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    https://aoc.media/opinion/2019/11/26/simplismes-de-lecologie-catastrophiste-vraiment

    Simplismes de l’écologie catastrophiste, vraiment ?

    Par Fabrice Flipo
    Philosophe

    Dans une Opinion publiée récemment dans les colonnes d’AOC, le philosophe et théoricien du « catastrophisme éclairé » Jean-Pierre Dupuy réagissait à la popularité croissante de la collapsologie en en dénonçant les « simplismes ». Le philosophe Fabrice Flipo lui répond.

    Jean-Pierre Dupuy a récemment publié un article dans AOC qui a surpris, sur la forme comme sur le fond. Sur la forme, les mots envers les « collapsologues » sont durs : le « sobriquet » dont ils s’affublent est « horrible », les ventes de leurs livres « médiocres » et « militants » sont en partie suspendues à des « ficelles du marketing » dont « certaines sont franchement déplaisantes », leur vision est « caricaturale ».

    Sur le fond, alors qu’en effet les travaux du philosophe sont fréquemment convoqués par les collapsologues, Jean-Pierre Dupuy se désolidarise vigoureusement de ce compagnonnage, arguant d’un « flou conceptuel » « beaucoup plus grave » que le fait de se référer à ses ouvrages ou donner dans le spectaculaire, les auteurs collapsologues ayant beaucoup lu mais « pas forcément aux bonnes sources », et n’ayant « pas bien compris ».

    Avouons notre malaise, à la lecture de cet article. Jean-Pierre Dupuy admet que les collapsologues « attirent l’attention générale sur des problèmes considérables que les optimistes béats et le marais des indifférents qui forment encore la majorité de la population française balaient trop facilement sous le tapis ». Mais les approximations conceptuelles des « militants » sont jugées « (plus) graves », malgré tout.

    Le propos peut quand même étonner : Dupuy ne met pas en doute la perspective d’un effondrement, et l’on sait de longue date qu’il la prend au sérieux. Le philosophe affirmait ainsi en 2007 dans Esprit que « Oui, notre monde va droit à la catastrophe, j’en ai l’intime conviction […] Mon cœur se serre lorsque je pense à l’avenir de mes enfants et de leurs propres enfants, qui ne sont pas encore nés ». On aurait pu s’attendre à ce que le premier geste soit de saluer la bonne nouvelle d’une prise de conscience élargie de l’enjeu, qui restait jusque-là confinée à des cercles très étroits. Mais non, si Jean-Pierre Dupuy prend la plume, c’est surtout pour mettre en cause la dimension conceptuelle.

    Remarquons toutefois que la posture n’est pas nouvelle : Pour un catastrophisme éclairé, dont Jean-Pierre Dupuy convient qu’il avait été suscité par les effets d’une posture catastrophiste que l’auteur avait adoptée lors d’une communication au Commissariat Général au Plan (« qui fit son effet »[1]), soulignait également une urgence d’ordre conceptuelle, ce qui indique que la prise de position n’est pas simplement un mouvement d’humeur.

    La discussion qui s’engage avec ou plutôt contre les collapsologues puise immédiatement dans le parcours personnel de l’auteur, qui est très spécifique, et a relativement peu en commun avec ses interlocuteurs. Le texte contient beaucoup d’implicites, à notre sens, ce qui nous a poussé à réagir, il est vrai quelque peu aidé ou poussé en ce sens par une sollicitation de Jean Gadrey.

    Jean-Pierre Dupuy engage en effet sans tarder dans son article la définition d’un système complexe, renvoyant implicitement à ses travaux sur les années 1960 et 1970 autour de la naissance de la cybernétique et des sciences cognitives. La complexité favorise-t-elle la stabilité des systèmes ou est-ce le contraire ? S’en suit une longue discussion expliquant que les systèmes complexes peuvent aussi être résilients, ce que l’on admet volontiers, mais là n’est pas le propos, nous semble-t-il : il est que Jean-Pierre Dupuy lui-même ne s’embarrassait pas de telles précautions quelques années avant, ainsi dans la citation relevée dans Esprit, ci-dessus, évoquant son « intime conviction ».

    Quel est le but, finalement, de cette argumentation qui tend à montrer finalement qu’en matière de catastrophe, rien n’est sûr ? Si rien n’est sûr, alors, si les systèmes complexes sont résilients, pourquoi s’en faire ? On ne comprend pas bien.

    De leur côté, que font les « militants », finalement, sinon reprendre l’argumentation du « coeur qui se serre » et de « l’intime conviction » ? Ils ne font pas un long exposé sur les systèmes complexes, ce n’est pas leur propos, leurs livres ne sont pas un manuel sur le sujet, ni ne cherchent à mener cette « discussion ardue » qui serait un préalable ; discussion ardue au terme de laquelle le grand public aura été perdu en cours de route, se révélant donc contre-productive (au sens usuel, et non au sens d’Illich, que Dupuy connaît bien).

    A quoi sert alors de relever soigneusement les variations de diagnostic des collapsologues, savoir si la catastrophe est « probable », « possible » etc. L’intime conviction et « le coeur qui se serre » ne suffisent-ils pas ? Pourquoi tant d’acrimonie ?

    Ce que Dupuy reproche aux collapsologues est de trop insister sur la question de la certitude de la catastrophe, et pas assez sur le fait qu’elle n’est qu’une possibilité parmi d’autres.

    Proposons une réponse, dont nous verrons peut-être à une éventuelle réaction de Jean-Pierre Dupuy si elle est juste. Une première explication est qu’en effet les collapsologues mésinterprètent le catastrophisme éclairé, du moins en apparence, et qu’ils semblent en effet tomber dans les travers critiqués par Dupuy, dans la mesure où le catastrophisme éclairé se construit en réalité contre le catastrophisme, et non pas en sa faveur.

    Le catastrophisme consiste à agiter la venue d’une catastrophe. Jean-Pierre Dupuy cherche à substituer une alternative, éclairée. Celle-ci consiste à se placer d’un point de vue extérieur à un système complexe (le nôtre, internet, les écosystèmes etc. comme évoqué dans l’article d’AOC), pour en jauger l’évolution, c’est-à-dire le destin. De là seulement il est possible de tirer une « intime conviction » : la trajectoire de notre système est pour le moins catastrophique.

    À partir de là, il est possible d’agir différemment, pour que cette trajectoire ne se produise pas. Le temps du catastrophisme éclairé est le futur antérieur. Sa tonalité n’est pas celle de l’émotion. Il se place dans l’avenir éloigné et regarde comme un passé ce qui est notre avenir proche. C’est une déclinaison du scénario du pire, proposé par Hans Jonas, et plus généralement des exercices classiques de scénarisation, comme il en existe de nombreux depuis le rapport du Club de Rome. Le GIEC en a produit beaucoup, tout comme le Rapport du Millénaire sur les Ecosystèmes.

    Ce que Dupuy reproche aux collapsologues est de trop insister sur la question de la certitude de la catastrophe, et pas assez sur le fait qu’elle n’est qu’une possibilité, dépendante de la persistance d’un système particulier, parmi d’autres possibles. Les collapsologues ne sont pas assez « métaphysiques » ; ils restent dans la physique d’un système. Dupuy, lui, insistait bien, dans son ouvrage : le catastrophisme éclairé consiste à croire à la certitude de la catastrophe dans un destin possible (p.13), parmi d’autres, pas simplement de croire à la catastrophe. La différence est essentielle : la catastrophe ne se produit que si on entreprend telle ou telle action. Dans ce cas, et uniquement dans ce cas, la catastrophe doit être tenue pour certaine.

    On dira : mais comment une certitude peut-elle être simplement possible ? C’est la question que pose par exemple Jean Gadrey. L’explication est relativement simple, mais la démonstration n’est pas si facile à faire. La certitude ne concerne qu’une trajectoire possible du système, pas toutes les trajectoires ; elle ne concerne que la trajectoire d’un système, pas celle de tous les systèmes. La certitude n’est que potentielle, pas actuelle.

    C’est une « attitude philosophique » (p.81) qui se rapproche presque de la théorie des jeux, dans laquelle Jean-Pierre Dupuy puise beaucoup, dans Pour un catastrophisme éclairé. Elle implique la capacité à se projeter dans plusieurs avenirs possibles, qui sont autant de jeux possibles. Les acteurs, s’ils acceptent de prendre au sérieux les conséquences catastrophiques possibles d’un jeu donné, dans lequel ils sont pris, voient alors l’intérêt d’un autre jeu, c’est-à-dire d’une autre action. La certitude est donc hypothétique, dans la mesure où elle est liée à un jeu ou système parmi d’autres, et non au seul jeu ou système possible, raison pour laquelle elle peut être écartée, comme un destin funeste que l’on dépasse, en l’ayant évité. Il s’agit de « prévoir l’avenir pour le changer » (p.161), parce que l’avenir est pluriel, comme les jeux ou les systèmes.

    Ce qui manque est l’imagination : arriver à imaginer à la fois de manière assez concrète le système actuel et ses déterminants, et un autre système, avec d’autres déterminants.

    Jean-Pierre Dupuy donne en outre une dimension positive à la catastrophe : sa force négative est mobilisatrice – pour changer de jeu. Il fait le parallèle avec la dissuasion nucléaire, problème sur lequel il a également travaillé : ce qui force les acteurs à ne pas se détruire mutuellement, c’est la certitude de pouvoir le faire, la certitude de la catastrophe : ce n’est pas la catastrophe elle-même, qui ne se produit pas et, dans ce raisonnement, ne se produit jamais. À ce titre Dupuy est sans doute aux antipodes d’un Gunther Anders (L’obsolescence de l’homme, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2002), pour qui l’existence de la bombe implique la certitude d’une catastrophe, raison pour laquelle nombreux seront ceux qui n’accepteront pas le parallèle opéré par Dupuy – mais c’est un autre débat.

    La relecture du Catastrophisme éclairé montre cependant que l’ouvrage n’est pas toujours très clair, dans la mesure où il procède souvent par l’implicite en matière de systémique ou de théorie des jeux, un peu comme dans l’article. L’argumentation de Dupuy a en outre une faiblesse, à notre sens : elle ne va pas jusqu’au bout, à plusieurs titres, et c’est là aussi, et peut-être surtout, que des désaccords possibles existent avec les collapsologues.

    Une première limite consiste à observer que les sondages semblent indiquer que le grand public (au sens sondagier) est relativement convaincu de la catastrophe, et depuis longtemps (au moins 2006, date du début des sondages), en matière de changement climatique[2]. L’obstacle n’est peut-être pas que « l’impossible » soit considéré comme « incertain », en réalité, au sens où nous considérerions que la catastrophe est impossible ; obstacle que nous devrions surmonter, pour accepter sa possibilité, puis examiner sa certitude. La possibilité d’une trajectoire catastrophique du système actuel est tout à fait acceptée.

    Le sondage indique par contre que le grand public ne sait pas réellement où sont les émissions de GES ni quelles sont les solutions pour les réduire. Ce qui manque, c’est donc la figuration concrète du système, tel qu’il est, et encore plus la figuration d’un autre système possible, à tous les niveaux de gouvernement du quotidien, ce qui permettrait à la fois de relier les émissions à un système et de se placer du point de vue d’un autre système possible.

    C’est peut-être là qu’est le problème en réalité : non pas admettre comme une possibilité voire une certitude que le système actuel comporte une trajectoire catastrophique, mais, pour actionner une posture de catastrophisme éclairé conséquente, le faire depuis un autre système qui, lui, ne mènerait pas à une issue catastrophique. Ce qui manque est l’imagination : arriver à imaginer à la fois de manière assez concrète le système actuel et ses déterminants, et un autre système, avec d’autres déterminants. Autrement dit la métaphysique de Jean-Pierre Dupuy reste largement désincarnée, comme le sont d’ailleurs les analyses systémiques, en règle générale. Elles n’imaginent pas : elles fonctionnent, ce qui est bien différent.

    L’imagination est ce qui rendrait possible le catastrophisme éclairé. Le parallèle de la dissuasion nucléaire le montre, tout en soulignant les faiblesses : il est en effet très facile d’imaginer un monde sans attaque nucléaire massive. C’est depuis ce monde, et même en son nom, que l’on peut mettre en échec le déclenchement des armes. Mais que serait le monde sans gaz à effet de serre ? Voilà qui est plus difficile, et souligne le rôle de l’imagination.

    Les collapsologues semblent en tirer les conséquences pratiques. Ils mettent en avant la question des récits et en effet l’imagination prend la forme du récit, de manière privilégiée. Ce n’est pas un hasard s’il est question de « l’événement anthropocène », et de l’enjeu de construire des récits alternatifs. Des récits au futur antérieur, certes, mais vivants. L’obstacle est moins de ne pas parvenir à se situer dans l’avenir pour concevoir la catastrophe que de se défaire des récits qui structurent l’espace public, dont il est difficile de déroger, en pratique, tant leur maintien et leur contrôle est l’œuvre de toutes les attentions de la part des vendeurs de solutions (les grandes entreprises) et des faiseurs d’agenda.

    Les travaux de James C. Scott sur l’existence d’un texte public peuvent être convoqués dans cette perspective : l’auteur montre que les dominés tiennent en l’absence des dominants un discours bien différent, tel que celui qui éclate avec les Gilets Jaunes. Jean-Pierre Dupuy ne développe pas ces aspects, il ne pointe pas la difficulté. Se placer dans l’avenir ne suffit donc pas : il faut aussi se placer hors du système, et donc dans un autre système, qui soit suffisamment imaginé, et de manière suffisamment répandue, pour acquérir de la certitude.

    L’enjeu est moins de rendre l’impossible certain (sous-titre du Catastrophisme éclairé) que d’abattre les murs de l’inimaginable, du TINA, pour faire en sorte qu’un autre système soit conçu non seulement comme possible, mais comme certain (dans la même logique que celle de l’évitement « éclairé » de la catastrophe). La célèbre sentence de Zizek, suivant laquelle la fin du monde est plus facile à imaginer que la fin du capitalisme, va tout à fait dans ce sens : la fin du monde est finalement relativement facile à imaginer, et c’est même peut-être pour cette raison que les collapsologues ont du succès.

    Les collapsologues peuvent donc aussi être vus comme ceux qui vont compléter la démonstration de Jean-Pierre Dupuy, la prolonger, y compris dans le grand nombre, et non la trahir.

    Mais comment imaginer la fin du capitalisme, du système ou du jeu en place ? Là est la jambe manquante du catastrophisme éclairé. Qu’un autre système soit accessible de manière certaine (à la manière de la certitude de la catastrophe) est le point « métaphysique » à partir duquel le catastrophisme éclairé peut s’organiser et se mettre en œuvre. Sans cela, il reste une analyse peu opérante. Or les collapsologues travaillent aussi à cet imaginaire, à cet autre monde possible, avec bien d’autres : c’est rendre justice à leur positionnement que de le souligner.

    Ils remettent en quelque sorte le catastrophisme éclairé sur ses pieds. Les collapsologues peuvent donc aussi être vus comme ceux qui vont compléter la démonstration de Jean-Pierre Dupuy, la prolonger, y compris dans le grand nombre (politique), et non la trahir. Ils sont également la partie minoritaire, dominée, qui se heurte à un discours dominant. Cette question de la domination est également absente du Catastrophisme éclairé.

    La question est alors de savoir qui porte cet autre système, de manière crédible ? Où est le sujet de l’histoire porteur d’une perspective nouvelle, à l’instar du prolétariat d’autrefois ? Sans un tel sujet, sans un tel récit, le catastrophisme éclairé restera une posture « philosophique », en effet, c’est-à-dire, ici, individuelle. Chacun pourra bien se voir aller vers la catastrophe, mais sans rien pouvoir entreprendre sinon des actions très locales, qui n’ont guère de chances de changer le système. Les collapsologues lisent peut-être mal, mais le texte n’est pas si clair qu’il le prétend.

    Mais cette perspective d’un nouveau récit qui serait repris par le plus grand nombre est peut-être une autre raison pour laquelle les collapsologues s’attirent les foudres de Jean-Pierre Dupuy. Le philosophe est un grand lecteur de René Girard, théoricien de la foule mimétique. Pour résumer brièvement, Girard fait reposer l’hominisation sur l’émergence d’une rivalité mimétique potentiellement sans limites, engendrant la violence ; celle-ci trouve sa solution dans la désignation relativement arbitraire d’un bouc émissaire, dont le sacrifice unit et apaise le groupe, qui retrouve la paix.

    L’ordre social est donc toujours plus ou moins guetté par ce phénomène, qui porte également le nom d’envie[3]. Jean-Pierre Dupuy focalise d’ailleurs ses critiques sur les dimensions émotionnelles du débat (le marketing, le succès etc.), et nous comprenons maintenant un peu mieux pourquoi. Dans Pour un catastrophisme éclairé également, il estimait que Jonas était dans l’erreur, en réduisant le problème à celui d’un poids insuffisant accordé à la perspective de la catastrophe, dont la teneur est émotionnelle (p.200).

    Le lien avec le mimétisme est assez clair. Celui-ci ne se déclenche que par l’émotion. Les collapsologues, qui procèdent de l’émotion et non de la raison, en voulant donner toujours plus de réalité à la catastrophe, amorcent le mécanisme mimétique. Devant le Mal commun, chacun va accuser les autres, et c’est déjà un peu le cas, entre les riches qui accusent les pauvres et les pauvres qui accusent les riches. Cette rivalité mimétique risque de déboucher sur un bouc émissaire, en plus de provoquer la catastrophe écologique. La posture rationaliste du catastrophisme éclairé veut éviter cela.

    Les collapsologues lisent peut-être mal, mais les thèses de Jean-Pierre Dupuy ne sont pas si limpides.

    Le problème est qu’il entre assez largement en contradiction avec la solution que Jean-Pierre Dupuy propose dans Libéralisme et justice sociale. Il soutient dans ce livre que le libéralisme est le régime qui refuse l’envie, et refuse de sacrifier l’individu à un Tout (p.43), quel qu’il soit. Le philosophe s’appuie sur une lecture de Rawls qui emprunte également largement à Louis Dumont ; mais pour aller au plus court dans cet article retenons que Jean-Pierre Dupuy met en avant trois modèles de justice sociale (p.192-194) : le modèle conservateur (jugé « disparu »), le modèle de l’individualisme méritant, et enfin le modèle « critique » et « démystificateur », incarné par Bourdieu, jugé n’opérer que « négativement », dans une attitude « nihiliste » (p.193).

    Le livre se conclut sur les vertus du marché entendu comme « bonne réciprocité » (p.309) pour contenir les phénomènes mimétiques. Jean-Pierre Dupuy est tendu contre l’apparition de foules « et donc » de chefs. Le marché contient la contagion et la panique, dans les deux sens du mot « contenir » : la panique est là mais elle est endiguée. Cette perspective de la panique, liée à l’émotion, n’est-elle pas, dans le fond, ce qui inquiète Jean-Pierre Dupuy, avec la collapsologie, comme elle l’inquiétait chez Jonas ? C’est probable.

    Cependant cette critique des « critiques » et la défense du marché ne s’empêche-t-elle pas dans le même temps d’envisager un autre système ? Rien ne serait concevable sans le marché, ou plus exactement sans un ordre qui empêche le social de sombrer dans l’anarchie, toujours menaçante. Le problème est que le marché libéral va croissant, et non décroissant (au sens du PIB). Le marché libéral est donc précisément le système qui mène à la catastrophe. Refuser toute autre perspective que le marché, tout en exhortant à sortir du système, au nom des Lumières (qui éclairent), est contradictoire, ou du moins inachevé. De là peut-être certaines « erreurs de lecture » des collapsologues, dont on rappellera de nouveau qu’ils ne sont pas des philosophes, et qu’ils n’ont donc pas le « background » de Jean-Pierre Dupuy.

    Refuser toute fusion sartrienne, toute « effervescence » durkheimienne, n’est-ce pas finalement refuser toute alternative, et donc toute mise en œuvre concrète du catastrophisme éclairé ? Les collapsologues lisent peut-être mal, mais les thèses de Jean-Pierre Dupuy ne sont pas si limpides, à nouveau. D’autant que la vision girardienne est contestée, tout comme la thèse sur les foules. L’écologisme propose depuis longtemps une vision très différente des foules, très éloignée de la vision girardienne, au travers notamment des travaux de Serge Moscovici.

    Il est probable également que ce soit cette conception-là qui soit au fondement des analyses collapsologiques, et non René Girard. Il est probable également que leur analyse de Bourdieu et des thèses « critiques » en matière de justice sociale ne leur paraissent ni si faciles à écarter, ni si « nihilistes » que Jean-Pierre Dupuy l’affirme.

    Les faits démontrent cependant que Jean-Pierre Dupuy n’a peut-être pas tout à fait tort. Il est frappant en effet de constater que le mouvement Extinction Rebellion se revendique non pas de Marx mais de l’écopsychologue Joanna Macy, également spécialiste du bouddhisme. Celle-ci tient des propos assez surprenants : selon elle, il n’y a pas d’ennemis, « nous sommes tous concernés », l’enjeu est d’abord spirituel, dans une relation à soi. Cela ne revient-il pas à endiguer le risque de bouc émissaire, mais en sortant du marché ? C’est une lecture possible, qui accrédite à la fois la lecture de Jean-Pierre Dupuy tout en réfutant l’unicité de sa solution (le marché).

    En effet l’approche de Macy est très différente du rationalisme de Jean-Pierre Dupuy : elle parle plutôt de rituels et de travail sur soi, dimensions qui ont toujours été présentes dans le mouvement écologiste, du reste. Macy est connue dans les communautés de type Findhorn depuis des décennies. Elle réactive l’ambiguïté du concept de « religion », entre religion civile et recours au surnaturel – car elle n’invoque aucun surnaturel. C’est également un point que nous avions souligné dans nos travaux.

    Et s’il s’agissait précisément d’une domestication de l’imagination et de l’ordre collectif ? La construction d’un autre système, reposant donc sur d’autres normes que celles du calcul libéral ? Un autre système qui ne serait pas « religieux » pour autant ? Macy évoque « un travail qui relie » avec le vivant, une sorte de travail non-libéral, qui a des accents de catastrophisme éclairé, quand elle affirme par exemple que « si un monde vivable doit exister pour ceux qui nous suivront, ce sera parce que nous aurons réussi à opérer la transition entre la société de croissance industrielle et une société qui soutient la vie. Quand ils se retourneront sur ce moment historique, ils verront, peut-être plus clairement que nous maintenant, à quel point il était révolutionnaire… » [4]. C’est la question d’un fondement anti-utilitariste du social que Marcel Mauss a posée depuis déjà bien longtemps, et qu’il conviendrait de creuser davantage.

    Bref, plutôt que de verser dans l’invective, il est de bonnes questions à poser, si l’on veut avancer…

    [1]Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002, p. 9

    [2]https://www.ademe.fr/representations-sociales-changement-climatique-19-eme-vague, notamment la p.15 : 60 % de la population estime que « Les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques » et à peu près autant pensent que « Il faudra modifier de façon importante nos modes de vie pour empêcher l’augmentation changement climatique »

    [3]Le sous-titre du livre que Jean-Pierre Dupuy consacre au libéralisme et à la justice sociale est : le sacrifice et l’envie (1992). Jean-Pierre Dupuy, Libéralisme et justice sociale, Hachette, 1992.

    [4] Soigner l’esprit, guérir la Terre, Introduction à l’écopsychologie, Labor et Fides, 2015, p. 23-24.

    #collapsologie #Jean-Pierre_Dupuy #Fabrice_Flipo
    Je poste maintenant pour lire plus tard.
    @sinehebdo @rastapopoulos @tranbert

    • C’est un texte très intéressant. La question que je me pose, c’est : est-ce que le collapsologisme encourage à agir pour éviter la catastrophe ? Si oui, très bien. Sinon...

      Comme je disais dans le com du texte de Dupuy
      https://seenthis.net/messages/807237

      J’ai une amie de 50 ans, militante écolo depuis la fac [et par ailleurs amie de Flipo], qui m’a dit que son impression, c’est que les gens ne voulaient pas s’engager dans des démarches écolos parce qu’ils niaient l’importance du truc et que maintenant avec les collapso ils ne s’engagent toujours pas parce que de toute façon « on ne peut plus rien faire ». On est passé d’un refus d’agir à un autre, toujours super bien justifié.

      Les écolos ont toujours eu une meilleure réception que les autres radicaux : ce qu’ils disent n’est pas tout à fait faux et en plus tout le monde est touché, sauf à pouvoir se payer le voyage vers Mars. Mais même quand une majorité de personnes sait qu’il faut changer (ici Flipo cite le chiffre de l’Ademe de 60 %), il ne se passe rien politiquement parce que d’une les perspectives politiques sont bouchées par le gouvernement représentatif et les élites économiques qu’il sert et parce que de deux ça n’invite pas à d’autre action d’individuelle ou semi-collective, les alternatives écolos. S’affronter à la fuite en avant productiviste qui sert les besoins capitalistes, c’est comme dit l’autre, moins facile à imaginer que la fin du monde.

  • Simplismes de l’écologie catastrophiste | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/10/21/simplismes-de-lecologie-catastrophiste

    Les « collapsologues », ces militants écologistes qui prophétisent l’effondrement certain de la civilisation industrielle, ont le vent en poupe comme en témoigne le succès populaire de leurs livres. Mais s’il y a effectivement péril en la demeure, ceux qui le clament sont parties prenantes de la panique qui désormais s’installe selon #Jean-Pierre_Dupuy. Le théoricien du « #catastrophisme_éclairé » remet ici les choses au point face à ce qu’il considère comme un flou conceptuel dangereux.

    En résumé : « Annoncer que la catastrophe est certaine, c’est contribuer à la rendre telle. Ce qu’il faudrait, c’est annoncer un avenir destinal qui superposerait l’occurrence de la catastrophe, pour qu’elle puisse faire office de dissuasion, et sa non-occurrence, pour préserver l’espoir. »

    Je n’arrivais pas à l’exprimer comme ça avant de lire enfin ce (court) texte de Dupuy. Brillant !

