AOC media - Analyse Opinion Critique

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  • L’ordre républicain d’Emmanuel Macron - Jacques Rancière - AOC - 20/04/2023
    https://justpaste.it/8f2dj
    https://aoc.media/opinion/2023/04/20/lordre-republicain-demmanuel-macron

    C’est le moment de se le rappeler : il n’y a pas en France une mais deux traditions républicaines. En 1848 déjà, il y avait la république tout court, celle des royalistes, et la république démocratique et sociale, écrasée par la première sur les barricades de juin 1848, exclue du vote par la loi électorale de 1850 puis à nouveau écrasée par la force en décembre 1851. En 1871, c’est la République des Versaillais qui noyait à son tour dans le sang la république ouvrière de la Commune. Macron, ses ministres et ses idéologues n’ont sans doute aucune intention meurtrière. Mais ils ont clairement choisi leur république.

    #Macron #Ordre_policier

    • Marx disait, avec quelque exagération à l’époque, que les États et leurs chefs n’étaient que les agents d’affaires du capitalisme international. Emmanuel Macron est peut-être le premier chef d’État chez nous à vérifier exactement ce diagnostic. Il est décidé à appliquer jusqu’au bout le programme dont il est chargé : celui de la contre-révolution néo-conservatrice qui, depuis Margaret Thatcher, vise à détruire tous les vestiges de ce qu’on appelait l’État social mais aussi toutes les formes de contre-pouvoir issues du monde du travail pour assurer le triomphe d’un capitalisme absolutisé soumettant toutes les formes de vie sociale à la seule loi du marché.

      [...]
      Certains pensaient que les rigueurs de la discipline « républicaine » étaient réservées aux populations musulmanes issues de l’immigration. Il apparaît aujourd’hui qu’elles visent bien plus largement tous ceux et toutes celles qui s’opposent à l’ordre républicain tel que le conçoivent nos dirigeants. L’idéologie « républicaine » que certain(e)s essaient encore par des jongleries diverses d’associer à des valeurs universalistes, égalitaires et féministes n’est que l’idéologie officielle de l’ordre policier destiné à assurer le triomphe du capitalisme absolutisé.

      #économie #Jacques_Rancière #État_policier

    • Le républicanisme dans sa version illibérale est une « haine de la démocratie ». Ainsi l’avait pressenti Jacques Rancière dans son ouvrage éponyme :

      La Haine de la démocratie apporte une réflexion sur la résurgence du discours antidémocratique en France. L’auteur cherche à comprendre pour quelles raisons une élite intellectuelle, relativement privilégiée au sein d’États dits « démocratiques », en est arrivée à un tel mépris et une telle haine pour le principe de démocratie. Sa thèse principale est qu’il existe une confusion sur le terme de démocratie. Le livre est divisé en quatre parties :

      De la démocratie victorieuse à la démocratie criminelle

      Durant la Guerre froide, la démocratie est conçue par opposition au régime totalitaire soviétique. Une fois cet antagonisme disparu, le concept consensuel devient sujet à des réflexions plus critiques. Un tournant idéologique concernant la démocratie s’effectue ainsi après l’effondrement de l’empire soviétique, au début des années 1990. Deux grandes critiques s’élèvent : une plutôt issue des hautes sphères intellectuelles et étatiques et une venue des penseurs marxistes.

      Les premiers expliquent que parce que la démocratie enlève toute limite au peuple, le bien commun en est menacé : c’est la montée de l’individualisme anarchique et des revendications excessives. Ils effectuent une distinction entre ceux qui ont le pouvoir de prendre les bonnes décisions, qui ont le savoir, et le reste. Les seconds dénoncent la société démocratique comme étant celle qui promeut les droits des individus égoïstes de la société bourgeoise et détruit les valeurs collectives. L’individu démocratique est un consommateur soucieux de son seul confort.

      La politique ou le pasteur perdu

      Les individus « démocratiques » ont perdu l’orientation que leur apportait Dieu, ou toute autorité suprême, qui faisait d’eux un tout, un peuple avec une volonté commune. Le crime démocratique est un crime politique, le fait que toutes les voix peuvent se confronter de manières égales. Ces nouvelles pensées critiques trouvent écho dans les raisonnements du philosophe grec Platon, premier grand détracteur de la démocratie, qui lui aussi dénonce l’individualisation des mœurs qu’apporte la démocratie. Selon eux, quand l’égalité est l’unique principe qui dirige les peuples et qui légitime la prise de pouvoir, la société est chaotique. La démocratie renverse toutes les relations de pouvoir naturelles entre les individus.

      Démocratie, république, représentation

      Démocratie et système électoral représentatif, suffrage universel ne vont pas ensemble de soi. Ce suffrage a une nature double : d’un côté, il donne la possibilité d’élire n’importe qui, et en cela stimule raisonnablement les tendances démocratiques de la population ; mais d’un autre côté, il assure surtout la reproduction d’oligarchies dominantes. Ces oligarchies au pouvoir tentent de dépolitiser la sphère publique, de la privatiser. Le fait de remettre en cause cette démarcation est une manifestation de vie politique et démocratique. De même, il ne faut pas faire d’amalgame entre démocratie et république, car la république signifie le règne de la loi égale pour tous, ce principe étatique tend à homogénéiser la population et donc à contrer l’individualisme démocratique.

      La Raison d’une haine

      Chaque gouvernement est nécessairement oligarchique, une minorité dirige la majorité. La démocratie n’est pas une forme d’État ou de gouvernement. Elle est en réalité un principe au-dessus et des pratiques en dessous de l’État : c’est-à-dire à la fois le principe d’égalité nécessaire entre les humains et à la fois la pratique qui consiste à remettre en cause le statu quo imposé par les élites gouvernantes. La haine de la démocratie résulte d’une mauvaise compréhension de ce concept, et les maux de civilisation (atomisation de la société, montée de l’individualisme, populisme, etc.) qu’on lui attribue sont en fait la preuve de sa vitalité.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Haine_de_la_d%C3%A9mocratie

      On peut aussi réécouter des extraits d’une conférence donnée en août 2006 dans le cloître de l’école des Beaux-Arts de Rennes, à l’initiative de la librairie Planète Io à l’occasion de la parution de son livre .

      http://www.radio-univers.com/la-haine-de-la-democratie

    • Il est excellent, argumenté, Sylvain Bourmeau. Il faut écouter cette démonstration jusqu’au bout. J’entends ceux qui lèvent les yeux au ciel en disant “Faut pas exagérer”… Et pourtant ...

      https://video.twimg.com/amplify_video/1649117416650047489/vid/1920x1080/WiAhH688lv83I9fy.mp4?tag=16

      #Macron #Ganges #casserolades
      https://twitter.com/francoisedegois/status/1649191247796420614?cxt=HHwWjIC2ufesjeMtAAAA

      Sylvain Bourmeau : journaliste, directeur du quotidien AOC media, producteur de La Suite dans les Idées sur France culture et professeur associé à Sorbonne Paris1

  • Parier sur le retrait : action militante et argent magique - Michel Feher
    https://aoc.media/analyse/2023/04/11/parier-sur-le-retrait-action-militante-et-argent-magique

    Afin d’obtenir gain de cause, les opposants à la réforme des retraites invoquent à la fois le coût social du report de l’âge légal à 64 ans et le déni de démocratie auquel s’apparente l’usage de l’article 49-3 pour faire passer une loi aussi impopulaire. Si pertinents soient-ils, ces arguments se heurtent aux institutions de la Ve République, qui autorisent le gouvernement à les ignorer, et au sens des priorités d’Emmanuel Macron, persuadé que sa mission première est de ne pas faire courir de risque financier à son pays. Pour s’éviter une défaite cruelle, les adversaires du chef de l’État seraient peut-être bien inspirés de le prendre au mot.

    Les raisons qui, de son propre aveu, ont conduit Emmanuel Macron à utiliser l’article 49-3 pour faire passer sa réforme des retraites éclairent la conception qu’il se fait de sa propre responsabilité. Il s’agissait, a-t-il expliqué, de prévenir « le risque financier » en rassurant les investisseurs dont dépend la réputation internationale de la France. Celle-ci ne serait donc pas tant une démocratie représentative qu’une créditocratie élective – soit un régime politique qui recourt au suffrage populaire pour sélectionner son principal représentant mais qui, une fois l’élu aux affaires, lui donne pour principale mission de se rendre appréciable aux yeux des instances dont l’État est l’obligé. Parmi les acteurs dont il importe de recevoir l’agrément figurent les détenteurs de la dette publique et les institutions européennes mandatées pour surveiller la politique budgétaire des pays membres, mais aussi les agences de notation et les gestionnaires d’actifs qui jouent un rôle majeur dans l’allocation mondiale du capital.

    De nombreux commentateurs ont bien relevé que, pour justifier sa détermination, le président de la République avait invoqué le jugement des milieux financiers. Cependant, ils en ont généralement conclu que dans sa décision, le souci de faire des économies avait prévalu sur la crainte de heurter ses compatriotes. Or, même à admettre que les risques qui pèsent sur le système des retraites appellent une réforme de son mode de financement, les experts s’accordent à constater que les concessions obtenues par les députés et sénateurs Républicains n’autorisent guère à escompter une résorption significative du déficit. Autrement dit, l’argument de la rigueur comptable est difficilement recevable.

    Est-ce à dire qu’Emmanuel Macron s’est trompé dans ses calculs d’impact ? Évidemment non. En fin connaisseur du monde de la finance, le chef de l’État sait bien que la cote des gouvernants ne dépend pas de leur aptitude à produire des comptes en équilibre. Bien plus que des témoignages de sérieux budgétaire, ce sont des marques d’allégeance qu’attendent les pourvoyeurs de crédit. Les dirigeants politiques selon leurs vœux ne sont pas ceux qui épargnent pour s’acquitter de leurs dettes mais leurs collègues dont la vertu première est de savoir à qui ils doivent prioritairement inspirer de la confiance. En l’occurrence, c’est bien le respect des préséances entre créanciers et mandants que la loi récemment passée sans vote avait vocation à manifester : car même si la réforme s’avère inefficace sur le plan économique, la colère qu’elle suscite dans la population atteste qu’elle est l’œuvre d’un homme disposé à sacrifier sa propre popularité au maintien de l’attractivité financière de son pays.

    Si les affinités d’Emmanuel Macron avec les mondes de la finance et des grandes entreprises expliquent pourquoi la créditocratie élective convient à son tempérament, force est d’admettre que l’avènement de ce régime précède largement son arrivée au pouvoir et que sa persistance procède d’un rapport de forces défavorable à la démocratie représentative. Car à la différence des électeurs, qui ne délèguent la souveraineté populaire qu’une fois tous les cinq ans, les dispensateurs de crédit opinent à chaque instant. Aussi n’est-il pas illogique qu’un candidat à la présidence s’applique à recueillir les suffrages des premiers le temps d’une campagne et qu’en cas de succès, il passe son mandat à conjurer les inquiétudes des seconds. Loin de reconnaître un reniement de ses promesses, il pourra arguer que son devoir est moins de complaire à ses concitoyens que de préserver la nation qu’il dirige d’un humiliant discrédit.

    Sans doute objectera-t-on que le souci de se faire réélire est de nature à tempérer la subordination des vœux de l’électorat aux préférences des investisseurs. Reste que dans le cas présent, le président de la République ne peut plus se représenter. Quant à la carrière politique des députés qui l’ont soutenu, c’est peu dire qu’elle ne le préoccupe guère. Même s’il arrivait, comme il l’envisage sans doute, que les prochaines élections, présidentielle et législatives, débouchent sur la formation d’ une alliance à l’italienne – soit un attelage dominé par le Rassemblement national (RN) et normalisé par la présence de Républicains – Emmanuel Macron en conclurait seulement qu’il a été le dernier rempart progressiste contre le populisme.

    Vaine indignation

    Confrontées aux priorités du chef de l’État, les forces politiques et syndicales mobilisées par la réforme des retraites parlent à bon droit de déni de démocratie. Un régime démocratique, rappellent-elles, ne se résume pas au processus électoral : même sans enfreindre la loi, un gouvernement ne peut ignorer la désapprobation qu’une majorité de la population exprime à la fois dans les enquêtes d’opinion, au sein des corps intermédiaires et par un mouvement social alliant manifestations massives et grèves reconductibles. Le Président devrait en outre se souvenir que la moitié des électeurs qui se sont prononcés pour lui au second tour de la présidentielle ne l’ont choisi que pour faire barrage à l’autoritarisme de sa rivale.

    L’indignation que soulèvent les pratiques du camp présidentiel est certes justifiée par l’esprit de la démocratie représentative. Elle se heurte toutefois à la lettre de la Constitution de la Ve République, dont l’architecture n’offre aucune résistance à l’exercice d’une créditocratie élective. Un tel constat recèle assurément une part d’ironie : Charles de Gaulle n’aimait-il pas affirmer que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » ? Il n’en demeure pas moins qu’à l’âge du capitalisme financiarisé et mondialisé, le présidentialisme à la française permet au locataire de l’Élysée d’ignorer la défiance de la société pour se consacrer à l’entretien de sa notabilité sur les marchés. Mieux encore, et surtout lorsqu’un président effectue son second mandat, il lui est loisible de gager la hausse de son crédit sur la rudesse des épreuves qu’il ose imposer au plus grand nombre.

    Hormis un avis défavorable du Conseil constitutionnel ou l’organisation d’un referendum d’initiative partagée – éventualités que la plupart des observateurs jugent improbables – il n’y a rien, sur le plan des institutions, qui contraigne Emmanuel Macron à retirer son projet. Aussi longtemps qu’il estimera coûteux de revenir aux urnes, il ne sera pas davantage tenu de dissoudre l’Assemblée nationale. Est-ce à dire que seul un processus révolutionnaire, passant par la généralisation des grèves et le durcissement des blocages et manifestations, pourrait venir à bout de l’obstination présidentielle ? Encore faudrait-il qu’une masse critique d’opposants souhaite s’engager dans cette voie. Car même si l’inattendu peut toujours se produire, le désir d’en découdre jusqu’à la capitulation de l’adversaire est loin d’être unanimement partagé : les syndicalistes dits réformistes parlent de médiation et demeurent concentrés sur la seule question du travail, tandis que les électeurs du RN, qui composent une portion importante des réfractaires au report de l’âge légal de la retraite, rêvent généralement peu à un « grand soir », ou alors d’une tout autre nature, et encore moins à un printemps des droits.

