à toute discrimination, à toute persécution, à tout rejet en raison de la religion, du genre, de l’ethnie, et être en même temps opposé à tout projet de colonisation du territoire d’un peuple par un autre peuple.

    Non seulement c’est possible mais cela semble logique et il ne manque pas de grandes voix juives à l’avoir dit avec force. On ne peut que s’étonner de voir des gens qui n’ont pas de mots assez durs pour condamner le nationalisme, le communautarisme, la définition ethnique de la nation, défendre bec et ongles un État qui revendique au contraire cette forme d’autodéfinition. Et on peut s’étonner aussi d’entendre des gens qui – ce n’est pas le cas du #Rassemblement_national – font, pour certains, preuve de contrition en reconnaissant que l’aventure coloniale était en profonde contradiction avec l’idée républicaine, proclamer haut et fort que ceux qui dénoncent la forme contemporaine de cet aventurisme ne sont pas républicains.

    Qui a dit qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre ? Quiconque approuve aujourd’hui cette oppression ou accepte de fermer les yeux sur elle devrait réfléchir à cette maxime.

  • Menaces sur les sciences sociales, aujourd’hui et après le 7 juillet 2024 - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/06/27/menaces-sur-les-sciences-sociales-aujourdhui-et-apres-le-7-juillet-2024

    À l’heure où le populisme d’extrême droite est en passe d’arriver au pouvoir par la voie des urnes pour la première fois dans l’histoire de la République, comment ne pas s’interroger sur ce que deviendraient les libertés académiques, tant en ce qui concerne l’autonomie des universités que la libre expression des chercheurs et des étudiants, sous un gouvernement de Rassemblement national ?

    https://justpaste.it/8s96d

  • L’arc républicain : une mise au point - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point

    Ceux qui nient le postulat de l’égalité morale de l’ensemble des personnes sont anti républicains, ceux qui défendent cette idée en paroles mais font tout pour accroitre les inégalités le sont tout autant. Seule la gauche sociale est fidèle à l’idée républicaine.

    Bref, les trois blocs...

  • L’inconsciente irresponsabilité du journalisme politique - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/06/23/linconsciente-irresponsabilite-du-journalisme-politique

    Un excellent papier. Chaque paragraphe mériterait un élargissement, des explications, et cela ferait un excellent petit ouvrage de sociologie des médias. En attendant, le résumé vaut le coup. Merci Sylvain Bourmeau.

    Si d’aventure le RN venait à accéder au pouvoir à l’issue des élections législatives ou à l’occasion de la prochaine élection présidentielle – ce second cas s’avérant plus probable que le premier – la responsabilité du journalisme politique s’en trouverait sérieusement engagée. Non pas que les journalistes, dans leur ensemble, souhaitent la victoire de l’extrême droite, une nette majorité d’entre eux votent plutôt à gauche. Ce ne sont pas leurs convictions ou leurs opinions politiques qui doivent être considérées mais bien plutôt leurs manières de faire leur métier : leur pratique professionnelle a permis, depuis plusieurs dizaines d’années, de favoriser et d’entretenir la montée en puissance du Front puis Rassemblement national. Sans doute convient-il d’ailleurs de parler plus précisément d’idéologie professionnelle, au sens qu’en donne la sociologie de l’école de Chicago, celle d’Everett C. Hughes ou d’Anselm Strauss.

    Impossible de cerner ici dans le détail l’entièreté des contours de l’idéologie professionnelle dominante du journalisme politique – qui condense et caricature à bien des égards l’idéologie professionnelle du journalisme en général. Arrêtons-nous simplement sur quelques traits saillants, en prenant pour exemple dans l’actualité récente non pas seulement le traitement médiatique de l’extrême droite – dont il a déjà été largement montré combien il a participé de la coproduction de la stratégie de « normalisation » mise en place par Marine Le Pen – mais aussi celui de son adversaire désormais principal, le Nouveau Front Populaire ainsi que celui du bloc macroniste qui a, par deux fois, accédé au pouvoir en cherchant à substituer au traditionnel clivage droite/gauche un « moi et le reste du monde face au RN » qui aura eu pour effet mécanique de renforcer le parti d’extrême droite.

    Premier biais : la tyrannie des nouveaux « petits faits vrais »

    Deuxième biais : l’obsession pour la déviance

    Troisième biais : la fabrique rituelle de la sacro-sainte « objectivité »

    Quatrième biais : quand les opinions deviennent des faits

    Cinquième biais : des angles pas toujours très droits

    Sixième biais : 45 millions d’électeurs ou le petit jeu du benchmark façon Que choisir

    Septième biais : des rédacteurs en insatiable quête de personnages

    Considérer l’ensemble de ces biais, c’est réaliser à quel point faire du journalisme politique est toujours, que l’on en soit conscient ou non, faire de la politique par d’autres moyens. Tenter de le masquer derrière une idéologie professionnelle de la neutralité ne fait que profiter à l’extrême droite. Le plus étrange, mais sans doute est-ce le propre d’une idéologie professionnelle efficace, reste de constater à quel point la plupart des journalistes font comme si ce qu’ils écrivent ou disent publiquement n’avait aucune espèce d’effet sur le monde qu’ils proposent de décrire. Quelle performance !