    • De là à prétendre qu’avant 2030 il est certain que la civilisation industrielle se sera « effondrée », au sens qu’une série de catastrophes, principalement climatiques, auront éliminé la moitié de la population mondiale en moins d’une décennie

      J’aimerais savoir qui a dit ça, concrètement ? Il donne pas de sources. J’ai souvent l’impression que pour critiquer la collapsologie, ya plein d’homme de paille. Par ex pour ce qui est des auteurs centraux, moi j’avais plutôt lu et entendu qu’ils ne « prophétisent » rien, puisqu’ils disent justement qu’on y est déjà dedans, que c’est déjà commencé ! Que ya pas de date précise, que ça va prendre un moment, mais que c’est pas du tout « pour plus tard », on est déjà entré dans le cycle très concrètement. Y compris dans nos pays super-industriels, mais encore plus quand on regarde ailleurs, moins occidentalo-centré. Du coup ya des critiques qui tombent à l’eau.

    • @rastapopoulos Yves Cochet court tous les plateaux télé en ce moment pour donner des dates et il donne 2030 comme date d’effondrement généralisé (ou 2036 selon les moments et parfois il précise qu’il n’est pas à 5 ans près). Cela vire un peu au ridicule, d’autant plus qu’il a fait le coup il y a 15 ans (en annonçant 2010/2015). Note : il finira probablement par avoir raison un jour mais en attendant son discours est effectivement complètement démoralisant.

    • Mais ce n’est PAS Yves Cochet qui parle de collapsologie du tout, lui il a toujours été dans le catastrophisme uniquement depuis plus de 20 ans et sans parler de sujets aussi transversaux comme les livres de Chapelle-Servigne-Stevens. Du coup si on parle vraiment de collapsologie en particulier (et non pas juste de catastrophisme, de millénarisme), il faut revenir aux auteurs de base, et si on veut les critiquer, c’est en s’appuyant sur leurs productions (livres mais aussi conf, interviews).

    • Il n’y a pas que l’effet de serre qui m’inquiète, il y a aussi l’effet de secte (pas pu m’empêcher sic) que la collapsologie génère. Une forme de regroupement de ceux qui espèrent survivre et qui se fait sous l’égide des sachants collapsologues … une nouvelle mode où l’organisation d’#artistocratie_élective semble bien demeurer sans réel questionnement politique et qui génère du profit pour ceux qui sont en haut de l’échelle.
      J’entends parler de sachants collapsologues qui prennent la tête d’investisseurs qui rachètent des terres pour se préparer à l’effondrement, why not. Mais ça ne semble pas ouvert à tout le monde (milieux sociaux, aisance financière, culturelle etc). Non seulement l’interprétation de la « fin du monde » sera toujours sujette à fantasmes mais ça génère aussi de nouvelles croyances. Dès que j’ai un peu plus approfondi, notamment sur Servigne, je reviendrai sur ces nouveaux gourous/prophètes/jésuscrieurs

      Je vois bien un dessin que je nommerai « guerre de chapelles » ou des vendeurs derrière leurs étalages se pouilleraient. « Quoi ? elle est pas fraîche ma fin du monde ? »

    • @rastapopoulos Servigne a aussi déjà donné des dates relativement précises aussi (comme Cochet, il pense que tout va se planter avant 2030)

      En juillet 2017, Pablo Servigne, qui se définit aujourd’hui comme « in-Terre-dépendant », estimait au micro de la RTBF que le collapse était « très probable avant 2020, et sûr avant 2030 ».

      https://usbeketrica.com/article/lanceurs-d-alerte-ou-survivalistes-sectaires-qui-sont-vraiment-les-coll

      De plus Servigne et Cochet sont quand même assez proches (postface du bouquin de l’autre, articles communs dans la presse...). Je ne vois pas de raisons de ne pas les classer dans la catégorie des collapsologues (qu’on les trouve bons ou pas dans le domaine).

      Ceci dit je suis assez d’accord pour dire que nous sommes déjà au commencement de cet effondrement mais ça me semble impossible de dire à quel moment exact tout se sera vraiment cassé la gueule, je ne vois pas quel intérêt il y a à sortir des chiffres aussi précis, à part se retrouver comme un idiot quand la grande catastrophe se fait finalement attendre (et ne plus être pris au sérieux).

    • J’ai une amie de 50 ans, militante écolo depuis la fac, qui m’a dit que son impression, c’est que les gens ne voulaient pas s’engager dans des démarches écolos parce qu’ils niaient l’importance du truc et que maintenant avec les collapso ils ne s’engagent toujours pas parce que de toute façon « on ne peut plus rien faire ». On est passé d’un refus d’agir à un autre, toujours super bien justifié.

      Je ne vois pas l’intérêt de ne pas se suicider tout de suite si on n’imagine pas, comme dit Dupuy, qu’il soit aussi possible d’échapper à la catastrophe. Il a beaucoup donné un exemple très « avec ou sans », le nucléaire, mais en matière de climat chaque degré est dû à notre action ou à notre inaction alors oui, il est toujours possible d’atténuer les 7° en 2100. Je dis ça pour vous qui avez des gosses, moi je m’en fous...

    • Pour info/ajout (article daté du 29 octobre 2019) :

      Pour les collapsologues, ce choc est un passage obligé. C’est « la prise de conscience » qui suit « le déni » de ceux qui réfutent leur thèse. « Ce déni est ce qu’il y a de plus raisonnable, reconnaît Yves Cochet. C’est trop dur de croire à la fin du monde. » D’autant que, de tous les scénarios, le sien gagne haut la main la palme du plus terrifiant. Mais ses prédictions ne font pas l’unanimité. S’ils saluent son rôle pionnier, les « collapso » le trouvent souvent « caricatural à force de donner des dates trop précises » et trop « radical ». À commencer par leur chef de file, Pablo Servigne, qui égratigne le père. « Son livre est intéressant, mais ce n’est pas ma sensibilité, dit-il. Ça me gêne qu’il n’avance qu’un scénario. Et puis les émotions en sont absentes : on doit prendre soin des gens, comme un médecin annonçant une mauvaise nouvelle. Même s’il fait réfléchir. »

      « On va vers le pire » : enquête sur les collapsologues qui prévoient la fin du monde
      https://www.lejdd.fr/Societe/les-collapsologues-prophetes-de-lapocalypse-3927841

  • Jean-Michel Blanquer en président de l’Éducation nationale | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/09/23/jean-michel-blanquer-en-president-de-leducation-nationale

    Depuis sa nomination, Jean-Michel Banquer a mis les neurosciences et le numérique au centre de sa politique de réforme. Mais au lieu d’y puiser des éléments de connaissances et des pratiques utiles aux enseignants, ces axes font l’objet d’une instrumentalisation technocratique visant à reformater un système jugé trop indépendant. La tradition républicaine de liberté pédagogique des enseignants, perçue comme une incitation à la désobéissance, se trouve frontalement contestée par ce processus de verticalisation au profit de celui qui se conduit de plus en plus en président de l’Éducation nationale.

    À constater l’alliance « technos + neuros » à l’œuvre sous Blanquer – aboutissement spectaculaire de tendances plus discrètes déjà anciennes –, on peut s’interroger pour savoir si l’École française a bien la République qu’elle mérite. Les hauts technocrates ont l’habitude d’aborder la question à l’envers en culpabilisant l’École qui ne serait pas conforme à leur vision de la République. Historiquement le « lire-écrire-compter », une antienne reprise par l’actuel ministre, n’est pas républicain. Il appartient à François Guizot et à la Monarchie de Juillet. Les fondateurs de la IIIe République en critiquèrent les limites en regard des besoins d’éducation des enfants et de la jeunesse. Avec notre Ve République et les derniers quinquennats qui se sont succédé, l’évolution néolibérale des hauts technocrates au sommet de l’exécutif a achevé sa mue. Ils sont désormais partout aux affaires, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’État. Cette omnipotence explique qu’un Blanquer se conduise en président de l’Éducation nationale.

    #Education #Neurosciences #Scientisme #SHS #Numérique_éducatif

  • Le souffle des communs sur l’école : pour une formation à la participation | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/07/04/le-souffle-des-communs-sur-lecole-pour-une-formation-a-la-participation

    Dans les faits, nos villes et nos campagnes regorgent d’initiatives citoyennes ou de réseaux coopératifs. Il existe de multiples expressions du désir de participation à des projets collectifs comme les jardins partagés des Incroyables Comestibles ou les fablabs dans lesquels se croisent artistes, bricoleurs et férus de programmation. De leurs côtés, le monde politique et le monde de la culture, à travers les centres scientifiques ou culturels, les musées et les bibliothèques s’emparent aussi de la question de la participation des publics.

    Mais cela reste encore très difficile de prendre en compte la parole des participants ou de proposer des actions qui n’enferment pas le public dans une forme d’entre soi culturel. Il est complexe, en effet, de penser des dispositifs qui autorisent une réelle expression citoyenne. Par ailleurs, certains publics ne se donnent pas toujours le droit à la participation. En tant que professeures documentalistes de collège, nous pensons que l’école a là un rôle de formation essentiel à jouer. Et la pensée des communs qui se diffuse depuis quelques années apporte à notre réflexion des pistes pédagogiques pour concevoir l’appropriation culturelle comme un outil d’émancipation et de justice sociale.

    Nous pensons que ces capacités à participer à la vie d’une communauté peuvent s’apprendre à l’école. Une mission importante de l’école est d’offrir à tous les mêmes ressources et les mêmes opportunités d’apprentissage tout au long de la vie. Cela implique la transmission de savoirs fondamentaux indispensables (lire, écrire, compter), de savoirs culturels (culture générale commune) et de savoirs critiques utiles à la participation démocratique. Cela nécessite aussi le développement de compétences telles que la capacité à vivre avec autrui dans le respect de ses convictions, la capacité à être créatif, l’autonomie, ainsi que la capacité à apprendre tout au long de la vie. Ces apprentissages doivent se penser non séparément mais ensemble, au sein d’activités et de séances complexes qui demandent le développement de l’esprit en même temps que la personnalité des élèves.

    « L’école du partage » que nous proposons est une école qui cherche à combattre l’entre-soi culturel et à garantir à chacun le besoin, l’envie ou la capacité d’une participation et d’un engagement actif dans la société. Elle se réfléchit tout autant dans les savoirs qu’elle doit transmettre, des savoirs adaptés aux évolutions technologiques, que dans les formes de cette transmission. Pour que cette formation à la participation ne reste pas un voeu pieux, nous proposons, portées par la pensée des communs, des pistes pour élargir la réflexion pédagogique.

    Favoriser l’étude de controverses
    Convaincues par l’idée que participer c’est savoir porter une voix, un avis, une opinion sur des sujets complexes, nous proposons aux élèves dans le cadre des cours d’éducation aux médias et à l’information, d’étudier des sujets à controverse.

    Soutenir les relations entre élèves
    Pour autant, nous ne nous contentons pas de travailler les problématiques liées au partage des connaissances dans le cadre de séances consacrées à l’étude des outils numériques tels que Google, Wikipédia ou Youtube. Pour qu’elles prennent véritablement sens à leurs yeux, ces notions et valeurs doivent être familières dès le plus jeunes âge. C’est une des raisons pour lesquelles nous encourageons le développement des relations interpersonelles.

    Assurément rien de neuf ! Dans son ouvrage La métamorphose de l’école : quand les élèves font la classe, Vincent Faillet montre que l’école, au 19ème siècle avec les écoles mutuelles, abandonnées par la suite, avait réussi à concevoir un système d’instruction basé sur les relations entre élèves. L’apprentissage par interactions entre pairs a été exploré ensuite par les pédagogues des pédagogies coopératives, notamment dans le courant de l’Éducation Nouvelle. Son efficacité est aujourd’hui validée par les recherches en science cognitives. Ce sont aussi des méthodes portées par les mouvements d’éducation populaire notamment les réseaux d’échanges réciproques de savoirs initiés par Claire et Marc Heber-Suffrin dans les années 70.

    Accompagner l’émergence d’une culture transformative
    Réfléchir à une formation à la participation c’est comprendre comment les connaissances individuelles s’appuient et s’enrichissent toujours sur les connaissances des générations antérieures. C’est donc réfléchir à la question de l’appropriation des savoirs. Même le plus autodidacte des individus n’apprend jamais seul, mais en consultant les oeuvres d’individus qui l’ont précédé. C’est le cas pour les connaissances scientifiques. C’est aussi le cas pour les pratiques culturelles : elles s’appuient toujours sur des oeuvres héritées qui sont lues, vues ou écoutées, et qui inspirent de nouvelles productions. Avec le numérique, on assiste au déploiement d’une culture transformative qui utilise les oeuvres existantes pour en créer de nouvelles.

    Cette culture transformative s’accompagne souvent de la création de communautés en ligne autour de remix musicaux, d’écriture de fanfictions ou de détournement d’images. Il existe par exemple de très nombreuses versions d’Harry Potter en ligne sur Wattpad écrites et lues par une communauté de fans. Les musées, de plus en plus, incitent les publics à remixer et détourner les oeuvres de leur fonds pour les faire vivre. Mais là encore, qui participe à ces projets en dehors des publics déjà sensibilisés ?

    Développer le pouvoir d’agir
    Ces dispositifs s’inscrivent dans notre volonté de renforcer le pouvoir d’agir des individus (traduction du vocable anglais empowerment). S’il vise à augmenter leur capacité à participer à la vie collective, on imagine aisément les limites d’un pouvoir d’agir uniquement basé sur le développement individuel, les intérêts des uns entrant en conflit avec ceux des autres. Le pouvoir d’agir doit donc considérer aussi la capacité des individus à agir entre eux pour le bien du groupe. Au sein des établissements où nous exerçons, nous travaillons sur trois dimensions de pouvoir d’agir : pouvoir de, pouvoir sur et pouvoir avec.

    Développer le désir d’apprendre tout au long de la vie
    La société actuelle est face à de nouveaux défis, dont les réponses et solutions envisageables sont nécessairement complexes et se trouveront en faisant converger une multiplicité de disciplines. Cela nécessite, peut être plus encore qu’auparavant, d’être en constante autoformation. Pour cette autoformation, en plus d’avoir accès via le web, à des ressources en grand nombre, nous disposons en France d’une offre riche en matière de musées, bibliothèques, centre culturels et scientifiques, centres d’archives etc. Mais la familiarité avec ces lieux, et l’aisance à y participer ne vont pas de soi. Comment développer chez tout le monde la curiosité, le plaisir, le goût du savoir vrai et la persévérance dans l’apprentissage ? N’est-ce pas le rôle de l’école de former des individus concernés et actifs politiquement, capables de débattre avec leurs concitoyens et par là même de s’autoformer tout au long de la vie ? Il y a deux siècles, déjà, le marquis de Condorcet mettait en garde dans un rapport remis en 1792 contre une instruction qui ne s’intéresserait qu’aux enfants et délaisserait les adultes.

    L’école peut prendre en charge cette formation, qui s’appuie sur de nombreuses actions déjà en place qui méritent simplement d’être renforcées et reliées les unes aux autres. Un récent rapport du conseil économique, social et environnemental invite à « mettre en lumière la modernité de l’éducation populaire ». L’école doit pouvoir se rapprocher des associations d’éducation populaire dont les méthodes d’apprentissage horizontales peuvent amplement enrichir les pratiques pédagogiques des enseignants. Il existe des liens entre Éducation nationale et éducation populaire avec des agréments qui mériteraient d’être plus connus sur le terrain. Nous proposons aussi de renforcer le lien avec les institutions culturelles dans le cadre des parcours éducatifs artistiques et culturels : bibliothèques, fablabs, musées, centres d’archive…

    En travaillant à la rédaction de notre ouvrage « À l’école du partage : les communs dans l’enseignement » nous nous sommes aperçues que la pensée des communs, reliante, pouvait s’appuyer sur de nombreux acquis pour développer une formation de tous à participer à la vie de la cité. Mais il est nécessaire d’approfondir les liens entre l’école et les initiatives participatives publiques, privées, associatives, individuelles.

    La volonté d’inclusion et d’émancipation nécessite des acteurs qui réfléchissent ensemble à des postures complémentaires comme le déclare le manifeste de l’association Peuple et Culture fondée par Joffre Dumazedier au lendemain de la seconde guerre mondiale : « La culture populaire ne saurait être qu’une culture commune à tout un peuple. Elle n’est pas à distribuer. Il faut la vivre ensemble pour la créer ».

    #C&F_éditions #Ecole_partage #Marion_Carbillet #Hélène_Mulot

  • Qui a peur de la langue française ? | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/06/04/qui-a-peur-de-la-langue-francaise

    Si l’on peut comprendre les mécanismes affectifs des sujets parlants, le problème est différent lorsque certaines personnes entretiennent ou légitiment ces affects en se posant comme des experts ou des professionnels de la langue. C’est le cas de l’Académie française, dont les compétences en linguistique relèvent du mythe. Mais c’est aussi le problème des publications à succès qui déplorent la mort imminente de la langue, sans s’embarrasser de la moindre justification scientifique. Certaines stratégies éditoriales mettent systématiquement en avant ces contributions. Tout ouvrage démagogique sur le français, émaillé de métaphores dramatiques de la langue martyrisée, à la chair rongée, malmenée, violée (employées par exemple aussi bien par Michael Edwards, Jean-Michel Delacomptée, Alain Borer, etc) a de fortes chances de bénéficier d’un retour élogieux dans le Figaro.

    Pour Bernard Cerquiglini, excédé par la rengaine servie par Alain Finkielkraut sur la mort de la langue française, non seulement ce discours décliniste et réactionnaire n’est pas nouveau (il existe depuis au moins le XVIIIe siècle), mais il est devenu un véritable « fonds de commerce ». Personne ou presque ne relève les inepties des grands déplorateurs, même lorsqu’elles sont grossières. Ainsi Delacomptée (auteur de Notre langue française, Fayard, 2018) fantasme sur le fait que les jeunes de Sartrouville de son temps auraient « respecté » la langue française, sans inventer de nouveaux mots comme les « jeunes des cités » actuels, ce qui est bien entendu aberrant, les jeunes ayant toujours fait évoluer la langue. De même, Finkielkraut (académicien) a pu déclarer sérieusement, lors d’un petit déjeuner organisé par l’UMP, qu’on ne pouvait pas avoir d’accent autre que le sien lorsqu’on nait en France (bonjour, Marseille !), tout en mélangeant allègrement des notions aussi peu solides que « accent beur » et « vote musulman ».

    Ce discours décliniste repose souvent sur des idéologies politiques. Ceux-là même qui, la main sur le cœur, disent aimer et défendre la langue française se servent souvent de la langue française comme prétexte pour mieux taper sur des cibles, qui sont très souvent les jeunes et les étrangers, les deux catégories étant de nos jours réunies sous la dénomination bien floue de « jeunes-de-cité ». Ainsi, le linguiste Alain Bentolila diffuse régulièrement, depuis une dizaine d’années, ce qu’il sait être une intox : l’idée selon laquelle certains jeunes ne possèderaient que 300 à 400 mots de vocabulaire. Bentolila ne s’appuie sur aucune étude scientifique et pour cause : 300 à 400 mots, c’est le vocabulaire d’un·e enfant de deux ans ! Il est rigoureusement impossible de trouver un ou une adulte francophone (sauf cas de pathologie langagière lourde) ne possédant que 300 à 400 mots de vocabulaire, quel que soit son milieu, quelle que soit sa classe sociale. Pourquoi alors répandre une telle intox ?

    On peut reconstruire le faux lien logique de Bentolila : certains jeunes n’ont pas de vocabulaire, ils sont alors violents (le rapport entre capacité d’expression et violence est pourtant bien plus complexe qu’un décompte de mots…). Et qui seraient ces jeunes violents sans vocabulaire ? Les « jeunes-de-cité » bien sûr. De même, les discours de Finkielkraut rejoignent des fantasmes sur l’arabisation du français, un épouvantail idéologique plutôt qu’une constatation linguistique. En effet, les études sérieuses sur le sujet ne relèvent que des emprunts de vocabulaire à la langue arabe, ce qui n’a rien de spectaculaire : le français a toujours emprunté à de nombreuses langues, sans que cela représente un quelconque danger.

    Est-ce à dire que critiquer tel mot ou tel usage fait de vous un·e horrible réactionnaire ? Les choses ne sont pas aussi simples. Se saisir de la langue, cela ne veut pas dire tenir un discours béat qui considère que toute évolution est bonne à prendre.

    Prenons l’exemple de l’anglais et de la vague des mots en –ing mis à l’honneur dans les magazines féminins qui parlent de showering, de bronzing, de juicing, de bath cooking, etc. On rencontre également ces mots dans le vocabulaire du travail et de l’entreprise, où on peut parler de co–lunching plutôt que de déjeuner. Mais est-ce vraiment l’anglais qui nous agace avec ces mots, ou plutôt ce que cette utilisation de l’anglais représente : une façon de glamouriser ce qui est bien peu glamour ? Le bath cooking parait être ainsi une tentative de « rendre cool » le fait de devoir prévoir ses menus sur une semaine… De même, parler du fait de cumuler plusieurs emplois comme d’un slashing permet de masquer une réalité économique difficile derrière des mots qui dessinent l’image d’un start-upper plein de vigueur.

    #Langue #Linguistique #Français #Fantasmes

  • Qu’est-ce qu’une vie minimale ? Nouvelles du front et horizon possible | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/05/30/quest-ce-quune-vie-minimale-nouvelles-du-front-et-horizon-possible

    Mais s’en tenir à ce raisonnement serait en fait trompeur. En effet, le vivant est une source de surprise qui n’autorise pas ce type de réduction, et il est possible de l’illustrer de deux manière. Tout d’abord, les recherches évoquées ici tendent aussi à confirmer que les bactéries simplifiées décrites dans ces articles sont, au laboratoire, moins robustes que leur modèle de base. Cela est un indice qui nous rappelle que la redondance, et plus généralement une certaine complexité biologique, n’est probablement pas tant un fardeau d’un réservoir de solution et de protections permettant une meilleure adaptativité, et plaide au contraire pour une action très large de la sélection naturelle, non seulement sur le contenu des séquences génétique, mais sur leur syntaxe même. C’est en creux un formidable témoignage de la pertinence du moteur darwinien. Mais il existe aussi des surprises réciproques. À l’orée des années 2000, les bactéries les plus simples connues possédaient environ 450 gènes. Suite à de patients travaux de comparaisons, de compilation et de modélisation, les équipes qui travaillent à la bioingénierie de formes minimales de vie, à partir de ces bactéries, ont longtemps ainsi théorisé que pour qu’un micro-organisme réalise les fonctions vitales essentielles, il lui fallait au minimum 200 gènes. On en était là quand fut découverte une bactérie qui en avait seulement…180 ! Toute l’épistémologie de la question était à revoir, puisque le réel imposait non pas plus de complexité que la théorie, mais significativement moins. Le seuil du vivant était-il donc à chercher du côté de la complexité, ou de la simplicité ?

    À ce jour, posée en ces termes, la question ne trouve pas de réponse simple. Elle est pourtant cruciale : c’est, d’une certaine manière, rien moins que la façon contemporaine de se demander ce qu’est la vie ! Une manière de sortir de cette ornière est, aussi perturbant que cela puisse paraître, de refuser la notion de seuil. Non pas par goût de la spéculation vaine, mais bel et bien parce que ce que le monde vivant nous donne à voir est un incroyable continuum qui défie toute idée de seuil, et qui peut se décrire comme un tableau : les bactéries incroyablement pauvres en gènes évoquées, ci-dessus, vivent en particulier dans des cellules. Elles y cohabitent avec d’autres structures cellulaires comme les mitochondries, descendantes de bactéries dont elles ont n’ont gardé quelques gènes : à bien des égards, les premières semblent être en voie de prendre cette direction. Les mitochondries, elles, peuvent produire des dérivés qui ne possèdent plus aucun gène. L’ensemble de ces systèmes minimaux sont d’ailleurs moins complexes que certains virus, qui peuvent posséder jusqu’à plusieurs milliers.

    Penser le vivant sans frontières, le redéfinir sans en faire une catégorie c’est, je crois, proposer un saut audacieux à nos conceptions du monde naturel. C’est évidemment remettre en cause les tentatives orgueilleuses de « fabriquer » la vie, puisque les infravies nous rappellent que la foisonnante inventivité du vivant ne nous a pas attendu pour jouer à saute-mouton par dessus tous les seuils que les égos humains tentent de transgresser. C’est aussi remettre en cause la parcellisation du vivant, son atomisation, celles qui légitimeraient son appropriation, sa brevetabilité par exemple. Le vivant n’est pas affaire de structures fixes et optimisées, mais d’échanges permanents, de fragilités fécondes, de reconfigurations imprévues. Qui pourrait se targuer d’en posséder une parcelle qui, prise séparément, ne fait pas sens biologiquement ? Qui pourrait être propriétaire d’un état limite ?

    Mais penser le vivant sans frontières, il faut le dire aussi, nous expose et nous oblige. C’est une conception exigeante qui ne doit en effet pas servir prétexte pour abdiquer de nos efforts de protection de la biodiversité, ou de notre vigilance bio-éthique. Ce ne doit pas être un flou artistique, ou une rhétorique creuse, prétexte à toutes les approximations, voire les instrumentalisations et les dérives. C’est pourquoi, plutôt que de construire des forteresses de sable par la narration solutionniste d’un vivant-machine contrôlable et optimisable, il nous faut apprendre à accueillir, intellectuellement et expérimentalement, le vivant sans frontière avec rigueur, dans toute sa matérialité et l’originalité de ses dynamiques propres. Cela suppose probablement de remettre en cause une certaine conception productiviste des biotechnologies et redéployer les efforts en biologie de pointe vers plus de créativité, vers plus d’interdisciplinarité et plus d’ouverture. Ce n’est probablement pas le plus triste des chemins.