    Du côté de Marine Le Pen, on le sait, l’enjeu est de prendre date : hostile à la réforme mais absente du mouvement qui réclame son retrait, elle table sur l’échec de la gauche et des syndicats pour se présenter comme le seul recours crédible lors des prochaines échéances électorales. Parce qu’un tel calcul n’est pas déraisonnable – comme le soulignent notamment les sociologues Bruno Palier et Paulus Wagner[1] – il apparaît que les partis qui composent la NUPES et les organisations constitutives de l’intersyndicale ne peuvent s’autoriser une défaite, même massivement déplorée. Le tropisme mélancolique de la gauche, qui aime tant puiser l’espoir de lendemains victorieux dans le souvenir de ses glorieux échecs, ne semble pas être de mise une fois admis que l’arrivée au pouvoir d’une union des droites est l’enjeu de la séquence en cours.

    Risque financier

    Se pose alors la question de savoir si le thème de la démocratie confisquée est le plus propice, non à la légitimité ou à la popularité, mais bien au succès de la mobilisation. Dans la mesure où les privilèges que la Ve République octroie à l’exécutif ôtent toute force contraignante à la souveraineté populaire – sauf sous la forme d’une insurrection que nombre de démocrates convaincus se gardent encore de contempler – ne serait-il pas plus judicieux d’assumer que le régime actuel est bien une créditocratie élective et, partant, de s’interroger sur les moyens d’user de ses mécanismes pour remporter la victoire ?

    Les reproches adressés à Emmanuel Macron portent trop souvent sur sa manière, suffisante et solitaire, d’exercer le pouvoir. C’est oublier que, loin de relever du caprice d’un potentat, les décisions qu’il prend sont principalement motivées par le souci de satisfaire, ou mieux encore de précéder, les attentes des arbitres de la compétitivité internationale. Or, on l’a signalé, ceux-ci ne fondent pas leurs verdicts sur des calculs de coûts et de bénéfices mais sur des évaluations de risques et de promesses. En l’occurrence, ce qui les préoccupe n’est donc pas tant de savoir si le recul de l’âge de la retraite contribuera à réduire la dépense publique que d’estimer l’incidence d’une telle réforme sur la disposition des Français à poursuivre dans la même direction. Et à cet égard, force est de constater que le scepticisme prévaut.

    Du Financial Times à l’agence de notation Moody’s, en passant par Bloomberg et le Wall Street Journal, les plus sûrs interprètes de l’humeur des marchés s’accordent à trouver la France bien moins attractive depuis qu’Emmanuel Macron a décidé de faire passer sa réforme sans la soumettre au vote de l’Assemblée nationale[2]. Selon eux, le choix d’ajouter le contournement des parlementaires au mépris des organisations syndicales est contraire à la règle d’or dont dépend la poursuite des politiques « réformatrices », à savoir l’entretien de la résignation citoyenne. Pis encore, lorsque l’exécutif surenchérit en gageant le retournement de l’opinion sur les violences induites par la répression policière, les oracles des craintes et des espoirs de l’investisseur ne se sentent plus seulement déçus par la maladresse du président français mais également offusqués d’être impliqués dans son hybris : ne suggère-t-il pas que les charges des brigades motorisées et le déferlement des grenades de désencerclement sont la conséquence de sa détermination à protéger le pays du « risque financier » ?

    Jusqu’ici, la perte de crédit du chef de l’État ne suffit pas à le faire reculer : malgré les critiques dont l’accablent les porte-parole de ses donneurs d’ordres, il continue d’espérer qu’en faisant naître un sentiment d’impuissance dans la foule, son intransigeance et la brutalité des forces de l’ordre finiront par redorer son blason auprès d’eux. Pour le contraindre à suspendre l’application de la loi, il est donc crucial de ruiner ses espérances. Autrement dit, la valorisation du titre attaché à son nom constitue un enjeu aussi important pour ses adversaires que pour Emmanuel Macron lui-même.

    Le mouvement social, objecteront les militants, ne se fait pas à la corbeille. Il ne s’agit pourtant pas de délaisser la rue, les chantiers et les entrepôts pour observer les variations de cours de l’« action » présidentielle sur les écrans : parier sur le retrait de la réforme des retraites consiste plutôt à sélectionner et à calibrer les instruments de lutte en fonction de leur effet escompté sur le capital réputationnel du chef de l’État.

    Sans doute doit-on reconnaître le caractère spéculatif d’un tel exercice. Êtres structurellement nerveux et dotés d’une sensibilité aigüe aux ambivalences, les investisseurs raisonnent sans beaucoup d’égard pour le principe de non-contradiction. Ainsi peuvent-ils juger que l’intensification des heurts et la multiplication des blocages compromettent gravement la fiabilité d’Emmanuel Macron et, en même temps (pour ainsi dire), supputer qu’elles augurent d’une prochaine lassitude du public dont le prolongement conduirait à réévaluer l’intransigeance du président. De manière similaire, la fin de non-recevoir que le gouvernement oppose à la désignation de médiateurs peut leur apparaître comme un nouveau signe d’incompétence et, en même temps, comme un piège habilement tendu aux modérés de l’intersyndicale – qui n’auront d’autres options que celles de renoncer au prestige de la modération ou de se résoudre à l’échec du mouvement.

    Sujettes aux fluctuations, les conjectures des fournisseurs de crédit ne peuvent pas moins être prises pour cibles par des actions militantes – d’autant que peser sur leur cours s’avère aussi hasardeux pour les promoteurs de la réforme des retraites que pour ses détracteurs. Les uns comme les autres s’efforcent en effet d’infléchir les spéculations sur la localisation du « risque financier » : réside-t-il dans le retrait du texte, comme l’a affirmé le chef de l’État pour justifier l’utilisation de l’article 49-3, ou au contraire dans son maintien, parce que l’entêtement dont Emmanuel Macron est le nom menace la pérennité de l’agenda qu’il prétend faire avancer ?

    Le contraire de la résignation

    Afin d’accentuer les doutes et l’agacement que le héraut de la startup nation suscite déjà chez ses évaluateurs, il importe alors d’associer son action à ce qui les inquiète le plus. Or, s’il est vrai que l’excellence créditocratique est accordée aux dirigeants qui entretiennent la tranquillité résignée de leurs concitoyens, la décote sera nécessairement le lot de leurs confrères qui, en dépit de leurs bonnes intentions, ébranlent le fatalisme qu’ils ont pour mission de préserver.

    Reste toutefois à s’interroger sur ce que les investisseurs conçoivent comme le contraire de la résignation. Car, on a l’évoqué, tant la colère que la volonté de dialogue leur inspirent moins une franche répugnance que des sentiments mêlés : la première est certes capable d’enfler jusqu’à paralyser un pays mais également de produire des heurts qui divisent l’opinion et hâtent le retour à l’ordre ; de son côté, la seconde est susceptible de priver les gouvernants du ministère de la raison mais aussi d’être accueillie par des atermoiements et des diversions qui favorisent la dilution graduelle du conflit. Par conséquent, il est à craindre que ni le durcissement du mouvement ni les offres de conciliation de l’intersyndicale n’usent la patience des marchés au point de précipiter la dépréciation d’Emmanuel Macron : dans les deux cas, le chef de l’État ne recueillera assurément aucun bénéfice réputationnel de sa réforme mais le temps lui sera laissé de poursuivre son mandat sans avoir à la retirer.

    Constituer le maintien de la loi en risque financier insupportable suppose alors d’identifier le véritable antonyme de la résignation. Car si les instances dont Emmanuel Macron est l’obligé ne le sanctionnent pas plus durement, c’est bien qu’elles estiment que les réactions à son intransigeance ne sont pas encore de nature à secouer durablement le joug de l’« à quoi bon ? ». Que faudrait-il pour qu’elles s’inquiètent davantage – au point d’appeler le chef de l’État à revoir rapidement sa copie ? Comme Margaret Thatcher l’expliquait déjà à sa manière, il n’y a de meilleur garant du statu quo que la difficulté d’envisager une alternative. Aussi suggérera-t-on que, du point de vue des investisseurs, rien n’est plus impardonnable qu’une réforme dont le principal effet ne serait pas tant de susciter l’hostilité, ou au contraire de ranimer l’esprit de concertation, que de stimuler l’imagination de ses adversaires.

    Nombreux sans doute sont les mouvements sociaux qui, à l’inévitabilité proclamée d’une mesure régressive, opposent la possibilité de faire advenir un autre monde. Rétifs à l’absence d’alternative qu’il leur est demandé de cautionner, leurs militants relèvent le défi en imaginant de nouvelles manières de vivre, de travailler et de partager les richesses. Reste que, pour cette raison même, leur inspiration les mène volontiers au plus loin des politiques qu’ils combattent. Or, dans le cas présent, c’est au contraire à proximité de la loi sur les retraites que des perspectives inédites s’ouvrent à ses contempteurs.

    L’avenir d’un déni

    Au cours des quatre dernières décennies, les mêmes rengaines n’ont cessé d’accompagner les trains de réformes : « les caisses sont vides », « nous vivons au-dessus de nos moyens », « ne laissons pas nos petits-enfants crouler sous nos dettes », « sauvons le système social auquel nous sommes si attachés », sans oublier la formule dont dépend peut-être l’issue de la séquence en cours : « il n’y a pas d’argent magique ». Car nul ne peut l’ignorer, non seulement l’argent magique existe bel et bien mais, depuis quinze ans, il ne cesse d’assurer la sauvegarde du capitalisme financiarisé. De la chute de la maison Lehman Brothers aux récentes défaillances de la Silicon Valley Bank et du Crédit Suisse, en passant par les vertiges de la zone euro et la pandémie de Covid 19, ce sont à chaque fois des tombereaux de liquidités surgies du néant qui ont mis fin à ce que par antiphrase on appelle encore des crises.

    Après chaque tour de magie, les autorités politiques ne manquent certes pas d’annoncer qu’il s’agissait du dernier. Mieux encore, elles veillent à effacer le souvenir d’une manne déversée sans contrepartie à ses bénéficiaires en faisant payer à d’autres ce qu’elles présentent comme la facture de l’opération. Ainsi les cures d’austérité budgétaires qui ont successivement prolongé la Grande récession de 2009 et dévasté les économies d’Europe du Sud après 2011 devaient-elles signifier que le renflouement des banques avait un prix. De même, aujourd’hui, les éléments de langage fournis par le gouvernement associent l’urgence de réformer le financement des retraites à la nécessité de compenser les années de « quoi qu’il en coûte ».

    À la longue, toutefois, le déni génère la nervosité des préposés à sa réitération : marteler que l’argent magique n’existe pas attire nécessairement l’attention sur ses manifestations récurrentes. Mais encore faudrait-il tirer parti de ce que les apologistes de la réforme des retraites révèlent à leur corps défendant. Car à défaut de croire en leur propre force de conviction, les émissaires du pouvoir espèrent encore s’en remettre à l’habitus de la gauche et des syndicats, sinon pour emporter l’adhésion du public, du moins pour préserver leur réputation de pourfendeurs d’illusions.

    Accoutumées à la déploration des coûts, du travail ou de la protection sociale, les forces d’opposition à la précarisation du salariat et à l’austérité budgétaire récusent les procès en gabegie mais sans en contester les prémisses : tantôt, elles relativisent la gravité des déficits, tantôt elles proposent d’autres modes de recouvrement – augmentation des cotisations patronales ou pression fiscale sur les plus fortunés – et tantôt elles font valoir qu’une mobilisation d’ampleur s’avérera plus coûteuse que le retrait de la mesure injuste qui l’occasionne. Les gardiens de l’orthodoxie, qui sont rompus à cette contre-argumentation, peuvent alors rétorquer que la négligence d’aujourd’hui pénalisera les générations futures, que la fuite des investisseurs affectera l’emploi et la pérennité du système de solidarité, et que la mise à l’arrêt du pays nuira surtout aux plus modestes. Bref, quelle que soit l’intensité de leurs différends, les amateurs de réformes comptent sur leurs adversaires pour conforter l’idée que tout se paie.

    Tout autre serait une controverse qui ne porterait pas sur la répartition des coûts mais plutôt sur l’allocation de la gratuité qu’autorise l’existence de l’argent magique. À qui, des banques dites systémiques ou de la caisse des retraites, devrait revenir le privilège du renflouement sans frais, dont les banques centrales et les services du Trésor détiennent le secret ? Même si l’on admet qu’un ministère de la magie responsable doit prétexter l’éclatement d’une crise pour répandre ses largesses, comment ne pas reconnaître que l’état supposément critique du système de pensions par répartition fait figure de cas d’école ? Si d’aventure le débat public s’ouvrait à de telles questions, il y a fort à parier que les investisseurs ne pardonneraient pas à Emmanuel Macron d’y avoir contribué.

    Reste que pour provoquer les spéculations baissières, il n’est pas suffisant de lever le déni de l’argent magique ni même de revendiquer sa redistribution : élever le projet gouvernemental au rang de risque systémique requiert en outre de réorienter l’action militante autour de cette revendication. Est-ce envisageable ? A priori, sans doute les répertoires d’actions du mouvement syndical empruntent plus volontiers à la logique des coûts et des bénéfices qu’à celle des risques et des promesses : de la négociation collective aux sabotages en passant par la grève, les manifestations et les blocages de sites, l’objectif poursuivi est toujours de contraindre le patronat et le pouvoir politique à revoir leurs calculs d’optimisation – soit encore, de leur faire comprendre qu’en raison de la mobilisation des travailleurs, la mise en œuvre de leurs projets socialement régressifs sera pour eux plus onéreuse que bénéfique.

    Cependant, si l’enjeu du moment n’est pas tant de facturer son impudence au chef de l’État que de le discréditer aux yeux des milieux financiers, il s’agira moins de minorer les bénéfices escomptés de sa réforme que de lui imputer l’éveil d’une promesse d’argent magique pour le bien commun. Les investisseurs, qui sont habitués à absorber les coûts de la colère, ne sauraient tolérer le risque d’une discussion sur le partage du droit au renflouement gracieux.

    Bien que peu outillé pour pénétrer sur le terrain de la spéculation, le mouvement social n’est pourtant pas entièrement démuni. En témoignent les opérations « Robins des Bois » menées par des gaziers et électriciens de la CGT, qui tantôt fournissent de l’énergie gratuitement, aux hôpitaux ou aux quartiers populaires, et tantôt coupent le courant aux partisans de la réforme des retraites. Jusqu’ici, sans doute, ces actions spectaculaires mais ponctuelles, ont eu pour seule fonction de resserrer les liens de solidarité entre les militants syndicaux et le public – soit de montrer que si les grèves et les blocages compliquent inévitablement la vie quotidienne des gens, dans la mesure de leurs moyens, les organisations de défense des travailleurs oeuvrent au bien-être de la population.