    Sylvain Bourmeau

    Journaliste, directeur d’AOC

    #Journalisme #Politique #Sylvain_Bourmeau #Faits_et_opinions #Sociologie

  • Retour aux urnes : la remobilisation accroît l’incertitude d’un scrutin majeur - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/06/27/retour-aux-urnes-la-remobilisation-accroit-lincertitude-dun-scrutin-majeur

    Dans ce contexte, on observe que les catégories traditionnellement les plus votantes et dont la participation est donc la moins dépendante des campagnes, se sont rapidement et logiquement bien adaptées à la surprise de la dissolution. Les cadres supérieurs et professions intellectuelles ont par exemple enregistré un bond de 14 points d’intention de vote dès le début de campagne. Constituant déjà une des catégories les plus constantes dans sa participation électorale, celle-ci a d’abord accentué son écart à la moyenne, avec une certitude d’aller voter au plus haut (78%) le 20 juin quand, au même moment, les professions intermédiaires, mais également les ouvriers, les inactifs autres que les retraités ou encore les jeunes ont semblé provisoirement moins certains de se rendre aux urnes qu’aux lendemains même de la dissolution.

    Cette sur-mobilisation rapide des cadres s’est aussi traduite par un boom de deux millions de procurations dont on peut faire l’hypothèse qu’il profite très largement à cette catégorie, comme cela a pu être mesuré par le passé. La sociologie des mandats et mandataires de procurations établit en effet que le recours à cette procédure électorale est très socialement situé, qu’il concerne les plus politisés d’entre les citoyens, ceux qui sont disposés à payer le coût individuel d’un déplacement physique au commissariat avant le jour J et qui disposent d’un entourage lui-même prêt à se rendre aux urnes. A l’occasion de ces législatives particulières, le recours massif aux procurations devrait donc permettre à des citoyens très participationnistes pris au dépourvus par le calendrier électoral de maintenir leur projet de week-end ou vacances sans renoncer à faire entendre leur voix.

  • Logement : la « mixité sociale » nuit aux classes populaires racisées - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/06/26/logement-la-mixite-sociale-nuit-aux-classes-populaires-racisees

    À rapprocher du travail publié& dans le livre "Jeunes de quartier"
    https://cfeditions.com/jdq

    Alors qu’un nouveau projet de loi sur le logement était en cours d’examen avant la dissolution, proposant notamment la remise en cause de la loi SRU, de nombreux chercheurs se sont mobilisés pour en dénoncer le contenu. Il est pourtant utile de montrer les limites et les effets pervers de la loi SRU et de son principal objectif : la « mixité sociale ».

    #Quartiers_populaires #Mixité_sociale #Logement

  • Les testicules du castor : du néolibéralisme au fascisme ? - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/06/13/les-testicules-du-castor-comment-empecher-la-bascule-politique


    Une lecture gramscienne du moment présent
    Par Nils Enderlin
    PHILOSOPHE, JURISTE

    Dans la fable d’Ésope, citée par Gramsci, le castor s’arrache les testicules pour sauver sa vie. Et si le bloc néolibéral était mûr pour la castration volontaire ? La dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron en réponse à la déroute de son camp aux élections européennes semble l’indiquer.