    #Biologie_synthétique #Vivant #Philosophie_biologique

  • La connivence de plateau ( J’étais une Grande Gueule ) : EN ATTENDANT H5N1
    http://enattendanth5n1.20minutes-blogs.fr/archive/2019/04/21/la-connivence-de-plateau-j-etais-une-grande-gueule-9

    En dix ans, radios et télévisions ont élargi le champ de ce spectacle aussi insolite qu’insensé : remplir le vide avec du néant. Les chaînes d’info en continu déversent en permanence les commentaires avisés de spécialistes autoproclamés de tout et n’importe quoi. Les rares invités bénéficiant d’une compétence reconnue dans tel ou tel domaine se retrouvent mis à mal par des mollusques de plateau accrochés à leur siège, déroulant avec une louable agilité verbale le spectre de leur connerie. Sur le déremboursement de l’homéopathie, par exemple, on aura droit aux platitudes insanes d’un avocat médiatique, ou aux gloussements d’une ex-Ministre qui expliquera soigner son teckel à coups de granules. Sur la procréation médicalement assistée, le communautarisme, les prénoms à consonance pas bien catholique « parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles », le ban et l’arrière-ban de la droite réactionnaire feront le buzz, enchaîneront platitudes et propos de café du commerce, sous le regard sentencieux ou amusé d’un animateur qui compte les points. Il n’est pas question de réfléchir, d’éclairer, mais de marteler avec le plus de conviction possible des propos de télévangéliste aviné.

    Et il ne me surprend pas, dans ce marasme, de voir ces têtes de gondole interchangeables s’épauler les uns les autres. Que serait Eric Zemmour, ce matamore masculiniste au sex-appeal digne d’un accident de poussette sur un passage à niveau, sans Ruquier et Naulleau ? Sans Ruquier qui, une fois les dommages faits et le révisionniste installé dans les média, se fendit d’une molle contrition et aimerait aujourd’hui « qu’on ne l’emmerde plus avec ça » ? Sans Naulleau, brillant critique littéraire autrefois, abonné à un duo avec Zemmour qui légitime celui-ci et drape la connivence de plateau du manteau d’une supposée contradiction : cinq minutes pour les raflés, cinq minutes pour Pétain en bouclier protecteur des Juifs.

  • L’effondrement, parlons-en... - Les limites de la « collapsologie »

    Une étude de Jérémie Cravatte - avril 2019.

    http://www.barricade.be/publications/analyses-etudes/effondrement-parlons-limites-collapsologie

    Un cycle sur l’effondrement a été organisé à Barricade en novembre/décembre 2018. Il a donné naissance au groupe Les Effondrés ardentes . Je voudrais remercier ces personnes pour avoir, entre autres choses, nourri mes réflexions sur le sujet. [...]
    Cet article n’a donc pas pour objectif de critiquer pour le plaisir de critiquer, ni de s’intéresser à des personnes en particulier, mais bien de proposer des autocritiques pour « effondré·e·s » – de continuer à regarder ensemble plus loin et plus précis.

    #effondrement, #collapsologie, etc. @sinehebdo

    Une excellente et très modérée synthèse des critiques que l’on peut faire sur ce sujet, après une lecture attentive...

    Pour ma part, je serais plus sévère à l’égard de Servigne & Co, ce recueil montrant très bien que nous avons affaire là à une idéologie profondément réactionnaire et démobilisatrice.

    J’ai un texte sur le feu...

    • Le PDF
      http://www.barricade.be/sites/default/files/publications/pdf/2019_etude_l-effondrement-parlons-en_0.pdf

      Et sinon les gens, vous avez essayé de vous parler (et mieux encore, en face à face, pas par écrit) pour dissiper d’éventuels quiproquos, et seulement après quand on a mit au clair les divergences de fond (et qu’on s’en est réellement assuré), là lancer des invectives ? :)
      Je dis ça…

    • Les #collapsos (4) participent à forcer la prise en compte plus que nécessaire de ces constats (5), qui sont largement niés depuis les années 1970 au moins. Malheureusement, leur manière de présenter les choses n’aide pas forcément à être lucide sur la situation et à y réagir en conséquence.

      –--------------------
      (4) Diminutif couramment utilisé pour parler des « collapsologues ». Le terme « collapsonautes » désigne plus largement les personnes qui « naviguent » à travers l’effondrement.

      Je ne sais pas si l’usage du mot est «  courant  », mais le choix du «  diminutif  » m’a bien l’air tout sauf neutre… la suite du paragraphe (et du texte) enfonçant le clou.

    • @rastapopoulos

      Si tu as bien lu ce texte et aussi le dernier article de Tanuro sur le sujet, il devrait être évident que Servigne & Co sont politiquement très confus (je dirais plus crûment font preuve d’une certaine #bêtise_politique) et que manifestement, ils ne veulent pas dissiper cette confusion, ne serait-ce que pour eux-mêmes.

      Une discussion est-elle possible avec de tels confusionnistes ? Pour cela, il faudrait qu’ils commencent par cesser de s’étaler complaisamment dans les médias mainstream . Et manifestent un tant soit peu une volonté de repolitiser leur propos : pour autant que je sache, ce n’est pas en bonne voie (cf. #Yggdrasil), sans compter qu’il est un peu tard aussi.

      Car citer de manière élogieuse des penseurs d’#extrême_droite sans mentionner leur couleur politique devrait, quand même, je crois, amener le lecteur, même complaisant, à se poser quelques questions. Tu ne pense pas ?

      Comme disait Tanuro :

      Après Une autre fin du monde est possible , il n’est pas sûr que ce débat ait encore un sens. L’avenir le dira.

      En attendant, je persiste à penser que la collapsologie est une idéologie profondément réactionnaire et démobilisatrice, et qu’il faut donc lutter contre cette #nuisance.

    • @tranbert oui oui… je suis sûrement trop gentil, et c’est peut-être trop tard… C’est ma foi dans le dialogue… et le regret aussi que justement ce dialogue n’ait pas eu lieu plus tôt (pas par articles critiques interposés mais bien par discussion IRL, interviews critiques, non promo).

      Par exemple quand ya eu des interviews des médias amis sur leur tout premier livre (ballast ou autre), je sais pas, moi j’aurais forcément posé une question sur leur citation de piero san giorgio et assimilé, même pas pour piéger, pour mettre les choses au clair.

      Ya cette question là, après pour la stratégie parfaitement choisie et assumée de faire d’abord des livres grands publics de vulgarisation de méta-analyses, là j’ai moins de critiques à faire, même si je ne suis pas moi-même dans cette stratégie, car je pense que comme pour les manifs, la ZAD ou autre, il faut une multiplicité de stratégies qui se respectent entre elles. On peut ne pas être d’accord et ne pas vouloir agir de la même manière que son voisin, mais respecter ça sans mépris.
      Après quand ce sont des différences vraiment de fond de la pensée, et non pas juste de stratégie, c’est encore autre chose, mais dans ce cas il faut se fixer sur ces points.

    • @rastapopoulos

      Je ne vois pas trop bien où est le « mépris » dans les critiques que j’ai cités ou que je fait. Il y a un problème et il faut le nommer.

      Sur le « fond de la pensée », Servigne se fait passer pour anarchiste, et il n’est rien de tel. La lecture de ses ouvrages montre bien qu’il fait passer l’adaptation et la résilience avant la résistance, la survie avant l’émancipation, l’avenir qu’il prophétise avant le présent qu’il méprise - une attitude typiquement progressiste.

      On peut bien faire passer cela pour une « stratégie parfaitement choisie et assumée de faire d’abord des livres grands publics de vulgarisation », comme le prétend Servigne lui-même. Mais quand les grands thèmes anarchistes comme la liberté, la lutte, l’émancipation, la détestation de toutes les formes de hiérarchie, d’oppression et d’exploitation sont aussi délibérément ABSENTS de ses ouvrages, je dis : faut pas nous prendre pour des imbéciles !

      On ne me fera pas prendre la vessie de la collapsologie pour une lanterne magique !

    • Simplismes de l’écologie catastrophiste | AOC media - Analyse Opinion Critique
      https://aoc.media/opinion/2019/10/21/simplismes-de-lecologie-catastrophiste

      Les « collapsologues », ces militants écologistes qui prophétisent l’effondrement certain de la civilisation industrielle, ont le vent en poupe comme en témoigne le succès populaire de leurs livres. Mais s’il y a effectivement péril en la demeure, ceux qui le clament sont parties prenantes de la panique qui désormais s’installe selon #Jean-Pierre _Dupuy. Le théoricien du « #catastrophisme_éclairé » remet ici les choses au point face à ce qu’il considère comme un flou conceptuel dangereux.

      En résumé :

      « Annoncer que la catastrophe est certaine, c’est contribuer à la rendre telle. Ce qu’il faudrait, c’est annoncer un avenir destinal qui superposerait l’occurrence de la catastrophe, pour qu’elle puisse faire office de dissuasion, et sa non-occurrence, pour préserver l’espoir. »

  • J’archive cette histoire sur Les Suppliantes à la Sorbonne

    Facebook
    https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10157104979755902&set=a.434672170901&type=3&theater&comment

    Voici le texte rose-brun !
    Le texte touche pas à ma racine gréco romaine.
    Le texte qui défend (à raison) la liberté de création mais en profite pour taper sur l’antiracisme. Le texte signé par tant d’ami.e.s que j’en perds mon latin. Le texte pour la défense du blackface pensé comme acte de création (quel talent). Le texte qui te ferait passer la valeur d’égalité pour du politiquement correct, le respect pour de la soumission au communautarisme, La lutte contre le racisme pour de l’identitarisme et la culture pour toutes et tous pour de la servitude volontaire. Si je suis habitué à avoir des ennemi.e.s, il est plus nouveau d’avoir des ami.e.s parmi les signataires qui se trompent autant... ou peut être, simplement se dévoilent : elles et eux qui attendaient qu’un spectacle universitaire amateur soit bloqué par deux ou 3 abrutis (je les condamne pour l’action tout autant que je comprends leur colère) pour monter l’événement en épingle, bien faire mousser, et enfin s’allier aux « on peut plus rien dire-on peut bien rigoler-yapasd’mal à se peindre en bamboula-c’est ma liberté de création-mon point de vu perso est universaliste alors ta gueule sale communautariste » et finalement vomir leur fiel trop longtemps contenu contre l’antiracisme.
    Pour info, contrairement à ce qui est écrit en intro de ce texte, le Cran n’était même pas présent sur ce blocage et ne l’a donc pas appelé de ses vœux. Mais bon, ma bonne dame, on n’est pas à un mensonge près quand on est idéologue.
    Bande de blaireaux !
    Alors oui, cher.e.s signataires (et parmi vous mes potes) vous avez le droit de vous peindre en noir.e.s pour jouer des noir.e.s. si ça vous fait kiffer, si ça vous flatte la liberté. Et personne ne devrait bloquer un spectacle, c’est vrai. Mais moi j’ai aussi le droit de vous dire que le faire, se déguiser en noir, en asiatique, en arabe... aujourd’hui, dans le contexte qui est le nôtre, en pleine conscience... ça fait de vous des ordures.
    C’est politiquement correct ça ?

    #Suppliantes #Eschyle #PrintempsRépublicain #Antiracisme

    • Pour Eschyle » L’almanach » Autour
      https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/guetteurs-tocsin/pour-eschyle-103

      L’UNEF n’est pas en reste, qui exige des excuses de l’université, en termes inquisitoriaux : « Dans un contexte de racisme omniprésent à l’échelle nationale dans notre pays, nos campus universitaires restent malheureusement perméables au reste de la société, perpétrant des schémas racistes en leur sein. » Le 28 mars, après les réactions fermes de La Sorbonne, des Ministères de l’Enseignement Supérieur et de la Culture ainsi que d’une partie de la presse, dénonçant une atteinte inacceptable à la liberté de création, les mêmes étudiants commissaires politiques ont sécrété un interminable communiqué en forme de fatwa, exigeant réparation des « injures », entre autres sous forme d’un « colloque sur la question du “blackface” en France » : un programme de rééducation en somme, déjà réclamé par Louis-Georges Tin.

      #Islamophobie #Racisme

    • L’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité…
      https://www.marianne.net/societe/l-offensive-des-obsedes-de-la-race-du-sexe-du-genre-de-l-identite

      Les signaux sont nombreux qui montrent qu’un nouveau militantisme antiraciste confinant au racisme se propage dans notre société. Universités, syndicats, médias, culture, partis politiques… Ce courant de pensée né aux Etats-Unis "colonise" tous les débats.
      Les « racisés » souffrent d’« invisibilisation », ce qui devrait pousser à s’interroger sur les « privilèges blancs » et le « racisme d’Etat » en France. Si la triple relecture de cette phrase ne suffit pas à vous extirper d’un abysse de perplexité, c’est que vous n’avez pas encore fait la connaissance de la mouvance « décoloniale ».

      Vous n’êtes donc probablement pas un familier des organisations de gauche. Depuis plusieurs années, dans un mouvement qui s’accélère ces derniers mois, une idéologie nouvelle gagne ces milieux militants, qu’ils soient universitaires, syndicaux, associatifs, politiques ou artistiques. Sa dernière apparition spectaculaire remonte au 25 mars dernier, à l’entrée de la Sorbonne, sous les bannières de trois associations de défense des droits des personnes noires. Elles ont empêché la représentation d’une adaptation des Suppliantes, la pièce du poète antique Eschyle, dont certains comédiens blancs ont été accusés d’arborer du maquillage et des masques noirs pour interpréter une armée venue d’Afrique. Un blackface, c’est-à-dire un grimage raciste pour moquer les Noirs, ont expliqué ces manifestants. Le metteur en scène, Philippe Brunet, a eu beau rappeler ses engagements humanistes ou plaider pour qu’on puisse « faire jouer Othello [le personnage africain de Shakespeare] par un Noir ou par un Blanc maquillé », rien n’y a fait. « Il n’y a pas un bon et mauvais blackface », a rétorqué Louis-Georges Tin, président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran).

      Sans que le grand public y prête encore attention, ces activistes, dont l’antiracisme confine souvent au racisme, conquièrent régulièrement de nouvelles organisations, comme le Planning familial, Act Up, qui lutte contre le sida, ou le syndicat SUD. Il ressort de l’enquête de Marianne que ces militants pointent également le bout de leur doctrine au Mouvement des jeunes socialistes, à la CGT, à la Ligue des droits de l’homme, dans les médias « progressistes » et dans les départements universitaires de...

      #Paywall (ça vaut peut-être mieux)

    • L’irruption du « classe, race, genre » à la Sorbonne - Libération
      https://www.liberation.fr/debats/2019/04/02/l-irruption-du-classe-race-genre-a-la-sorbonne_1718913

      La mise en scène des Suppliantes peut-elle échapper à la question de l’inscription de cette pièce dans l’Histoire ? Les Suppliantes posent non seulement la question de la représentation des « Noirs » au théâtre, mais celle du désir avec des femmes qui décident d’échapper au pouvoir des mâles, à leur société et qui, s’exilant, se mettent en situation d’émigrées déclassées et fragilisées. Nous sommes donc placés de façon contemporaine devant la question de l’intersectionnalité « classe, race, genre ». Les spectateurs d’aujourd’hui à la Sorbonne ne sont pas les Athéniens de cette époque-là. Ils ne peuvent faire abstraction des traites négrières transatlantiques, du colonialisme, des conceptions racistes sur « les Noirs » de Gobineau jusqu’au nazisme et l’Amérique du Ku Klux Klan, sinon au prix d’une déshistoricisation, dont on voit avec les Euménides qu’elle est une illusion.

      L’appel du Cran à organiser un colloque ouvert à la Sorbonne semble donc une bonne proposition. Il faut entendre ce que nous disent ces étudiants de la Sorbonne.

    • « Blackface », une histoire de regard - Libération
      https://www.liberation.fr/debats/2019/04/10/blackface-une-histoire-de-regard_1720559

      Qui est représenté, par qui, et qui regarde ? C’est à ce nœud-là que renvoie l’affaire des Suppliantes d’Eschyle, spectacle annulé à la Sorbonne le 25 mars sous la pression d’associations noires et de l’Unef, au motif que les actrices jouant les Danaïdes, originaires d’Egypte, étaient grimées. Le metteur en scène, Philippe Brunet, aurait fait la sourde oreille aux alertes répétées des étudiants et des militants depuis un an, puis aurait proposé de remplacer le maquillage par des masques, geste qui s’inscrit dans la tradition grecque et qui permettait de signifier mieux que de représenter. Mais cette option aurait aussi été rejetée par les protestataires. Un certain nombre d’entre eux a empêché la pièce d’être jouée, en s’opposant à l’entrée des acteurs et des actrices dans leurs loges.

      Le Conseil représentatif des associations noires (Cran), et son président d’honneur, Louis-Georges Tin, avaient appelé au boycott de la pièce, ce qui est une façon - et un droit - de protester sans interdire. Mais barrer l’entrée à des artistes, comme l’a fait un petit groupe, c’est faire œuvre de censure, et torpiller d’emblée un débat pourtant très nécessaire en France.

      Ce débat interrogerait la survivance plus ou moins inconsciente ou perverse de l’orientalisme, et de pratiques injurieuses contemporaines de l’esclavage, hors de propos au XXIe ; il poserait aussi la question passionnante des effets du travestissement au théâtre, qui est l’espace par excellence où les plus grandes libertés avec les conventions et avec l’actualité du monde ont été prises. En pleine crise des migrants en Europe, ce débat que n’importe qui devrait appeler de ses vœux relève bien de l’art, de la liberté de création, et des choix politiques qui les accompagnent nécessairement. L’ouvrir et en déplier les enjeux permettrait peut-être de dépasser ce clivage entre un « universalisme de surplomb » (Merleau-Ponty) européo-centré tout aussi crispé idéologiquement que les débordements de la pensée décoloniale. Il autoriserait aussi, qui sait, à trouver une issue à ce constat formulé par Nelson Mandela : « Ce que vous faites pour nous, sans nous, est toujours contre nous. »

    • Isabelle Barbéris : « Eschyle censuré, ou quand la moralisation de l’art tourne au grotesque »
      http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2019/03/28/31006-20190328ARTFIG00044-isabelle-barberis-on-censure-eschyle-pour-crimina

      En creux, cette polémique révèle aussi une stratégie de criminalisation souterraine de la culture gréco-latine, par rétroactivité pénale. C’est une attaque contre la culture humaniste, contre le processus d’émancipation par la relecture des classiques. C’est enfin le symptôme d’une moralisation des arts (l’ « artistiquement correct »), transformant ces derniers en scène de tribunal ou d’expiation, ce qui à terme ne peut que les détruire. Les artistes qui répondent à ces attaques en entrant dans la justification ne comprennent pas que les accusateurs se moquent complètement de leur projet artistique ! Parfois, ils sont même responsables d’enclencher ce cycle infernal : la surenchère actuelle d’œuvres à messages manichéens, à base de postures flagellantes et de bonnes intentions, ne peut que réveiller l’appétit des commissaires du peuple - qui seront toujours mieux pensants qu’eux - et se retourner en censure.

      #grand_remplacement #Printemps_Républicain

    • Irène Bonnaud - Les gens qui animent l’institut dont il est...
      https://www.facebook.com/irene.bonnaud/posts/1137833263058040

      Les gens qui animent l’institut dont il est question ci-dessous sont des nazis, des vrais de vrais. L’article du Monde que je partage est encore bien trop gentil. Et quant à nos ami.e.s qui auraient l’idée de se mettre au diapason d’un Jean-Yves Le Gallou pour déclarer que les militants antiracistes sont racistes, que les militants antifascistes sont fascistes, que le noir est blanc et le blanc est noir, et qu’il faut se dresser pour défendre Eschyle contre l’extrême-gauche, ils feraient mieux de lire cet article, de jeter un œil sur ce site (https://institut-iliade.com) et d’y réfléchir à deux fois. Combien de fois faudra-t-il répéter que les gens du Printemps Républicain travaillent, "à gauche", à l’hégémonie culturelle de l’extrême-droite, aussi sûrement que les néo-conservateurs américains nous ont conduit jusqu’à Trump ? On peut s’engueuler sur les modes et méthodes d’intervention de tel ou tel groupe militant, mais s’aligner sur les thèses du "grand remplacement", même quand elles sont enrobées de vernis culturel, reste inadmissible. Non, la culture gréco-latine n’est pas menacée par l’antiracisme politique. Se livrer aux mêmes manipulations intellectuelles que ces crapules (en feignant de croire par exemple qu’Eschyle était visé à la Sorbonne, alors qu’il s’agissait de choix de mise en scène), c’est leur offrir une aide inespérée.
      –—
      Marion Maréchal, Génération identitaire et les anciens du Grece réunis dans un colloque d’extrême droite
      L’ancienne députée du Front national a participé samedi à Paris au sixième colloque annuel de l’institut Iliade.
      Par Lucie Soullier / Le Monde
      Publié hier à 19h14, mis à jour à 06h24
      Ils doivent avoir vingt ans, ou à peine plus. Se connaissent par des prénoms qui ne sont pas toujours les leurs, parce qu’« on ne sait jamais ». Lui a même supprimé toutes les photos de profil qui pourraient trahir, en ligne, sa véritable identité. Méfiant ? « Prudent. »
      Tous les quatre se sont retrouvés à Paris, en ce samedi 6 avril ensoleillé, pour assister à un colloque d’extrême droite à la Maison de la chimie (7e arrondissement). Loin d’être un rendez-vous clandestin, le sixième colloque annuel de l’institut Iliade a pignon sur la très chic rue Saint-Dominique. A deux pas de l’Assemblée nationale. La file qui s’étire sur des dizaines de mètres peut même admirer la pointe de la Tour Eiffel, pour patienter jusqu’à l’entrée.
      Nos quatre jeunes gens tuent le temps avec quelques convenances. « Ça a été ton trajet ? », s’enquiert la Parisienne en rouge auprès de son ami venu de l’Est. Sac sous le bras, il lui répond « ça va, ça va » avec un « mais » très appuyé : « J’avais le choix de m’asseoir entre un Noir et une personne dirons-nous… marron. » Bras en écharpe et blouson noir, son voisin enchérit tout aussi excédé : « Ah moi, je suis venu en taxi avec un bon gros… » Il ne finira pas sa phrase ; tous quatre s’accordent sur le terme « guadeloupéen ». La fille en rouge soupire, tout en jugeant que « les Noirs des îles, ça va ».
      Différence entre les peuples
      Fouille à l’entrée. Une matraque télescopique repose sur une table, confisquée « juste pour la journée ». Une chouette et un glaive flottent sur les drapeaux, emblèmes de l’institut Iliade. Idéologiquement à l’extrême droite, tendance identitaire européenne, à majorité païenne mais pas que, Iliade est l’héritier du Grece (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) pensé à la fin des années 1960 comme une « Nouvelle droite » identitaire et nationaliste prêchant la différence entre les peuples.
      Pour les fondateurs d’Iliade, la bataille culturelle est la mère de toutes les autres pour faire triompher ses idées. L’institut d’extrême droite organise donc formations, colloques et tente d’essaimer dans tous les milieux professionnel et politique qui peuvent lui permettre de diffuser son idéologie.
      Marion Maréchal était surtout venue soutenir son compagnon, Vincenzo Sofo, invité à discourir sur « les frontières ou les invasions barbares »
      Pas étonnant donc, finalement, d’y croiser Marion Maréchal, elle qui a tant utilisé la figure du penseur marxiste italien Antonio Gramsci – selon lequel toute victoire politique passerait d’abord par une conquête des esprits – pour expliquer sa décision de quitter la politique électorale en 2017, puis de fonder sa propre école de sciences politiques, à Lyon. En réalité, la jeune « retraitée » de la politique était surtout venue soutenir son compagnon, Vincenzo Sofo, un intellectuel de la Ligue italienne invité à discourir sur « les frontières ou les invasions barbares ».