    Pour faire pivoter la mobilisation de la question du coût social de la réforme des retraites à celle du risque financier auquel Emmanuel Macron expose ses interlocuteurs privilégiés, il faudrait alors que des initiatives comme celles des « Robins des Bois » passent du statut de supplément d’âme à celui de fer de lance, ou mieux encore de paradigme, de la résistance au projet gouvernemental. Autrement dit, il faudrait qu’elles servent à agiter le spectre d’une manne – issue pour ainsi dire de la cuisse de Jupiter – qui, non contente de se déverser sur les bilans des banques trop grandes pour défaillir, viendrait abonder les caisses d’assurances sociales et les budgets des services publics.

    Est-il encore temps de modifier le logiciel de la lutte ? Peut-être devrait-on plutôt inverser la question : n’est-il pas urgent de saisir que faute de ranimer l’imagination spéculative[3], la colère sociale se mue bientôt en ressentiment ? Car le 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel rendra ses deux avis – sur la constitutionnalité de la loi et sur la recevabilité du referendum d’initiative partagée. Si, comme on peut s’y attendre, l’institution déçoit les espoirs des opposants à la réforme des retraites, leur mouvement aura bien du mal à survivre. Que la majorité présidentielle ne s’en relève pas davantage ne réjouira que les fourriers de la future union des droites.

    #retraites

  • Azote aux Pays-Bas : une crise sentinelle - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2023/04/04/azote-aux-pays-bas-une-crise-sentinelle

    Alors que Le Monde publie une série d’articles sur les méfaits de l’agriculture industrielle et sa défense par des moyens violents, cet article sur les Pays-Bas est très original et intéressant. Face à une pollution devenue inacceptable au regard des normes européennes, le gouvernement a été obligé de prendre une loi qui met en oeuvre une réduction massive de la production animale intensive dans ce pays - suscitant en retour une réaction politique forte de la part des agriculteurs, qui font face à des injonctions à un changement de modèle d’exploitation ou des expropriations.

    Qui plus est, cette transformation est due à l’action d’un collectif écologiste qui a su viser au bon endroit au bon moment. Rendons-nous compte : elle ne découle ni d’un sabotage armé ni d’une révolution mais d’une simple action en justice qui suffit à opérer la bascule économique, écologique et politique d’un pays entier – voire davantage : « “La principale différence par rapport aux mesures précédentes est une réduction du nombre de têtes de bétail”, a déclaré le Dr Helen Harwatt[…]. En 2019, elle a dirigé un groupe de scientifiques appelant à prendre des mesures pour assurer le déclin du bétail. “Nous avons tendance à ne voir que des approches technologiques pour réduire l’azote du côté de la production ou à réduire les rejets dans l’environnement, plutôt que de réduire la production agricole elle-même. Tous les regards seront tournés vers les Pays-Bas pour tirer les leçons de cette transition.”[4] »

    La crise néerlandaise de l’azote constitue bien un laboratoire mondial de la fermeture/du renoncement qui appelle d’autres réformes à sa suite. Une telle transformation aurait pu être jugée impossible en vertu de son ampleur : jamais le capitalisme ne laisserait faire ; jamais l’industrie n’abandonnerait ses profits ; en outre, le droit n’est-il pas l’instrument du pouvoir ? Évidemment, tout ceci n’est pas faux mais ces réflexes offusquent de réels leviers stratégiques.

  • [On arrête et on se casse] Le large spectre des grèves et des #retraites - Yves Citton
    https://aoc.media/opinion/2023/03/01/le-large-spectre-des-greves-et-des-retraites

    Prendre sa retraite de la folie compétitive exacerbée par le capitalisme néolibéral, c’est bien. Faire la grève pour interrompre la folie productiviste de l’extractivisme écocidaire, c’est bien aussi. Mais #déserter les boulots qui ne contribuent à gonfler la croissance du PIB qu’en désertifiant nos milieux de vie, c’est encore mieux.

    Un spectre hante l’Europe : en Angleterre, en Allemagne, en France, des #grèves paralysent tour à tour tel ou tel secteur de l’économie nationale, avec quelques avant-goûts épisodiques de grève générale. Ce spectre n’est certes pas nouveau même si une certaine démobilisation des forces traditionnelles de revendication semble avoir caractérisé les décennies passées en Europe de l’Ouest. Davantage que le spectre-fantôme, c’est toutefois la largeur du spectre des revendications (explicites ou latentes) qui mérite de nous intéresser.

    C’est aujourd’hui un lieu commun de relever qu’il y va de bien autre chose que du seul âge légal de la retraite dans les mouvements sociaux actuellement en cours en royaume de Macronie. On l’avait déjà souligné pour les Gilets Jaunes, dont les occupations de ronds-points excédaient largement la question de la taxe carbone, pour remettre en cause l’ensemble d’un « système » à la fois politique, économique, financier, urbanistique, médiatique et épistémique. Derrière les questions relatives à la retraite, c’est l’ensemble du « rapport au #travail » qui est en train de subir une mutation de grande ampleur, nous dit-on (avec raison). Essayons de préciser sommairement cinq échelles (temporelles, sociales, idéologiques, macroéconomiques, écologiques) sur lesquelles mérite de se décliner cet élargissement nécessaire du compas avec lequel mesurer le spectre de ce qui se joue en ce début 2023.

    La forêt de l’injustice sociale

    Au cours des dernières semaines, on n’a pas assez souligné le parallélisme profond entre le moment existentiel de la retraite et le geste de la grève : dans les deux cas, on sort d’une routine scandée par la contrainte salariale qui structure le capitalisme (tu bosses ou tu crèves). Dans les deux cas, on arrête. Et suivant la façon dont on arrête, quelque chose s’interrompt. Le capitalisme écocidaire, survitaminé à la spéculation financière, s’enorgueillit de sa capacité de disruption (qui constitue l’envers de la sacro-sainte innovation). À la suite des anarchistes du XIXe siècle, nos amis de Tarnac et de Lundi matin soulignent depuis des années la radicalité politique du geste d’interruption des flux de cette...

    #paywall

    • Dans l’analyse qu’en propose Yann Moulier Boutang, https://seenthis.net/messages/993740 cette perte de sens des emplois salariés résulte d’au moins cinq facteurs de causalité : 1° la taylorisation des activités tertiaires ; 2° une numérisation qui intensifie encore ce contrôle tayloriste ; 3° l’injonction contradictoire d’être à la fois soumis à la discipline tayloriste et perpétuellement inventif, « créatif », émancipé de la boîte à pensées préformatées ; 4° la conscience de plus en plus vive d’un insoutenable décalage entre les injonctions de l’économie (le boulot) et les évidences de l’#écologie (la planète) ; 5° une « mutation du #capitalisme où l’activité de pollinisation cognitive devient beaucoup plus productive (comprenons qu’elle produit bien plus de sur-valeur) que la prestation individualisée du travail salarié[5] ».
      Sous le quintuple effet de ces facteurs de désaffection et de détachement face à nos emplois salariés, la retraite et la grève n’apparaissent plus seulement comme un « repos bien mérité » pour la première, et comme un « levier pour l’amélioration des droits sociaux » pour la seconde. Elles sont plutôt à interpréter comme des gestes de fuite et de rejet face à un système productif dont la logique d’ensemble est devenue proprement insupportable : les manifestant·es réuni·es dans les rues en quantités inédites signalent (encore calmement) qu’ielles ne peuvent ni continuer à endurer ce qui leur est imposé, ni continuer à cautionner la pseudo-rationalité économique au nom de laquelle de nouveaux « sacrifices » leur sont imposés avec le report de l’âge légal de la retraite. C’est bien plutôt la logique d’ensemble de ce système insoutenable qu’ils demandent (calmement, raisonnablement) de sacrifier.

      #grève #travail #emploi #retraites

  • Présidentielle au Nigeria : que le plus riche gagne ! - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2023/02/22/presidentielle-au-nigeria-que-le-plus-riche-gagne

    Par Sophie Bouillon. Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, élira dans quelques jours son prochain président dans l’un scrutin des plus incertains et volatiles de son histoire. Une bataille sans merci se joue entre trois candidats principaux, dans un contexte de grave crise sécuritaire, d’une économie à genoux, d’âpres divisions ethniques et religieuses, mais surtout de corruption massive et endémique… qui redessine intégralement les « règles » de la démocratie.

    #Afrique #Nigeria #Démocratie #Corruption #Elections

  • La guerre russo-ukrainienne, un conflit nationaliste - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2023/02/23/la-guerre-russo-ukrainienne-un-conflit-nationaliste

    Il y a un an débutait « l’opération spéciale militaire » lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine. À cette guerre, qui a pris de court la communauté internationale, on prédisait un dénouement imminent, et la plupart du temps au profit de Moscou. Elle s’est pourtant inscrite dans la durée, tout en s’enfermant dans une logique d’escalade. Beaucoup d’analyses pertinentes ont été produites sur cette guerre mais un aspect demeure à ce jour sous-estimé : sa dimension identitaire, relevant de dynamiques nationalistes de part et d’autre.

    La guerre entre la Russie et l’Ukraine fournit un exemple de conflit nationaliste entre deux États[1], à condition qu’on utilise le terme « nationalisme » comme une catégorie d’analyse, libre a priori de tout jugement de valeur.

    La première façon d’appréhender le concept de nationalisme est de le rapporter au principe moderne de légitimité politique selon lequel les peuples n’ont pas à être gouvernés par des étrangers, mais par les membres d’un même groupe ethnique ou national. Dans ce sillage, le nationalisme peut être défini comme « une forme de politique », axée sur les rapports de pouvoir dans un État et porté par des acteurs qui cherchent à exercer, ou exercent, le pouvoir étatique au nom de la nation. Celle-ci est susceptible d’avoir, et d’entretenir, une identité singulière permettant de la distinguer des autres nations. Les intérêts et les valeurs de la nation, sa souveraineté au premier chef, sont proclamés comme étant supérieurs à toute autre considération d’ordre individuel ou corporatiste[2].

    Cette approche a le mérite d’accentuer le caractère éminemment politique du nationalisme et met en lumière sa dimension parfaitement rationnelle : le nationalisme résulte d’une volonté des acteurs de conquérir, de conserver et d’exercer le pouvoir, et ce malgré l’apparente irrationalité des revendications nationalistes, qui en appellent aux émotions collectives.

    Si l’on retient cette définition du nationalisme « par la politique », il ne serait pas injustifié d’affirmer, statistiques en main, qu’il fut, et reste, un moteur clef de la guerre au cours des deux derniers siècles[3]. Les guerres interétatiques et les conflits civils ont en effet accompagné la généralisation de l’idée selon laquelle les peuples ont le droit de se gouverner eux-mêmes, sans pour autant aboutir à ce que la nation au sens plein du terme – communauté jouissant d’une souveraineté complète, d’un régime démocratique et d’une unité morale et culturelle – devienne une donnée universelle[4].

    Aujourd’hui, la guerre russo-ukrainienne confirme un rapport étroit entre guerre et nationalisme.

    Les principes de l’identité nationale, de l’intégrité territoriale et de l’autonomie politique dont disposent, ou sont censées disposer, les nations indépendantes sont au cœur même de la guerre en cours. L’Ukraine se bat pour sa survie et sa future existence. Elle rejette à la fois la domination étrangère et réclame, face à l’intervention armée de la Russie, le droit de s’autogouverner, à savoir de définir de manière souveraine les normes d’organisation politique à l’intérieur, d’entretenir une culture nationale distincte et de fixer librement les rapports avec les autres États.

    La Russie, elle, refuse ce droit aux Ukrainiens et remet en cause l’existence de l’Ukraine en tant qu’État souverain et nation à part entière. La vision de l’Ukraine promue par les autorités russes la dépeint comme un État en déliquescence, étant tombé aux mains d’un centre d’influence étranger : « l’Occident collectif ».

    Le motif de la souveraineté menacée est revendiqué, avec plus ou moins de crédibilité, par les deux États en guerre. Lorsque l’Ukraine, attaquée, fait face à un véritable et imminent danger de mort, l’État russe invoque à son tour une menace existentielle, provenant de l’ouest, à son indépendance ainsi qu’à sa place sur la scène internationale[5].

    Deux nationalismes aux caractères très différents
    Deux formes de nationalisme s’affrontent dans cette guerre, laquelle contribue encore à les alimenter. D’un côté, l’agression militaire de la Russie s’appuie sur un nationalisme revanchard combinant la revendication de l’unité nationale des Ukrainiens et des Russes avec un sentiment de nostalgie de grandeur impérialo-nationale. Ce nationalisme est protéiforme.

    La présidence russe fait appel à une nation multiethnique et composite, élevée au rang de civilisation. Cela invoque l’existence d’une communauté qui dépasserait les frontières internationalement reconnues de l’État et dessine les contours d’une Russie « historique ».

    Provenant d’une synthèse singulière de cultures et de traditions – européenne et asiatique, slave et turcique, orthodoxe et musulmane –, elle se fonde toutefois sur la dominante culturelle russe, tel un ciment[6]. Le maintien d’un vaste État territorial au nord de l’Eurasie est considéré comme une mission historique du peuple russe et des populations alliées. Le territoire et le peuple ukrainiens en feraient « naturellement » partie, étant donné que Kiev constitue un lieu symbolique pour cette civilisation depuis ses origines et que les Petits-Russes, devenus Ukrainiens, furent intégrés dans les projets impériaux portés par la couronne des Romanov puis le Parti communiste.

    Aujourd’hui, Vladimir Poutine puise à la fois dans les imaginaires tsariste et soviétique de l’unité russo-ukrainienne, de manière contradictoire : tandis que le premier affirme que Russes et Ukrainiens ne forment qu’un « seul et même peuple », le second reconnait leurs individualités respectives, conscrites toutefois dans une relation « fraternelle ». Si le discours officiel russe dépeint les Ukrainiens loyaux à leur État et au gouvernement de Volodymyr Zelensky comme des ennemis, la population civile ukrainienne n’en ait pas moins envisagée comme autant de membres (potentiels) de la communauté nationale-civilisationnelle russe.

    Toujours est-il que le motif invoqué par le régime de Poutine – la protection des populations russophones qui seraient sur le point d’être « ukrainisées », assimilées dans la culture dominante du pays voisin – emprunte au langage du nationalisme ethnique. Celui-ci est, centré sur la notion de parenté, attestée par une langue, une culture commune ou des origines partagées. Poussée à l’extrême, la logique ethnonationaliste n’accepte ni la diplomatie ni les négociations de paix, la « seule option étant la guerre, coûte que coûte[7] ». Sans adhérer à cette idéologie, le régime de Vladimir Poutine s’en sert pour justifier son bellicisme par la « russophobie » de l’État ukrainien et des Occidentaux, tout en réprimant les ethnonationalistes d’opposition à l’intérieur de la Russie[8].