    « Le castor, poursuivi par des chasseurs qui veulent lui arracher les testicules, d’où l’on extrait des médicaments, s’arrache lui-même les testicules pour sauver sa vie »[1].
    Comme le castor, le bloc néolibéral est pragmatique. Entre sa vie et ses testicules, il n’hésitera jamais à sacrifier les secondes pour préserver ce qu’il peut de la première. Antonio Gramsci en avait parfaitement conscience et c’est à ce titre qu’il a fait mention de cette fable d’Ésope dans le troisième de ses cahiers de prison.
    Il en avait lui-même fait l’expérience directe, quand la bourgeoisie italienne acculée, prise en étau entre le bouillonnement ouvrier du Biennio Rosso et la montée en puissance du fascisme, choisit de livrer les clés du régime parlementaire transalpin aux forces réactionnaires. Politiquement, le fascisme vient à l’existence à ce moment-là, quand la bourgeoisie accepte de pactiser, d’abandonner son rôle de direction politique effective, afin de préserver une part de ses aspirations hégémoniques. En ce sens, Gramsci nous dit que le fascisme historique comme les formules fascistes qui continuent de surgir ne sont pas des phénomène naturels ou culturels propres à un peuple ou un autre ; ce sont des produits sociaux, les résultantes d’un ensemble de conditions qui se cristallisent dans l’indignité humaine et politique des classes dirigeantes[2].
    Nous vivons un moment de ce type. Comme lors de l’entre-deux-guerres, la classe bourgeoise est en pleine désintégration hégémonique, elle est « “saturée” : non seulement elle ne s’élargit plus, mais elle se désagrège ; non seulement elle n’assimile pas de nouveaux éléments, mais elle perd une partie d’elle-même »[3]. Est-elle donc mûre pour la castration volontaire ? La dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron en réponse à la déroute de son camp aux élections européennes semble l’indiquer.
    Dans le meilleur des cas, cette décision traduit une cécité incommensurable au sentiment de détestation que son auteur et sa politique inspirent à une immense partie de la population française. Dans le pire des cas, elle traduit une démarche tactique coupable : mettre l’extrême-droite au pouvoir avec l’espoir secret que son expérience du pouvoir en dégoûte les électeurs d’ici au cycle électoral de 2027. Difficile, en suivant cette lecture, de ne pas s’accorder avec François Ruffin déclarant qu’on a mis « un taré à la tête de l’État ». Il suffit d’ailleurs de regarder autour de soi pour se rendre compte de l’inanité du choix fait par le président de la République : nul besoin d’en revenir aux années 1930, sous nos yeux l’extrême-droite gouverne en Italie comme elle a gouverné aux États-Unis ou au Brésil et chaque fois son accession au pouvoir lui a permis de consolider son assise sociale.
    De fait, la fable du castor est loin d’être derrière nous. Confronté à l’irréfutabilité de sa propre crise existentielle, le bloc néolibéral français cherche à maintenir son hégémonie au prix d’une solution explicitement régressive. Et sa radicalisation autoritaire ces dernières années a déjà ouvert des possibles inimaginables jusqu’à présent dans l’hypothèse où l’extrême-droite arriverait au pouvoir en juillet prochain : sur le plan de l’usage des forces de l’ordre, du détournement disciplinaire des procédures parlementaires, de l’installation d’une irresponsabilité politique des représentants frappés par des enquêtes judiciaires ou du mépris des corps intermédiaires, l’illibéralisation est déjà en marche. Reste à voir si celle-ci se poursuivra, et sous quelle forme.
    Revenir aux racines de la crise
    Alors que l’extrême-droite n’a jamais été aussi proche d’une victoire depuis des décennies, l’heure est à la construction d’une résistance démocratique puissante. Celle-ci demande un diagnostic clair des origines de la crise.
    Pendant près de trente ans, le monde a vécu sous l’empire d’un bloc historique[4] pleinement néolibéral. La déferlante est partie du monde anglo-saxon, où la dérégulation et l’imposition de l’idée-marché en principe premier de toutes choses ont été explicitement revendiquées. À l’inverse, la vague s’est imposée en Europe sans tambours ni trompettes par le truchement d’une conversion tacite des élites sociales-démocrates continentales à l’inéluctabilité du régime capitaliste[5], et elle a été alternativement accompagnée par les majorités de gauche et de droite sous des formes plus ou moins douces[6].
    C’est donc sous la forme d’une révolution passive que le néolibéralisme a avancé. Il a été une révolution sans révolution, un processus objectif de transformation des structures socio-économiques fondamentales conduit « par le haut »[7]. Avec pour conséquence, une double dynamique de retrait et de repositionnement des électeurs des anciens partis de gouvernement, échaudés par cette révolution furtive jamais assumée[8]. Le résultat est un pays fracturé, figé dans une crise politique multiforme. Majorités de plus en plus mal élues, classes subalternes durablement retirées du jeu politique et extrême-droite au plus haut en sont les symptômes.
    En 2017, cette crise a rencontré une conjoncture politique chaotique, ouvrant un espace central pour la réunification des fractions les plus libérales des deux camps. Sept ans plus tard, parce qu’il a porté un projet politique minoritaire masqué derrière un discours pseudo-progressiste attrape-tout en totale contradiction avec ses actes, le macronisme n’a fait que prolonger la crise politique qu’il était censé résoudre. Non seulement il a travesti sa vérité politique sous un vernis pragmatiste qui n’en est pas moins idéologique, mais il a discrédité toutes les autres options idéologiques au prétexte d’un réalisme qui a eu pour principal effet de susciter la montée du sentiment nationaliste.
    Ce phénomène ne se limite pas à la France. Depuis dix ans, bien des alternances instituées entre gauche et droite libérales se sont transformées en crises de consentement qui ont débouché sur des phénomènes de réactions autoritaires et nationalistes, ou des tentatives de poursuite du développement néolibéral par le biais de grandes coalitions consensuelles. Le cas de l’Italie est exemplaire : après près d’une décennie de gouvernements du non-choix, sous la houlette d’experts comme Mario Monti, de sociaux-démocrates comme Enrico Letta ou de personnalités centristes comme Matteo Renzi et Mario Draghi, le pays a progressivement basculé jusqu’à aboutir au gouvernement néofasciste de Giorgia Meloni.
    Au fond, toute l’économie du macronisme est résumée dans la célèbre réplique de Tancrède à son oncle, le Prince Salina, dans Le Guépard de Lampedusa[9] : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ». À la manière du Risorgimento italien, quand la vieillie aristocratie italienne s’est ralliée à l’unification bourgeoise pour préserver sa place, l’ordre néolibéral français s’est paré des habits du nouveau monde pour assurer sa continuité.