      #Front_National #GRECE #ILIADE #Extrême_Droite #fascisme

    • Irène Bonnaud - En 2013, j’avais écrit une préface à ma traduction...
      https://www.facebook.com/irene.bonnaud/posts/1132136533627713

      En 2013, j’avais écrit une préface à ma traduction des Suppliantes d’Eschyle, et au texte de Violaine Schwartz, Io 467 (publiés aux Solitaires Intempestifs). Je la poste ici pour les très curieux, et aussi parce que je lis tant de bêtises, y compris accompagnées d’arguments d’autorité ("je suis professeur de Lettres Classiques, et je vous dis, moi, que c’est la culture qu’on assassine..."), que je suis obligée de réagir et d’apporter mon soutien aux étudiantes et étudiants de la Sorbonne qui, après s’être senti.e.s humilié.e.s par un système de représentation raciste, sont à présent insulté.e.s par les plus hautes autorités de l’Etat. Enfin, après 8 heures de Grand Débat avec des intellectuel.le.s, où personne n’a protesté avec la véhémence nécessaire contre l’augmentation de 1400% des droits d’inscription à l’Université pour les étudiant.e.s africain.e.s (parce que c’est de ça dont il s’agit), plus rien ne m’étonne.
      –—
      Passé / présent
      Des tragiques grecs dont on a conservé les pièces‚
      Eschyle est le seul à avoir vécu l’instauration de la
      démocratie à Athènes.
      Enfant‚ il vivait dans une cité qui était bourgade
      de province gouvernée par un despote‚ mais à 20 ans
      il vit Clisthène engager des réformes pour imposer
      le pouvoir des assemblées. À 35 ans il fut héroïque‚
      paraît-il‚ sur le champ de bataille de Marathon‚ puis
      à 45 ans triompha avec la flotte à Salamine : au géant
      perse qui venait envahir la Grèce‚ la petite Athènes‚
      forte de sa nouvelle démocratie et de ses navires‚ avait su
      résister et se retrouvait capitale d’un empire maritime.
      Huit ans plus tard‚ dans sa pièce Les Perses‚ racontant
      Salamine du point de vue des vaincus‚ Eschyle mit en
      scène leur stupéfaction devant ces Grecs « ni esclaves
      ni sujets d’aucun homme ». Et quand‚ en 461‚ Éphialte
      fit passer la réforme des institutions judiciaires pour
      ôter tout pouvoir politique au tribunal de l’Aréopage‚
      tenu par les aristocrates‚ Eschyle écrivit l’Orestie où
      Athéna vient appuyer ce coup de force de toute son
      autorité sacrée.
      Confiance provocatrice en la démocratie et confiance
      dans le théâtre pour raconter les histoires de son
      temps : les pièces d’Eschyle étaient aussi interventions
      directes dans les luttes intestines qui agitaient Athènes‚
      toujours sous la menace d’une restauration oligarchique
      ou d’une guerre civile.
      Les Exilées ne fait pas exception. Premier texte
      de l’histoire où apparaît l’alliance de mots « démocratie
       » pour décrire ce royaume d’Argos « où le
      peuple règne »‚ la pièce d’Eschyle transforme la ville
      des Pélages en démocratie modèle du ve siècle‚ avec
      assemblée des citoyens‚ parole qui persuade et vote à
      main levée. L’anachronisme est saisissant. Les filles de
      Danaos qui pensent s’adresser à un roi (« Seul ton vote
      compte / Un signe de tête suffit ») n’en croient pas leurs
      oreilles‚ avant d’être converties au nouveau système
      politique (« Peuple d’Argos / Conserve ton pouvoir
      sans trembler / Tu diriges la Cité avec prudence / Tu te
      soucies de l’intérêt de tous »).
      On s’est beaucoup trompé au sujet de la date des
      Exilées. De savants professeurs‚ et leurs commentaires
      repris ou réimprimés par beaucoup d’éditions bon
      marché‚ ont affirmé qu’il devait s’agir d’une pièce
      « primitive »‚ de la « jeunesse » de son auteur et des
      « balbutiements » du genre tragique. Pour l’esprit bourgeois
      des xviiie et xixe siècles‚ ce qui n’était pas théâtre
      des individus devait relever d’une « forme archaïque »
      de dramaturgie. Le rôle central du choeur dans la pièce‚
      le simple fait qu’un collectif puisse être au centre de
      l’action‚ paraissait inconcevable au goût littéraire de
      l’époque. C’était aussi le temps où on coupait les pièces
      de Shakespeare pour n’en garder que les tirades des
      protagonistes. Mais les théories sur l’« archaïsme » de
      la pièce d’Eschyle s’effondrèrent d’un coup quand‚
      un jour de 1951‚ un archéologue trouva un bout de
      papyrus au fond du désert égyptien : la pièce datait de
      463 av. J.‑C. et cette année-là‚ Eschyle avait 62 ans
      – comme Athènes‚ il était au sommet de son art.
      On était donc au printemps 463.
      Les démocrates athéniens s’agitaient pour faire
      passer leurs réformes‚ ils préconisaient une alliance
      sacrée avec Argos‚ la cité démocratique du Péloponnèse‚
      rivale de Sparte dans la région. Argos venait
      d’offrir l’asile à un héros d’Eschyle‚ Thémistocle‚ chef
      du parti démocratique au temps de sa jeunesse‚ l’homme
      qui avait osé vider Athènes de ses habitants pour attirer
      les Perses dans le piège de Salamine. Les aristocrates
      avaient poussé Thémistocle à l’exil et intriguaient pour
      qu’Argos livre son réfugié à Sparte‚ mais Argos‚ où
      la démocratie avait été restaurée l’année précédente‚
      tenait bon et ne cédait pas.
      Au même moment‚ en Égypte‚ occupée par l’Empire
      perse dont le gouverneur accablait d’impôts les
      paysans du delta‚ la révolte grondait. Inaros‚ chef des
      tribus libyennes‚ avait soulevé la population contre
      l’occupant et demandé l’aide d’Athènes contre l’oppresseur.
      Cette expédition se terminerait mal‚ mais
      pour l’heure‚ on se passionnait pour l’Égypte où les
      Grecs commerçaient depuis des siècles‚ où des villes
      grecques avaient été fondées dans le delta du Nil‚ où
      une déesse aux cornes de vache rappelait tant la légende
      de Io‚ et un dieu taureau‚ son fils Épaphos.
      Aucun événement historique de l’époque d’Eschyle
      n’apparaît de façon mécanique dans le texte‚ mais on
      voit bien comment un certain climat politique a pu
      le pousser à s’emparer de la légende des Danaïdes.
      Cinquante princesses noires du delta du Nil‚ persécutées
      dans leur pays‚ fuyant un mariage forcé avec
      leurs cousins‚ traversent la Méditerranée et viennent
      demander l’asile à Argos‚ patrie de leur aïeule‚ Io‚ qui
      a fui en sens inverse quelques générations plus tôt.
      Après avoir tergiversé‚ le roi prend fait et cause
      pour les étrangères et convainc les citoyens de voter un
      décret leur assurant asile et protection. On comprend à
      la fin du texte que l’hospitalité accordée à ces femmes
      « venues de loin pour demander l’asile »‚ comme le
      suggère le titre grec de la pièce‚ Hiketides‚ va déclencher
      une guerre entre Argos et les fils d’Égyptos.
      On ne sait pas grand-chose de la suite des événements
      car Les Exilées est la seule partie conservée de
      la trilogie d’Eschyle. D’après la légende et le résumé
      qu’en fait Prométhée dans Prométhée enchaîné‚ les
      fils d’Égyptos gagneront la guerre‚ le roi Pélasgos
      mourra au combat‚ Danaos‚ le vieux roi africain‚
      montera sur le trône d’Argos‚ et feignant de céder‚ il
      donnera ses filles en mariage à leurs ennemis. Mais la
      nuit de noces venue‚ chacune égorgera son chacun‚ à
      l’exception d’une seule qui préférera « être appelée
      lâche que sanguinaire ». Le couple survivant‚ amoureux‚
      héritera du trône d’Argos. C’est ce happy end
      sur fond de cadavres qui explique peut-être le seul
      passage conservé du reste de la trilogie‚ attribué à la
      déesse Aphrodite :
      Le ciel sacré veut pénétrer la terre
      Elle
      Prise de désir
      Attend son étreinte
      Il se couche sur elle
      Et du ciel tombe la pluie et engrosse la terre
      Pour les mortels
      Elle enfante
      Les prairies où paissent les troupeaux
      Les fruits de Déméter
      Et de leur étreinte humide
      Chaque printemps renaît la forêt
      De tout cela je suis la cause
      Le texte même des Exilées est objet de débats‚ des
      passages du manuscrit étant très corrompus : dans la
      scène entre l’éclaireur ennemi et les filles de Danaos
      ne surnagent que des mots épars et c’est comme si
      l’effondrement du texte mimait la panique ressentie
      et la violence de la scène. L’incertitude est grande aussi
      quant au final où le choeur paraît entrer en discussion‚
      et en contradiction‚ avec lui-même‚ peut-être pour
      annoncer l’heureux dénouement de la trilogie.
      Mais les incertitudes philologiques ne peuvent
      seules expliquer pourquoi la seule tragédie grecque
      ayant des femmes noires comme héroïnes est aussi
      l’une des plus méconnues et des moins jouées.
      Même si beaucoup de ses hypothèses sont sujettes
      à caution‚ on peut reconnaître à Martin Bernal et à sa
      Black Athena le mérite d’avoir rappelé l’idéologie
      raciste et coloniale des universités européennes aux
      xviiie et xixe siècles, au moment même où se constituaient
      les « sciences de l’Antiquité ». De la célébration
      des invasions doriennes au caractère « primitif » d’un
      chef-d’oeuvre d’Eschyle‚ la persistance diffuse de cette
      idéologie est d’autant plus grave qu’elle est inconsciente
      et invisible pour les non-spécialistes. Comment comprendre
      autrement que l’africanité du choeur‚ de Danaos‚
      de l’armée des fils d’Égyptos soit si souvent refoulée
      dans les traductions et les rares mises en scène de la
      pièce‚ alors que l’adjectif « noir » apparaît à plusieurs
      reprises et que Danaos‚ craignant un crime raciste‚
      exige une escorte pour entrer dans la ville ?
      Eschyle‚ qui avait déjà su faire parler les vaincus‚
      les barbares‚ les étrangers‚ dans Les Perses‚ confie
      le rôle principal à un choeur de femmes noires qui se
      défendent‚ argumentent‚ menacent‚ sans se laisser
      intimider ni par les conseils paternels (« parler haut
      ne convient pas aux inférieurs ») ni par les moqueries
      du roi d’Argos (« Vous vous pavanez avec des étoffes
      barbares / Des tissus dans les cheveux »).
      Un mariage forcé comme le refus de l’hospitalité
      sont‚ pour elles comme pour Eschyle‚ des impiétés
      qui mettront les dieux en colère :
      Comment serait pur
      Celui qui veut prendre une femme de force
      Contre son gré
      Celui qui fait cela
      Même mort et descendu chez Hadès
      Il sera encore accusé de crime
      Qu’importe les lois d’Égypte‚ puisqu’il s’agit d’une
      de ces « lois non écrites » voulues par les dieux. En
      lisant Eschyle‚ on comprend mal que les commentateurs
      de la pièce aient aussi consacré les trois quarts de leurs
      travaux à inventer les « vraies raisons » de la fuite des
      Danaïdes : rejet de la consanguinité‚ folie de naissance‚
      haine des hommes‚ complot de Danaos craignant un
      gendre assassin… Les hypothèses les plus fantasques
      ont été développées‚ sans qu’une seule ligne du texte
      ne vienne les soutenir‚ comme si le refus d’un mariage
      forcé et la crainte d’un viol n’étaient pas motifs suffisamment
      sérieux et qu’il fallait à toute force en trouver
      d’autres. Quand on compare Eschyle à certains de ses
      spécialistes‚ on s’interroge : qui notre contemporain‚
      qui à ranger au rayon des antiquités…

    • André Markowicz, le black face et le quant-à-soi de l’intelligentsia : Touraine Sereine
      http://tourainesereine.hautetfort.com/archive/2019/04/01/andre-markowicz-le-black-face-et-le-quant-a-soi-de-l-int

      Le blackface ? des dizaines de gens, à qui j’explique depuis plusieurs jours qu’il s’agissait d’une pratique courante dans les spectacles populaires français — au même titre que les publicités représentant des petits Africains se blanchir la peau grâce au savon des gentils Européens —, me rétorquent : « bah, on n’est pas aux Etats-Unis... »
      Bah oui, le racisme et la ségrégation, c’est Rosa Parks et Nelson Mandela. Ça n’a jamais existé chez nous.
      Ainsi, la manipulation à laquelle s’est livrée le metteur en scène Philippe Brunet, qui a tenté in extremis de remplacer par des masques plus conformes à l’esthétique antique le grimage racialiste et raciste d’actrices blanches, aura surtout montré la profonde inculture de l’intelligentsia française. On se sait de gauche, on s’est convaincu pour toujours de ne pas être raciste, et donc, même si des spécialistes de la question viennent vous rappeler que le grimage en noir, sur une scène théâtrale française, est une pratique analogue au black face, on dira que ce n’est pas vrai, que c’est de la censure.
      Notre pays n’a pas réglé sa dette vis-à-vis de son ancien Empire, ce qui permet notamment à la France de continuer à essorer ses anciennes colonies grâce au subterfuge scandaleux du franc CFA. C’est ce qui a permis à l’Etat français d’aider très efficacement au génocide rwandais en 1994. C’est ce qui permet aujourd’hui à tant d’universitaires et de gens de théâtre de s’asseoir sur l’histoire de la colonisation en taxant de « communautaristes » les opposants qui manifestent leur désapprobation quand un spectacle utilise une pratique indissociable d’un crime contre l’humanité.
      Et voilà comment des intellectuels, sans doute de bonne foi, se retrouvent, durant toute une semaine, à justifier le racisme institutionnel, aux cotés des Le Gallou et Zemmour dont ils se prétendent les adversaires.
      Cela me révolte et me révulse, mais cela n’a pas de quoi m’étonner : quoique je n’appartienne pas à une communauté racisée (ou que je ne fasse pas partie d’une minorité visible (aucune de ces formules ne me satisfait)), cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans le domaine de la littérature africaine et que j’entends des collègues et des « intellectuels » tenir des propos d’un racisme souvent inconscient mais tout à fait audible. Il y a longtemps que des ami·es me demandent de raconter tout ce que j’ai entendu, mais ce serait le sujet d’une autre chronique.

    • Et encore...

      (1) Pièce d’Eschyle censurée : le contresens d’un antiracisme dévoyé - Libération
      https://www.liberation.fr/debats/2019/04/02/piece-d-eschyle-censuree-le-contresens-d-un-antiracisme-devoye_1718911

      Pièce d’Eschyle censurée : le contresens d’un antiracisme dévoyé
      Par Vigilance Universités

    • J’ai gardé le meilleur pour la fin

      TRIBUNE. Eschyle censuré : « l’UNEF est devenu un syndicat de talibans »
      https://www.nouvelobs.com/les-chroniques-de-pierre-jourde/20190409.OBS11306/tribune-eschyle-censure-l-unef-est-devenu-un-syndicat-de-talibans.html

      Totalitarisme de l’UNEF, qui réclame des camps de rééducation pour ces imbéciles de profs et d’employés universitaires, trop racistes, c’est bien connu, autrement dit la mise en place de « formations sur la question des oppressions systémiques ». Le crétin inculte veut toujours former plus intelligent que lui à son image.

      Je garde le meilleur pour la fin. La section de l’UNEF à la Sorbonne est dirigée par une femme voilée. L’obscurantisme religieux s’ajoute ici à l’obscurantisme culturel. N’oublions jamais que le voile est précisément exigé des femmes par des régimes religieux totalitaires qui leur refusent en même temps d’hériter, de conduire, de sortir seules d’avoir une vie libre et normale. Là-bas, on n’a pas le droit de ne pas le porter. Et les femmes qui cherchent à s’en libérer sont battues et fouettées, ou simplement agressées dans la rue, car une femme non voilée est une putain, bonne pour tout homme. Le voile en pays démocratique est une insulte à la lutte des femmes pour leur libération dans les pays où règne l’Islam le plus rétrograde. Le voile signifie que les cheveux de la femme sont impudiques. Que le corps de la femme est impudique car il risque de provoquer les hommes. On ne se contente pas toujours du voile, il faut que la femme soit entièrement empaquetée de noir jusqu’aux chevilles, et son visage même dissimulé. Ainsi elle n’agressera pas le désir des hommes (qui eux, bien sûr, sont libres d’aller tête nue). Voilée et inclusive à la fois ! Comprend qui peut.

      LIRE AUSSI > Comment peut-on être musulmane et féministe ?

      L’interdiction d’une grande pièce du répertoire antique est exigée par des étudiants à grands coups de fautes d’orthographe. L’égalité et le respect des Noirs sont défendus (hors de propos) par quelqu’un qui porte le signe de l’infériorité des femmes.

      Voilà où en est l’UNEF. Voilà où en sont les luttes étudiantes à la Sorbonne.

      #voile

    • Blackface : le Gouvernement et l’extrême droite sur la même ligne ? ‹ Le CRAN
      http://le-cran.fr/blackface-le-gouvernement-et-lextreme-droite-sur-la-meme-ligne

      « Nous soutenons les associations d’étudiant-e-s, qui demandent à ce qu’une rencontre soit organisée, entre le metteur en scène et le service culturel de la Sorbonne. Afin de s’assurer qu’il n’y aura plus de blackfaces et autres stéréotypes ou outils à connotations racistes, parmi les représentations soutenues ou accueillies par l’université », a déclaré Ghyslain Vedeux, le président du CRAN. M. Le chef du services culturel, mardi dernier (26 mars) a fait comprendre à des étudiants qu’il ne souhaitait pas s’entretenir avec eux. M. Riester et Mme Vidal apportent pourtant leur soutient, tout comme…l’extrême droite. C’est un signal inquiétant qui ne laisse aucun doute car certaines scènes, jouées en l’état, consciemment ou inconsciemment, renvoient à des représentations afrophobes et racistes », a poursuivi le président du CRAN.

      LIRE : Communique-final Réponse des Étudiantes et Étudiants de Sorbonne

      En effet, dans la même journée, plusieurs sites ultra comme « Résistance républicaine » avaient également apporté leur soutien embarrassant à Philippe Brunet. Et face à Louis-Georges Tin, président d’honneur du CRAN, Jean-Yves Le Gallou (ancien membre du FN, théoricien ayant élaboré le concept de « préférence nationale », et proche d’Henry de Lesquen), a affirmé qu’il rejoignait « les ministres macronistes ».

      #blackface #noirs #colonial

    • Blackface : le gouvernement « condamne fermement » l’annulation de la pièce Les Suppliantes - Le Figaro Etudiant
      https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-sorbonne-universite-une-piece-de-theatre-antique-annulee-a-cause

      Dans un communiqué, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal et le ministre de la Cuture Franck Riester estiment qu’il s’agit d’une « atteinte sans précédent à la liberté d’expression et de création dans l’espace universitaire ». Ils font part de leur soutien à l’université ainsi qu’au metteur en scène et aux comédiens. Une nouvelle représentation des Suppliantes sera organisée « dans les prochaines semaines et dans de meilleures conditions » au sein du grand amphithéâtre de la Sorbonne, ont-ils également annoncé.

      #Racisme_d'Etat

    • (2) Ligue de défense noire africaine - Accueil
      https://www.facebook.com/liguededefensenoirafricainefrance

      Pour nous La LDNA le problème n’est ni Eschyle ni les Suppliantes mais le metteur en scène qui sous couvert d’antiracisme voulait grimer ses actrices en femmes noires ; puis suite à nos protestations souhaitait leur faire porter des caricatures de masques totémiques qui n’avaient de remarquables que leur laideur !
      Les vraies questions de notre action sur La Sorbonne et la pièce d’Eschyle sont :
      1) pourquoi le metteur en scène a-t-il choisit que les solutions qui outrageaient ?
      2) Pourquoi n’a-t-il pas recruté des actrices noires ?
      3) Pourquoi n’a t il pas utilisé de jolis masques stylisés ?

    • J’avoue ma perplexité devant ce dernier lien et cette remarque sur la joliesse des masques. C’est quoi des « jolis masques stylisés » ?
      Pour cette troupe de théatre de la sorbonne il me semble que c’est des étudiantes qui jouent, en amatrice·urs au sein de leur fac. sachant ceci je ne voie pas comment recruté 50 femmes noires. Est-ce qu’il faut interdire cette pièce pour toutes les compagnies de théâtre qui ne disposent pas de 50 femmes noires ?

    • Pour les masques : ceux envisagés pour le spectacle n’avaient rien à voir avec des masques antiques (à mon sens, ils ressortaient plutôt du style « Y a bon banania », mais comme je n’ai jamais compris comment on collait une image sur seenthis, je ne peux pas le prouver...). Effectivement, des masques absolument abstraits genre Bauhaus / Oskar Schlemmer ou des copies des masques grecs de l’antiquité n’auraient pas provoqué ces réactions. Là, selon l’aveu du metteur en scène lui-même, il s’agissait « d’exagérer les traits du visage ». Quand un metteur en scène blanc avec des actrices blanches décident de représenter des Africaines à l’aide de masques « accentuant les traits du visage », on peut être inquiet du résultat...

      Personne n’a besoin de 50 femmes pour jouer Les Suppliantes - il peut y en avoir deux ou trois, aucune importance, ou 12, comme dans l’Antiquité. C’est du théâtre, pas une reconstitution exacte de la mythologie grecque pour la télé. Il y a beaucoup de débats ces dernières années sur l’invisibilisation des personnes racisées sur les scènes de théâtre - comme le metteur en scène a voulu faire cette pièce, comme il le dit, pour parler du racisme, de l’identité, etc (c’est l’histoire de demandeuses d’asile africaines en Grèce, pour résumer à l’extrême), c’est étrange qu’il n’ait pas songé à trouver 2 ou 3 étudiantes noires à la Sorbonne. Mais admettons qu’il n’y ait aucune étudiante noire à la Sorbonne. La pièce a été mise en scène récemment par Gwenaël Morin à Lyon avec de jeunes comédiennes de toutes les origines, et par Jean-Pierre Vincent avec des amatrices des quartiers de Marseille, et ça n’a suscité aucune protestation parce que personne n’était « grimé en noir ».

    • D’autres photos circulent sur twitter, vraiment pires. Apparemment il y a eu passage d’une version « grimée » l’an passé à une version « masquée » (cette année).

    • Blackface à la Sorbonne : victoire du CRAN et de ses partenaires ‹ Le CRAN
      http://le-cran.fr/blackface-a-la-sorbonne-victoire-du-cran-et-de-ses-partenaires

      A la suite de ce boycott lancé le 21 mars dernier par le CRAN et repris par ses partenaires, les étudiants ont interpellé Philippe Brunet, le metteur en scène de la pièce. Dans un premier temps, il a proposé de faire jouer les scènes concernées avec « un masque noir ». En s’appuyant sur le travail du CRAN (voir site internet www.stopblackface.fr), les étudiants ont aisément démontré que cela ne réglait pas le problème tant les masques restaient grossiers, perpétuant les stéréotypes afrophobes et racistes.

      Puis, dans une seconde tentative peu convaincante, Philippe Brunet s’est hasardé à proposer que la pièce soit jouée avec… « des masques dorés ». Ne se laissant pas amadouer, les étudiants ont demandé à voir ces fameux « masques dorés » ; Philippe Brunet fut bien en peine de leur montrer les objets en question, et finalement, il dut se résoudre à annuler cette représentation.

      « Après notre appel au boycott du 21 mars, relayé par les étudiants et les associations de la Sorbonne, nous avons été entendus. A présent, avec nos partenaires, nous souhaitons que se tienne très bientôt un colloque sur l’histoire du Blackface en présence de ce metteur en scène, de la direction du centre culturel et du doyen de cette université. Ce sera une sorte de réparation », a conclu Ghyslain Vedeux, le président du CRAN.

    • Il y a quelques photos sur le tweet de Rokhaya Diallo

      dont la première datée de 2017

      également ceci au Figaro


      Pour éviter de se grimer en noirs, les comédiens avaient proposé de porter des masques de couleurs.
      Crédits photo : Culture-sorbonne

      (note : le site du Point fonctionne (plus ou moins…))
      EDIT : je vois que tu as essayé de poster cette même image. Tu as mis l’adresse du tweet (ce qui permet de la retrouver), pour avoir l’image il faut l’adresse… de l’image que tu obtiens par un clic droit sur celle-ci.

    • Quel rapport entre la direction de Paris IV et la culture populaire américaine, je voudrais bien le savoir...(pardon, je parle toute seule)

      A propos du « blackface » : politique, mémoire et histoire. – Le populaire dans tous ses états
      https://noiriel.wordpress.com/2019/03/31/a-propos-du-blackface-politique-memoire-et-histoire

      Or les travaux historiques qui ont été publiés récemment sur le blackface montrent que ces spectacles ont toujours été « ambigus ». Pour illustrer ce point, je m’appuierai sur des écrits publiés par des auteurs qu’on ne peut pas soupçonner de la moindre complaisance à l’égard du racisme. Il s’agit du livre de l’historien américain William T. Lhamon, Raising Caïn. Blackface performance from Jim Crow to Hip-Hop, publié par Harvard University Press en 1998. Il a été traduit en français sous le titre Peaux blanches, masques noirs. Performances du blackface de Jim Crow à Michael Jackson, édition Kargo et L’Eclat, 2008, avec une préface du philosophe Jacques Rancière.

      Il est regrettable, mais logique (vu la position hégémonique qu’occupent aujourd’hui dans le champ intellectuel les identitaires de tous poils) que ce très beau livre n’ait pas rencontré plus d’écho dans notre espace public. Dans sa préface, Jacques Rancière a clairement indiqué les raisons pour lesquelles cet ouvrage était important. Les spectacles en blackface, concoctés au début du XIXe siècle par des comédiens blancs grimés en noir dans de petits théâtres populaires new-yorkais, étaient typiques d’une « culture sans propriété ». William Lhamon la définit en réhabilitant un vieux mot anglais : « lore », terme qu’il détache du terme « folk-lore », lequel s’est imposé par la suite pour assigner une culture à un peuple. Rancière enfonce le clou en soulignant qu’une culture n’est la propriété d’aucun groupe ethnique, car elle est « toute entière affaire de circulation ». La circulation d’une pratique culturelle permet non seulement de la faire partager à d’autres publics, mais elle aboutit toujours aussi à des formes d’appropriations multiples et contradictoires. Ce qui fut le cas au début du XIXe siècle, car le public qui assistait à ces représentations était composé d’esclaves et d’ouvriers (blancs et noirs) de toutes origines.

      Pourtant, dès le départ, le spectacle blackface « a fait l’unanimité de tous les bien pensants » contre lui, ajoute Rancière, résumant l’une des thèses centrales du livre. Non seulement les bourgeois cultivés le rejetaient car ils le trouvaient trop vulgaire, mais il était dénoncé également par les antiracistes de l’époque. « Les champions de l’émancipation des Noirs comme Frederick Douglass, relayés plus tard par la tradition de gauche, dénonçant cette appropriation des chants et danses du peuple noir, transformés en caricatures racistes d’un peuple enfoncé dans sa minorité. C’est récemment seulement que les historiens du blackface ont commencé à complexifier cette vision du spectacle de ménestrels comme une caricature issue du Sud esclavagiste donnée par des Blancs pour conforter le racisme de leurs semblables ».

    • Des masques derrière lesquels le racisme ne peut se cacher, de l’art derrière lequel le racisme ne peut se cacher... Le racisme ne peut se cacher, il s’exprime et se subit, c’est tout.
      Je pense aussi à ça :
      https://seenthis.net/messages/772108
      L’"artiste" a déclaré ne pas vouloir se justifier et a fait le lien avec les « Suppliantes ».
      https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/sete/accuse-racisme-artiste-setois-herve-di-rosa-reagit-vive

    • À noter car @cie813 est trop modeste sa traduction s’intitule “Les Exilées” (aux éditions Solitaires intempestifs, 2013)
      https://www.solitairesintempestifs.com/livres/467-les-exilees-9782846813.html

      Les Exilées, Les Suppliantes sont à vrai dire le même texte d’Eschyle. Irène Bonnaud, metteur en scène et traductrice l’a revisité en le rattachant à l’histoire immédiate de l’Europe vis-à-vis des migrants du sud et en prenant comme texte d’origine le point de vue des femmes. Aujourd’hui, un migrant vient forcément du sud. C’est la tragique loi du système économique mondialisé qui ne cesse de déposer des corps épuisés, échoués après une traversée indicible de malheurs.

      Un extrait et une belle carte chez @vacarme
      https://vacarme.org/article2240.html

    • Oui, ça vient de @reka, bien sûr (je ne comprends pas que Vacarme ne l’ait pas crédité, c’est bizarre - il doit l’être dans la version papier, enfin j’espère). C’est le parcours de Io pourchassée par le taon, la ligne en pointillée c’est le trajet de ses descendantes, les héroïnes des « Suppliantes », qui viennent demander l’asile à Argos, royaume d’origine de leur arrière-arrière grand-mère.
      Mais arrivée dans le delta du Nil, la princesse grecque Io a mis au monde l’enfant de Zeus, Epaphos, qui est noir et fonde les dynasties africaines (d’où la polémique qui nous occupe).