    En somme, il s’agit d’un nationalisme territorial et de conquête, qui s’inspire d’une proximité culturelle et historique des deux populations slaves. Ce qui fait de la Russie un « État en cours de nationalisation, agressif et lésé[9] », plutôt qu’un empire néo-soviétique.

    De l’autre côté, les autorités ukrainiennes font appel à l’imaginaire de la nation en armes, appelée à défendre la patrie fragilisée contre un ennemi despotique et un occupant puissant : le « Goliath » russe, selon les propos de Volodymyr Zelensky à la Conférence de Munich sur la sécurité de février 2023[10]. Ceci est un nationalisme civique qui, en temps de guerre, mobilise la communauté des citoyens au nom de la valeur suprême de la nation souveraine et par-delà les divisions internes. Les diverses fractions de la classe politique ukrainienne, traditionnellement morcelée, ont mis leurs différends de côté pour mettre en œuvre une union sacrée. L’invasion russe, débutée il y a un an, a façonné une grande cohésion au sein de la société ukrainienne, avec de très nombreux Ukrainiens, ukrainophones, russophones ou bilingues, exprimant leur soutien entier au gouvernement en place, s’engageant volontairement dans les forces armées ou participant massivement à l’action humanitaire.

    Ce nationalisme reste exigeant voire restrictif, avec la proclamation d’une mobilisation générale, mais s’appuie sur une conscience politique du citoyen et son dévouement pour la collectivité. Le contraste est saisissant avec les détenus recrutés à travers la Russie par une société militaire privée, Wagner, puis envoyés au front, en violation parfaite de la législation russe.

    L’imaginaire de la nation en armes, consacré autrefois en France par la Marseillaise et la bataille de Valmy, est véhiculé dans l’Ukraine d’aujourd’hui en même temps qu’un récit opposant la démocratie ukrainienne aux renaissants totalitarisme, impérialisme ou colonialisme russes, dont les valeurs seraient à l’opposé extrême des principes de la liberté, de la démocratie et des droits humains portés par l’Ukraine. D’autant plus qu’elle est imaginée comme un rempart de la civilisation européenne, ou du monde occidental, face à la « barbarie » russe, dans la ligne d’une représentation pérenne de la Russie et des Russes dans le débat européen à l’époque moderne[11].

    Certes, les avancées démocratiques en Ukraine demeurent fort limitées, tout particulièrement en matière d’État de droit et de lutte contre la corruption, tandis que la centralisation du pouvoir autour du Conseil de défense et de sécurité nationale, formé par le président, constitue une tendance dangereuse. Il n’empêche que le système politique ukrainien est éminemment plus ouvert et plus concurrentiel que le système russe[12].

    La décision des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne d’accorder, en juin 2022, à l’Ukraine le statut de pays candidat à l’adhésion est hautement symbolique. Non seulement elle intervient en contexte de guerre ouverte, mais elle honore aussi, ne serait-ce qu’indirectement, une certaine forme de nationalisme : civique, pro-européen, en armes. Du jamais-vu en Union européenne, qui se veut une terre de paix par excellence et dont le mythe fondateur, entretenu par ses instances dirigeantes, la dépeint comme la réponse décisive aux destructions de la guerre, provoquée et exacerbée par les nationalismes de la première moitié du XXe siècle[13]. À rebours de la célèbre formule de François Mitterrand, « le nationalisme, c’est la guerre ! », on (re)découvre en Europe que tous les nationalismes ne se valent pas, d’autant plus en temps de guerre.

    La guerre comme une force « nationalisatrice »

    Si les modèles de nationalisme portés par les gouvernements russe et ukrainien sont différents voire opposés, les effets que la guerre produit sur les populations sont similaires au sein des États belligérants. À l’époque moderne, la guerre est un contexte mobilisateur affectant la population d’un territoire concerné. Elle contribue ainsi à galvaniser les expériences nationalistes précédemment accumulées, qui prennent alors des formes (plus) violentes et militarisées[14].

    La première victime d’une guerre n’est pas tant la vérité que la mesure : le débat se simplifie à outrance, le dialogue cesse et la rhétorique se radicalise. Depuis le lancement de l’invasion de l’Ukraine, le gouvernement russe justifie son bellicisme par un besoin de « dénazifier » l’Ukraine et s’efforce de présenter le président Volodymyr Zelensky comme une réincarnation d’Hitler. Les autorités ukrainiennes comparent en retour l’invasion de leur pays par les armées russes à celle de l’Europe par l’Allemagne nazie, tout en approuvant l’usage du néologisme « rachisme » (contraction de « Russie » et de « fascisme »).

    En dépit de ces parallèles ayant envahi les discussions aussi bien politiques qu’académiques, le régime de Vladimir Poutine reste typologiquement plus proche d’une dictature personnaliste et conservatrice que d’un régime fasciste, au sens analytique (et non polémique) du terme. Le fascisme suppose une mobilisation totale des citoyens, ainsi qu’une idéologie révolutionnaire appelant une régénération nationale par la violence. Or, les deux font toujours défaut au régime poutinien et à la société russe, qui ne semble pas être disposée à faire les sacrifices exigés par la guerre[15].

    Un autre exemple : les radicaux russes galvanisés – dont le « parti de la guerre » au sein des élites représenté notamment par l’ancien président Dmitri Medvedev –, continuent d’appeler à anéantir l’État ukrainien en procédant à la mobilisation de toutes les ressources (militaires, humaines, économiques), quitte à faire usage des armes nucléaires[16]. Il est à noter que, contrairement aux médias d’opposition et à ceux qui ont manifesté contre la guerre et la mobilisation, aucun faiseur d’opinion pro-guerre n’a été censuré en vertu de la loi interdisant toute critique de l’armée russe[17].

    En Ukraine comme en Occident, des voix se lèvent en faveur d’une « décolonisation » de la Fédération de Russie, désignée comme étant le « dernier empire colonial », notamment par le biais d’un soutien politique et économique aux nationalismes des minorités ethniques[18] de Russie. Ces déclarations se multiplient et sont même reprises par des représentants de l’État ukrainien, comme le secrétaire du Conseil de défense et de sécurité nationale Oleksiy Danilov[19]. Cette rhétorique radicale ne tient à l’évidence pas compte des risques très élevés en matière de déstabilisation géopolitique et de déchainement de la violence qui suivraient l’éclatement d’un État multiethnique disposant du plus grand arsenal nucléaire au monde[20].

    En octobre 2022, le Parlement ukrainien a reconnu le gouvernement tchétchène exilé d’Akhmed Zakaev, déclaré la Tchétchénie comme étant un « territoire temporairement occupé par la Russie » et condamné le « génocide contre les Tchétchènes » perpétré par le pouvoir russe dans les années 1990. Des députés du parti présidentiel ukrainien Serviteur du peuple militent également pour la reconnaissance de l’indépendance des autres républiques ethniques faisant partie de la Fédération russe[21].

    Comme par effet de miroir, Vladimir Poutine mobilise le discours anticolonialiste, largement inspiré du passé soviétique, en en faisant une arme rhétorique tournée contre « l’hégémonie » américaine/occidentale et un outil d’influence visant les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie[22].

    Aujourd’hui, les autorités russes comme ukrainiennes ont systématiquement recours à la « politique de la cinquième colonne[23] », consistant à identifier et marginaliser les « traîtres à la nation » ou « les agents de l’étranger », supposément engagés dans des activités destructrices dans l’intérêt de l’Occident ou de Moscou, respectivement. Si cette tendance remonte à 2014, elle a atteint son apogée au lendemain de l’invasion à grande échelle. Dès mars 2022, Vladimir Poutine invoquait une nécessaire « purification » de la société russe, et ce sur fond de muselage des voix opposées à la guerre. Parallèlement, Volodymyr Zelensky a interdit en Ukraine onze partis politiques d’opposition accusés d’être « pro-russes », dont Plateforme d’opposition – Pour la vie, et retiré la nationalité ukrainienne à des personnalités politiques, des oligarques et des prêtres rattachés au Patriarcat de Moscou.

    Des expressions populaires du nationalisme sous-tendent le récit de la bataille du Bien contre le Mal mobilisé par les dirigeants. On peut citer à cet égard des pratiques discursives opérant une déshumanisation réciproque du groupe ennemi entier. Là aussi, ces logiques de bestialisation ont été forgées dès 2014, l’annexion de la Crimée et le début des hostilités dans le Donbass marquant un point de rupture, avant de revenir en force dès 2022. Sur les réseaux sociaux, des Russes et des Ukrainiens ne cessent ainsi de se maudir les uns les autres, les premiers se faisant traiter « d’orques » (orki) et de « cochono-chiens » (svinosobaki), les seconds « d’ukraino-nazis » (oukronatsisty). Inutile de dire que cette déshumanisation rend toutes formes de violences de guerre moins illégitimes, voire pleinement assumées.

    Enfin, les deux États se lancent des accusations de terrorisme et de génocide. Elles se sont également multipliées depuis le lancement de « l’opération militaire spéciale » par Moscou. Force est donc de constater que la « nationalisation » du conflit s’est opérée, et est susceptible de s’intensifier davantage.

    L’émancipation de l’Ukraine et la séparation effective des sociétés
    La disparition de l’URSS, il y a plus de trente ans, a signé la fin d’un projet politique commun à travers l’indépendance de deux sociétés apparentées et historiquement imbriquées, la Russie et l’Ukraine[24].

    Les pays ont depuis suivi des trajectoires différentes, notamment sur le plan politique : l’Ukraine a, après tout, connu deux révolutions, ce qui permet de parler d’une culture citoyenne bien particulière. Mais l’inertie mentale, qui fait encore florès à Moscou, a longtemps empêché Vladimir Poutine et son entourage, de même que de larges couches de la société russe, de prendre au sérieux la souveraineté ukrainienne, ainsi que ses attributs essentiels tels que les frontières. L’invasion russe de l’Ukraine a démontré que c’était une illusion, qui a déjà coûté plusieurs dizaines de milliers de vies.

    La décision de lancer une guerre a mis en exergue la misère de l’expertise russe sur l’Ukraine. De multiples signes pointaient pourtant dans la même direction : après l’accession à l’indépendance, l’objectif ultime pour l’Ukraine « était d’affirmer son identité nationale distincte et sa souveraineté, ce qui signifie, en termes pratiques, d’obtenir la reconnaissance de sa séparation de la Russie[25] ». Cette dynamique a notamment abouti à l’élaboration d’un nouveau récit historique n’étant pas centré sur la Russie ; depuis l’Euromaïdan, ce récit a été renforcé par une politique de « décommunisation ».

    S’y ajoutent le déclassement progressif de la langue russe et la création d’une Église orthodoxe unie, en décembre 2018, qui échappe désormais au contrôle de Moscou. Tous ces éléments, et bien d’autres, ont contribué à l’émancipation de l’Ukraine de la domination russe, processus ayant exercé une influence décisive sur la politique identitaire en Russie. En bref, « la construction de la nation en Ukraine oblige à reconstruire la nation russe[26] ».

    Le nationalisme russe est réactionnaire dans la mesure où il relève d’une réaction violente à la construction d’un État-nation ukrainien pleinement indépendant ; construction qui peut, à certains égards, être mise en perspective avec les décolonisations du siècle dernier, dont la plupart se sont faites dans la violence. Cette approche permet d’expliquer le « délai de retard » de vingt-deux à trente ans qui se sont écoulés depuis la chute de l’Union soviétique avant que la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’éclate, en 2014 puis en 2022. Le temps qu’il fallût pour que le projet national ukrainien prenne forme.

    En s’efforçant de déjouer la transformation de l’Ukraine en une « anti-Russie », le Kremlin a fait preuve de prophétie autoréalisatrice. Du jour au lendemain, arrêter de parler russe, cette « langue de l’occupant », et ne pas la transmettre aux enfants est devenu un geste patriotique pour bon nombre d’Ukrainiens.

    Tandis que l’État russe s’efforce de « russifier » les territoires ukrainiens occupés, l’apprentissage de la langue et de la cultures russes n’a guère d’avenir dans une Ukraine souveraine. L’adhésion citoyenne au récit antisoviétique et antirusse y sera également renforcée.

    Les conséquences de cette guerre risquent de se faire ressentir pendant des générations, comme le montre l’exemple des guerres de Yougoslavie. Elles peuvent aussi conduire à de nouvelles explosions de la violence, à l’instar du conflit non résolu dans le Haut-Karabakh, tout en aggravant les conditions socio-économiques de nombreuses populations. De même, la guerre russo-ukrainienne est susceptible d’accroître, jusqu’à l’excès, la présence du facteur (para)militaire dans la vie sociale et politique des deux pays[27], et de nourrir des sentiments d’antagonisme, d’humiliation et de revanche.

    Quelle qu’en soit son issue, la guerre en Ukraine entérinera une séparation non seulement des États mais aussi des sociétés, qui resteront profondément affectées par cette expérience de violence collective. Celle qui alimentera sans doute de nouvelles passions nationalistes.

    Jules Sergei Fediunin
    Politiste, post-doctorant au CESPRA à l’EHESS

    • Encore une de ces analyses ineptes dont les puissances occidentales ont besoin pour occulter leur politique impérialiste...

      Non qu’elles aient tort de décrire l’emballage idéologique (nationaliste) dont Poutine et les siens emballent eux-mêmes leurs intérêts, mais elles font de l’idéologie un moteur de l’histoire au mépris de la réalité sociale et des rapports sociaux qui la configurent.

      Au fond, elles ne permettent de ne rien comprendre et conforteront les journaliste de la presse bourgeoise occidentale qui n’ont toujours pas dépassé l’argument crétin selon lequel « bah, c’est Poutine qui a déclenché la guerre, non ? ».

      Pas étonnant que AOC soit fada des de l’idéalisme bien perché de Bruno Latour : ils ne peuvent rien faire d’autre que de l’analyse de discours en circuit fermé.

  • https://aoc.media/opinion/2023/02/15/hors-sujet-theorie-de-ma-situation-climatique

    Chaque individu contribue, en dépit de ses efforts éventuels, à la dégradation de la planète. Pourtant la référence à une crise écologique ne suffit jamais à provoquer dans la vie individuelle une réponse cohérente et appropriée. Pour le dire autrement : ce qui se passe éventuellement du point de vue du sujet, dans les termes de la conscience, de la volonté, de la raison, de l’engagement, est hors sujet par rapport aux processus de dégradation environnementale.

    Dans la première conférence de son livre Face à Gaïa, le très regretté Bruno Latour passe en revue une série de « rapports » des sujets aux mutations écologiques du monde, dont le changement climatique est le paradigme. Il est intéressant de revenir à ses réflexions à l’heure où des militants écologistes prônent un mode d’action radicale, que l’ADEME publie son 23e rapport sur les représentations sociales du changement climatique, et que la COP 27 a suscité les commentaires de défiance bien connus.