    Le paysage politique a changé ; mais dans les faits les structures de domination sont restées. Comme le met en images le somptueux bal qui clôt l’adaptation cinématographique du Guépard par Visconti, allégorie parfaite d’une rupture de façade dont le Prince Salina synthétise parfaitement la portée : « Savez-vous ce qui se passe dans le pays ? Il ne se passe rien. Seulement une inversion de classes ». La clé de lecture de notre présent politique est là : on nous annonçait la Révolution, nous avons eu la Restauration. Désormais, c’est la Réaction qui se profile.
    La responsabilité historique du macronisme
    La croissance régulière de l’abstention est le fait politique le plus important des dernières décennies. Dans le même temps, l’extrême-droite s’est hissée par trois fois au second tour de la présidentielle, elle a renforcé son ancrage et, après être parvenue à faire élire près de 90 députés lors des dernières élections législatives, elle semble en passe de réunir une majorité au sein du prochain Parlement. Cette situation est le résultat de quarante ans d’échecs des partis de gauche et de droite. Le baril de poudre était prêt, le macronisme a fait le choix d’y mettre le feu.
    La première explication de la transformation du rempart auto-proclamé à l’extrême-droite en marchepied tient à sa nature profonde. Fondamentalement, la conviction qui résume la personnalité historique du macronisme est qu’il n’existe pas de réalité autre que celle à laquelle il se réfère : d’un côté, des agents rationnels qui l’acceptent, de l’autre, des agents irrationnels qui se placent en dehors de la réalité[10]. Dans ce cadre, la délibération politique ne peut que porter autour d’objets et d’enjeux considérés comme appartenant au domaine de la réalité telle que la construit le système marché.
    Au royaume de la vérité économique, il n’est plus de place pour le débat politique, reste uniquement la recherche de consensus sur la manière de résoudre des problèmes considérés comme existants (la compétitivité des entreprises, l’attractivité du pays, le coût du travail, le financement des retraites, la dette, etc.). En s’érigeant en phare incontestable de la vérité économique, le camp présidentiel a renvoyé toutes les alternatives exprimées à la déraison, aux marges du système délibératif. Pour le dire simplement, la stratégie politique du bloc néolibéral se résume à un mortifère « moi ou le chaos » qui, à force d’étouffer le débat républicain, a contraint à la toxicité les énergies politiques qui doivent nécessairement s’exprimer pour faire société politiquement. D’un côté, la République néolibérale, de l’autre le magma des radicaux, des séditieux et des factieux. Avec un seul gagnant : l’extrême-droite, désignée comme le seul véritable adversaire.
    La seconde explication porte sur l’état de déliquescence du bloc néolibéral. Alors que l’hégémonie correspond au moment où un système économique donné, servant les intérêts d’une classe particulière, se trouve soutenu, légitimé, renforcé et modifié en retour par la superstructure politique, idéologique, intellectuelle et morale d’une époque[11], son délitement entraîne à l’inverse un surcroît de coercition[12]. Or, le parti néolibéral n’est plus dirigeant mais seulement dominant. En témoignent la quadripartition du spectre politique – entre écosocialisme, néolibéralisme, néofascisme et abstentionnisme. C’est pourquoi sa pratique politique n’a cessé de se raidir : le recul des libertés publiques et la militarisation de la police ne sont pas apparues avec la réforme des retraites, on en trouve les premiers germes avec la crise des « Gilets jaunes ». De la même manière que le passage en force comme méthode politique date des premiers jours du macronisme, quand à peine élu il a mené une première déconstruction du code du travail à coups d’ordonnances.
    Les années suivantes n’ont fait qu’accentuer le libéralisme autoritaire de la « majorité » à mesure que son absence d’assise sociale majoritaire devenait de plus en plus manifeste. Incapable de reconstruire une position hégémonique, le macronisme a attisé la colère et légitimé un mode d’exercice du pouvoir dont l’extrême-droite pourra se saisir sans la moindre de difficultés.
    À cela, il faut ajouter que le macronisme a aussi organisé une légitimation historique des idées mêmes de l’extrême-droite. Durcissement du droit d’asile, projets de maîtrise drastique de l’immigration instaurant une forme de préférence nationale, agitation de débats sur la fraude sociale empreints de racisme, etc. : face à la crise profonde du paradigme néolibéral, son incapacité à répondre au ralentissement de la croissance et la nécessité d’en revenir à un interventionnisme capable de soutenir le taux de profit privé, le néolibéralisme renoue avec les racines réactionnaires et autoritaires, son versant moral qu’Hayek résumait par une opposition entre les « sauvages » et les « civilisés »[13]. Un propos qui résonne étrangement avec les paniques morales en tous genres que la Macronie entretient autour du wokisme, de l’ensauvagement et de la décivilisation, et dont le seul effet pratique est d’alimenter le camp réactionnaire. Si l’on est bien loin des promesses initiales du macronisme, la bourgeoisie capitaliste française n’est pas la première à emprunter ce terrain glissant. Son cheminement est par endroits analogue à la transformation interne qu’a connu le Fidesz hongrois, laquelle a par suite « inspiré » d’autres formations libérales et pro-business européennes, à l’instar de la Lega de Matteo Salvini ou de l’ÖVP sous la houlette de Sebastian Kurz.
    L’hybridation qui se prépare
    Le nouvel ennemi désigné de la classe dominante atteste de cette lecture volontairement alarmiste. Désormais, le diable est à gauche ; quitte à ce qu’il faille normaliser l’extrême-droite par contraste. Qu’ils en soient conscients ou non (quoique l’insistance du premier des macronistes à rabrouer qui voudrait ramener le lepénisme à ses racines pétainistes suggère une stratégie délibérée), en traitant les frontistes comme ils le font tout en accusant la NUPES de flirter avec l’insurrection violente, les grands modernisateurs ont déroulé le tapis rouge à l’extrême-droite. Et ils ont prévu de continuer, comme l’indique leur engagement à faire barrage contre les candidats de gauche soi-disant situés hors de « l’arc républicain » lors des élections qui viennent.