      Eschyle dans « Prométhée enchaîné » (ma traduction aux Solitaires Intempestifs - comme @fil a commencé à faire de la pub, je continue) :

      Il est une cité
      Canope
      Qui se dresse au bout de la terre d’Égypte
      Sur un talus formé d’alluvions du Nil
      Là Zeus te caressera
      Doucement
      Sans te faire peur
      Le geste de sa main te rendra la raison
      Et ce même geste
      Sans étreinte
      Te fécondera
      Tu mettras au monde un fils au visage noir
      Épaphos
      L’enfant-né-d’une-caresse
      Il régnera sur les terres qu’arrose le Nil au large cours

      Eschyle dans « Les Suppliantes / Les Exilées » :

      Choeur.

      Mon récit sera bref
      Mes paroles claires
      Nous sommes d’Argos
      Nous descendons d’une génisse qui enfanta des rois
      C’est la vérité
      Nous pouvons le prouver

      Roi d’Argos.

      Comment vous croire
      Étrangères
      Comment pourriez-vous être d’Argos
      Vous ressemblez à des Libyennes
      Pas aux femmes de ce pays
      Le Nil nourrit des plantes dans votre genre
      Vos traits rappellent aussi les statues de femmes
      Que des sculpteurs fabriquent sur l’île de Chypre
      Et on raconte des histoires sur des Indiennes nomades
      Elles font attacher des selles à dossier sur des chameaux
      S’y prélassent en avançant aussi vite qu’à cheval
      Et se promènent ainsi jusqu’aux villes d’Éthiopie
      Le pays au visage brûlé par le soleil
      Si vous aviez des arcs et des flèches
      Je pourrais vous prendre pour des Amazones
      Les femmes sans hommes
      Mangeuses de chair crue
      Mais instruisez-moi
      Comment votre famille pourrait être d’Argos

      Choeur.
      Tu as entendu parler de Io
      Une jeune fille qui officiait au temple d’Héra
      Ici à Argos

      Roi d’Argos.
      Il y a beaucoup d’histoires à son sujet

      Choeur.
      On raconte que Zeus coucha avec elle

      Roi d’Argos.
      Et qu’Héra les surprit en pleine étreinte

      Choeur.
      Dispute chez les rois de l’Olympe
      Tu sais comment elle finit

      Roi d’Argos.
      La déesse transforma la jeune femme en génisse

      Choeur.
      Mais Zeus retourna la voir
      Elle avait de belles cornes

      Roi d’Argos.
      On le dit
      Zeus prit la forme d’un taureau saillisseur

      Choeur.
      Que fit alors son épouse
      Ivre de fureur

      Roi d’Argos.
      Pour surveiller la génisse
      Elle trouva un gardien aux yeux innombrables

      Choeur.
      Ce bouvier qui pouvait tout voir

      Roi d’Argos.
      S’appelait Argos car il était né de cette terre
      Mais Hermès le tua

      Choeur.
      Quelle torture inventa Héra contre la pauvre génisse

      Roi d’Argos.
      Une mouche qui la poursuivait sans cesse

      Choeur.
      Au bord du Nil
      On l’appelle un taon

      Roi d’Argos.
      Il la chassa d’ici
      L’entraîna dans une longue errance

      Choeur.
      On nous a raconté la même histoire

      Roi d’Argos.
      Enfin elle arriva en Égypte
      À Canope ou à Memphis

      Choeur.
      Et Zeus la caressa
      De sa main il engendra un enfant

      Roi d’Argos.
      Qui était-ce
      Ce fils d’un dieu et d’une génisse

      Choeur.
      Épaphos
      L’enfant né d’une caresse
      Le nom est bien trouvé
      D’Épaphos est née Libye
      Reine de l’Afrique
      Le plus grand des continents

    • Tiens, Lundi AM s’aligne sur les positions de Marianne, on aura tout vu...(le texte n’a pas l’air signé, mais ça doit être un ami d’"Hervé" puisqu’il l’appelle par son prénom)

      Polémique autour d’une représentation des Suppliantes d’Eschyle
      https://lundi.am/Polemique-autour-d-une-representation-des-Suppliantes-d-Eschyle

      Pour ce qui concerne les accusations de perpétuer les représentations associées à l’esclavage et au colonialisme, la polémique la plus célèbre, avant celles concernant la mise en scène des Suppliantes et la toile d’Hervé, était celle dont Brett Bailey, metteur en scène d’Exhibit B, fut la cible, des associations tentant même d’obtenir l’interdiction de l’œuvre en justice.

    • Je perds patience (pourquoi j’ai commencé à archiver ces trucs, je me demande)

      « Quand ils s’en prennent à la création, les anti- “blackfaces” tombent souvent dans le contresens, historique comme esthétique »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/29/quand-ils-s-en-prennent-a-la-creation-les-anti-blackfaces-tombent-souvent-da

      Comment qualifier ce qui s’est passé, lundi 25 mars, à la Sorbonne ? De grotesque ? D’affligeant ? D’inquiétant ? Des étudiants et des militants de la cause noire ont empêché par la force la tenue d’une pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, au motif que des acteurs blancs portaient des masques sombres ou étaient grimés de noir. Le metteur en scène de la pièce entendait user d’un artifice ancré dans la tragédie grecque, mais aussi rendre hommage à l’influence de l’Afrique dans la Grèce antique. Mais pour les censeurs, ce blackface est raciste.
      Lire aussi A la Sorbonne, la guerre du « blackface » gagne la tragédie grecque
      Certains diront que ce n’est pas bien méchant, que c’était un spectacle confidentiel. C’est très grave. Pour de multiples raisons. La pièce devait se jouer dans la plus ancienne université française, un emblème de la Nation. Son metteur en scène, Philippe Brunet, est un helléniste respecté – il a essuyé des injures. Et puis cette entrave à la liberté de création n’a pas vraiment fait réagir les milieux culturels, pourtant épidermiques sur le sujet. Il a fallu près de deux jours, et des articles dans la presse, pour que les ministères de la culture et de l’enseignement supérieur publient un communiqué navré, promettant que la pièce se tiendra dans les semaines à venir.
      « Coup » prévisible 
      En fait les milieux culturels sont tétanisés. Ils font corps quand se dresse une censure venant de l’Etat, des cercles d’extrême droite ou catholiques. Mais là, leurs ennemis pourraient être leurs amis. Depuis quelques années, des communautés en France – ici des Noirs – adoptent une posture victimaire, estimant que l’Occident, par nature raciste, n’est pas légitime pour écrire leur histoire, passée et actuelle, et fustigent tout signe d’appropriation culturelle, qu’elle soit vernaculaire ou venant d’artistes blancs et dominants

    • Il ne manquait plus que lui pour notre série : "les bons anti-racistes sont les anti-racistes blancs, les autres sont des sauvages incultes"

      (20+) Eschyle, le « blackface » et la censure - Libération
      https://www.liberation.fr/politiques/2019/04/15/eschyle-le-blackface-et-la-censure_1721447

      Le metteur en scène, Philippe Brunet, proteste de ses convictions ouvertes et égalitaires. Mais c’est un individu éminemment louche puisqu’il est animé de valeurs humanistes et travaille depuis des lustres sur la langue grecque ancienne, cherchant à mettre en lumière – et à réhabiliter – les influences africaines sur la culture grecque de l’Antiquité. Un raciste qui s’ignore, donc, qui a eu la criminelle idée de rappeler que les « Suppliantes » avaient sans doute la peau cuivrée et qu’il a envisagé de leur brunir le visage avec un onguent, avant d’opter pour des masques de cuivre.

      #désinformation #fakenews

    • #merci @christopheld !

      @cie813, c’est effectivement assez désespérant mais la compilation est importante. D’ailleurs, il s’agit de
      • Michel Guerrin, rédacteur en chef au Monde (avec un #paywall)
      • Laurent Joffrin, directeur de la publication de Libération

      Par moment, je ne peux m’empêcher de comparer à la période de recomposition de l’échiquier politique des années 30, où la droite comme la gauche a eu à se situer vis-à-vis des fascismes mussolinien et hitlérien en démarrant des trajectoires qui ont débouché sur les attitudes pendant l’occupation. Aujourd’hui, c’est autour de l’islamophobie et de cette attaque de l’antiracisme que se recomposent droite et gauche. Quel en sera l’aboutissement ? Question plutôt angoissante…

      et donc #merci, @cie813

    • La présentation en partie fausse et lourdement orientée de France Culture (qui ne sait pas orthographier Libye par ailleurs)

      « Les Suppliantes » et le blackface : les nouvelles censures au théâtre
      https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/les-nouvelles-censures-au-theatre


      Lundi 25 mars, la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes montée par la compagnie Démodocos et programmée dans l’amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne, a été empêchée de jouer par une cinquantaine de militants de la Ligue de défense noire africaine (LDNA), de la Brigade anti-négrophobie, et du Conseil représentatif des associations noires (Cran), accusant la mise en scène de racisme. Motif : la pièce met en scène le peuple des Danaïdes venu d’Egypte et de Lybie demander asile aux Grecs de la ville d’Argos, les acteurs ont couvert leur visage d’un maquillage par-dessus lequel ils se sont couverts de masques cuivrés et non pas noirs, comme cela se faisait dans la Grèce antique. Cela a suffi pour que les militants crient au « blackface », du nom de ce genre de maquillage théâtral américain du 19ème siècle ou des acteurs blancs se maquillaient pour caricaturer les noirs, et décident d’agir.

      « C’est un procès d’intention et un contresens total », a aussitôt dénoncé la présidence de l’université. « Une partie de la troupe a été séquestrée par des excités venus là pour en découdre », a accusé, de son côté, le metteur en scène et directeur de la compagnie Philippe Brunet, qui dénonce par ailleurs des pressions physiques de la part des militants de la Ligue de défense noire et du Cran sur des actrices en larmes et envisage de porter plainte. Neuf mois après les débats provoqués notamment dans cette émission par les attaques contre la pièce du Canadien Robert Lepage Kanata accusée de racisme, voici que la polémique fait retour sur un nouveau cas de censure et de violence au théâtre.

    • Ah un texte intéressant sur cette affaire, et de quelqu’un qui a vraiment lu la pièce, contrairement à nos républicains qui veulent sauver la culture (et c’est écrit par une universitaire américaine, spécialiste en « gender studies » !)

      Classics at the Intersections : The (Black)Faces of Aeschylus’ Suppliants
      https://rfkclassics.blogspot.com/2019/03/the-blackfaces-of-aeschylus-suppliants.html

      Over the last two weeks, I’ve given a series of talks on Aeschylus’ play and asked myself the question of whether in its original context it was a play about welcoming refugees or about the benefits of the Athenian empire (and so ’colonialist propaganda), or if it was really about the threat and danger of immigrants to Athens. Because audiences aren’t monolithic, I think it probably can legitimately be interpreted as all three, depending on who is in your audience.

      I’ve been trying to think of the play within the context of Athens’ descent in the 460s and 450s into anti-immigrant policies and strict monitoring of citizenship. The play was performed around 463 BCE, around the time that the new category of ’metic’ (translated as ’immigrant’ or ’resident foreigner’) was created and only a decade before Athens began racializing its citizenship with the passage of the law requiring double Athenian parentage for citizenship and emphasizing its autochthonous birth.

      #colonialisme #métèques #migrants #blackface

    • Bon, c’est l’UNI (mais ce qui est inquiétant, c’est le nombre de gens qui s’alignent sur ces délires désormais)

      L’indifférence de militants de l’Unef devant Notre-Dame, ou le vrai visage des enfants de Bourdieu
      http://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-indifference-de-militants-de-l-unef-devant-notre-dame-ou-le-vrai-visage-d

      C’est sous l’influence de cette idéologie que le syndicat défend désormais les séminaires en non-mixité, fait interdire la pièce de théâtre, les Suppliantes d’Eschyle, en se basant sur les concepts décolonialistes de « blackface » et « d’appropriation culturelle », ou encore lance une vaste campagne sur les campus français pour dénoncer « une société organisée pour les blanc.he.s » et « les programmes d’histoire occidentaux-centrés ».

    • « Masques cuivrés », « interdire », « une pièce d’Eschyle » - au concours du plus grand nombre de fake news au centimètre carré, la gagnante est...

      NOTRE-DAME ET LE BRASIER IDENTITAIRE – Caroline Fourest
      https://carolinefourest.wordpress.com/2019/04/25/notre-dame-et-le-brasier-identitaire

      Décidément, les membres de l’Unef méritent leur nouvelle réputation de talibans en culottes courtes. Quand il ne soutient pas le « hijab day » à Sciences-Po, le syndicat se bat pour faire interdire une pièce d’Eschyle à la Sorbonne parce que mettre des masques cuivrés pour raconter la tragédie des migrants – en l’occurrence des Danaïdes – serait un blackface ! Pire que les hébertistes qui brisaient les icônes pendant la Révolution, les iconoclastes d’aujourd’hui sont bigots quand il s’agit de religion et analphabètes quand il s’agit de culture. Exactement comme les identitaires racistes qu’ils dénoncent, mais à qui ils ressemblent comme des frères jumeaux sous un autre masque. A les lire, ce n’est pas seulement notre patrimoine et notre idéal universel qu’il faut protéger de leurs incendies, mais toute une culture politique qu’il faut rebâtir.

    • Pour dire la même chose, on peut compter sur Eugénie Bastié pour Le Figaro/Vox (avec #paywall : si quelqu’un l’a en entier ?)

      Pièce de théâtre interdite, Finkielkraut insulté  : ce sectarisme qui monte à l’université
      http://www.lefigaro.fr/vox/societe/eschyle-interdit-finkielkraut-insulte-sectarisme-a-l-universite-20190424

      Pièce de théâtre interdite, Finkielkraut insulté : ce sectarisme qui monte à l’université

    • Sylvie Chalaye, pédagogue

      Eschyle à la Sorbonne : pourquoi condamner le blackface ? | Africultures
      http://africultures.com/eschyle-a-la-sorbonne-pourquoi-condamner-le-blackface

      Les pratiques anciennes ne sont pas automatiquement légitimes. On doit pouvoir les reconsidérer à la lumière des expériences que l’humanité a traversées depuis cette époque. La traite, l’esclavage, la colonisation… sont passés par là. Ne pas reconnaître l’humiliation qui fait résurgence dans certains gestes dont on ne sait pas la portée et qui touchent les afrodescendants est un manque d’humilité dommageable.

    • « Blackface » ou le théâtre de la question raciale - Libération
      https://www.liberation.fr/debats/2019/05/06/blackface-ou-le-theatre-de-la-question-raciale_1725284

      Pourtant, cette conception de l’autorité créatrice qui fixe le sens de l’œuvre n’a-t-elle pas été remise en cause par la théorie littéraire depuis cinquante ans ? En 1968, Roland Barthes s’attaque à la critique qui « se donne pour tâche importante de découvrir l’Auteur (ou ses hypostases : la société, l’histoire, la psyché, la liberté) sous l’œuvre » ; il lui oppose l’écriture. Et de conclure : « La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur. » L’année suivante, Michel Foucault prolongera cette analyse de la « fonction-auteur », qui « est la figure idéologique par laquelle on conjure la prolifération du sens ».

      Pour trancher les conflits d’interprétation, on revient aujourd’hui à l’autorité du metteur en scène, relais de l’auteur. Pourquoi ce retour porte-t-il sur la question raciale ? C’est en réaction à l’évolution de nos conceptions du racisme et de l’antiracisme. Dans les années 80, la montée du FN pouvait s’interpréter selon une définition idéologique du racisme. Mais, à partir des années 90, la prise de conscience des discriminations systémiques amène à penser un racisme structurel. Il n’est plus possible de réduire le racisme à la seule intention ; à partir de ses conséquences, on appréhende le racisme en effet.

      Dès lors, la question n’est plus uniquement de savoir si tel ou telle, au fond, est raciste ; on considère les choses du point de vue des personnes dites « racisées », car assignées à leur couleur ou leur origine par des logiques de racialisation qui dépassent les intentions et idéologies, bonnes ou mauvaises. Pour combattre les violences de genre, on a fini par l’accepter, mieux vaut se placer dans la perspective des victimes. On commence à le comprendre, il en va de même du racisme : l’intention n’est pas tout.

    • Pour une liberté de création partagée par tous – sur l’affaire des Suppliantes | AOC media - Analyse Opinion Critique
      https://aoc.media/opinion/2019/05/03/liberte-de-creation-partagee-laffaire-suppliantes

      THÉÂTRE
      Pour une liberté de création partagée par tous – sur l’affaire des Suppliantes
      Par Bérénice Hamidi-Kim

      SOCIOLOGUE DU THÉÂTRE
      Fin mars à la Sorbonne, des manifestants ont interrompu une représentation des Suppliantes d’Eschyle. En soutien au metteur en scène, l’helléniste Philippe Brunet, de nombreux artistes et intellectuels ont, à l’initiative du Théâtre du Soleil, co-signé une tribune récusant les accusations de blackface. Et si l’on en profitait pour amorcer un débat dans lequel il serait possible d’imaginer davantage que deux points de vue qui s’affrontent ?
      Qu’est-ce qui a eu lieu le 25 mars 2019 à Paris ? « Les faits sont connus », présuppose d’emblée la tribune intitulée « Pour Eschyle » initiée par le théâtre du Soleil, qui parle de « censure » et d’« agression grave », après l’interruption par des manifestants d’une mise en scène des Suppliantes à la Sorbonne. Mais le sont-ils vraiment ? On peut en douter, tant les faits sont en l’occurrence pris à parti pour servir de preuve et d’arme dans un conflit qui oppose, avec une violence assez spectaculaire, deux camps. Et justement, la présentation et la mise en récit des événements joue un rôle décisif pour chacun de ces camps, qui s’en sert pour asseoir la légitimité de sa position et pour qualifier ou plutôt disqualifier le camp adverse. Politique, le conflit est aussi un conflit de valeurs et un conflit de légitimité qui se joue également sous la forme d’un conflit de narrations. Comme au théâtre, justement, le sens découle de la manière de cadrer l’action, de distribuer les rôles, de raconter l’histoire, ou ici, l’Histoire.

      Pour le Soleil et ses soutiens, l’affaire est simple et la cause est entendue. L’événement qui a eu lieu ce jour-là consiste dans l’interruption d’une représentation d’un projet théâtral innocent et même bien intentionné sur les questions raciales : la mise en scène par l’helléniste Philippe Brunet des Suppliantes d’Eschyle, dans le cadre d’un atelier de théâtre antique soucieux de restituer la part méditerranéenne et africaine de l’auguste civilisation grecque et de son théâtre. Et cette agression est doublement brutale, parce qu’elle a recouru à la force physique et parce qu’elle aurait eu lieu sans sommation.

      Au contraire, pour ceux qui se sont opposés au spectacle, et parmi eux ceux qui ont assumé de vouloir empêcher la bonne tenue de la représentation, cette opposition se justifie par le refus de dialoguer dont aurait fait preuve le metteur en scène depuis… un an. Car tout ne se superpose pas de manière aussi simple et binaire que la tribune tend à le faire croire, et les moyens d’action ont fait débat au sein du camp des opposants. L’opposition se justifie aussi par le refus catégorique du metteur en scène d’accréditer leur qualification de son geste artistique : un blackface. Comprendre : que des personnes blanches se maquillent le visage en noir pour caricaturer des personnes noires, les diaboliser ou les tourner en dérision, en tout cas les déshumaniser.

      Pour le Soleil, il ne s’agit pas de blackface pour deux raisons. La première raison est que la mise en scène recourt à des masques – à quoi les opposants rétorquent que dans une première étape de la création, celle qui avait mis (discrètement alors) le feu aux poudres, il s’agissait uniquement de maquillage. Ce n’est de fait que dans un second temps que le metteur en scène a ajouté le port de masques noirs et cuivrés (ornés, en guise de cheveux, d’extensions capillaires de couleur noire) ce qui, pensait-il, était de nature à apaiser les choses. La seconde raison est que le blackface ne serait pas affaire de geste mais d’intention. D’où l’idée, que l’on retrouve dans plusieurs autres textes de soutien à Philippe Brunet, que les opposants feraient un « contresens » total sur le texte d’Eschyle et sur le projet du metteur en scène.

      L’opposition serait donc aussi entre personnes dotées de capacités d’intellection et de culture, et personnes incultes. Pourtant, comme les opposants, le Parlement Européen choisit de ne pas considérer l’intention et de s’en tenir au geste, quand il déclare que « la pratique consistant à se noircir le visage perpétue des idées préconçues bien ancrées au sujet des personnes d’ascendance africaine, et peut ainsi exacerber les discriminations », et manifeste « la persistance de stéréotypes discriminatoires ». Pourquoi ? A cause de ce fait historique qui est que « les injustices à l’égard des Africains et des personnes d’ascendance africaine qui ont jalonné l’histoire, comme la réduction en esclavage, le travail forcé, la ségrégation raciale, les massacres et les génocides qui se sont produits dans le contexte du colonialisme européen et de la traite transatlantique des esclaves, sont très peu reconnues et prises en compte par les institutions des Etats membres ».

      C’est donc à ces institutions – et donc notamment aux institutions culturelles – que le Parlement européen en appelle quand il « invite les Etats membres à dénoncer et à décourager le maintien de traditions racistes et afrophobes ». Un texte émanant des institutions politiques européennes, écrit au nom des valeurs démocratiques, et qui condamne l’usage du blackface quelles que soient les intentions de qui y recourt… voilà qui pourrait ébranler quelques certitudes quant à la simplicité axiologique de la répartition des camps. Avec ce texte, les élus politiques cherchent à agir sur le cours de l’histoire, car c’est à cela aussi que peuvent servir les politiques publiques. Et pour cela, elles s’appuient souvent, faut-il le rappeler, sur les luttes menées auparavant par les mouvements d’émancipation : mouvement ouvrier, suffragettes, Front Populaire, mouvement des droits civiques etc… sans ces luttes et les femmes et les hommes qui se sont battus parfois au péril de leurs vies, pas de droit du travail, pas de droit de vote des femmes, pas de décolonisation, pas de politiques de lutte contre les discriminations, pas d’actualisation des valeurs démocratiques.

      Bref, c’est peu dire que toute cette affaire est complexe. Il faudrait donc prendre le temps d’investiguer les faits, les concepts (blackface[1], mais aussi appropriation culturelle, censure, boycott, liberté de création/d’expression) et plus largement, les formes qu’a pris ce conflit de narration et de légitimité, ce qu’il révèle, et ce qu’il cache. Pour l’heure, je voudrais m’attacher précisément à la tribune rédigée par le Soleil. Pourquoi ? Elle a rassemblé un nombre impressionnant de signataires, artistes et universitaires dont la liste produit un effet de légitimité incontestable – même si une des particularités notables de cette tribune est que parmi les signataires se côtoient des gens qui ont à dire vrai peu de raisons de se rassembler, tant ils tiennent sur les questions brûlantes des discriminations – du racisme, du sexisme et de l’homophobie – des positions divergentes. Serait-ce justement le signe que « l’affaire est grave » et mérite donc un front uni, en l’occurrence un front démocratique et républicain ? Face à quoi ?

      Revendiquant de parler « pour », la tribune est de fait surtout écrite contre. Un premier trouble vient de l’omniprésence d’une rhétorique que le texte dit dénoncer mais qu’il reprend à son compte. « Vocabulaire digne d’un tribunal ecclésiastique médiéval », « juges autoproclamés du Bien et du Mal » : le texte érige comme menace principale sur la démocratie l’intégrisme, mêlant l’intégrisme religieux (le texte cite les mouvements catholiques ayant demandé l’interdiction du spectacle de Castellucci mais parle aussi de « fatwa ») ou l’intégrisme politique, qui serait à l’œuvre ici, au motif que la « logique identitaire » serait « la même » – ce qui reste à démontrer. Il agite aussi en toile de fond d’autres repoussoirs, certains venus du passé : le stalinisme (« commissaire politique ») voire le nazisme (« autodafés »), et un autre qui serait propre à notre présent, « le catéchisme de la société prétendument « inclusive », qui en réalité fixe et cloître chacun dans une « identité » d’appartenance et dicte aux uns et aux autres la place qu’ils ne doivent pas quitter ».

      Dire que le camp d’en face est celui des barbares – littéralement, ceux qui ne comprennent pas notre langue ou celle d’Eschyle, mais aussi, ceux qui sont des « autres », des étrangers aux valeurs de « notre » communauté, n’est-ce pas une façon bien commode de se mettre dans le camp du bien ? Et une façon bien problématique de binariser les oppositions : démocrates contre barbares, esprits des lumières contre obscurantistes, universalistes contre identitaires, laïques contre intégristes, cultivés contre ignares, Printemps républicain contre Parti des Indigènes de la République… nous contre eux…

      Ce qui m’a gênée dans cette tribune, c’est qu’elle m’a semblé faire exactement ce qu’elle dénonce, usant du ton d’un tribunal, condamnant sans souci des faits, et sans même accorder aux accusés un procès équitable. C’est également le fait que ceux qui ont initié la tribune m’ont semblé pour tout dire juge et partie, le spectacle Kanata mis en scène par Robert Lepage avec la troupe du Soleil ayant été au cœur d’une autre polémique – des associations d’artistes autochtones avaient estimé que le spectacle relevait d’une forme « d’appropriation culturelle »[2] puisqu’il représentait leur histoire, et ce faisant se l’appropriait et en tirait des bénéfices économiques et symboliques, sans les inclure et sans les consulter.

      C’est enfin, c’est surtout que les auteurs comme les signataires, dont la liste et les titres ne peuvent qu’impressionner, sont en position de force pour imposer leur conception du partage des rôles et des positions – et font comme s’ils ne le savaient pas. En bref, c’est le fait que cette tribune construit un espace énonciatif d’intimidation, qui empêche et même interdit de penser. S’y exprime un « nous » en majesté et en mode majeur, qui dit défendre la liberté d’expression et de création mais use de tactiques autoritaires, et cherche à faire taire tout doute et toute objection. Je voudrais précisément formuler à présent deux objections, relatives à la caractérisation du « eux » repoussé et à une contradiction dans les valeurs défendues et dans l’appel à la liberté de création en général et du théâtre public en particulier.