    Les climato-sceptiques n’ont pas complètement disparu : ils entretiennent encore l’idée que les chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne sont pas fiables. Un autre rapport à la crise écologique, beaucoup plus répandu, prend la forme du quiétisme. On ne se précipite pas dans le catastrophisme, on n’enquiquine pas les autres avec toutes les urgences auxquelles ils devraient réagir. Et puis il y a ceux qui ont été sensibles aux alertes et qui prétendent sortir des problèmes par un surcroît d’ubris technologique, géo-ingénierie et autres moyens de contrôler l’écosystème terrestre dans sa totalité. La conscience de la crise écologique en déprime d’autres, qui savent ce qui se passe mais savent aussi à quel point ils sont démunis. Les militants ou les porteurs de bonne parole institutionnelle continuent à y croire. Ils font la promotion de la panoplie des solutions. Quelques-uns, plus rares, se sont retirés dans l’isolement de leur activité et, sans prétendre résoudre la crise écologique, surmontent les angoisses qu’elle suscite en eux. Aujourd’hui surgissent les radicaux lanceurs d’alertes, qui espèrent faire bouger les foules et surtout les médias en lançant de la sauce tomate sur des œuvres d’art.

    Cette liste de postures pourrait fonctionner comme une injonction adressée au lecteur. Vous, oui, vous, où vous situez-vous ? Dans quel rapport concret, pratique, intellectuel, moral êtes-vous avec le monde que des mutations écologiques sont en train de bouleverser ? En acceptant une telle question, on valide les différences qui existent entre les postures mentionnées, entre les choix qu’elles expriment et entre les conséquences qu’elles induisent. De ce point de vue, cela fait bien une différence d’être climato-sceptique, militant environnementaliste, quiétiste anti-catastrophisme ou encore grand sage de la cause éco-systémique. L’intention de Latour n’est pourtant pas de provoquer son lecteur par ce genre d’interpellation. Bizarrement, par l’énumération de ces différentes postures, il souhaite montrer en réalité qu’elles sont équivalentes relativement à ce qu’il nous faut comprendre de Gaïa et de l’ère géologique (anthropocène) dans laquelle nous sommes désormais entrés. Doute, cynisme, espoir militant, engagement désespéré, quiétisme as usual, sagesse « bio » ou écologique, tout n’est que folie. Voilà le point de départ qui permet « d’aller au fond de la situation de déréliction dans laquelle nous nous trouvons ».

    Pourquoi ce jugement sur la folie des hommes et sur la déréliction à laquelle nous sommes condamnés ? Cette rhétorique quasi prophétique dit en fait que le sujet humain est HS (hors-sujet).

    #écologie #activisme #quiétisme #capitalocène #crises_systémiques #effondrements

    https://justpaste.it/b3f1n

  • Une étude fine et détaillée des controverses autour de la statuaire associée à l’esclavagisme, au travers de l’exemple de la ville suisse de Neuchâtel. Analyses et vocabulaires un peu complexes pour des A1 mais l’essentiel demeure accessible.

    La statue, l’esclavagiste et le contre-monument contestés
    https://aoc.media/analyse/2023/02/07/la-statue-lesclavagiste-et-le-contre-monument-contestes

    La statue, l’esclavagiste et le contre-monument contestés

    Par Bertrand Tillier, Historien

    Fin décembre 2022, à Neuchâtel, une récente installation d’art contemporain, conçue comme réponse à la statue de l’esclavagiste David de Pury contestée en 2020 par des militants se revendiquant de « Black Lives Matter », a été à son tour maculée de peinture. Ce dispositif didactique et conceptuel déployé dans l’espace public, qui compte parmi les premiers adoptés en Europe pour réparer symboliquement les mémoires citoyennes blessées, est un contre-monument ironique, temporaire et anti-monumental (...).

    Lire la suite sur le site d’ AOC après vous être inscrits et identifiés.

    #esclavage #mémoire #réparations #statuaire

  • Pourquoi comptent-ils les manifestants et comment ? | Bruno Andreotti et Camille Noûs
    https://aoc.media/analyse/2023/02/06/pourquoi-comptent-ils-les-manifestants-et-comment

    La manifestation contre la réforme Macron du 7 février sera-t-elle jugée à la seule aune du nombre de participants ? La bataille des chiffres fait rage, d’autant que les méthodes de comptage utilisées ne sont pas toujours les plus fiables. Le cabinet Occurrence, dénombrant 55 000 manifestants à Paris le 31 janvier quand même la police en annonçait 87 00 (et la CGT 500 000), avait suscité critiques et moqueries. La méthode employée n’est pas seulement inadaptée à ce type de rassemblements : elle sert une ritualisation fétichiste du chiffre qui n’a rien de scientifique. Source : AOC media

  • https://aoc.media/opinion/2023/02/01/et-surtout-une-bonne-sante

    Trois ans après le Covid-19, le Roi est nu. Dans ses vœux aux professionnels de santé, le président Macron a annoncé une énième réforme de santé, censée être « disruptive ». On peine à y croire. Pourtant des solutions existent, parmi lesquelles de faire du service territorial de santé, un commun.

    [...]

    Oui, le soin c’est l’école de la modestie, tout médecin ou infirmière vous le dira. La T2A envisageait l’hôpital comme une industrie automobile qui produit une gamme de séjour. Sauf qu’entre soigner, surtout des maladies chroniques, et produire une voiture, il y a une petite différence : le soin est une coproduction : la réussite d’une relation thérapeutique dépend autant de la qualité du médecin que de la singularité, de l’idiosyncrasie et des aléas du patient. On aurait presque honte à rappeler une telle évidence. Mais il est certain que chez McKinsey, ce type de subtilité ne passe pas la rampe du Powerpoint.

    Finalement, l’effondrement de notre hôpital est le symptôme de l’inanité de la « pensée » McKinsey. Piloter l’offre de soins avec des recettes tout terrain, des power-points, des consultants avec des chaussures à bout pointu, ça ne fonctionne pas. La santé n’est pas et ne sera jamais une industrie. Certes, on peut rationaliser jusqu’à un certain point la « production de soins », mais l’exercice trouve vite ses limites. L’humain est source d’incertitudes, d’aléas, de complexité. Le grand sociologue Anselm Strauss et son équipe avait démontré cela dès les années 1950, dans un livre fameux La trame de la négociation. Tout est négocié dans le système de santé : entre le patient et son médecin, entre le médecin et son équipe, entre le patient et sa famille, entre l’équipe et la direction, etc. Vous pouvez rationaliser, au sens industriel, des bouts de trajectoire, mais la rationalisation complète de cette dernière est une chimère d’ingénieur.

    https://justpaste.it/2r16l

  • L’ère de la dévoration – sur Le capital, c’est ta vie de Hugues Jallon - AOC media
    https://aoc.media/critique/2023/01/18/lere-de-la-devoration-sur-le-capital-cest-ta-vie-de-hugues-jallon

    Du capitalisme nous savons presque tout. Nous le connaissons. Nous le reconnaissons. Il n’a pas de mystère pour nous. Le capital c’est ta vie de Hugues Jallon relate de l’emprise croissante du capital sur nos vie. Ce livre aurait alors pour objet de combler ce fossé entre l’intime et le social, les données immédiates de la conscience personnelle et l’histoire collective. Mais il pourrait être tout aussi bien une adresse à un ami désorienté, une main tendue et une invitation à en sortir.

    https://justpaste.it/cbmix

    #capitalisme #mondialisation #panique #littérature

  • Le « refus du travail » : une idée reçue qui fait diversion - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2023/01/08/le-refus-du-travail-une-idee-recue-qui-fait-diversion

    Dans ses vœux télévisés aux français, le président de la République a célébré le travail, laissant implicitement entendre qu’il y avait pénurie de main d’œuvre ou que nous ferions face à une « grande démission ». Il s’agit pourtant de mythes qui donnent à voir l’idéologie dominante associant « valeur travail », mérite et responsabilité individuelle. Car, de façon structurelle, ce qui conduit massivement au chômage, et de façon répétée ou prolongée, c’est le « précariat ».

    https://justpaste.it/8dj8s

    #travail #salariat #précariat

  • Emmanuel Macron rhabillé pour l’hiver ... Il a quand même de la chance, ce con : les températures de ces dernières semaines flirtent avec un écart de +7°C à +10°C par rapport aux moyennes climatiques.

    Quand Macron joue avec la planète Terre - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2023/01/05/quand-macron-joue-avec-la-planete-terre

    « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? », s’est demandé le Président de la République lors de ses vœux pour 2023. La petite phrase, une de plus, a fait bondir. Il y a de quoi. Elle révèle l’inconséquence d’un chef de l’État qui privilégie les petits jeux de la « com’ » à la résolution d’une rupture sans précédent pour nos sociétés. Emmanuel Macron « fait mumuse » ; il a pourtant les moyens de laisser, de son passage sur Terre, une trace digne de mémoire.

    https://justpaste.it/bzbrf

  • Le métavers, de l’économie de l’attention à l’économie du corps-zombie - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2021/12/13/le-metavers-de-leconomie-de-lattention-a-leconomie-du-corps-zombie

    Le « métavers » est le nom donnée à un monde fictif reposant sur des espaces virtuels persistants et partagés, accessibles via des technologies de restitution de la sensorialité. À l’image de la conquête spatiale américaine, l’ambition du métavers marque un changement de paradigme dans la manière dont l’homme conçoit son environnement immédiat. La possibilité du métavers re-modélise notre rapport à la réalité. « Rapport » à la réalité et non construction d’une autre réalité, car à bien des égards, la réalité alternative que nous offre le métavers est bien plutôt diminuée qu’augmentée.

    Le métavers comme nouveau régime de contrôle de la sensorialité

    Adossée à l’internet des objets et aux objets connectés, ce projet s’appuie sur un imaginaire transhumaniste typique de la Silicon Valley, passée maître dans l’art de la transposition des références issues de la science-fiction à un marketing agressif composé de trailers cinématographiques et de discours prophétiques inspirés par la doctrine du « moonshot ». « L’impossible » rendu accessible par la sacro-sainte digitalisation totale de nos activités sociales, biologiques, affectives…

    Face à un tel délire scientiste et publicitaire, il serait facile de passer du registre techno-critique à la technophobie pure et simple, tant les discours des avatars contemporains du « bluff technologique »[1], de Musk à Zuckerberg paraissent aussi niais que toxiques pour l’esprit public.

    Nous préférons pourtant au terme de techno-critique, celui de « techno-réflexivité » associé au travail du philosophe Bernard Stiegler et de l’anthropologue et préhistorien André Leroi-Gourhan, qui montrent que la nature humaine est intrinsèquement technique. Bernard Stiegler affirmait ainsi que la transformation de la pulsion organique, animale, en désir, c’est-à-dire en besoin socialisé, passe par l’outil[2]. C’est la médiation du silex qui transforme la main humaine en véritable relais physique et intellectuel du corps et de l’esprit tout entier dans la matière, support de projections – rationnelles aussi bien qu’imaginaires – dans le monde.

    Alors que le corps lui-même – et la main en particulier – semble porteur d’une intelligence projective, d’un horizon de sens et de possibilités propres à l’être humain et se modifiant au fur-et-à-mesure de l’histoire des sciences et des techniques, le métavers et la civilisation de l’écran imposent une tendance lourde à la culture technique de la « décorporation », ou de la « régression ».

    Régression du corps, du psychisme et de l’économie politique à des modes de recherche de satisfaction neurologique et psychologique primaires. Selon l’historien des sciences et psychanalyste Darian Leader dans Mains. Ce que nous faisons d’elles et pourquoi[3], les technologies numériques, les technologies de l’écran mobilisent des modes de satisfaction anciens quasi-hallucinatoires, issus du fonctionnement de la prime enfance. Selon lui, l’enfant serre et ouvre les mains pour extérioriser le surcroît d’énergie nerveuse liée à la satisfaction de la tétée, ou bouge ses doigts de main et de pieds dans les moments de tension liés au sevrage pour restituer via des sensations suscitant dans son esprit les images mémorisées de la présence du sein et de la mère.

    Pour Shoshana Zuboff, l’incitation constante à ce qu’elle nomme « la restitution forcée » de toute l’intimité et toute la sensorialité est le trait saillant de l’économie numérique. Le métavers apparaît ainsi sous les traits d’une idéologie d’avant-garde du « capitalisme de surveillance », dont nous avons vu que les soubassements psychologiques et neurologiques sont ceux des technologies de reproduction d’états psychiques primitifs de satisfaction semi-hallucinée du nouveau-né dans les états de plaisir ou de manque extrême où ses sens sont saturés de sollicitations[4].

    Le métavers n’est donc pas une nouveauté radicale, mais serait une simple actualisation marketing d’une des caractéristiques de la civilisation des appareils d’enregistrement du corps, qui vise, en tant qu’elle est radicalement consumériste, à réguler le corps social en lui proposant le régime de la surdose sensorielle et de l’addiction (aux écrans, aux sons, aux vêtements, aux opiacés en particulier chez les jeunes américains sur-diagnostiqués).

    #Métavers #corps #Réalité_virtuelle

  • Quand Hollywood produit aussi des données - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2022/12/11/quand-hollywood-produit-aussi-des-donnees

    Par Violaine Roussel – Sociologue
    Loin de se contenter de produire, en plus de les diffuser, des films et des séries, les plateformes de streaming produisent désormais également des données. Des professionnels – informaticiens, statisticiens, neuroscientifiques – sont désormais implantés dans les départements créatifs de ces entreprises où ils jouent un rôle beaucoup plus important que les algorithmes souvent pointés du doigt.

    Ces dernières années, le développement des services de vidéo en streaming a été rapide et massif. Il a changé notre perception de ce qu’est la télévision et la façon dont les produits audiovisuels en général sont consommés. Les principaux streamers que sont Netflix et Amazon Prime Video ont atteint respectivement plus de 220 millions et 151 million d’abonnés dans le monde en 2021 ; ils sont désormais en compétition avec les nombreux services de streaming lancés plus récemment par les studios et chaînes de télévision traditionnels (de Disney+ à HBO Max, en passant par les plus petits concurrents que sont Peacock, Paramount+, ou Salto en France).

    La pandémie de Covid n’a pas créé ce phénomène : elle n’a fait qu’exacerber et accélérer un processus de transformation qui était déjà en cours. Un tournant en a été le moment, il y a moins de dix ans, où les principaux streamers ont commencé à produire des contenus originaux, en plus de leur activité de distributeur. En recentrant l’essentiel de leur activité sur la production de films de super-héros à gros budget, les grands studios hollywoodiens ont laissé le champ libre aux streamers pour se positionner comme premiers interlocuteurs du côté de la production pour toutes les autres catégories de projets.