    Ainsi, en se rangeant aux thématiques identitaires et déclinistes de l’extrême-droite, en validant la menace fantasmagorique d’une alliance objective entre rouges et verts déterminés à renverser les institutions dissoudre l’ordre républicain et faire de la France le Venezuela de l’Europe, le bloc bourgeois s’est d’ores et déjà arraché un testicule. Comme le diagnostiquait Theodor W. Adorno, le retour de ce « lexique de l’effroi » contre des menaces fantasmées[14] signale un trait caractéristique des processus de fascisation. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
    Longtemps, derrière la confusion ambiante, le sens de la marche a pu rester flou pour beaucoup. Ce temps est derrière nous. Si le bloc néolibéral, par sa politique comme par son style, nourrit la dynamique du Front National et de ses affidés, s’il en est désormais le premier carburant, alors il faut assumer qu’il est un allié objectif d’une fascisation de l’arène politique. Ce parce qu’au-delà de la formule historique concrète du fascisme italien, il faut saisir ce qu’est le fascisme du point de vue instrumental, c’est-à-dire, avant toute chose, la continuation du capitalisme par temps de crise, sa dégénérescence autoritaire en phase de déliquescence de son hégémonie politique.
    Et, quoi que l’on en dise, les conditions sociales du fascisme sont bien là : qu’on parle de la concentration excessive du capital, de la crainte perpétuelle d’un déclassement parmi les couches moyennes de la société, de la peur agitée d’un ennemi extérieur qui nous menacerait d’un grand remplacement ou de la crise démocratique qui éloigne de plus en plus de citoyens de la politique à mesure que l’élite dirigeante semble déterminée à imposer ses réformes à marche forcée.
    Bien sûr, il y aurait matière à pérorer des jours sur la pertinence du mot, comme ce fut le cas quand Mme Meloni est devenue présidente du conseil italien. Bien sûr, d’un point de vue purement analytique, les extrêmes-droites contemporaines n’ont rien à voir avec le fascisme mussolinien. Pour autant, en termes politiques, l’idée du fascisme, au sens d’une autoritarisation nationaliste du champ politique, comme solution de dernier recours des forces capitalistes conserve toute sa pertinence. La dérive généralisée des droites européennes constatée ces dernières années montre qu’un verrou mental a sauté.
    Plutôt que de s’alarmer d’une supposée radicalité des gauches, voilà ce dont les commentateurs politiques devraient s’inquiéter. À l’opposé du poncif qui voudrait faire des deux extrêmes de l’échiquier politique les deux faces d’une même pièce, il faudrait s’inquiéter des similitudes de plus en plus criantes entre libéralisme et nationalisme : refus du clivage gauche-droite, capitalisme viscéral, rejet des libertés syndicales et du « désordre », mépris des contre-pouvoirs, stigmatisation de la figure de l’étranger, confusionnisme idéologique, culte des simplifications, assouplissements, et autres allègements, contrôle des assistés et répression des contestations.
    Cette jonction libérale-autoritaire est d’ailleurs perceptible dans le débat public depuis plusieurs années. Raphaël Enthoven, commentateur autorisé s’il en est, ne publiait-il pas début juin 2021 une série de tweets dans laquelle il annonçait qu’en cas de second tour opposant Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, il irait « à 19h59 voter pour Marine Le Pen en [se] disant, sans y croire, “Plutôt Trump que Chavez” », comme un écho au tristement célèbre « plutôt Hitler que le Front populaire » ?
    « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés », diagnostiquait Gramsci dans le passage qui reste probablement le plus célèbre des Cahiers de Prison[15]. Souvent traduite avec des formulations plus aguicheuses évoquant des « monstres » surgissant dans un « clair-obscur » politico-idéologico-historique, cette remarque pointe les pathologies qui émergent dans les phases de déstabilisation profonde d’un bloc historique hégémonique. La dérive politique du camp néolibéral en est un : à la fois manifestation de la crise et indicateur de son niveau d’avancement.
    Comment résister ?
    Maintenant que le diagnostic est posé, la tâche doit être de construire l’alternative politique, la poussée contre-hégémonique qui permettra de ramener le débat public et politique sur les rives du dialogue, de la démocratie et du respect des libertés publiques. La dissolution pyromane décidée dimanche dernier exige qu’une résistance civique se constitue. Dans ses Thèses de Lyon, Gramsci tirait une leçon de la marche sur Rome qui battait en brèche l’idée que la contre-révolution aurait simplement remporté une victoire sur la révolution et insistait au contraire sur la faiblesse et la résignation des forces de résistance. C’est précisément ce dont la gauche doit se prémunir : même si l’avenir semble bouché, l’espoir d’une alternance heureuse subsiste.
    Aussi, alors que certains à gauche appellent déjà à un nouveau front populaire pour les élections législatives de juin 2024, peut-être serait-il judicieux de s’inspirer de son illustre prédécesseur pour conjurer enfin le spectre de la division.
    Premièrement, rappelons-nous que le Front populaire fut une réaction avant d’être un élan réfléchi, un sursaut unitaire contre le 6 février 1934 ; c’est ensuite qu’il devint un projet concerté pour la République sociale.
    Deuxièmement, il est venu des travailleurs avant de venir des politiques : la grève générale du 12 juin en défense de la République a été initiée par la CGT, alors même que celle-ci avait pour tradition de se tenir éloignée de la politique depuis l’adoption de la Charte d’Amiens en 1906.
    Troisièmement, il était un Front, c’est-à-dire une coalition agrégeant des forces plurielles : le visage du 12 juin 1934 était d’abord celui de deux cortèges formés sur des interprétations différentes du sens de la menace fasciste, celui de la CGT et de la SFIO insistant sur le danger institutionnel pour la République, et celui de la CGT-U et du PC y voyant la forme ultime d’une domination capitaliste en déclin, qui finirent malgré tout par fusionner ; jusqu’à conduire quelques semaines plus tard à un rapprochement concerté des socialistes et des communistes, et enfin au ralliement des radicaux.
    Quatrièmement, le Front populaire s’est construit pas-à-pas, d’abord dans les luttes sociales antifascistes, ensuite dans le travail des forces politiques, enfin dans les alliances concrètes aux élections municipales avant de parvenir au gouvernement.
    Pour terminer, il a acté la méthode du réformisme : pas de grand soir mais des promesses de transformations concrètes, et un mot d’ordre clair, « Pain, Paix, Liberté », capable de retenir le basculement des classes moyennes dans le fascisme.