      « Le théâtre est le lieu de la métamorphose, pas le refuge des identités. » Philippe Brunet en une phrase exprime l’enjeu de cet art – de tout art : pouvoir se sentir être autre que « soi-même » – à travers des personnages, des histoires, et rejoindre ainsi toute l’humanité », dit la tribune. Or, justement, c’est précisément ce que réclament nombre d’artistes noirs et plus largement non blancs aujourd’hui : d’avoir le droit, eux aussi, de pouvoir incarner l’humanité et de ne pas se voir cantonnés à des rôles stéréotypés toujours dévalorisants[3], écrits et mis en scène par des personnes qui n’ont aucune idée de leurs expériences de vie. Quel mépris, que de dire à ces personnes qu’elles n’auraient rien compris au théâtre. Quelle violence, que de faire semblant de ne pas comprendre qu’il s’agit justement de réclamer le droit à la même part de liberté, à la même possibilité que le théâtre devienne le lieu de la métamorphose, et non une autre scène où se répètent et se redoublent la domination et les discriminations.

      Car le vrai scandale est là : la persistance de discriminations raciales insupportables, dans la société, et donc aussi, bien sûr, dans les mondes artistiques, et dans les représentations. C’est ce scandale qui justifie la recommandation du Parlement Européen, et qui explique sans doute la véhémence du ton de ceux qui subissent ces injustices, parce qu’il n’est jamais facile d’oser prendre la parole en tant que victime, d’autant plus quand sa parole individuelle et collective est si violemment et si continument discréditée. Être noir, aujourd’hui – comme être femme, être homosexuel – renvoie non pas à une identité génomique mais à un statut social : cela signifie être assigné à résidence identitaire, être relégué au rang de l’altérité et du particulier, et ne pouvoir prétendre être intégré au cœur de la communauté qu’à la condition de performer justement sa différence et ses particularismes, comme le montre si bien dans ses travaux Réjane Sénac[4], et jamais en tant que semblable, en tant qu’égal. Et ce n’est pas une situation qui émane de ces « sous »-groupes particuliers, tout simplement parce qu’ils ne sont pas en position d’établir les normes ! Car l’« universel » est encore trop souvent le cache-misère d’une domination par des personnes qui ont la peau blanche et qui sont des hommes, qui pensent pouvoir justement incarner l’humanité toute entière alors qu’ils sont eux aussi, comme les autres, dans une position particulière… une position dont on comprend qu’ils ne veuillent pas la quitter, d’ailleurs, car c’est une position fort plaisante : une position de pouvoir. Pouvoir économique, mais aussi bien sûr pouvoir symbolique : pouvoir d’établir les catégories, de décider (ce) qui est particulier, (ce) qui est raciste et (ce) qui est universel, d’édicter les normes. Etre renvoyé au fait qu’on n’incarne pas l’universel mais la domination est désagréable à entendre, sans doute. Reste que le pointer n’est pas formuler une revendication identitaire. C’est au contraire demander que se concrétisent les valeurs universalistes.

      La tribune nie l’existence des discriminations, de leur histoire, comme elle nie l’histoire des représentations racistes, donc. Mais elle fait également fi de l’histoire théâtrale, traversée de querelles qui ont presque toujours mêlé enjeux esthétiques et enjeux politiques, et où la question de l’autonomie de l’œuvre et de l’artiste à l’égard du contexte dans lequel il crée est complexe. Car c’est bien pour sa valeur politique, civique, que cet art est devenu un « théâtre public » financé avec l’argent de la collectivité. Cette mission politique du théâtre est même une antienne que l’on retrouve dans toutes les plaquettes de saison, dans le discours des artistes comme dans les textes de loi des pouvoirs publics[5]. Le théâtre public se veut un théâtre politique, et se veut même un mode d’action politique. Par les questions qu’il soulève, par le cadre collectif de la représentation qui fait des spectateurs un public qui débat de la chose publique, avec elle-même, par sa capacité à opérer, à l’occasion, comme contre-pouvoir.

      Comment oublier les combats militants menés par Mnouchkine elle-même, dans ses œuvres mais aussi avec d’autres outils de lutte (manifestations, grève de la faim, occupation d’églises) contre les politiques migratoires, contre l’inaction des pouvoirs publics face à la guerre en ex-Yougoslavie, contre la Loi travail ? Elle incarne par là le mythe du théâtre public, qui a construit sa légitimité depuis un demi-siècle en tant qu’il serait une des formes de l’espace public, autrement dit, une des institutions vitales de la démocratie et de la République française. D’où le caractère incongru de la ligne de défense de Brunet consistant à dire « qu’on est libres de se grimer en noir, en cuivre, en rose » et que « le théâtre n’a pas à correspondre à des règles de bienséances morales »[6], comme s’il était question d’une querelle esthétique sans cause ni effet dans le réel d’aujourd’hui. A revendiquer que l’art du théâtre n’a aucun compte à rendre au présent.

      Pour finir, je voudrais en venir à la fameuse « liberté d’expression et de création » que la tribune entend défendre, et à laquelle les opposants au spectacle contreviendraient, faisant donc acte de « censure ». Pour rappeler d’abord, s’agissant du dernier mode d’action choisi par les opposants au spectacle, à savoir la perturbation physique de la représentation, que ce geste, pas plus que l’appel au boycott, ne constitue de manière évidente une entrave à la liberté de création et un acte de censure. Tout simplement car pour censurer, il faut être en position de pouvoir institutionnel. Il peut d’ailleurs sembler étonnant que ce point ait échappé à Ariane Mnouchkine, fondatrice en 1979 de l’AIDA (Association Internationale de Défense des Artistes victimes de la répression dans le monde).

      Certes, certains plaident aujourd’hui pour une redéfinition de la notion de censure, qu’ils voudraient plus ajustée aux menaces qui pèseraient spécifiquement dans nos démocraties, gangrénées par des « censures légales ». L’Observatoire de la liberté de création, créé par la Ligue des Droits de l’Homme, considère ainsi que « censurer la création, c’est porter atteinte à la faculté de chacun de pouvoir jouir des arts et des œuvres, et porter atteinte au débat et à la faculté critique ». Mais ne peut-on discuter cette définition qui fait l’économie de la qualification de ce qui « porte atteinte au débat et à la faculté critique », et de la précision de qui est habilité à juger de ces atteintes ?

      Dans Nouvelles morales, nouvelles censures, le juriste Emmanuel Pierrat en appelle lui aussi à une extension du domaine de la censure, du fait d’un « paradoxe » qui selon lui envahirait nos démocraties, où certaines demandes d’égalité formulées par des groupes discriminés – il donne en exemple les personnes victimes de sexisme (des femmes, donc) et de racisme (des personnes non blanches, donc), pourraient aboutir à des demandes de « censure morale ». Demandes de censure, concède-t-il toutefois, et non acte de censure en soi. Car ces demandes d’élargissement de ce que censurer veut dire butent sur le fait que pour qu’il y ait censure, il faut tout de même que ceux qui cherchent à empêcher l’œuvre ou leurs alliés en aient les moyens légaux. La censure ne peut donc jamais être totalement « privatisée », pour reprendre l’expression de Pierrat, elle doit passer par des personnes morales dotées du pouvoir d’établir des normes et des lois et de les faire appliquer, autrement dit, la censure implique des institutions – l’Etat et/ou l’Eglise par exemple[7].

      Par ailleurs, la tribune choisit d’en appeler non à la simple liberté d’expression mais à la liberté de création, tout en refusant de réfléchir à l’enjeu essentiel de cette création juridique fort récente, consacrée par la loi du 7 juillet 2016. Il faut commencer par rappeler que, comme la liberté d’expression avec laquelle elle présente beaucoup – et, pour de nombreux juristes, trop – de points communs, la liberté de création souffre en France des limites légales, qui interdisent la formulation publique de certains discours racistes, antisémites, sexistes, homophobes, d’apologie du terrorisme, d’incitations à la discrimination, qui ne sont pas de simples opinions mais des délits. Ces limites, qui n’existent pas par exemple aux Etats-Unis, où prévaut le caractère sacré d’une liberté individuelle n’admettant aucune entrave, ont été formulées par le législateur français précisément au nom des valeurs républicaines. Ce qui fait que, par exemple, ce serait un contresens juridique – et une contravention à ces principes – que de considérer qu’une demande d’interdiction d’une œuvre au motif qu’elle serait raciste, serait un acte de censure.

      Par ailleurs, tout l’apport de cette notion tient à ce en quoi elle diffère légèrement de la simple liberté d’expression. Non par le fait que les artistes auraient une liberté d’expression supérieure ou plus sacrée que le reste des citoyens, ce qui serait assez contraire aux valeurs démocratiques. Mais le fait qu’il n’est plus seulement question de la liberté d’expression du sujet individuel professionnellement habilité à créer (l’artiste donc), mais aussi de la liberté collective du public ou plutôt des publics. Car cette loi a aussi et surtout été pensée comme une loi de rénovation des politiques culturelles et, dans la continuité de la loi NOTRe de 2015, elle incorpore – d’une manière que l’on pourrait d’ailleurs discuter – cette norme jusque là absente des politiques culturelles à la française que sont les droits culturels. Or, ceux-ci entendent insister sur le droit du public, c’est-à-dire des différentes composantes de la population, à prendre part à la vie culturelle, comme bénéficiaires, mais aussi comme créateurs. Autrement dit, cette norme juridique renforce la légalité des revendications de celles et ceux qui ne se sentent pas assez représentés dans les œuvres, et qui estiment qu’il y a là un problème.

      Les valeurs au cœur de ces différents textes sont-elles en contradiction ? Qui peut en juger ? Toutes ces questions sont ouvertes. Alors, oui, bien sûr que, comme le demandent les opposants, et y compris pour leur apporter la contradiction, il faut des colloques, il faut des espaces de réflexion et des espaces de débat intellectuel et politique. Réunissant universitaires, artistes et professionnels de la culture, militants, et élus politiques. Un débat où puissent se faire entendre des voix plurielles, bien au-delà des deux camps certes commodément médiatiques, en phase avec l’ère du « clash » où une idée ne vaut que si elle tient en deux mots et si elle est caricaturale, et s’oppose caricaturalement à une autre. Nous avons besoin d’un débat où plus de deux points de vue s’expriment. Et s’affrontent, bien sûr, le cas échéant. Car la démocratie, c’est le débat, musclé, si besoin, agonistique. Mais ce ne saurait être la réduction et la disqualification méprisante des positions avec lesquelles on n’est pas d’accord. Ne pouvons-nous nous accorder sur ce point ? Et sur le fait que cette affaire soulève des questions parmi les plus urgentes de notre présent historique et que, de notre capacité, avant même de chercher des réponses et des solutions, à formuler les questions et les problèmes, dépendra notre possibilité de faire société ? Si oui, au travail. Il est temps.

      [1] W.T. Lhamon Jr Peaux blanches, masques noirs, Paris, L’Eclat, 2008 (Raising Cain. Blackfaces from Jim Crow to hip hop, Harvard University Press, 1998). Voir aussi, sur cette pratique, Sylvie Chalaye, « Eschyle à la Sorbonne : pourquoi condamner le blackface ? », Africultures, 18 avril 2018.

      http://africultures.com/eschyle-a-la-sorbonne-pourquoi-condamner-le-blackface

      [2] Sur les enjeux de la notion d’appropriation culturelle, voir notamment Eric Fassin, « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination », entretien, Le Monde, 2 novembre 2018 et Aureliano Tonet, « Dans la culture, des identités sous contrôle », Le Monde, 18 avril 2019.

      [3] Voir à ce sujet Aïssa Maïga (dir.), Noire n’est pas mon métier, Le Seuil, 2018 et le documentaire d’Amandine Gay, La Mort de Danton, Mille et une films, 2011.

      [4] Voir Réjane Sénac, L’égalité sous condition, Presses de Sciences Po, 2015 et L’Egalité sans condition, L’Echiquier, 2019.

      [5] Sur ce point je me permets de renvoyer à mon livre, Les Cités du théâtre politique en France depuis 1989, préface de Luc Boltanski, Montpellier, 2013. Voir aussi Olivier Neveux, Contre le théâtre politique, Paris, La Fabrique, 2019.

      [6] Philippe Brunet in Léa Mormin-Chauvac, « Philippe Brunet, masque de protection », Libération, 18 avril 2019.

      [7] Voir à ce sujet la recension par Jean-Baptiste Amadieu de Robert Darnton, De la censure. Essai d’histoire comparée, Paris, nrf Gallimard, 2016. Jean-Baptiste Amadieu, « Dialogue avec les censeurs », La Vie des idées, 2 mai 2016, ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Dialogue-avec-les-censeurs.html

    • Racisme dans les arts : Lipanda Manifesto, tribune des 343 racisé·e·s | Le Club de Mediapart
      https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/270419/racisme-dans-les-arts-lipanda-manifesto-tribune-des-343-racise-e-s

      Les médias se sont formidablement illustrés ces derniers temps comme vitrine des arguments pleurnichards de réactionnaires blancs bourgeois, qui persistent à faire la sourde oreille et aller à l’encontre des revendications féministes et antiracistes, tout en faisant leur pain sur les systèmes de privilèges. On se souvient de la tribune des 100 femmes défendant la « liberté d’importuner ». Cette fois-ci, c’est à la « liberté de création » que s’accrochent misérablement les arguments de la tribune prétendument pour Eschyle.

      Personne n’est libre tant que d’autres personnes sont opprimées. C’est ce dont parle Audre Lorde en 1981 dans son discours L’Utilité de la colère : les femmes répondent au racisme*. Liberté d’importuner, liberté de création, liberté d’expression : génération je fais ce que je veux, quand je veux, comme je veux, et personne n’a le droit de me contredire. Mais quelle est cette liberté qui s’appuie sur le dos de celle.ux qui n’en disposent pas ? On pourrait croire à une mauvaise farce tant ça devient redondant, et pourtant.

      Et pourtant aujourd’hui encore, le monde de l’art et de la culture française s’assoit sur les revendications des personnes racisées.

      Aujourd’hui, nous sommes outré·e·s, mais surtout fatigué·e·s. Nous n’avons pas l’énergie de vous rappeler que la censure est un outil d’Etat, et non pas le fait de quelques militant·e·s usant de leur droit à la protestation et à l’insurrection face à des représentations négrophobes et racistes.

      Nous sommes épuisé·e·s de dire que la tentative d’inversion des responsabilités qui consiste à transformer l’action légitime des militants en « grave agression » est une pratique bien rodée des instances de pouvoir. Et au cas où, la militante britannique Munroe Bergdorf nous le rappelle : « Drawing attention to a social divide is not the same thing as creating one. Activists are often considered to be divisive or troublemakers by those who have become accustomed to the privileges that social divides provide them. »

      Aujourd’hui, nous sommes lassé·e·s de devoir constamment démonter vos hypocrisies : non, pour nous, personnes racisé·e·s, le théâtre n’est pas le « lieu de la métamorphose » pour nous, lorsque nous sommes constamment empêché·e·s de créer par les mécanismes discriminatoires et éliminatoires de ce milieu.

      Oui, nos identités sont des cloîtres, lorsque, montant sur un plateau, nos corps sont des objets exotiques venant d’ailleurs. Non, nous ne pouvons pas créer librement, lorsque l’on nous dénie la possibilité d’être neutre, et que nous sommes perpétuellement et violemment renvoyé·es à la réalité de notre racisation par le système. Oui, le théâtre est « refuge des identités » : lorsque nos scènes françaises sont occupées majoritairement par des spectacles créés par des hommes blancs, avec des hommes blancs, regardés, critiqués ou acclamés par d’autres hommes blancs, on peut clairement parler de communautarisme. Une communauté qui ne se dit, ni ne se voit comme telle, et qui pourtant, monopolise nos scènes, nos récits, et verrouillent les portes à toutes celleux qui n’appartiennent pas à leur monde.

      Aujourd’hui, nous sommes usé·e·s de constater que ce théâtre est celui de privilégié·es, où s’amuser à singer « l’Autre » est un loisir, tout en retirant à cet “autre” son droit légitime — si ce n’est son devoir — de s’insurger contre le spectacle de son identité tournée en mascarade. Ce même théâtre qui se proclame « intellectuel, humaniste, helléniste ». Un théâtre qui a le culot de croire, et de se faire croire, que la culture blanche bourgeoise est universelle. Qu’elle touche à ce qu’il y a de commun en chaque être humain. Mais comment n’avez-vous pas remarqué que vos salles de théâtres étaient si vides de diversité ? Se peut-il sérieusement que vous persistiez à ne pas voir que votre théâtre n’intéresse que celles et ceux à qui il ressemble, cell.eux qui y sont représentés, celle.eux qui peuvent s’y identifier ? Qui sont les citoyen·nes que vous prétendez servir ?

    • Islamo-gauchisme, décolonialisme, théorie du genre... Le grand noyautage des universités
      http://www.lefigaro.fr/actualite-france/enseignement-superieur-le-grand-laboratoire-de-la-deconstruction-20190510

      ENQUÊTE - Infiltrées par les syndicats d’étudiants, noyautées par des groupuscules « indigénistes », paralysées par la lâcheté de la hiérarchie de l’enseignement supérieur, les facultés et certaines grandes écoles sont aujourd’hui le théâtre d’un bras de fer idéologique. Les pressions et menaces y sont fréquentes et tous les coups semblent permis.
      (...)
      Dans un autre registre, Olivier Beaud, professeur de droit public à Panthéon-Assas, vient de dénoncer la campagne d’un groupe d’universitaires et d’étudiants de l’EHESS contre leurs collègues « coupables » d’avoir participé au grand débat organisé le 18 mars à l’Elysée par Emmanuel Macron. En novembre 2018, Le Point a publié un texte dans lequel 80 intellectuels décrivaient le « décolonialisme » comme une « stratégie hégémonique » à l’œuvre dans l’enseignement supérieur. Parmi les signataires, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Pierre Nora et Mona Ozouf. Leur appel a eu bien peu d’écho, tant auprès de Frédérique Vidal que du corps enseignant.
      La ministre n’a pas eu un mot de soutien pour Laurent Bouvet, par exemple, quand ce professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines a eu l’imprudence de tweeter en mai 2018 à propos du voile islamique porté par une dirigeante de l’Unef qui commentait les blocages des facs : « A l’Unef, la convergence des luttes est bien entamée. C’est la présidente du syndicat à l’université Paris-Sorbonne qui le dit. » Aussitôt, l’Unef a sorti un communiqué condamnant « un déferlement de haine raciste, sexiste et islamophobe » et demandant que Laurent Bouvet soit sanctionné. Une vidéo a même circulé, montrant une AG où près de 200 étudiants vociféraient « Ta gueule, Bouvet ! » pendant de longues minutes.

      L’institution marche sur des œufs

      Le politologue, cofondateur du Printemps républicain, est l’une des cibles privilégiées des indigénistes pour avoir théorisé l’« insécurité culturelle » française et dénoncé l’obsession racialiste de la « gauche identitaire ». Le président de l’université l’a assuré de sa sympathie en privé, mais n’a rien fait pour le soutenir publiquement. Aucun de ses collègues ne s’est d’ailleurs manifesté. L’Unef profite de cette lâcheté généralisée pour militer activement en faveur des thèses indigénistes. Récemment, elle s’est jointe à d’autres associations pour empêcher une représentation de la pièce d’Eschyle Les Suppliantes à la Sorbonne. De son côté, le CRAN (Conseil Représentatif des associations noires de France) de Louis-Georges Tin, maître de conférences à l’université d’Orléans, a appelé au boycott de la pièce. Motif : des acteurs blancs portaient des masques noirs, ce que les contestataires assimilaient à la pratique du « blackface » visant à ridiculiser les Noirs. Pour une fois, l’université a condamné la tentative de censure.

    • Deux mois après la polémique sur le « blackface », la pièce « Les Suppliantes » se déroule dans le calme
      https://www.franceculture.fr/theatre/deux-mois-apres-la-polemique-sur-le-blackface-la-piece-les-suppliantes

      « C’est la victoire de l’art, de la liberté d’expression sur la bêtise au front bas, se félicite l’écrivain Pierre Jourde. Ils utilisent une cause juste, l’antiracisme, à des fins stupides. La preuve, c’est que de grands metteurs en scène ont pris la défense de Philippe Brunet. »

      encore une fois #ta-gueule-jourde

    • Je vous ai épargné jusque-là les 6 ou 7 posts d’André Markowicz sur FB, mais vous pourrez les retrouver aisément grâce à cette réponse (en commentaire).

      André Markowicz
      https://www.facebook.com/andre.markowicz

      Adeline Rosenstein :
      Excusez-moi : vous ne vivez donc pas avec des artistes ou des étudiant.e.s qui vous parlent du racisme subi dans les milieux culturels ? Vous ne ressentez pas la colère de vous retrouver impuissant à les défendre tellement les gens bien intentionnés ne voient pas de quoi s’alarmer ? Pourquoi mettre tout votre savoir écrire au service de leur décrédibilisation ? Vous, justement, traducteur, savez mieux que les autres, pourquoi parfois on crie, vous savez tendre l’oreille quand les experts et autres assis discréditent la personne qui apporte une information gênante. Vous savez mieux qu’un autre qu’on dit de la victime qu’elle exagère quand on ne veut pas l’accueillir, qu’elle menace, quand on veut la faire taire, qu’elle est un danger physique, quand on veut que les gendarmes nous en débarrassent. Une injustice hurle à votre porte, demande votre attention et vous la ridiculisez ? ses représentants parlent mal ? mais cette question devrait vous intéresser immédiatement ; vous ne voulez quand-même pas parler comme ce que vous avez toujours combattu : l’ordre - non ?Observez le dédain que vous exprimez à l’endroit de personnes qui en ont juste marre d’être caricaturées sur scène et tenues à l’écart de toute discussion. Comment est-ce possible ? Observons et racontez- moi comment ça marche, comment ça marche, ce scandale, votre dédain, qu’avec Mnouchkine et Vinaver, enfants de l’exil sans accent, vous vous retrouviez côté CRS, ministres, amphi, je ne le conçois pas. C’est pourquoi je vous prie de reconsidérer cette position au nom de tous les personnages que vous avez traduits alors qu’en France, considérant qu’ils ne « savaient pas aligner deux phrases », on voulait les anéantir - on n’avait rien compris, vous vous rappelez ? Reconsidérez ces doutes « ils nous font douter » mais oui car pour moi c’est ça, penser, c’est penser contre soi mais surtout contre le groupe ou l’amphi qui nous enferme avec ministres dedans, d’où on ne on veut pas entendre la plainte. C’était un spectacle d’étudiants mais il y a un autre problème, vous savez, notre environnement, notre lenteur à changer, vous parlez d’une gauche en danger et je vous parle de sa difficulté historique à reconnaître ses erreurs. Les militants antiracistes et les victimes du racisme en milieu culturel ne s’adressent pas à des ennemis politiques mais à des gens de theatre qui veulent pouvoir se dire antiracistes à leur tour et disent je combats à tes côtés, tiens-toi bien là, attends, ôte-toi, ne dis rien, laisse-moi faire, je vais leur dire, laisse-moi finir mon verre, ma blague, mon rôti, ma sieste, mon spectacle antiraciste, mon interview, mes conférences, mes mémoires, ma vie sans toi et je viendrai te chercher.

    • Ce qui est dit ci-dessous n’a pas été raconté sérieusement par aucun journaliste (si j’ai bien compris, on est passé, grâce au rapport de forces instauré par les militants, du grimage noir aux masques noirs grotesques, puis aux masques dorés/cuivrés, etc.) Mais ce qui n’est pas dit, c’est que cette représentation « d’art officiel », déplaçant le fameux spectacle dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, avec deux ministres de sortie et les CRS qui vont avec, applaudie par le tout Paris intellectuel bourgeois blanc, d’A.Bastié à A.Mnouchkine, de R.Enthoven à O.Rollin, est le symptôme de l’hégémonie toujours plus forte de la pensée d’extrême-droite au nom de « la liberté d’expression » ou de « la liberté artistique ». Après la défense forcenée des pires unes de Charlie et la campagne contre les « islamogauchistes », à présent haro sur « les identitaires d’extrême-gauche » et « le fascisme des antifascistes » (comme on l’a entendu en Italie au moment du Salon du Livre de Turin et à l’occasion des meetings chahutés de Salvini).

      Blackface à la Sorbonne. Hier soir, Philippe... - Louis-Georges Tin
      https://www.facebook.com/louisgeorges.tin/posts/10161903836565644?hc_location=ufi

      Blackface à la Sorbonne. Hier soir, Philippe Brunet a joué son spectacle à la Sorbonne, les Suppliantes d’Eschyle. Mais cette fois, pas de déguisements raciaux, pas de Blackface, pas de maquillage en noir pour représenter les Africains : juste des masques dorés. M. Brunet qui avait fièrement clamé qu’il rejouerait son spectacle avec du maquillage en noir a finalement tiré les leçons de l’expérience. Le CRAN qui avait appelé au boycott du spectacle (non au blocage) se réjouit donc de cette victoire collective et définitive. Malgré un mois d’hystérie générale, nous avons tenu bon, et finalement, nous avons obtenu gain de cause. La voix des premiers concernés a été entendue.

    • Quelle salade - selon le Figaro/Vox, voilà l’université menacée par le danger islamo-féministe...

      Carole Talon-Hugon : « Une nouvelle prohibition étend son contrôle sur l’art »
      http://www.lefigaro.fr/vox/culture/carole-talon-hugon-une-nouvelle-prohibition-etend-son-controle-sur-l-art-20

      Traditionnellement, les agents de censure sont politiques ou religieux. Ils sont récemment sournoisement devenus économiques (impératifs d’insertion professionnelle, de recherche appliquée, etc.). Ce qui se passe avec les affaires Chénier ou Eschyle, c’est l’arrivée très préoccupante d’un risque venu d’ailleurs que de ces foyers classiques ou plus récents : de groupes de pression et d’associations communautaires. La liberté académique ne doit certes pas être sans contrôle ; elle est « liberté de poursuivre sa recherche professionnelle à l’intérieur d’une matrice de normes de la discipline définies et appliquées par ceux qui sont compétents pour comprendre et appliquer de telles normes » (O. Beaud). Ce qui revient à dire qu’elle ne connaît qu’une forme de censure légitime, celle réalisable par des pairs à l’intérieur d’un domaine d’expertise partagé, et que toutes celles venues d’ailleurs sont usurpatoires et sapent les fondements de l’université.