    L’investissement des streamers dans la production originale, y compris de films, a ainsi été massive : Netflix a produit à lui seul environ 1 630 titres originaux entre 2013 et 2021, devenant le premier producteur de films (en volume). En dépit des controverses autour de la présence de « films Netflix » à Cannes, les streamers ont également reçu de la reconnaissance artistique de la part des autorités de jugement esthétique de l’industrie cinématographique (sous la forme de prix, notamment d’Oscars). Si ces mutations ont d’abord émergé à Hollywood, l’expansion des services de streaming américains et l’émergence de streamers locaux ont placé la question du pouvoir des plateformes et celle de la chronologie des médias au cœur des débats en France et en Europe.

    L’ampleur et la portée de ces changements sont rapidement apparues aussi bien aux professionnel.le.s du secteur, qui se sont pour certain.e.s alarmé.e.s des menaces que la place prise par les streamers faisait peser sur la survie du cinéma en salle, qu’aux chercheur.se.s spécialistes de ce domaine. Ces mutations ont cependant principalement été saisies sous l’angle des rapports des consommateurs aux contenus. Des recherches ont donné à voir la transformation des modes de consommation culturelle et de réception des œuvres, sous l’effet de mécanismes d’emprise globale des grands streamers et de « guerre des plateformes » structurant les champs audiovisuels.

    La question de l’usage des données et des algorithmes dans les champs de production culturelle a également fait irruption dans les débats publics et les recherches. Des voix se sont élevées pour dénoncer les dangers associés à cette captation de données. Certains travaux ont mis l’accent sur le pouvoir des entreprises qui, comme les services de vidéo en streaming, s’approprient les données comportementales des utilisateurs, y voyant une nouvelle forme de gouvernance par les algorithmes adossée à des technologies de surveillance et de contrôle politique. D’autres approches ont pris pour objet l’expérience des interfaces utilisateurs, les effets des algorithmes de recommandation de contenus et la transformation des classifications par genre des produits proposés.

    Faire parler les données : l’ascension d’un groupe professionnel à Hollywood
    L’ensemble de ces travaux (que ce texte ne vise pas à présenter exhaustivement ou systématiquement) offre un apport tout à fait précieux à la compréhension des transformations en cours, mais il laisse dans l’ombre une dimension très importante de ce processus : celle des individus et groupes sociaux ici à l’œuvre. Lorsque les données et les algorithmes sont faits sujets de la transformation, quand ils sont présentés comme ce qui agit et provoque les mutations en cours, cela laisse souvent dans l’ombre les mécanismes qui leur donnent cette effectivité ou cette « agentivité ».

    Associer le pouvoir des algorithmes aux noms des GAFAM ou de quelques « grands entrepreneurs » (de la Silicon Valley) expose au risque de contribuer à leur légende tout en projetant leur ombre sur l’activité des professionnel.le.s qui façonnent les données et leur donnent force, plus discrètement, au jour le jour. En effet, les données n’ont précisément rien de « donné » : leur production, et celle des modèles et instruments qui permettent de les construire à partir de « traces » issues des comportements des abonné.e.s (ce qui est visionné, quand, selon quels rythmes, sur quels supports, etc.), passe par le travail de nouvelles catégories de spécialistes, qui – et c’est ce qui est nouveau – interviennent désormais pour orienter le choix des contenus offerts sur les plateformes.

    Ces spécialistes forment un groupe composite – incluant, d’une part, des docteur.e.s, ingénieur.e.s ou technicien.ne.s hautement spécialisé.e.s en informatique, neuroscience, science des données, intelligence artificielle, machine learning et, d’autre part, des spécialistes en économie mathématisée et statistiques familier.ère.s de l’analyse algorithmique des données. Ce groupe a connu une croissance massive ces dernières années dans les industries audiovisuelles, et notamment à Hollywood, terrain de mes recherches, où ces spécialistes ont d’abord émergé et acquis un rôle décisif pour la définition des stratégies de contenus (Roussel 2022). Ainsi en quelques années, ce groupe est passé de quelques dizaines à des milliers d’employé.e.s dans les studios et les streamers. Par exemple, chez Netflix, ces services ont crû d’une grosse vingtaine de personnes à plus de 700 entre 2012 et 2022.

    Ces professionnel.le.s sont ainsi étroitement impliqué.es dans la fabrication des contenus. Leur travail vise à influencer ce qui est produit ou acheté par une entreprise de streaming, à déterminer quels types de contenus créer et/ou distribuer sur telle ou telle plateforme. Ce n’est pas que les spécialistes des données étaient inconnu.es à Hollywood avant l’émergence et l’ascension des streamers. Mais ils et elles restaient cantonné.es à des postes dans les départements de marketing (et éventuellement de recherche) des grands studios, n’intervenant donc qu’en bout de chaîne, une fois qu’un film avait été produit, au moment de définir sa stratégie de promotion. Leur exclusion des processus de décision sur ce qui doit être créé les maintenait dans des positions symboliquement dominées dans la hiérarchie des studios.

    À l’inverse, les spécialistes des données qui m’intéressent ici sont positionné.es dans les départements des streamers (et aujourd’hui des studios qui se sont convertis au streaming) où se prennent les décisions concernant la production ou l’acquisition des contenus créatifs (content side). Ce qui signifie qu’ils et elles interviennent très tôt dans le processus de production, lorsqu’il s’agit de déterminer quelles émissions, séries ou films doivent être produits ou achetés. Ces spécialistes des données sont au quotidien d’important.es interlocuteur.ices des responsables de l’acquisition des contenus, c’est-à-dire des producteur.rices traditionnel.les que les services de streaming ont embauché, souvent en les débauchant des grands studios ou de sociétés indépendantes à succès. Ces spécialistes sont également en position de parler « au nom des utilisateur.ices » dont ils et elles construisent les données, pour dire ce que les abonné.es voudront voir, ou ce qui pourrait séduire de nouveaux utilisateurs et permettre de s’implanter dans de nouveaux territoires. Ils et elles contribuent ainsi au façonnage de nouvelles images des publics.

    On comprend pourquoi mettre l’accent et faire la lumière sur leur activité est crucial pour ne pas fétichiser les données et les algorithmes et passer à côté de ce qui fait leur force. Tout comme le droit et les formes juridiques, données et algorithmes n’ont pas de force propre. Ils n’ont que le pouvoir qu’ont ceux qui les construisent, les font parler et parfois prévaloir dans les organisations d’Hollywood. Pour éclairer ce pouvoir, il faut examiner l’émergence et l’ascension du nouveau groupe professionnel clé que constituent les spécialistes des données, la diffusion de ces rôles au-delà des seuls streamers historiques (que sont Netflix et Amazon Prime Vidéo) vers l’ensemble des organisations majeures de la production à Hollywood (et au-delà), et les modifications des équilibres de pouvoir qui en découlent dans ces organisations.

    Il faut explorer les activités de ces professionnel.les au quotidien, la manière dont ils et elles façonnent les données et leur font raconter des histoires susceptibles d’emporter la conviction de leurs interlocuteurs. Comprendre les données, c’est ainsi comprendre les parcours, les pratiques, les enjeux, les perceptions, les intérêts de catégories spécifiques de professionnel.les. Sans faire ce détour, le discours critique sur les données s’affaiblit faute de se donner les moyens de comprendre le comment de leur prévalence c’est-à-dire les activités, les relations, les transactions, les usages des dispositifs à travers lesquels les données existent et « agissent ».

    Une « révolution » discrète
    Selon la même démarche, dans différents domaines, l’ambition de saisir les données par les professionnel.les a commencé à se manifester et à porter ses fruits. On peut par exemple penser au travail avec les algorithmes et les outils de mesure effectué par les journalistes étudiés par Angèle Christin, ou encore aux pratiques des analystes des données dans le domaine de la sécurité aux frontières examinées par Didier Bigo, dans des champs d’étude différents[8]. Comme sociologue des industries audiovisuelles (entendues au sens large, en y incluant le cinéma), m’engager dans cette voie de recherche me permet de mettre au jour ce que les professionnel.les des données font aux contenus : leur travail constitue une « révolution » discrète ; il implique que nous pensions différemment les acteurs sociaux engagés dans les activités de production et de choix de contenus, en nous éloignant d’une division tranchée entre artistes et personnels non créatifs qui nous amènerait à classer les spécialistes des données dans la seconde catégorie.

    L’ascension de ces nouvelles catégories professionnelles s’accompagne de la montée de nouvelles logiques de définition des contenus, qui se manifestent sans fracas, au quotidien, dans la coulisse. En effet, les professionnel.les des données à l’œuvre « du côté des contenus » présentent des trajectoires, des parcours de formation, des débuts de carrière très différents de ceux qui caractérisent les personnes traditionnellement chargées de prendre des décisions sur les contenus à Hollywood (c’est-à-dire les producteur.ices, cadres et chefs de studios qui cultivent des relations avec des artistes reconnu.es et leurs représentant.es et mettent en avant leur « instinct » pour repérer ce qui va marcher et ceux qui ont du talent). Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que ces spécialistes manifestent des perceptions de leur métier et des représentations des normes et conventions à suivre également très différentes, attachées au caractère réplicable et transférable (en dehors des mondes de la création) des modèles mis en œuvre, par opposition aux références à la nature unique et incommensurable du talent et de la qualité que l’intuition du « grand producteur » permettrait de dénicher.

    L’approche par les données consiste tout au contraire à construire des comparaisons, des mises en équivalence, en mettant en regard des sous-catégories de contenu entre elles et avec des propriétés associées à des figures construites des usagers (les unités de ces opérations ne sont pas les individus-abonnés et ce qu’on mesure n’est pas l’expression de leurs jugements de gout, à l’inverse de ce que les anciens dispositifs de mesure mettaient au cœur de la démarche de quantification). L’irruption de ces spécialistes des données dans le jeu de la production, et leur influence à un stade précoce de discussion des stratégies de contenus, affectent la manière dont les projets artistiques sont évalués et sélectionnés. D’une part, elles orientent l’identification des (sous-)genres, formats, types de narration, catégories de talent à privilégier. D’autre part, elles peuvent prendre la forme beaucoup plus précise d’une intervention sur les détails d’un script, dont il s’agit alors de proposer des révisions et aménagements, touchant aux profils des personnages, à leur présence dans différentes scènes, à leurs relations ou au rythme des intrigues.

    L’objectif de ce texte n’est pas d’exprimer une quelconque nostalgie d’un pouvoir passé des producteur.ices traditionnel.les, ou de dénoncer l’influence prise par les spécialistes des données. Ces dernier.es n’ignorent d’ailleurs pas que leur légitimité à intervenir sur les contenus est fragile et peuvent travailler à la consolider : la promotion d’une production culturelle plus représentative de la diversité sociale et culturelle est l’un des éléments que ces professionnel.les peuvent mettre en avant pour justifier du bien-fondé social de leur intervention.

    Avec ce texte, je veux souligner que des transformations majeures des rôles de production sont aujourd’hui en cours. Au-delà des seuls champs culturels, c’est dans une pluralité de sphères sociales plus ou moins interconnectées qu’émergent et s’imposent aujourd’hui des spécialistes des données et des algorithmes. Dans une société qui se pense de plus en plus comme une « société des algorithmes »[9], ces mutations définissent en creux un programme scientifique pour une attention croissante à ces catégories de professionnel.les, à leurs logiques et instruments d’action, aux effets de leur influence. Penser alors les relations entre leur intervention dans différents champs, l’articulation ou les formes de résonance entre les activités s’y rapportant, se présente comme l’un des grands chantiers des années à venir.

    Violaine Roussel
    Sociologue Professeure à l’Université Paris 8

  • Une économie des communs négatifs
    par Alexandre Monnin- AOC media
    https://aoc.media/opinion/2022/11/28/une-economie-des-communs-negatifs

    L’écologie ne peut se penser comme un retour à la nature (ou à une époque antérieure, post industrielle, post-civilisationnelle, etc.) sous peine de porter avec elle un arrière-plan malthusien ou exterminisme.

    Son défi est désormais d’être une écologie des milieux impurs dans lesquels une part grandissante de l’humanité évolue qui cherche à négocier un passage étroit entre deux écueils : l’abandon brutal et immédiat des infrastructures, technologies et modèles – ce que j’appelle des communs négatifs – dont cette part croissante de l’humanité dépend un peu plus chaque jour, ce qui ne saurait se faire à très court terme, et le maintien de ces mêmes réalités à moyen terme.
    [...]
    La tentation est grande en effet, au-delà même des cosmologies, de puiser dans les savoirs du Sud générés en réponses à des situations de crises, situations dès lors valorisées au-titre d’une anticipation d’événements dramatiques à venir au Nord (hausse du niveau de l’eau, des températures, tropicalisation du climat, etc.).

    Les peuples autochtones ou les habitants d’Haïti seraient ainsi les éclaireurs des peuples du Nord, prenant les risques dont ces derniers entendent se préserver en observant la capacité d’adaptation des premiers.
    [...]
    Ceux qui pointent la responsabilité des pays du Nord ont tendance à rejeter le mot « Anthropocène » et à lui en substituer d’autres : Capitalocène, Anglocène, Androcène, etc. Il en existe mille et une variantes. On peut accepter cette responsabilité historique sans céder à l’ensemble des arguments des promoteur-ices de la notion de Capitalocène. Un point nous semble pourtant décisif : loin d’être une avant-garde, il faut penser le Nord Global comme le porteur et le témoin des futurs obsolètes, qui n’ont d’ailleurs, comme le souligne l’écrivain Amitav Ghosh[6], jamais eu vocation à advenir à l’échelle du Globe. L’échange écologique inégal, ainsi nommé par l’anthropologue Alf Hornborg[7], a vocation à le rester.