    La marche est haute et rien n’indique que les partis de gauche trouveront enfin le courage de la franchir dans la durée. Pourtant, quiconque s’est déjà aventuré sur un marché plutôt que de se replier sur son noyau de militants sait ce que demandent les électeurs de gauche : l’unité et le respect. Les bases de ce rassemblement sont claires : les derniers scrutins présidentiel et législatifs ont tranché la question du programme pour l’essentiel. Et il faut le dire, on doit à La France Insoumise d’avoir remis la gauche sur les rails et autour d’un projet ambitieux après des décennies de dérive néolibérale.
    Mais de la même manière, les résultats des autres partis et les nombreuses réticences que peut susciter la France Insoumise envoient un message alternatif sur la méthode. Chacun doit discuter sur un pied d’égalité et cesser de chercher à imposer sa marque sur l’union des gauches. De même qu’il faut sérieusement remettre en cause la stratégie d’agitation permanente des insoumis, faute de quoi aucun front à vocation hégémonique ne franchira le seuil de la majorité électorale. Ce d’autant plus que la gauche devra aussi rallier les tenants d’un libéralisme démocratique et républicain pour espérer une victoire. Le seul chemin est donc dans l’alliance de la radicalité des propositions et de la modération des discours. Sinon, la stratégie de diabolisation de la NUPES orchestrée par le bloc néolibéral-réactionnaire pourra prospérer.
    Des divergences existent évidemment, des divergences nombreuses même, mais elles ne doivent pas éclipser la force de ces combats communs. Surtout que la diabolisation intense dont la gauche ne cesse de faire l’objet démontre le danger qu’elle représente pour la classe dominante. Si on cite souvent le couple théorique de la guerre de mouvement et de la guerre de position mobilisé par Gramsci comme critère d’interprétation des modalités de la lutte hégémonique[16], on parle moins souvent du moment où le siège s’installe. Or, après des décennies d’ancrage du néolibéralisme qui ont vu alterner les poussées tactiques (guerre de mouvement) et les luttes serrées annonciatrices d’un gain stratégique pour un camp ou l’autre (guerre de position), le front français est définitivement entré en siège et c’est le virage pris ces derniers mois par les forces dominantes qui nous l’indique.
    Puisque l’hégémonie néolibérale montre qu’elle est en mesure de s’effondrer sur elle-même, mais qu’aucune contre-hégémonie ne se distingue, « seules comptent les positions décisives ». Ainsi que le résume Gramsci : « En politique le siège est réciproque, malgré toutes les apparences, et le seul fait que celui qui domine doit faire étalage de toutes ses ressources montre le jugement qu’il porte sur l’adversaire »[17]. Face à l’urgence économique, sociale et écologique d’un renversement global de l’hégémonie néolibérale, doublée d’une dégénérescence autoritaire de l’ordre dominant qui le voit maintenant prendre le risque de laisser à l’extrême-droite les clés de notre destin et ainsi de voir un recul majeur sur la démocratie et les droits fondamentaux, les gauches ont la responsabilité historique d’être à la hauteur de la crainte qu’elles inspirent au bloc dominant pour faire triompher les idéaux de justice, de solidarité, et d’autonomie.
    Un chemin existe. Simplement, le temps presse et il demande de mettre les querelles de chapelles et d’égos de côté. Autrement, le castor s’arrachera les testicules pour de bon, et c’est tout l’édifice républicain qui sera menacé.
    NDLR : Nils Enderlin a coordonné Leur Europe et la Nôtre (Textuel, mai 2024), livre d’analyse et de proposition d’Attac et de la Fondation Copernic en vue des élections européennes.
    Nils Enderlin
    PHILOSOPHE, JURISTE, DOCTORANT À L’UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
    Notes
    [1] Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Tome 1, Gallimard, 1996, vol. 3, par. 42.
    [2] Antonio Gramsci, op. cit., 1996, vol. 3, par. 42.
    [3] Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Tome 2, Gallimard, 1983, vol. 8, par. 2.
    [4] L’idée de bloc historique a été forgée par Antonio Gramsci pour se distinguer de la tendance au déterminisme économique des premiers marxismes comme pour discréditer l’idéalisme bourgeois et son aveuglement face aux inégalités matérielles du monde. Elle traduit l’imbrication étroite entre un système économique et une superstructure idéologique et institutionnelle hégémonique sur une période donnée. (Antonio Gramsci, op. cit., 1983, vol. 7, par. 21 ; Antonio Gramsci, op. cit., 1983, vol. 8, par. 182 ; Antonio Gramsci, op. cit., 1983, vol. 8, par. 240 ; Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Tome 3, 1978, vol. 10, partie I, par. 13 ; Antonio Gramsci, op. cit., Gallimard, 1978, vol. 13, par. 10).
    [5] En France, les données collectées par le Chapell Hill Expert Survey illustrent cette droitisation progressive du PS lors des périodes où il était au gouvernement.
    [6] Stuart Hall, Le Populisme autoritaire. Puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatchérisme et du blairisme, Éditions Amsterdam, 2008 ; Jérôme Vidal, La Fabrique de l’impuissance 1. La gauche, les intellectuels et le libéralisme sécuritaire, Éditions Amsterdam, 2008.
    [7] Antonio Gramsci, op. cit., 1996, vol. 4, par. 57 ; Antonio Gramsci, op. cit., 1978, vol. 10, partie II, par. 41, note XIV ; Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Tome 5, Gallimard, 1992, vol. 19, par. 24 ; . Antonio Gramsci, op. cit., 1992, vol. 25, par. 5.
    [8] Charles Masquelier, « Theorising French neoliberalism : The technocratic elite, decentralised collective bargaining and France’s ‘passive neoliberal revolution », European Journal of Social Theory, 2021 ;24(1):65-85.
    [9] Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, 1958 : « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi » (traduction Fanette Roche-Pézard, 1959).
    [10] Wendy Brown, Défaire le démos, Éditions Amsterdam, 2018, p. 71.
    [11] Antonio Gramsci, op. cit., 1996, vol. 4, par. 38 ; v. aussi Antonio Gramsci, op. cit., 1978, vol. 13, par. 17.
    [12] Antonio Gramsci, op. cit., 1992, vol. 19, par. 24.
    [13] Friedrich von Hayek, Droit, législation et liberté, PUF, novembre 2013.
    [14] Theodor W. Adorno, Le Nouvel extrémisme de droite, Climats, 2019, pp. 39-43 : « il n’existe plus aujourd’hui de Parti communiste en Allemagne, et du même coup le communisme a vraiment pris une sorte de caractère mythique, j’entends par là qu’il est devenu totalement abstrait ; Or cette singulière abstraction débouche quant à elle sur une situation où l’on classe tout ce qui ne nous convient pas dans la catégorie caoutchouteuse du ‘communisme’ avant de le rejeter en tant que tel ».
    [15] Antonio Gramsci, op. cit., 1996, vol. 3, par. 34.
    [16] V. entre autres : Antonio Gramsci, op. cit., 1983, vol. 7, par. 16.
    [17] Antonio Gramsci, op. cit., 1983, vol. 6, par. 138.