    • Une bonne tribune du Monde qui a tout à voir avec ce qui précède

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/28/le-marxisme-culturel-fantasme-prefere-de-l-extreme-droite_5503567_3232.html

      C’est là le lien avec ce que la droite radicale entendra bientôt par « marxisme culturel ». Le terme prend alors une valeur péjorative : il désigne la prétendue volonté des disciples de l’école de Francfort de nuire à la culture occidentale et de s’attaquer à la société traditionnelle en se servant du féminisme, de l’homosexualité et du multiculturalisme. « Au tournant des années 1990, alors que le communisme vient de s’effondrer, les milieux ultra-conservateurs américains voient dans la mondialisation une menace pour l’Occident chrétien, remarque Jérôme Jamin, politiste et philosophe belge, spécialiste des populismes. Ils s’inquiètent aussi de la montée, sur les campus universitaires, du “politiquement correct” qu’ils assimilent à une attaque contre la liberté d’expression ayant pour but d’empêcher les discours ne reconnaissant pas la pleine égalité entre les hommes et les femmes, les Noirs et les Blancs, les hétérosexuels et les homosexuels, etc. » Le terme se diffuse au sein des milieux extrémistes de droite.

  • Le #manifeste #anti-Macron des « stratèges » de l’Élysée

    Le #livre de #David_Amiel et #Ismaël_Emelien évoque, en parfait miroir de ce qu’est pour l’heure le quinquennat Macron, les travaux des publicistes que Balzac appelle les « #rienologues » : « La page a l’air pleine, elle a l’air de contenir des idées ; mais, quand l’homme instruit y met le nez, il sent l’odeur des caves vides. C’est profond, et il n’y a rien : l’intelligence s’y éteint comme une chandelle dans un caveau sans air ».

    https://aoc.media/opinion/2019/04/03/manifeste-anti-macron-strateges-de-lelysee
    #Macron

    • Le #progrès ne tombe pas du ciel

      Les deux stratèges de l’Elysée écrivent le véritable mode d’emploi du #macronisme, à destination aussi bien des curieux que des convaincus, pour comprendre la vision du monde progressiste – ses priorités, ses combats et sa méthode.
      Pays après pays, les électeurs font sortir la gauche et la droite traditionnelles de l’Histoire. Mais qu’y a-t-il ensuite ?
      Il y a les populistes, qui enchaînent les succès aux quatre coins du monde. Il y a aussi les progressistes, dont l’élection d’Emmanuel Macron est la plus belle victoire.
      Que signifie vraiment le progressisme ? Surtout, que peut-il signifier dans l’avenir ?
      Nous avons conçu ce manifeste comme un véritable mode d’emploi, à destination aussi bien des curieux que des convaincus, pour comprendre la vision du monde progressiste – ses priorités, ses combats et sa méthode.
      Quitte à écrire sans détour ce que l’on préfère parfois taire. Quitte à aborder de front toutes les grandes questions du moment.


      David Amiel, 26 ans, est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). En 2015, après un séjour de recherches à l’université de Princeton aux Etats-Unis, il rejoint Emmanuel Macron, alors ministre, comme économiste. Pendant la campagne présidentielle, il coordonne l’élaboration et la rédaction du programme. Il est nommé en mai 2017 conseiller du Président de la République.

      Ismaël Emelien, 32 ans, a travaillé dans le secteur privé et dans un think-tank. Il est devenu conseiller d’Emmanuel Macron au moment de son entrée au gouvernement comme ministre de l’Economie, en 2014. Comptant parmi les fondateurs d’En Marche, puis directeur de la stratégie de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, il a ensuite été nommé conseiller spécial du Président de la République.


      https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-progres-ne-tombe-pas-du-ciel-9782213712741
      #progressisme

  • La guerre nucléaire qui vient | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/02/26/guerre-nucleaire-vient

    par Jean-Pierre Dupuy

    Chacun des deux partenaires accuse l’autre d’être de mauvaise foi et d’avoir violé le traité INF depuis longtemps. L’un et l’autre ont de bonnes raisons pour le faire. Ensemble, ils se comportent comme des garçons de onze ans se querellant dans une cour de récréation et répondant au maître : « M’sieu, c’est pas moi qui ai commencé ». À ceci près que l’enjeu n’est pas moins que la paix du monde. L’opinion internationale – « le maître » – craint une nouvelle course aux armements. Si ce n’était qu’une question de moyens ! La fin, c’est les centaines de millions de morts que j’annonçais en commençant.

    On a accusé Donald Trump de n’avoir en tout domaine d’autre politique que celle qui consiste à détricoter tout ce que son prédécesseur Barack Obama a fait, mais sur ce point il est son digne successeur. C’est dès 2014 que l’administration américaine s’est inquiétée du déploiement par les Russes d’un missile de croisière conforme en tous points aux systèmes bannis par le traité INF. Les Russes ont mis ce missile à l’essai dès 2008, sans s’en cacher puisque Poutine se plaignait en 2013 que la Russie, contrainte par le traité, se trouvait entourée en Asie par des pays, la Chine en premier lieu, qui eux étaient libres de se doter d’armes nucléaires de moyenne portée. Après pas mal d’hésitations sur la riposte adéquate, l’Amérique a tranché : le traité est mort.

    De son côté, la Russie accuse l’Amérique de tricher, par exemple en se croyant libre d’installer en Europe de l’Est des systèmes de défense faits de missiles antimissiles. Outre qu’ils violent le traité dit ABM (Anti Ballistic Missile) par lequel les présidents Nixon et Brejnev se sont engagés en 1972 à limiter drastiquement le recours aux technologies de défense contre des attaques nucléaires portées par des missiles balistiques intercontinentaux, ils peuvent se transformer aisément en armes offensives. De plus, il n’y avait pas en 1987 de drones armés, et ceux-ci peuvent avoir le même office que des missiles.

    D’abord, on ne peut pas gagner une guerre nucléaire. La question de la parité des forces en présence est donc non pertinente. La France de Mitterrand aurait dû le savoir, puisque sa doctrine s’appelait « dissuasion du faible au fort ». L’instinct de Jimmy Carter aurait dû l’emporter sur la panique de l’Europe. L’Amérique elle-même n’avait cependant pas à donner de leçon : en 1961, les dirigeants américains s’affolaient d’avoir moins de missiles nucléaires stratégiques que les Soviétiques alors qu’ils en avaient dix fois plus [1]. Avec des armes conventionnelles, c’est la force relative des armements en présence qui dissuade. Rien de tel avec l’arme nucléaire.

    Ensuite, les armes à portée intermédiaire aux côtés de celles à courte portée étaient envisagées pendant la crise comme des armes d’emploi sur le « théâtre » européen plutôt que comme des armes dissuadant l’ennemi de frapper en premier. Cela présupposait que l’on puisse envisager une guerre nucléaire limitée avec un gagnant et un perdant, où la dissuasion faisait partie de la bataille elle-même (point précédent). Or dans le domaine nucléaire, on ne dissuade pas une attaque limitée en rendant hautement crédible une menace de riposte limitée. On la dissuade en maintenant à un niveau modique la probabilité de l’anéantissement mutuel.

    Il faut noter aussi que la défense contre une attaque nucléaire surprise est impossible. Le bouclier antimissile rêvé par Reagan ne pourrait être efficace que s’il l’était à 100%. Le premier missile qui passerait au travers serait le missile de trop. Aucune technique connue à ce jour n’est à la hauteur de cette exigence de perfection absolue.

    La dissuasion nucléaire prend acte de cette impuissance de la défense. Elle la remplace par la menace de représailles « incommensurables » si l’ennemi attaque vos « intérêts vitaux ». Il est essentiel de comprendre que la défense est non seulement mise hors circuit mais qu’elle est interdite. C’est le sens du traité ABM : on ne se défend pas. C’est en effet la meilleure garantie que l’on donne à l’ennemi qu’on ne l’attaquera pas en premier. Si on le faisait, sous l’hypothèse qu’il conserve une capacité de seconde frappe, on se suiciderait. Inversement, si l’on installe des systèmes de défense par missiles antimissiles, comme les États-Unis l’ont fait autour de la Russie en violant le traité ABM, on envoie à l’ennemi le signal qu’on est prêt à l’attaquer. Celui-ci peut alors décider qu’il lui faut prendre l’autre de vitesse et l’attaquer en premier. C’est ce qu’on appelle la préemption.

    Enfin, en langage militaire américain, le petit nom de la préemption, expression d’un paradoxe révélateur, est « striking second first », qu’on peut traduire par : être le premier à frapper en second, riposter avant l’attaque, exercer des représailles avant même que l’ennemi lance ses missiles, punir le criminel en l’éliminant avant qu’il commette son crime, c’est par le second que le premier est premier, etc. Dans son dernier livre déjà cité, The Doomsday Machine (la machine du jugement dernier) Daniel Ellsberg défend la thèse que les États-Unis n’ont jamais pris la dissuasion au sérieux et qu’ils se sont toujours préparés à frapper en premier.

    L’Amérique d’abord, bientôt suivie par la Russie, a trouvé une solution à ce problème sous le nom de « launch on warning » (« lancement déclenché par une alerte »). Si un système défensif détecte le lancement de missiles nucléaires ennemis, il déclenche immédiatement ses propres missiles sans attendre que les premiers atteignent leurs cibles. On s’assure ainsi contre le risque de se retrouver sans force défensive une fois celle-ci détruite par les missiles ennemis. Le problème est que les systèmes d’alerte sont connus pour fonctionner de manière très approximative. On ne compte plus les erreurs d’interprétation, les mauvais calculs, les fausses alertes.

    Ce qui risque de déclencher la guerre nucléaire à venir, ce ne sont donc pas les mauvaises intentions des acteurs. L’incrédulité générale par rapport à cette éventualité vient de la question que l’on pose immédiatement et par laquelle nous avons commencé : qui pourrait bien vouloir une telle abomination ? Ni Kim ni Trump ne veulent la guerre vers laquelle peut-être ils entraînent le monde tels des somnambules, pas plus que ne la voulaient Kennedy et Khrouchtchev pendant la crise des missiles de Cuba. Le tragique, c’est que cela n’a aucune importance. Comme dans les mythes les plus antiques, la tragédie s’accomplira par le truchement d’un accident, la nécessité par celui d’une contingence.

    #Guerre #Nucléaire

  • Le « #Grand_Débat » ou quand l’idéologie s’ignore | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/02/18/grand-debat-lideologie-signore

    Lecture chaudement recommandée (AOC offre la lecture gratuite de 3 articles par mois, moyennant la création d’un compte lecteur – et la réception régulière de messages, lettres et autres offres…)

    Versant numérique du « Grand Débat National », un questionnaire a été mis en ligne. Mais pourquoi ces questions ? Pourquoi celles-ci plutôt que d’autres, différemment formulées, autrement conçues et articulées ? S’écartant prudemment des tentations de l’imagination créatrice et de l’inventivité sociale, leur rhétorique reste prisonnière d’un objectif de légitimation des politiques menées. Deux hauts fonctionnaires tentent de mettre à jour quelques-uns des ressorts plus ou moins conscients qui sous-tendent l’idéologie à l’œuvre dans cet ensemble de questions, et de réponses suggérées.
    […]
    Il nous a semblé d’utilité publique de mettre à jour ici quelques-uns des ressorts plus ou moins conscients qui sous-tendent la rhétorique de ces questionnaires.

    Nous avons conscience qu’il y a là matière à travail pour des générations de sociologues et de psychologues des phénomènes sociaux. Les biais cognitifs ne manquent pas – tant pour énoncer les questions que pour interpréter ensuite les réponses qui leur auront été données. Tâcher d’identifier le plus grand nombre possible de ces biais représente une première étape de l’indispensable travail critique qui ne doit jamais cesser d’être mené dans une démocratie. Diffuser le résultat de ce travail pour inviter le plus grand nombre à y contribuer en est une autre.

    C’est pourquoi il nous a semblé d’utilité publique de mettre à jour ici quelques-uns des ressorts plus ou moins conscients qui sous-tendent la rhétorique de ces questionnaires. En manière d’esquisse pour un décryptage ironique du grand questionnaire, voici quelques exemples de formulations orientées, particulièrement prégnantes dans les deux chapitres dédiés à l’organisation de l’État d’une part, et aux finances publiques d’autre part. Il resterait à faire l’autopsie complète de l’ensemble des fiches thématiques, voire à créer un « contre-questionnaire » – mais quelle formation politique s’y risquera ?

    • Au fil de la lecture,…

      L’analyse que faisait Pierre Bourdieu de cet « effet d’imposition de problématique » reste plus que jamais pertinente, et nous ne résistons pas au plaisir de rappeler ce que l’Antéchrist des conservateurs de tout poil écrivait dans « L’opinion publique n’existe pas » : « En fait, ce qui me paraît important, c’est que l’enquête d’opinion traite l’opinion publique comme une simple somme d’opinions individuelles, recueillies dans une situation qui est au fond celle de l’isoloir, où l’individu va furtivement exprimer dans l’isolement une opinion isolée. Dans les situations réelles, les opinions sont des forces et les rapports d’opinions sont des conflits de force entre des groupes. » Imposant des problématiques, mettant en demeure de répondre à des questions que l’on ne s’était pas posées ou à tout le moins pas dans la forme exigée, ces questionnaires qui se prétendent objectifs demeurent, irréductiblement, des moyens par lesquels une subjectivité particulière vient vampiriser un réel qui n’en demandait pas tant et qui ne cesse, en dépit de tous les efforts de ceux qui tentent de l’encager pour le neutraliser, de déborder des « cases » et autres typologies auxquelles on cherche à l’assigner.

    • Magie de l’intelligence collective. Ce sont ces textes découvert et amenés par Simplicissimus, Dror, etc... dont nous avons [énormément] besoin en ce moment, pour penser, réfléchir, échanger, avancer Et j’espère un jour provoquer un changement dans les mentalités et disqualifier les idées reçues.

    • Il y a tellement de signalements à lire ici qu’on y passerait la journée (bonjour le retard dans les projets) mais j’essaye de lire un texte par jour. Aujoud’hui celui-ci (merci 7h36). Et merci Simplicissimus.

      Très long texte, passionnant, mais presque tout est dit dans le premier paragraphe :

      « Face à un mouvement des « gilets jaunes » dont nombre de participants proclament leur volonté de se réapproprier la parole et l’action politiques, la réponse apportée sous la forme du « grand débat national » est celle d’une délibération organisée par le haut. À la remise en cause de la légitimité de la démocratie représentative, il s’agirait de répondre par un grand exercice « participatif » … dont les conditions sont définies par le pouvoir en place. Lorsque les citoyens ne se sentent pas suffisamment représentés, la tâche du pouvoir politique et des institutions serait de s’abaisser jusqu’à eux pour leur donner la parole – sous conditions. S’exprime ici une vision de la démocratie dans laquelle le citoyen n’est légitime à prendre la parole que dans un cadre imposé, toute autre prise de parole étant immédiatement assimilée à une forme d’expression antidémocratique et, en tant que telle, violente. »

  • La folle #interdiction administrative individuelle de manifester

    Loin de défendre le droit de manifester ainsi que ses promoteurs le prétendent dans une #novlangue familière à tous les lecteurs de George Orwell, la #loi « anti-manifestants » l’abîme et participe, au nom de la défense de l’#ordre_public, à un abaissement qui désormais semble irrémédiable des défenses immunitaires des libertés individuelles et collectives.

    https://aoc.media/opinion/2019/02/14/folle-interdiction-administrative-individuelle-de-manifester
    #droit_de_manifester #manifestations #France #loi_anti-manifestants #liberté

  • Solidarité mélancolique : la gauche et les « #gilets_jaunes », Michel Feher | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/01/21/solidarite-melancolique-gauche-gilets-jaunes

    Si toutes les composantes de la #gauche gratifient les « gilets jaunes » d’un franc soutien, la solidarité qu’elles leur témoignent s’accompagne d’une forme de mélancolie préventive. Sans doute l’histoire récente des résistances à l’ordre néolibéral n’incite-t-elle pas à un optimisme démesuré. En l’occurrence, toutefois, la crainte de l’épuisement ou même de l’écrasement du mouvement ne suffit pas à expliquer le spleen.

    De l’Assemblée nationale aux tribunes des journaux, bien rares sont aujourd’hui les voix de gauche qui ne se déclarent pas solidaires des « gilets jaunes ». L’hostilité de ce mouvement, réputé inédit, à Emmanuel Macron et à son monde a certes de quoi réjouir tout.e.s les réfractaires à la startup nation et au culte de l’attractivité financière. Reste qu’à la différence de l’#extrême_droite, qui attend patiemment de recueillir les bénéfices de l’impopularité du chef de l’État, l’opposition de gauche agrémente son soutien d’une profusion de commentaires. C’est qu’il s’agit pour elle de traduire les doléances des « gilets jaunes » en revendications compatibles avec ses propres orientations : non contente de relayer leurs demandes relatives à la justice fiscale, au pouvoir d’achat, aux dépenses contraintes et à l’écoute des citoyens, elle s’applique à les interpréter comme autant de plaidoyers pour la progressivité de l’impôt, la revalorisation des salaires, l’investissement dans les services publics et la revitalisation de la démocratie.

    #paywall...

  • Les vertus de l’inexplicable – à propos des « gilets jaunes » | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/01/08/vertus-de-linexplicable-a-propos-gilets-jaunes

    par Jacques Rancière

    Les révoltes n’ont pas de raisons. En revanche, elles ont une logique. Et celle-ci consiste précisément à briser les cadres au sein desquels sont normalement perçues les raisons de l’ordre et du désordre et les personnes aptes à en juger. Ces cadres, ce sont d’abord des usages de l’espace et du temps. Significativement ces « apolitiques » dont on a souligné l’extrême diversité idéologique ont repris la forme d’action des jeunesses indignées du mouvement des places, une forme que les étudiants en révolte avaient eux-mêmes empruntée aux ouvriers en grève : l’occupation.

    l y a là assurément bien des raisons de souffrir. Mais souffrir est une chose, ne plus souffrir en est une tout autre. C’est même le contraire. Or les motifs de souffrance que l’on énumère pour expliquer la révolte sont exactement semblables à ceux par lesquels on expliquerait son absence : des individus soumis à de telles conditions d’existence n’ont en effet normalement pas le temps ni l’énergie pour se révolter.

    Il faudrait parfois prendre les choses à l’envers : partir précisément du fait que ceux qui se révoltent n’ont pas plus raisons de le faire que de ne pas le faire – et souvent même un peu moins. Et à partir de là, s’interroger non sur les raisons qui permettent de mettre de l’ordre dans ce désordre mais plutôt sur ce que ce désordre nous dit sur l’ordre dominant des choses et sur l’ordre des explications qui normalement l’accompagne.

    Plus que tous ceux des années récentes, le mouvement des gilets jaunes est le fait de gens qui normalement ne bougent pas : pas des représentants de classes sociales définies ou de catégories connues pour leurs traditions de lutte. Des hommes et femmes d’âge moyen, semblables à ceux que nous croisons tous les jours dans les rues ou sur les routes, sur les chantiers et les parkings, portant pour seul signe distinctif un accessoire que tout automobiliste est tenu de posséder. Ils se sont mis en marche pour la plus terre-à-terre des préoccupations, le prix de l’essence : symbole de cette masse vouée à la consommation qui soulève le cœur des intellectuels distingués ; symbole aussi de cette normalité sur laquelle repose le sommeil tranquille de nos gouvernants : cette majorité silencieuse, faite de purs individus éparpillés, sans forme d’expression collective, sans autre « voix » que celle que comptent périodiquement les sondages d’opinion et les résultats électoraux.

    Occuper, c’est aussi créer un temps spécifique : un temps ralenti au regard de l’activité habituelle, et donc un temps de mise à distance de l’ordre habituel des choses ; un temps accéléré, au contraire, par la dynamique d’une activité qui oblige à répondre sans cesse à des échéances pour lesquelles on n’est pas préparé. Cette double altération du temps change les vitesses normales de la pensée et de l’action. Elle transforme en même temps la visibilité des choses et le sens du possible. Ce qui était objet de souffrance prend une autre visibilité, celle de l’injustice.

    Il est vrai que cette « volonté » peut prendre elle-même la forme d’une revendication : le fameux référendum d’initiative citoyenne. Mais la formule de la revendication raisonnable cache en fait l’opposition radicale entre deux idées de la démocratie : d’un côté la conception oligarchique régnante : le décompte des voix pour et des voix contre en réponse à une question posée. De l’autre, sa conception démocratique : l’action collective qui déclare et vérifie la capacité de n’importe qui à formuler les questions elles-mêmes. Car la démocratie n’est pas le choix majoritaire des individus. C’est l’action qui met en œuvre la capacité de n’importe qui, la capacité de ceux qui n’ont aucune « compétence » pour légiférer et gouverner.

    #Gilets_jaunes #Démocratie

    • Expliquer les « gilets jaunes » ? Qu’entend-on par expliquer ? Donner les raisons pour lesquelles advient ce qu’on n’attendait pas ? Celles-ci, de fait, manquent rarement. Et pour expliquer le mouvement des « gilets jaunes », elles viennent à foison : la vie dans des zones périphériques abandonnées par les transports et les services publics comme par les commerces de proximité, la fatigue de longs trajets quotidiens, la précarité de l’emploi, les salaires insuffisants ou les pensions indécentes, l’existence à crédit, les fins de mois difficiles…

      Il y a là assurément bien des raisons de souffrir. Mais souffrir est une chose, ne plus souffrir en est une tout autre. C’est même le contraire. Or les motifs de souffrance que l’on énumère pour expliquer la révolte sont exactement semblables à ceux par lesquels on expliquerait son absence : des #individus soumis à de telles conditions d’existence n’ont en effet normalement pas le temps ni l’énergie pour se révolter.

      L’explication des raisons pour lesquelles les gens bougent est identique à celle des raisons pour lesquelles ils ne bougent pas. Ce n’est pas une simple inconséquence. C’est la logique même de la #raison_explicatrice. Son rôle est de prouver qu’un mouvement qui a surpris toutes les attentes n’a pas d’autres raisons que celles qui nourrissent l’ordre normal des choses, qu’il s’explique par les raisons mêmes de l’immobilité. Elle est de prouver qu’il ne s’est rien passé qui ne soit déjà connu, d’où l’on tire, si l’on a le cœur à droite, la conclusion que ce mouvement n’avait pas de raison d’être, ou, si l’on a le cœur à gauche, qu’il est tout à fait justifié mais que, malheureusement, il a été mené au mauvais moment et de la mauvaise façon par des gens qui n’étaient pas les bons. L’essentiel est que le monde reste divisé en deux : il y a les gens qui ne savent pas pourquoi ils bougent et les gens qui le savent pour eux.
      Il faudrait parfois prendre les choses à l’envers : partir précisément du fait que ceux qui se révoltent n’ont pas plus raisons de le faire que de ne pas le faire – et souvent même un peu moins. Et à partir de là, s’interroger non sur les raisons qui permettent de mettre de l’ordre dans ce désordre mais plutôt sur ce que ce désordre nous dit sur l’ordre dominant des choses et sur l’ordre des explications qui normalement l’accompagne.
      Plus que tous ceux des années récentes, le mouvement des gilets jaunes est le fait de gens qui normalement ne bougent pas : pas des représentants de classes sociales définies ou de catégories connues pour leurs traditions de lutte. Des hommes et femmes d’âge moyen, semblables à ceux que nous croisons tous les jours dans les rues ou sur les routes, sur les chantiers et les parkings, portant pour seul signe distinctif un accessoire que tout automobiliste est tenu de posséder. Ils se sont mis en marche pour la plus terre-à-terre des préoccupations, le prix de l’essence : symbole de cette masse vouée à la consommation qui soulève le cœur des intellectuels distingués ; symbole aussi de cette normalité sur laquelle repose le sommeil tranquille de nos gouvernants : cette majorité silencieuse, faite de purs individus éparpillés, sans forme d’expression collective, sans autre « voix » que celle que comptent périodiquement les sondages d’opinion et les résultats électoraux.

      Les #révoltes n’ont pas de raisons. En revanche, elles ont une logique. Et celle-ci consiste précisément à briser les cadres au sein desquels sont normalement perçues les raisons de l’ordre et du désordre et les personnes aptes à en juger. Ces cadres, ce sont d’abord des #usages de l’espace et du temps. Significativement ces « apolitiques » dont on a souligné l’extrême diversité idéologique ont repris la forme d’action des jeunesses indignées du mouvement des places, une forme que les étudiants en révolte avaient eux-mêmes empruntée aux ouvriers en grève : l’#occupation.
      Occuper, c’est choisir pour se manifester comme collectivité en lutte un lieu ordinaire dont on détourne l’affectation normale : production, circulation ou autre. Les « gilets jaunes » ont choisi ces #ronds-points, ces non-lieux autour desquels des automobilistes anonymes tournent tous les jours. Ils y ont installé matériel de propagande et baraquements de fortune comme l’avaient fait ces dix dernières années les anonymes rassemblés sur les places occupées.
      Occuper, c’est aussi créer un #temps_spécifique : un temps ralenti au regard de l’activité habituelle, et donc un temps de mise à distance de l’ordre habituel des choses ; un temps accéléré, au contraire, par la dynamique d’une activité qui oblige à répondre sans cesse à des échéances pour lesquelles on n’est pas préparé. Cette double altération du temps change les vitesses normales de la pensée et de l’action. Elle transforme en même temps la visibilité des choses et le sens du possible. Ce qui était objet de souffrance prend une autre visibilité, celle de l’#injustice. Le refus d’une taxe devient le sentiment de l’injustice fiscale puis le sentiment de l’injustice globale d’un ordre du monde. Quand un collectif d’égaux interrompt la marche normale du temps et commence à tirer sur un fil particulier – taxe sur l’essence, aujourd’hui, sélection universitaire, réforme des pensions ou du code du travail, hier – c’est tout le tissu serré des inégalités structurant l’ordre global d’un monde gouverné par la loi du profit qui commence à se dérouler.