    Nul artifice ne permettra une généralisation à la population entière du mode de vie californien sans doute l’un des plus marketé à l’échelle du globe en dépit de sa nocivité fondamentale – pour prendre un exemple hélas aussi archétypal que caricatural. Si ces futurs sont obsolètes, il s’agit alors d’hériter à la fois de leurs matérialisations passées et des projets qui adviennent encore chaque jour en leur nom, les « ruines ruineuses » du présent et de l’avenir, à démonétiser symboliquement de toute urgence. Hériter du passé comme de l’avenir, dans un même geste.
    [...]
    Partant du principe qu’aucune transition ne pourra s’accomplir simplement en verdissant l’existant et que tout ne pourra être maintenu en garantissant les conditions d’habitabilité sur Terre, la redirection écologique pose la nécessité de procéder à des arbitrages démocratiques. Qui ne seront pas les mêmes partout et pour tout le monde car nous héritons collectivement des infrastructures de ce que le philosophe Olúfẹmi O. Táíwò[8] appelle the Global Racial Empire, qui opère une distribution des richesses, des biens de première nécessité ou des opportunités, tout à fait inégale.
    [...]
    comment faire changer la trajectoire de modèles (économiques, distributifs, juridiques, managériaux, etc.), d’infrastructures, de technologies non seulement vectrices d’inégalités mais qui détruisent l’habitabilité du monde ? Pour ce faire, il s’agit de les reconnaître pour ce qu’ils sont, de véritables communs négatifs ouvrant sur une nécessaire réappropriation collective à de multiples échelles. Surtout, il convient d’éviter un écueil majeur : les populations attachées, volontairement ou involontairement à ces réalités sont de plus en plus nombreuses, au Nord mais aussi dans le Sud Global, en dépit de l’immense hétérogénéité des situations, ne peuvent s’en extraire et s’en départir du jour en lendemain. En même temps, le business as usual est exclu à moyen terme. Tout l’enjeu consiste donc à emprunter une ligne deux crêtes entre ces deux écueils, qui sont aussi deux positions implicitement exterministes.
    C’est ici que doit s’affirmer le devoir historique des nations et peuples du Nord. Car il s’agit bien de prolonger le fil ouvert par les révolutions industriels et le régime métabolique minier[9] qui a consisté à tirer du sol de nouvelles sources d’énergie qui sont devenues à leur tour la matrice de nouvelles technologies, de nouvelles infrastructures et d’une nouvelle civilisation marquée par des modalités de subsistance impossible à congédier ou à prolonger.

    Des modalités de subsistance qui n’appellent pas nécessairement à passer uniformément sous les fourches caudines des limites planétaires mais à négocier précisément ce à quoi il faut renoncer et qu’il faut tâcher de maintenir pour que la recherche de capacités nouvelles de subsistance ne soit pas un eugénisme masqué des corps sains, enfin libérés des entraves de la Technosphère et rendu à une Nature accueillante.
    [...]
    Face à la dégradation de l’habitabilité, il s’agit d’opérer les nécessaires fermetures pour libérer des espaces où des milieux désormais impurs, comportant des poches de technicités mises par exemple à profits pour perpétuer des soins aux corps le nécessitant, pourront subsister.
    [...]
    Tirer le fil, donc, pour se positionner en arrière-garde d’un monde à venir, composant avec de multiples milieux interlopes.

    Ce rôle d’arrière-garde est généralement échu aux populations indigènes ou aux Nations en passe d’être engloutis par les flots ou sacrifiées pour le maintien du statu quo extractiviste. Têtes de ponts des changements induits par l’Anthropocène, privées d’avenir, et en même temps, avant-garde résiliente, malgré elles, au service des nations du Nord avides de mettre à profit les leçons ainsi glanées. Le statut d’arrière-garde doit être assumé. Prises dans un passé, un héritage, auquel elles se confrontent, les nations du Nord ont vocation à permettre à d’autres pays de représenter l’avant-garde de demain et de négocier avec cette modernité impossible selon leurs propres termes, en s’inspirant à leur guise des savoirs et des arts de la fermeture qu’il est impératif d’expérimenter aux Nord.

    Pour ne pas demander à d’autres d’être nos poissons-pilotes, pour ne pas attendre mais susciter ces bascules, à la fois politique et techniques, pour qu’un premier exemple, coupé de l’attente d’un retour sur investissement ou d’un avantage concurrentiel, ouvre la brèche nécessaire.
    [...]
    Au Nord, désormais, la vie bonne est celle qui prendra en charge les communs négatifs, qui travaillera à les démanteler proprement, avec soin. Premier exercice concret et constructif de réparation[10]. Manière d’assumer une responsabilité historique.

    #décroissance #post-croissance #anthropocène #effondrement

  • Huit milliards d’humains : trop sur Terre ? - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2022/11/16/huit-milliards-dhumains-trop-sur-terre

    Lorsqu’on regarde plus en détail ces projections on s’aperçoit que la croissance future devrait avoir très majoritairement lieu en Afrique intertropicale (excluant l’Afrique du nord et du sud), le reste du monde se dirigeant vers une stabilisation ou une décroissance légère de sa population. Ce n’est pas un hasard, la natalité est la plus forte dans les pays les plus pauvres, moins avancés dans leur transition démographique. Alors, quel effet sur l’environnement ? Cela dépend : cette croissance peut avoir des conséquences écologiques locales importantes, mais elle reste négligeable pour des enjeux globaux comme le climat. Ainsi, les pays avec un taux de fécondité au-dessus de trois enfants par femme représentent seulement 3,5% des émissions de CO2 mondiales, pour 20% de la population.
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    Sur les 20 dernières années, les émissions par habitant ont stagné en Afrique. Si l’on prolonge la croissance du PIB par habitant sur cette période, il faudrait 70 ans à l’Éthiopie pour rattraper la France (au rythme, très rapide, d’avant sa guerre civile), ou 250 ans pour le Nigeria.
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    Non seulement cette crainte de la croissance de la population mondiale brouille les pistes des responsabilités du réchauffement climatique, mais elle fait aussi détourner le regard de cette injustice criante : ce sont ces pays, pauvres et à la natalité élevée, qui en sont aussi les principales victimes et les moins bien armés pour y faire face, alors qu’ils en sont les moins responsables !
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    Aujourd’hui, c’est Emmanuel Macron qui répète à l’envi qu’il ne sert à rien d’aider des pays avec 7 enfants par femme. On ne sait la part dans ces affirmations de rapport de force avec les pays du Sahel et celle de la politique nationale : la crainte de la croissance de la population en Afrique est souvent associée à celle, chère à l’extrême droite, de migrations massives et incontrôlées. Force est de constater qu’aujourd’hui ces migrations restent marginales, « l’appel d’air » un mythe dangereux et les migrations climatiques une source sans fin de fantasmes. On touche ici un deuxième écueil du débat sur la population : voir les individus d’abord sous le prisme du nombre alimente une déshumanisation qui finit toujours mal. C’est particulièrement le cas sur cette question des migrations, qui donne déjà lieu aujourd’hui à une violence et un déni de droits de l’Homme institutionnalisés.
    On peut estimer souhaitable d’aider de toute façon à l’éducation ou au planning familial dans les pays les plus pauvres, ce qui contribuerait à la baisse de la natalité, mais il ne faut pas non plus en attendre de miracle sur le plan écologique. Ces mesures contribuent au développement économique (qu’on peut, lui aussi, juger souhaitable dans ces pays) et peuvent donc contrebalancer la baisse de la population, pour aboutir à un résultat final légèrement négatif pour le climat.
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    Qu’en est-il dans les pays plus riches, où la natalité est plus faible mais le poids écologique par personne beaucoup plus élevé ? La situation y est contraire à celle des pays à forte natalité quant au désir d’enfants : les gens ont globalement moins d’enfants qu’ils le souhaiteraient et il n’existe plus de mesure consensuelle qui baisserait la natalité.
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    En Chine, la politique de l’enfant unique s’est traduite par un taux de fécondité décroissant lentement de 2,5 à 1,5 enfants par femme, avec de nombreuses exceptions et tolérances introduites très rapidement pour limiter les pires abus. La politique la plus coercitive qu’on puisse imaginer ici, celle de l’enfant unique strict, bien plus dure qu’en Chine, aboutirait à un taux de fécondité autour de 1,1 enfants par femme. On peut pousser l’expérience de pensée et calculer les effets de cette mesure sur la population, puis sur les émissions et enfin le réchauffement climatique.

    La population diminuerait très progressivement, il faudrait attendre près de 2100 pour qu’elle soit divisée par deux par rapport au scénario à fécondité constante. L’effet sur les émissions annuelles serait plus lent car la consommation des plus jeunes est bien plus faible que la moyenne. Enfin, l’effet sur les émissions cumulées, qui déterminent le réchauffement, serait encore plus lent car les émissions par personne sont déjà sur une trajectoire descendante. Au rythme actuel (et insuffisant) d’une réduction de ces émissions autour de 2% par an, l’enfant unique réduirait les émissions cumulées en 2100 de 11%. Au rythme de 6% par an, nécessaire pour tenir les objectifs de l’accord de Paris, ce ne serait qu’une réduction de 3% en 2100.
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    On peut ici aussi proposer une expérience de pensée : que se passerait-il si la moitié de la population mondiale disparaissait instantanément, comme dans le film Avengers (2018) ? La moitié des puits de pétrole ou mines de charbon ne seraient pas fermés, cela dépendrait du rapport entre coût marginal de production et prix de vente. Ce prix baisserait, ce qui stimulerait la demande. La diminution de la densité de population réduirait l’efficacité énergétique. Il y aurait probablement un rebond de la natalité. Tous ces effets pourraient se combiner à moyen et long terme pour aboutir à une trajectoire très différente de l’actuelle. Comme exemple, on peut observer les différences de poids écologique allant du simple au double entre l’Europe et les États-Unis, pour un niveau de vie et de technologie très proches. Enfin, et plus fondamentalement, aucun des mécanismes qui causent la crise écologique et la faiblesse de l’action ne serait changé : intérêts divergents et déséquilibres de pouvoir entre États, entre riches et pauvres, pouvoir des entreprises qui en tirent des profits, culture consumériste… Sans toucher à ces déterminants fondamentaux, l’effet final d’une réduction même importante de population serait probablement faible.
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    Serait-il vraiment souhaitable d’imposer une mesure drastique (un enfant unique bien plus dur qu’en Chine) pour une réduction marginale du réchauffement ? On entend souvent qu’il faut contrôler la natalité car « il faut tout faire » pour le climat. Ce n’est pas le cas : il faut d’abord s’interroger sur la faisabilité, les risques, les coûts et bénéfices de différentes mesures. Si l’on pousse la logique jusqu’au bout, l’action la plus efficace est la disparition de l’humanité. Pas grand monde ne la souhaite.
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    Pire que seulement une rhétorique de déni, la crainte de la surpopulation nous éloigne d’un monde plus égalitaire et coopératif qui sera nécessaire pour résoudre la crise écologique sans tomber dans la barbarie.

    #surpopulation #écologie #changement_climatique

  • Frites surgelées et COP 27 - AOC media
    https://aoc.media/opinion/2022/11/15/frites-surgelees-et-cop-27
    Par Jean-François Collin – Haut fonctionnaire

    Alors que les nations du monde entier tentent d’afficher leur lutte pour sauver le climat et la planète à la COP27 du Caire, l’OMC révèle le véritable du capitalisme mondialisé en donnant raison à l’Union Européenne qui avait attaqué la Colombie au nom de la défense de ses frites surgelées…

    En lisant mon journal habituel, je suis tombé sur un petit article m’apprenant que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) venait de donner tort à la Colombie dans une conflit qui l’oppose à l’Union européenne. Le différend porte sur le commerce des frites surgelées. Le sujet peut sembler anecdotique mais en réalité le commerce des frites surgelées résume parfaitement ce qu’est capitalisme mondialisé et dévoile l’hypocrisie du rituel des COP « pour sauver le climat et la planète ».

    Un rappel d’abord, même si l’histoire de la pomme de terre est bien connue.

    Nous ne mangerions pas de pommes de terre en Europe si les populations andines d’Amérique du Sud ne les avaient cultivées depuis plus de 8 000 ans. Les conquistadors espagnols arrivés beaucoup plus tard ont rapporté des pommes de terre en Espagne au début du XVIe siècle, mais le développement de sa culture et de sa consommation en Europe fut lent. En France, par exemple, jusqu’au XVIIIème siècle, la pomme de terre était considérée comme une plante toxique dont l’usage devait être réservé aux animaux.

    Il fallut que Parmentier, prisonnier des Prussiens pendant la guerre de Sept Ans, consomme les pommes de terre servies par ses geôliers, en apprécie les qualités et revienne en France convaincu de son intérêt pour alimenter la population encore fréquemment victime de disette, voire de famine, et mène une grande campagne de promotion de la pomme de terre jusqu’à la table du roi, pour que sa culture se développe jusqu’à faire de ce tubercule un élément majeur de notre alimentation.

    Pour remercier ceux qui nous ont apporté ce bienfait, voilà que l’Union européenne attaque la Colombie devant l’OMC pour la contraindre à acheter des pommes de terre dont nous ignorerions l’existence si les précolombiens ne les avaient cultivées bien avant nous.

    Comment en sommes-nous arrivés là ?

    La pomme de terre, une industrie européenne tournée vers l’exportation
    L’agrobusiness a transformé la culture de la pomme de terre en une industrie vouée à l’exportation.

    La Belgique, pays emblématique de cette culture, a obtenu que la frite soit inscrite à l’inventaire du patrimoine mondial de l’humanité. Pourtant, ce qu’elle produit aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec la frite traditionnelle vendue autrefois dans ses cornets, avec ou sans mayonnaise, qu’elle a remplacé, pour l’essentiel, par un affreux produit surgelé.

    Les surfaces consacrées à la culture de la pomme de terre ont progressé de 50 % depuis le début des années 2000 pour atteindre 100 000 hectares, soit 11 % des terres cultivées du pays. La Belgique produit 5 millions de tonnes de pommes de terre aujourd’hui contre 500 000 tonnes en 1990. Mais comme cela ne suffit pas aux industries de transformation, les importations de pommes de terre (en provenance de France notamment) ont été multipliées par trois en 20 ans, passant de 0,9 millions de tonnes en 2000 à 2,6 millions en 2018.

    Ces pommes de terre ne sont pas achetées par les ménages belges pour qu’ils préparent leurs frites à la maison. 90 % des pommes de terre belges sont transformées, par de grands groupes internationaux, en frites surgelées, croquettes et autres produits transformés issus des pommes de terre pour être exportés aux quatre coins de la planète. C’est ainsi que la Belgique est devenue le premier exportateur mondial de produits surgelés à base de pommes de terre. Cinq millions de tonnes de pommes de terre sont transformées par l’industrie pour produire 2,3 millions de tonnes de frites, 700 000 tonnes de purée, des chips, des croquettes, etc. Entre 40 et 50 % des pommes de terre sont perdues dans le processus de transformation industrielle, une partie de ces pertes étant récupérée pour l’alimentation animale.

    Le groupe belge Clarebout Potatoes est devenu le premier producteur européen et le quatrième producteur mondial de produits surgelés à base de pommes de terre avec une production an­nuelle estimée à environ 800 000 tonnes de produits transformés et un chiffre d’affaire de 1,3 milliards d’euros en 2019.

    Clarebout va d’ailleurs installer prochainement une usine de production de frites surgelées dans le port autonome de Dunkerque, qui en produira 1 400 tonnes par jour (7 jours sur 7, soit une production annuelle de plus de 500 000 tonnes) qu’il sera facile de charger sur un bateau pour l’exporter… en Amérique du Sud par exemple.