  • Après le désastre du 9 juin, face au défi - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/06/12/apres-le-desastre-du-9-juin-face-au-defi


    Alain Lipietz sur l’union de la gauche

    D’abord s’unifier. Dès le mardi 11 au matin, Raphaël Gluksmann refusait l’alliance avec LFI, et son entourage Place Publique accusait sa négociatrice d’avoir « dilapidé en quelques heures tout l’acquis de la campagne Glucksmann », aveu implicite du caractère fragile (parce qu’artificiel) du succès de la liste PS/PP. Bon. On comprend l’amertume de Raphaël Glucksmann qui devait se réveiller chaque matin dans l’angoisse de découvrir dans la presse le tombereau d’insultes quotidiennes que La France Insoumise avait déversé contre lui, comme elle l’avait fait cinq ans plus tôt contre Yannick Jadot. Comme disait le très intelligent Président Giscard d’Estaing, « En matière de haine, il n’y a que la dernière couche qui compte », mais la difficulté est ici que la campagne européenne est précisément la dernière couche. Et la répugnance de Glucksmann entre en résonnance, à l’autre extrémité de son électorat, avec le rejet par la moitié des cadres socialistes de la NUPES de 2022. Heureusement, les militants et sympathisants de gauche ou écologistes hurlent comme en 1934 « Unité ! Unité ! » et sauront bien imposer un Front Populaire à leurs dirigeants.

    Ce qui nous conduit à la seconde difficulté : en 1936 le Front Populaire était effectivement populaire. En 2024, les électeurs populaires sont déjà RN. Le seul vivier, ce sont les abstentionnistes, un peu moins de la moitié de l’électorat. Soit on pense que ceux qui ne votent pas auraient voté comme les votants, et alors c’est perdu. Soit on pense que ce sont des électeurs « déçus des politiciens de droite comme de gauche », et alors leur tendance spontanée est de sortir de leur grève démocratique en votant RN. Ils et elles ne peuvent être mobilisés vers la gauche que par un programme suffisamment radical pour leur faire regagner ce qu’ils ont perdu depuis 30 ans. D’où la judicieuse proposition de Glucksmann : présenter Laurent Berger comme candidat Premier ministre. Il est incontestablement l’incarnation du dernier mouvement social, la lutte contre la réforme macroniste des retraites, et dans le même ordre d’idée les Verts pourraient mettre en avant Priscilla Ludowski, visage pacifique des Gilets Jaunes…

    Troisième problème : face à l’Arc NaCA, un front populaire ne suffit pas (encore une fois : 32 % face à 38%), il faut un front républicain, il faut gagner les centristes au second tour. Un front républicain ne se négocie pas, il se décrète unilatéralement, par éthique et sens politique, en espérant que le concurrent centriste sera mis au défi d’en faire autant. Mais les candidats LFI, par exemple, seront-ils capables de proclamer « Si je suis 3e et le macroniste second au premier tour, j’appellerai à voter pour lui au second tour, et j’invite mon concurrent à prendre la même engagement » ? Hum… Et de plus, ce souci du second tour ne doit pas conduire à édulcorer le programme du premier tour, ce qui empêcherait de mobiliser les abstentionnistes de gauche.

    La gauche avait eu un problème similaire en 1981. Il fallut toute l’habileté de François Mitterrand pour se présenter, au premier tour, en signataire du Programme commun largement inspiré par le Parti communiste (nationalisation de toutes les banques et des grandes entreprises, ce que même LFI n’a jamais osé proposer) ; et au second tour comme « la Force tranquille ».

    Y a-t-il aujourd’hui un leader qui en soit capable ? Il faut l’espérer. Sinon, l’avenir est extrêmement sombre.

  • La gauche française peut-elle retrouver l’avant-garde mondiale ? - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/06/03/la-gauche-francaise-peut-elle-retrouver-lavant-garde-mondiale

    Par Agathe Cagé
    Politiste

    L’attachement de la gauche française à être, et peut-être même encore plus à paraître, raisonnable, n’est à même de susciter ni espoir, ni engouement. Pour retrouver son poste à l’avant-garde, la gauche française doit retrouver le goût de l’inattendu.

    Le 6 mars 2024, le magazine du New York Times publiait un long article d’analyse consacré à la situation de la gauche française sous le titre « Pourquoi le pouvoir échappe à la gauche française » (Why Power Eludes the French Left). Un an après le mouvement social massif et unitaire contre la réforme des retraites, le chapeau de l’article en résumait la tonalité générale : « La France a souvent été à l’avant-garde des politiques de gauche –mais le soutien dans la rue ne se traduit pas toujours en votes dans les urnes ».
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    L’affirmation ne dit pas seulement la complexité et la non-linéarité des relations entre mouvements sociaux et résultats électoraux. Elle place surtout la gauche française actuelle face au miroir de son histoire. Peut-elle encore se considérer aujourd’hui comme à l’avant-garde mondiale des politiques de gauche, ou même en capacité de l’être ? Est-elle dans son état actuel à même de concevoir, puis de mettre en œuvre, des politiques novatrices et de rupture ? On ne peut répondre par l’affirmative à cette interrogation. La gauche française a perdu sa place historique d’avant-garde. Si elle peut la retrouver, c’est à la condition d’abord de le vouloir, ensuite de s’en donner les moyens, ce qui suppose qu’elle rompe avec l’indolence qui paraît désormais la caractériser et qu’elle retrouve le sens des ambitions véritables.

    En 1936, de 1944 à 1946 à travers son implication dans le Gouvernement provisoire de la République française qui crée la Sécurité sociale et le modèle français d’État-Providence, en 1981, en 1997, la gauche française incarne pleinement son ADN révolutionnaire, à l’avant-garde des politiques mondiales de gauche. Elle fait figure de défricheur sur la scène internationale et d’étalon de référence dans le débat politique national. L’historien Jacques Julliard peut d’ailleurs, en 2012, la définir ainsi : « La gauche est la gauche ; la droite est une non-gauche ».
    La gauche désespérante

    Une décennie plus tard, les mots du journaliste Nicolas Truong dans Le Monde le 4 mars 2022 disent, mieux peut-être encore que les résultats électoraux successifs, l’ampleur de l’effondrement : « une gauche désespérante », écrit-il à propos de la gauche française. Au moment même où les gauches espagnole, portugaise, allemande, norvégienne sont au pouvoir et au travail. La définition de la gauche par Jacques Julliard a vécu. La gauche française ne sait plus ni qui elle est, ni ce qu’elle ambitionne d’incarner.

    L’attachement de la gauche française à être, et peut-être même encore plus à paraître, raisonnable, n’est à même de susciter ni espoir, ni engouement. Pour retrouver son poste à l’avant-garde, la gauche française doit retrouver le goût de l’inattendu. Elle doit cesser d’attendre un vent qui tourne ou de récolter une partie des fruits des colères sociales. Elle doit cesser de croire qu’un balancier politique la ramènera au pouvoir si elle ne sait plus faire la différence pour prétendre l’exercer. Elle doit réapprendre à surprendre.

    #Politique #Gauche #France #Combattre_la_désespérance

  • Que nous dit Nous de notre époque – sur le chef d’œuvre d’Evgueni Zamiatine - AOC media
    https://aoc.media/critique/2024/05/26/que-nous-dit-nous-de-notre-epoque-sur-le-chef-doeuvre-devgueni-zamiatine

    Longtemps réduit à un pamphlet anti soviétique Nous d’Evgueni Zamiatine, qui reparaît dans l’Imaginaire de Gallimard, a traversé le vingtième siècle comme un météore sourd aux injonctions des propagandes, et il rebondit aujourd’hui pour nous parler de notre monde transparent et synchronisé, régulé par les Gafam et les algorithmes.

    • Selon [Giuliano da Empoli], Zamiatine était un « acrobate du temps ». Il avançait sur une corde tendue entre les siècles, à cheval sur les univers parallèles dont parlent les physiciens. « En 1922, Zamiatine avait cessé d’être un simple écrivain et était devenu une machine du temps. Parce qu’il croyait être en train d’écrire une critique féroce du système soviétique en construction. Ses censeurs eux-mêmes l’avaient lu ainsi, raison pour laquelle ils en avaient interdit la publication. Mais en vérité Zamiatine ne s’adressait pas à eux. Sans s’en rendre compte, il avait enjambé un siècle pour s’adresser directement à notre ère. »
      Son #roman_d’anticipation prenait tout son sens non pas dans le monde obsolète de la guerre froide, mais dans le vertige ultra technologique et déshumanisé du XXX e siècle. Il ne s’adressait pas aux censeurs soviétiques qui l’avaient interdit, ni à ses lecteurs occidentaux qui voyaient en lui une critique de la bureaucratie soviétique. « en vérité Zamiatine ne s’adressait pas à eux. Sans s’en rendre compte, il avait enjambé un siècle pour s’adresser directement à notre ère. Nousdépeignait une société gouvernée par la logique, où toute chose était convertie en chiffres, et où la vie de chaque individu était réglée dans les moindres détails pour garantir une efficacité maximale. Une dictature implacable mais confortable qui permettait à n’importe qui de produire trois sonates musicales en une heure en poussant simplement un bouton, et où les rapports entre les sexes étaient réglés par un mécanisme automatique, déterminant les partenaires les plus compatibles et permettant de s’accoupler avec chacun d’entre eux. »
      Da Empoli renouvelle la lecture du roman de Zamiatine. Pour lui Zamiatine était un oracle, il ne s’adressait pas seulement à Staline : il épinglait tous les dictateurs à venir, « les oligarques de la Silicon Valley » « les mandarins du parti unique chinois ». Son livre était une arme contre la « ruche digitale qui commençait à recouvrir la planète. »

      « Zamiatine a traversé la catastrophe future conclut Giuliano da Empoli dans sa préface, pour nous n’ayons pas à le faire. La lecture de son livre ouvre la voie à la possibilité d’un avenir différent. »

      Car ce livre inouï et qui ne ressemble à aucun autre, n’est pas un pamphlet anti soviétique, c’est une œuvre d’art. Il a traversé le vingtième siècle comme un météore sourd aux injonctions des propagandes, et il rebondit aujourd’hui pour nous parler de notre monde, non pas le vieux monde de la guerre froide dans lequel on a voulu l’enfermer, mais notre monde transparent et synchronisé régulé par les Gafam et les algorithmes.
      « Les hommes sont comme les romans écrivait Eugène Zamiatine, avant la dernière page, on ne sait jamais comment ils finiront. Autrement cela ne vaudrait pas la peine de les lire. »