    D’autres groupes internationaux sont présents en Belgique et en France, comme le canadien McCain, un géant du secteur, le néerlandais Farm Frites, ou encore Nestlé.

    La France a connu une évolution similaire. Elle produit 5 à 6 millions de tonnes de pommes de terre sur 150 000 hectares. 43 % de la production sont exportés, 21 % sont utilisés dans les usines de transformation pour la production de produits surgelés (à leur tour souvent exportés), 19 % sont incorporés dans l’alimentation du bétail. Le marché national de consommation de pommes de terre fraiches n’absorbe que 17% de la production.

    La pomme de terre est devenue la matière première d’une industrie de transformation qui a accompagné la généralisation de la distribution des produits alimentaires par les grandes surfaces, notamment sous forme de produits surgelés.

    L’exportation de produits surgelés est l’objectif principal de cette industrie.

    Culture de la pomme de terre et disparition des paysans
    Au XXème siècle, les pommes de terre étaient produites sur l’ensemble du territoire français par de petites exploitations agricoles et dans les jardins familiaux. Elles constituaient un élément important de l’alimentation de la population, encore très largement rurale. Chaque français en mangeait en moyenne 95 kilos de pommes de terre par an en 1960 ; il n’en mange plus que 52 kilos en 2022. En conséquence de quoi les surfaces consacrées à cette production ont fortement diminué, jusqu’au début des années 2000 où elles ont recommencé à croître.

    Les rendements à l’hectare ont beaucoup augmenté et la production s’est concentrée dans 3 régions : les Hauts-de France (65 % de la production nationale), le Centre-Val de Loire (environ 10 %) et le Grand Est (11 %).

    Dans ce secteur comme dans tous les autres secteurs de l’agriculture, nous assistons à une véritable délocalisation de la production qui est désormais plus liée aux réseaux de transport, à la localisation des industries de transformation, qu’au climat ou à la qualité des sols.

    On constate les mêmes phénomènes chez les autres grands producteurs européens, Belgique, Allemagne et Pays-Bas. En Belgique, la moitié de la production est réalisée par 5 % des producteurs de pommes de terre.

    En France, comme en Belgique ou en Allemagne, les producteurs de pommes de terre ne sont plus majoritairement des petits agriculteurs indépendants, vivant de leur travail en approvisionnant les marchés locaux, en faisant vivre les circuits courts et tout ce qui est vanté comme devant être le cœur de la transition écologique souhaitée par la population et les gouvernements.

    C’est tout le contraire, et les agriculteurs sont devenus des « travailleurs à façon » placés dans une situation de dépendance économique vis à vis des industries de transformation. Ils sont liés par des contrats qui leur imposent les volumes, la qualité et les conditions de production. Ils doivent fournir chaque année un volume donné de pommes de terre. S’ils ne sont pas capables d’honorer cet engagement, les sanctions sont variables : pénalités ou bien facturation par le transformateur des pommes de terre qu’il a dû acheter ailleurs. Les trois quarts des pommes de terre, en Belgique comme en France, sont produites par des « agriculteurs » sous contrat avec les groupes de transformation.

    Le développement de cette industrie a donc accéléré la disparition des agriculteurs en Europe, avant de faire la même chose dans les pays de destination des exportations européennes, en Amérique du Sud notamment.

    Pour conquérir ces marchés, les industriels font payer cher leurs produits sur le marché européen et pratiquent le dumping sur les marchés d’Amérique du Sud. Le Brésil et la Colombie ont adopté des mesures antidumping en 2017 et 2018 après avoir constaté que les prix de vente des produits européens sur leur marché étaient inférieurs de 18 à 41 % à ceux qui étaient pratiqués pour les mêmes produits vendus par les Belges ou les Allemands au Royaume-Uni.

    Ce dumping a eu des conséquences dramatiques pour les agriculteurs en Colombie ou au Pérou. Depuis l’entrée en vigueur des accords de libre-échange entre ces pays et l’Union européenne en 2013, les exportations ont grimpé en flèche. Celles de frites congelées ont augmenté de 915 % en Colombie, à tel point que les petits producteurs colombiens se sont mis en grève et ont exigé l’arrêt des importations de pommes de terre européennes.

    Des conséquences terribles pour l’eau, les sols et le climat
    La pomme de terre ne se développe que si elle trouve suffisamment d’eau dans le sol. Ce besoin d’eau augmente considérablement pour atteindre les rendements très élevés exigés par les industries de transformation, compris entre 40 et 50 tonnes à l’hectare, de surcroît avec des pommes de terre d’un calibre suffisamment gros pour se prêter aux besoins de l’industrie.

    C’est pourquoi l’irrigation des champs plantés en pommes de terre s’est beaucoup développée dans la région des Hauts de France, qui n’est pourtant pas réputée comme l’une des plus sèches du pays. Les problèmes, déjà très importants, de qualité de l’eau dans cette région, provoqués par une urbanisation et une industrialisation anciennes, s’en trouvent aggravés.

    Comment peut-on justifier le développement de telles pratiques agricoles alors que le changement climatique pose des problèmes de disponibilité de la ressource en eau de plus en plus importants y compris en France ?

    De plus, la culture de la pomme de terre intensive fait un usage immodéré des produits phytosanitaires pour lutter contre le mildiou et les autres maladies. Jusqu’à 20 pulvérisations de produits phytosanitaires par récolte sont nécessaires. En moyenne, 17,6 kilos de substances actives sont épandus par hectare en Belgique, contre 6,4 pour la betterave et 2,8 pour le froment.

    Les engins agricoles utilisés pour cette culture industrielle sont énormes, ils pèsent des dizaines de tonnes et contribuent à renforcer le tassement des sols qui fait obstacle à l’infiltration des eaux de pluie. À terme c’est tout simplement la capacité de production des sols qui sera affectée.

    Enfin, produire en Europe des pommes de terre que l’on transforme en frites surgelées auxquelles il faudra faire traverser l’océan Atlantique dans des bateaux réfrigérés représente une consommation d’énergie contribuant au changement climatique parfaitement aberrante et à laquelle il faudrait mettre fin sans délai.

    Les discours alarmistes sur la situation alimentaire d’une partie de la planète méritent d’être mis au regard de telles aberrations. En effet, la vente de pommes de terre européennes en Amérique du Sud n’a pas pour but d’assurer l’alimentation de populations sous-alimentées. Au contraire, elle ruine la possibilité des pays importateurs de produire leur propre alimentation grâce à une agriculture paysanne beaucoup moins polluante et plus conforme à l’orientation qu’il faudrait donner à l’organisation de notre société pour l’adapter aux changements climatiques en cours.

    L’Union européenne doit choisir entre les frites surgelées et le climat
    En même temps que les pays européens et la Commission européenne font de grands discours à Charm El-Cheikh à l’occasion de la COP 27 et protestent de leur engagement dans la lutte contre le changement climatique, ils mènent un combat acharné au sein de l’OMC en faveur de ce commerce aberrant des produits transformés surgelés issus de la transformation de la pomme de terre. Ce combat a payé puisqu’ils ont obtenu la condamnation de la Colombie par l’organisme de règlement des différends de l’OMC. Si la Colombie respecte cette décision scandaleuse, elle devra donc supprimer les droits de douane qu’elle avait instaurés, qui n’ont même pas suffi à protéger son marché intérieur. Quelques grands groupes internationaux continueront à faire de plantureux profits grâce à ce commerce qui représente l’exact opposé de ce que nos sociétés prétendent vouloir faire pour éviter la catastrophe annoncée.

    D’un côté, l’Union européenne fait des discours sans conséquences dans des conférences internationales, de l’autre elle défend des mesures bien concrètes pour développer le commerce international dans ce qu’il a de pire, au prix de la pollution des sols, de l’eau et de l’air, au bénéfice d’une activité économique inutile et destructrice.

    La COP 27 est focalisée sur les compensations financières qu’il faudrait accorder aux pays en développement au titre de la responsabilité passée des pays développés dans le changement climatique. Des promesses seront faites, comme elles ont déjà été faites dans le passé, et seront certainement tenues de la même façon.

    Mais le vrai sujet n’est-il pas de préparer l’avenir avant de réparer le passé ? Les pays développés devraient d’abord cesser de ruiner l’économie des pays moins riches, en faisant disparaître leur agriculture paysanne victime d’exportations à bas prix de produits transformés très consommateurs d’énergies fossiles. Faisons cela sans attendre, il sera toujours temps de parler des compensations financières.

    Nul besoin de mesures complexes, de contrôle international bureaucratique des tonnes de carbones émises ou économisées par les États signataires de la convention de l’ONU sur le climat. Il suffit de déclarer un moratoire sur le commerce international de tous les produits transformés surgelés issus de la pomme de terre.

    Pour atteindre cet objectif, pourquoi ne pas lancer une campagne mondiale de boycott des frites surgelées, dont la production n’est pas moins coupable que l’activité des groupes pétroliers du changement climatique ?

    Pourquoi ne pas suspendre l’activité de l’OMC jusqu’à ce que ses règles de fonctionnement aient été mises en cohérence avec les exigences de la lutte contre le changement climatique ? Cela permettrait aux États qui le souhaitent de relocaliser une partie de la production dont ils ont besoin et de remettre un peu de bon sens dans les échanges commerciaux internationaux.

    Puisque la mode est à la sobriété et aux petits gestes, épluchons nos pommes de terre fraiches pour les manger, ce sera bien meilleur dans nos assiettes et pour l’environnement que d’accepter de consommer ces horribles produits surgelés, d’ailleurs très indigestes.

    Quant à l’Union européenne, qu’elle abandonne immédiatement ses actions contre la Colombie qui a déclaré son intention de faire appel de la décision prise par l’OMC ! Si la Commission de l’UE ne le fait pas, elle confirmera la vacuité de ses discours sur le climat. Quelle belle surprise ce serait si elle profitait de la COP pour annoncer cette sage décision !

  • Métavers, vers l’exploitation virtuelle - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2022/10/18/metavers-vers-lexploitation-virtuelle/?loggedin=true

    Un article fabuleux sur l’économie politique du metavers.
    Par Dominique Boullier et Guillaume Guinard

    Sur la plateforme vidéoludique Roblox, des enfants de 13 ans gagnent des dizaines de milliers de dollars en programmant des expériences ou en spéculant avec de l’argent virtuel. Ce métavers qui existe déjà laisse présager la nature de celui, bien plus ambitieux, que développe actuellement la firme Meta : un espace de pseudo-liberté en vase clos, exploitant ses utilisateurs, où se déploie le pire du capitalisme dérégulé.

    Lorsque Facebook s’est lancé dans un changement de nom et dans la promotion d’un métavers générique, cela fut critiqué comme une opération de diversion face aux problèmes de réputation que l’entreprise devait subir depuis Cambridge Analytica et les Facebook Papers de Frances Haugen. Le flou de l’offre rendait pourtant difficile de savoir exactement quelle stratégie se cachait derrière cette annonce, même si l’insistance sur la performance technologique avec le casque 3D (Meta possède aussi la firme Oculus Rift) restait mise en avant en toutes occasions.
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    Nous avons insisté (dans Médiapart et AOC) sur une dimension rarement mise en avant, la prétention de Meta à devenir le système d’exploitation de l’internet mobile, contre la rente actuellement imposée par Apple (via iOS) et Google (via Android) sur toutes les applications. Cette frustration est régulièrement mise en avant par Zuckerberg mais elle va au-delà d’une question financière. Dans un livre blanc consacré à sa vision pour le métavers, Nick Clegg, responsable des affaires internationales de Meta et ancien Premier ministre adjoint du Royaume Uni, oppose ce modèle à celui des applications sur Internet, où les utilisateurs d’Apple et de Windows évoluent dans l’écosystème respectif de chaque entreprise.

    Il s’agit bien pour Meta de devenir le point de passage obligé de tout l’internet mobile, celui des objets, grâce à la 5G, et cela à travers la promotion d’un nouveau standard d’interopérabilité que serait le métavers, non réduit à des casques de réalité virtuelle fort incommodes mais avec des lunettes de réalité augmentée et à terme des hologrammes (déjà programmés dans la roadmap de la 6G).

    Il reste néanmoins difficile d’imaginer comment pourrait fonctionner un tel univers d’offres, qui devront rester multiples (comme le sont les magasins d’applications) car les projets Horizon développés par Meta ne pourront répondre à toutes les propositions de métavers, déjà existants pour nombre d’entre eux (Fortnite, SandBox, Minecraft, Decentraland, Second Life…). Certes, Meta s’est bien gardé de convoquer un consortium pour normaliser tout cela et encore moins d’utiliser les instances existantes de normalisation. Il a cependant constitué un groupement d’intérêt (XR Association) qui doit assurer un minimum d’interopérabilité technique.

    Dans tous les cas, l’enjeu pour Zuckerberg est de revenir au centre du jeu du nouveau réseau et de monétiser tous ses services autrement que par la seule publicité. Comment peut-il s’y prendre ? Comment attirer tous les créateurs comme c’est le cas pour les développeurs sur les app stores, et pour prélever une rente sur toutes leurs opérations tout en offrant une qualité de prestations qui rende l’offre de Meta incontournable ?

    Il se trouve qu’une forme de banc d’essai existe déjà, Roblox, petit monde virtuel devenu déjà grand et qui expérimente la captation totale d’un public de joueurs/créateurs dans un monde aux multiples « expériences » que les participants créent eux-mêmes. Nick Clegg considère que Roblox constitue un métavers à un « stade précoce ».

    #Métavers #Metaverse #Economie #Roblox #Travail

  • Le monde que nous vendent les banques d’images est terrifiant | Slate.fr
    https://www.slate.fr/societe/backstage/banques-images-formatage-stock-photos-illustration-uniformite-monde-realite-te

    Dans cet univers, on peut tomber par exemple sur une grand-mère enseignant à un groupe d’enfants blonds les secrets du « jeu du couteau entre les doigts » ou encore, comme le note l’article d’AOC, une femme bizarre qui jette des spaghettis dans une forêt, un internaute qui passe la main à travers l’écran de l’ordinateur et tape à l’envers pendant qu’un chat surpris regarde au loin…

    Vous pouvez croiser un Adolf Hitler épluchant des pommes de terre vêtu d’une nappe de pique-nique, un vieillard se servant de rouleaux de papier toilette comme de jumelles, un homme endormi sur un gâteau en guise d’oreiller, une femme à moitié nue les yeux bandés tenant une grenade avec une pieuvre dessus, un homme torse nu couvert de tatouages portant des ailes de papillon, un centaure perplexe confronté à sa mauvaise moitié... Sans oublier l’image devenue virale : « Women Laughing Alone with Salad ». Femmes riant seules avec une salade.