      Ce n’est plus alors une demande qui demande satisfaction. Ce sont deux mondes qui s’opposent. Mais cette opposition de mondes creuse l’écart entre ce qui est demandé et la logique même du mouvement. Le négociable devient #non_négociable. Pour négocier on envoie des #représentants. Or les « gilets jaunes », issus de ce pays profond qu’on nous dit volontiers sensible aux sirènes autoritaires du « populisme », ont repris cette revendication d’horizontalité radicale que l’on croit propre aux jeunes anarchistes romantiques des mouvements Occupy ou des ZAD. Entre les égaux assemblés et les gestionnaires du pouvoir oligarchique, il n’y a pas de négociation. Cela veut dire que la #revendication triomphe par la seule peur des seconds mais aussi que sa victoire la montre dérisoire par rapport à ce que la révolte « veut » par son développement immanent : la fin du pouvoir des « représentants », de ceux qui pensent et agissent pour les autres.
      Il est vrai que cette « volonté » peut prendre elle-même la forme d’une revendication : le fameux référendum d’initiative citoyenne. Mais la formule de la revendication raisonnable cache en fait l’opposition radicale entre deux idées de la démocratie : d’un côté la conception oligarchique régnante : le décompte des voix pour et des voix contre en réponse à une question posée. De l’autre, sa conception démocratique : l’#action_collective qui déclare et vérifie la capacité de n’importe qui à formuler les questions elles-mêmes. Car la démocratie n’est pas le choix majoritaire des individus. C’est l’action qui met en œuvre la capacité de n’importe qui, la capacité de ceux qui n’ont aucune « compétence » pour légiférer et gouverner.

      Entre le pouvoir des égaux et celui des gens « compétents » pour gouverner, il peut toujours y avoir des affrontements, des négociations et des compromis. Mais derrière ceux-ci, il reste l’abîme du rapport non négociable entre la #logique_de_l’égalité et celle de l’inégalité. C’est pourquoi les révoltes restent toujours au milieu du chemin, pour le grand déplaisir et la grande satisfaction des savants qui les déclarent vouées à l’échec parce que dépourvues de « stratégie ». Mais une stratégie n’est qu’une manière de régler les coups à l’intérieur d’un monde donné. Aucune n’enseigne à combler le fossé entre deux mondes. « Nous irons jusqu’au bout », dit-on à chaque fois. Mais ce bout du chemin n’est identifiable à aucun but déterminé, surtout depuis que les États dits communistes ont noyé dans le sang et la boue l’espérance révolutionnaire. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le slogan de 1968 : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat. » Les commencements n’atteignent pas leur fin. Ils restent en chemin. Cela veut dire aussi qu’ils n’en finissent pas de recommencer, quitte à changer d’acteurs. C’est le réalisme – inexplicable – de la révolte, celui qui demande l’impossible. Car le possible lui est déjà pris. C’est la formule même du pouvoir : no alternative .

      #égalité #égaux

  • Les Gilets Jaunes ou l’enjeu démocratique | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2018/12/12/gilets-jaunes-lenjeu-democratique

    par Michèle Riot-Sarcey

    Ronds points, parkings de supermarchés, voies routières, carrefours déshumanisés : les Gilets Jaunes investissent des lieux où, d’ordinaire, ne passent que des ombres et des anonymes. Alors, tout un monde se révèle, un monde d’oubliés qui s’auto-organisent pour leurs droits, refusant de déléguer leur pouvoir à des gouvernants plus gestionnaires que démocrates.

    Si nous acceptons de saisir l’événement tel qu’il se donne à voir, le mouvement est parfaitement intelligible. Prévisible, il l’est comme symptôme des échecs passés ; celui des organisations « ouvrières » politiques et syndicales, dépossédées de leur puissance d’agir et réduites à l’incapacité de conserver les droits acquis ; mais aussi celui d’un État « libéral » dont les promesses de justice sociale n’ont cessé d’être reportées. La cohérence, souvent contestée, du mouvement n’en est pas moins lisible. Mises bout à bout, avec des nuances, les revendications convergent vers beaucoup plus d’équité. Cependant, en l’absence de leader identifiable, la peur que le soulèvement suscite brouille les cartes des commentateurs qui n’y voient que des expressions « gazeuses » ou chaotiques. Parce que rien n’est comme avant, tout devient trouble. L’irruption de la protestation est d’autant plus déstabilisante que la population qui l’exprime expose des gens mal aimés, écartés des débats et des bénéfices d’une économie financiarisée. Une population sans tradition politique, mal désignée par ce terme de « peuple » toujours commode, mais qui ne dit rien de sa spécificité sociale.

    Les lieux de rassemblement d’abord : ronds points, parkings de supermarchés, voies routières, carrefours déshumanisés, autant d’endroits d’un monde falsifié où, d’ordinaire, ne passent que des ombres et des anonymes. En revêtant ce vêtement fluorescent, les « gilets jaunes » donnent une visibilité manifeste à leur présence en même temps qu’ils avertissent de l’imminence de l’accident ou de la catastrophe, si le monde tel qu’il va ne marque pas un coup d’arrêt. Les formes de regroupement ensuite, par petits collectifs qui se connaissent, ou se reconnaissent, habitant un même territoire, ou vivant la même galère, à leur manière réinventent une sociabilité qui s’effacent après la désertion des centres villes et l’abandon des services publics. Tout un monde se révèle, un monde d’oubliés, à travers l’accélération de la précarité et de la misère.

    Le vocabulaire est si bien travesti, que la distance entre le discours et le réel s’est élargie au point de rendre impossible la compréhension d’autres significations à l’œuvre dans le passé. Détournés de son sens réellement réformateur, par exemple, le mot réforme désormais s’entend comme une adaptation à l’économie ultra-libérale, avide de productivité en dépit de ses effets destructeurs. Or, au début du XIXe siècle avant que la révolution industrielle ne confisque l’idée de progrès, mise au service des privilégiés, le mot réforme, dans l’esprit du moment « utopique », annonçait la transformation des rapports sociaux jugée nécessaire à la « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », selon l’expression de Saint-Simon. Cette dernière avait été tenue éloignée jusqu’alors des promesses des Lumières. Il est vrai que nous étions au temps où l’on croyait encore à la marche irréversible du progrès humain, l’humanité tout entière, dont le destin était le bonheur commun, devait s’organiser en ce sens, selon le souhait d’un autre utopiste nommé Condorcet.

    Le temps a passé et, au cours du siècle dernier en particulier, l’efficacité de la représentation par délégation de pouvoir fut jugée pertinente parce qu’elle recueillait l’assentiment apparent du plus grand nombre. Or, à l’aube du XIXe siècle, les classes ouvrières naissantes sans droit politique, en l’absence de toute protection sociale, avaient appris à s’auto-organiser, tels les canuts en 1831 qui surprirent la bourgeoisie lyonnaise découvrant dans les rues de sa ville un monde nouveau composé de « prolétaires » ; mot nouveau, mais mot vilain qu’il s’agissait de rayer de la carte du vocabulaire politique, selon l’expression d’Alphonse de Lamartine, futur ministre des affaires étrangères du gouvernement provisoire de la deuxième République de 1848.

    La résistance des « gilets jaunes » à toute idée de délégation ou de médiation pour obtenir une réelle justice sociale, toujours remise à des temps ultérieurs, est d’autant plus pertinente que les commentateurs de presse ou d’ailleurs s’évertuent à déplorer la perte de capacité d’intervention des syndicats et des corps intermédiaires. Tous l’expriment sans détour : les organisations traditionnelles manquent aux pouvoirs en place parce qu’elles sont censées apaiser ou réguler un mouvement incontrôlable. En clair, ce ne sont pas les représentants des oubliés de la modernité qui sont attendus mais ce sont les auxiliaires de la discipline libérale qui sont requis afin de « calmer le jeu ».

    #Gilets_jaunes #Histoire

  • L’honneur perdu d’une institution – hommage à Brigitte Lainé | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2018/11/28/lhonneur-perdu-dune-institution-hommage-a-brigitte-laine

    Pour avoir témoigné en faveur de Jean-Luc Einaudi lors d’un procès intenté par Maurice Papon à propos de son rôle dans le massacre du 18 octobre 1961, et avoir confirmé à la barre l’existence de documents incommunicables attestant des ordres donnés directement par le préfet de police, Brigitte Lainé fut placardisée le restant de sa carrière. Elle est morte le 2 novembre dernier. Hommage à une archiviste héroïques et remarques vives sur son institution, les Archives.

    Rappelons les faits.

    Jean-Luc Einaudi avait consacré un livre à la répression policière de la manifestation des Algériens qui eût lieu à Paris le 17 octobre 1961. Un massacre. Des corps jetés dans la Seine. Officiellement trois ou quatre, sept tout au plus, et encore laissait-on entendre qu’il s’agissait de règlements de compte entre les combattants algériens. En réalité, des centaines. Le grand mérite de Jean-Luc Einaudi fut de sortir de l’oubli un événement sur lequel aucun historien professionnel ne s’était jusque-là penché. Il croisa pour cela quantité de témoignages, puis poursuivit son enquête, fréquenta les Archives de Paris, détentrices des archives judiciaires. Les dossiers de cette période n’étaient pas légalement communicables, sauf dérogation accordée individuellement après instruction du dossier du lecteur. Jean-Luc Einaudi n’essuya que des refus ou pire, ne fut même pas honoré d’une réponse.

    Le 20 mai 1998, il parla dans Le Monde du « massacre perpétré par une police aux ordres de Papon », alors préfet de Paris en 1961. Ce dernier, qui venait d’être condamné à Bordeaux pour son rôle dans la déportation des Juifs de la Gironde entre 1942 et 1944, se saisit de l’occasion. Il lui intente un procès en diffamation. Il sait que la loi sur l’accès aux archives le protège dès lors que les archives ne sont pas communicables : que Jean-Luc Einaudi apporte la preuve que la police a agi sous ses ordres ! C’est alors que l’avocat du chercheur va demander à Brigitte Lainé et Philippe Grand de venir corroborer, en tant que conservateurs de ces documents dont ils connaissent le contenu, les propos de Jean-Luc Einaudi. Le témoignage de Brigitte Lainé (Philippe Grand en fera un par écrit) sera décisif. Les centaines de morts, ils les ont sous les yeux. Papon sera débouté. Le soir même Brigitte Lainé et Philippe Grand seront accusés par leur hiérarchie de manquement au « devoir de réserve ». Ils encourent pour cela un an de prison et une lourde amende. Mais voilà : quiconque est régulièrement cité par un magistrat en qualité de témoin est relevé ipso facto de l’obligation au secret professionnel. Privée de poursuite pénale, l’administration n’a d’autres moyens de sévir que la persécution administrative. Alertés, les inspecteurs généraux des Archives de France déclenchent l’enquête administrative avec la perspective d’un conseil de discipline et de toute une série de sanctions allant jusqu’à la révocation. En attendant, Brigitte Lainé et Philippe Grand sont « placardisés ».

    #Archives #17_Octobre #Histoire

    Pour autant, rétive à la pensée réflexive, la corporation des archivistes, de même que celle des agents de l’Etat d’une manière générale, ne pourra faire longtemps l’économie d’un retour sur ses pratiques. Les scandales, qu’on transforme en « affaires » pour mieux les étouffer, ne cessent de s’accumuler. À la découverte du Fichier juif, par Serge Klarsfeld, en novembre 1991, a succédé celle de l’élimination d’archives concernant des biens juifs sous l’Occupation par les Archives de Paris en 1998 puis, comme le soulignèrent dans une lettre ouverte le 29 mai 2001 à Lionel Jospin, alors Premier ministre, Brigitte Lainé et Philippe Grand, la disparition de documents (toujours aux Archives de Paris) qui auraient permis l’enquête sur le massacre du 17 octobre 1961 (il n’existe plus un seul exemplaire du rapport du Préfet de police). On se demande encore où sont les rapports de la brigade fluviale qui pourraient contenir le nombre de manifestants noyés le soir du 17 octobre 1961. La « sale guerre » a du mal à émerger des archives lorsqu’elles existent encore. C’est seulement aujourd’hui que resurgit un fichier de mille et plus combattants algériens morts sous la torture à l’instar de Maurice Audin, alors que l’enquête sur la disparition de ce dernier n’a jamais été close !

    Dans chaque cas, on s’interroge sur la responsabilité de l’institution des Archives.

  • #Frais_d’inscription pour les #étudiants_étrangers : « Une logique contraire au #service_public »

    Le premier ministre Édouard Philippe vient d’annoncer une hausse spectaculaire des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers #extra-communautaires. Une mesure inefficace, injuste et contre-productive, selon Hugo Harari-Kermadec, maître de conférences en économie à l’ENS Paris-Saclay.

    La campagne s’appelle « #Choose_France ». Mais pour espérer étudier en France, il faudra surtout être riche. Le premier ministre Édouard Philippe a annoncé lundi 19 novembre une hausse spectaculaire des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers extra-communautaires.

    Dorénavant, les étudiants venant des pays situés en dehors de l’Union européenne devront débourser pour leurs frais d’inscription à l’université 2 770 euros en licence (contre 170 euros aujourd’hui) et 3 770 euros en master et doctorat (contre 243 euros en master et 380 euros en doctorat jusqu’à présent) à partir de la rentrée prochaine. Jusqu’alors, ils s’acquittaient des mêmes droits d’inscription que les étudiants français et européens.

    Le premier ministre justifie cette mesure par un raisonnement qui peut sembler incongru : entre 2010 et 2015, le nombre d’étudiants étrangers a baissé de 8 %. Or, pour relancer l’#attractivité de la France, le gouvernement est convaincu qu’il faut que les facs françaises coûtent plus cher.

    La France reste pourtant le quatrième pays d’accueil choisi par 245 000 étudiants. D’ici à 2027, la France espère porter à 500 000 le nombre d’étudiants étrangers qu’elle accueille chaque année.

    Selon Édouard Philippe, les #étudiants_internationaux aujourd’hui inscrits en licence paient moins de 2 % du coût réel de leur formation. Sans compter qu’ils ne paient pas d’impôts en France, ni leurs parents, et ne contribuent donc pas au financement de l’enseignement supérieur. Ainsi, il s’agit de rétablir une forme d’« #équité » parmi les étudiants.

    Pour mieux faire accepter cette mesure sensible car considérée par certains comme discriminatoire, le premier ministre a annoncé la mise en place de 6 000 #bourses d’établissement et l’augmentation du nombre de bourses d’État réservées aux étudiants étrangers, qui passeront de 7 000 à 15 000, et « concerneront prioritairement les étudiants en provenance du Maghreb et des pays d’Afrique », selon le plan présenté.

    Les deux principales organisations syndicales, Fage et Unef, ont pris position contre cette mesure.

    Hugo Harari-Kermadec est maître de conférences en économie à l’ENS Paris-Saclay, coauteur de l’ouvrage Arrêtons les frais ! Pour un enseignement supérieur gratuit et émancipateur (Raisons d’agir, 2014) et membre du groupe de recherche Acides (Approches critiques et interdisciplinaires des dynamiques de l’enseignement supérieur).

    Est-ce que cette annonce était attendue ?

    Hugo Harari-Kermadec : On savait depuis la campagne présidentielle que la discussion concernant la hausse des frais d’inscription à l’université était assez avancée. Une note de l’économiste Robert Gary-Bobo évoquait déjà ce sujet et, plus largement, les Macron Leaks font état de discussions entre Thierry Coulhon, devenu conseiller pour l’enseignement supérieur d’Emmanuel Macron, et l’économiste Philippe Aghion sur cette question. Le dernier est moins maximaliste que le premier par ailleurs. C’est donc un mouvement général.

    L’annonce de l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires montre qu’une première étape est franchie.

    On a vu comment Parcoursup organise un système où le futur étudiant candidate à un grand nombre de formations, comme dans un marché. L’idée étant qu’au lieu d’être affecté dans la licence de son choix dans la limite des postes disponibles, on est mis en concurrence et, selon la demande, il est plus ou moins difficile d’y entrer. Les plus demandées seraient aussi payantes.

    À long terme, on peut imaginer qu’il y aura une offre concurrentielle marchande. Des établissements privés sont déjà répertoriés dans Parcoursup.

    Bien entendu, le contre-argument principal à cette hausse des frais d’université va être de dire que cela ne concernera pas tout le supérieur, seulement certains établissements et certaines filières. On peut donc aussi supposer que les universités qui ont le plus besoin de financements, celles de banlieues dans les villes grandes et les moyennes, ne seront pas attractives et personne ne voudra payer pour y venir. Ce qui va en définitive accroître les #inégalités et les hiérarchies.

    Le premier ministre a expliqué agir ainsi pour rétablir « une équité » entre étudiants dont les parents paient des impôts en France et les autres. Est-ce un argument recevable selon vous ?

    Non. Les parents d’étudiants étrangers ne paient pas d’impôts en France, certes, mais dans ces cas-là, les adultes qui n’ont pas d’enfants ne devraient pas payer d’impôts non plus. Le premier ministre entre dans une logique où chacun paie ce qu’il consomme, ce qui est l’inverse de la définition du #service_public.

    Au contraire, il y a tout intérêt à ce que les étudiants étrangers viennent étudier en France, qu’ils restent et paient des impôts ensuite. Surtout que, pendant les années où ils seront là, ils devront se loger, se nourrir, bref faire des dépenses. Le coût des études sera de toute façon inférieur à ce qu’ils vont dépenser en vivant en France (4,65 milliards d’euros contre 3 milliards d’euros). C’est plus rentable à long terme que de leur demander de payer ce qu’ils consomment. Surtout qu’en étant étudiant ici, même s’ils repartent, ils garderont un lien avec la France et pourront, par exemple, faire du commerce ou de l’exportation. Il n’y aura pas de perte économique.

    La véritable question d’équité est de rappeler que tout jeune en France a le droit d’être formé. Là, cette mesure peut dissuader les moins fortunés de venir.

    D’autres, comme la présidente de la Conférence des grandes écoles, expliquent que des frais d’inscription modiques nuisent à l’attractivité et donnent l’impression d’une éducation au rabais.

    Là encore, c’est un argument courant de dire que si une formation n’est pas assez chère, c’est qu’elle est de mauvaise #qualité. On pourrait rétorquer que des masters à 3 000 euros ne « font » pas assez chers. Autant les rendre gratuits en disant que l’éducation n’a pas de prix.

    Surtout que ça n’aide pas à augmenter l’attractivité. Le Chili, par exemple, a des prix alignés sur ceux des États-Unis. C’est très onéreux mais il n’y a pas d’étudiants étrangers là-bas. L’université est pourtant de qualité, elle est bien placée dans les classements internationaux. Mais les étudiants asiatiques, qui sont la cible visée, préfèrent aller aux États-Unis, en France ou en Grande-Bretagne.

    Les jeunes prennent aussi en ligne de compte dans leur choix la qualité de vie et le réseau qu’ils auront en s’expatriant pour leurs études. C’est pour cette raison que le « #tourisme_étudiant » est en pleine expansion. Les communautés d’établissements comme PSL à Paris ou Saclay essaient de développer non pas une excellence de la recherche mais des infrastructures pour attirer le plus grand nombre. Dans cette veine-là, à Saclay, un projet de créer le plus grand stade européen est à l’étude.

    Les syndicats étudiants sont contre cette hausse et parlent plutôt de la nécessité d’assouplir la politique de visas, est-ce le problème ?

    En réalité, l’idée du gouvernement n’est pas d’attirer ceux qu’on a toujours attirés, à savoir les étudiants des ex-colonies françaises. En introduisant cette hausse des frais d’inscription, l’État vise à attirer les étudiants asiatiques et les classes moyennes hautes de ces pays au pouvoir d’achat en augmentation. Il ne s’agit pas d’avoir plus d’étudiants étrangers mais surtout de saisir une part de marché.

    On va attribuer des bourses pour compenser la hausse de ces droits d’inscription. Mais alors les aspirants vont devoir prouver qu’ils ont de faibles ressources pour y prétendre. Cela concerne ceux qui n’ont pas les moyens de venir en France étudier. Ceux qui sont suffisamment riches pour venir n’entreront pas dans les critères pour être éligibles à une aide de l’État. Le seul moyen de se sortir de cette situation est de distribuer les aides en fonction de critères scolaires, y compris pour ceux qui peuvent payer. Tout cela ne changera donc rien en termes de #mixité_sociale.

    Y a-t-il eu d’autres tentatives par le passé d’augmenter les frais d’inscriptions pour les étudiants étrangers ?

    Il y a eu toute une série d’expérimentations dans l’enseignement supérieur. Science Po a été précurseur et a augmenté ses frais d’inscription pour tout le monde, en fixant d’abord un maximum de 2 000 euros. Les étrangers extra-communautaires paient toujours le prix le plus élevé car on ne peut pas vérifier leur dossier et la réalité des ressources de leurs parents. Aujourd’hui, au bout de quelques années, le prix de l’année d’étude s’élève à 14 000 euros, ce qui est plus onéreux que les écoles de commerce et correspond aux tarifs pratiqués en Angleterre. La moitié des étudiants de Science Po sont étrangers.

    Cette hausse massive a profondément changé le mode de recrutement des étudiants. Ils veulent faire venir des étudiants étrangers et pour cela leur offrent une expérience de vie dans le centre de Paris. Le recrutement des étudiants français est très sélectif. L’université Paris-Dauphine a opté pour une hausse moins forte, mais visant déjà les étudiants étrangers. Là encore, cela a été progressif. Les masters internationaux en anglais sont passés à 4 000 euros par an.

    En Grande-Bretagne, le tarif standard est de 14 000 euros. Les étudiants étrangers peuvent payer plus. Ils sont donc plus intéressants pour les universités, car les « nationaux » rapportent moins. De fait, des filières comme la philosophie ou la littérature anglaise sont sacrifiées au profit de cursus de médecine, droit ou business, plus susceptibles d’attirer les étudiants asiatiques ou moyen-orientaux.

    Au contraire, en 2005, certains Länder en Allemagne ont essayé d’augmenter ces frais avant de faire machine arrière car la communauté universitaire et les jeunes y étaient réfractaires. Culturellement, cela n’est pas passé et les étudiants pouvaient aller dans le Land d’à côté pour éviter cette hausse.

    Est-ce que cette volonté d’augmentation des frais d’inscription est une tentative de compenser le sous-financement de l’enseignement supérieur ?

    Valérie Pécresse, il y a une dizaine d’années, ou Geneviève Fioraso, plus récemment en 2013, alors en charge de l’enseignement supérieur, ont fait des déclarations dans lesquelles elles expliquaient que les établissements devraient expérimenter des hausse des frais d’inscription. Là, c’est Édouard Philippe qui fait la même préconisation et va plus loin en l’imposant, au mépris de l’autonomie des universités.

    L’enseignement supérieur est toujours une priorité pour tous les gouvernements, mais le financement par étudiant est en baisse et cela ne change pas. Les universités vont modifier leur comportement pour attirer les étudiants étrangers et les nationaux vont s’habituer peu à peu à ce que leurs études leur coûtent de plus en plus cher. Certains pourront se dire qu’il est plus simple dans ce cas de ne pas faire d’études du tout et de gagner le Smic toute leur vie.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/201118/frais-d-inscription-pour-les-etudiants-etrangers-une-logique-contraire-au-
    #université #élitisme #études_supérieures #attractivité #excellence

    • Débat : « Bienvenue en France » aux étudiants étrangers, vraiment ?

      Lundi 19 novembre 2018, le gouvernement français a annoncé une nouvelle stratégie pour attirer plus d’étudiants étrangers en France. Sous un nouveau label « #Bienvenue_en_France » attribué aux établissements exemplaires, le premier ministre, Édouard Philippe, souhaite passer de 320 000 étudiants internationaux aujourd’hui à 500 000 dans les universités de l’Hexagone d’ici 2027. De quelle manière ? Entre autres, en augmentant les frais de scolarité pour les étudiants « extra-européens » !

      Ainsi, dès la rentrée prochaine, ces jeunes devraient payer 2 770 euros au lieu de 170 euros pour s’inscrire en licence, et 3 770 euros pour une formation en master ou en doctorat – contre 243 euros et 380 euros actuellement. Le premier ministre trouve « absurde » et « injuste » qu’un étudiant extra-européen « fortuné » « paie les mêmes droits d’inscription qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et paient des impôts en France depuis des années ».

      Cette déclaration vient confirmer, encore une fois, l’ambiguïté de la politique française à l’égard des étudiants étrangers. Une politique qui oscille entre un désir d’attractivité, puisé dans une vision libérale marquée par l’ère de la #marchandisation des systèmes d’enseignement supérieur, et une obsession de contrôle affirmée par une #politique_migratoire restrictive, sélective, prospérant dans une logique bureaucratique sécuritaire.

      Un marathon administratif

      En 2017, ce sont plus de 78 000 premiers permis de séjour qui ont été délivrés en France pour « raisons liées à l’éducation ». Des documents obtenus au terme d’un véritable parcours de combattant. Depuis 2010, en effet, tout candidat étranger doit passer par la plate-forme numérique de #Campus_France, un établissement sous la tutelle conjointe du ministère des Affaires étrangères et du ministère chargé de l’Enseignement supérieur, avec un réseau de plus de 200 espaces et antennes dans le monde.

      La candidature, appelée #demande_d’admission_préalable (#DAP), est payante. Pour soumettre un dossier de candidature, les étudiants doivent payer les frais de dossier en espèces, auprès d’une banque accréditée. Le montant varie d’un pays à un autre. Par exemple, pour les candidats sénégalais, il est de 50 000 FCFA (environ 75 euros), pour les étudiants turcs, il est de 430 LT (environ 98 euros), alors que pour les étudiants marocains, il est de 1 900 Dhms (environ 172 euros). Il est clairement mentionné que ces frais de dossier ne sont pas une garantie de préinscription et qu’ils ne sont, en aucun cas, remboursables même en cas de désistement, de non-admission ou de refus de visa.

      Ainsi, dans un premier temps, les étudiants étrangers doivent créer un compte sur le site Campus France et compléter un dossier pédagogique, en saisissant les informations personnelles et les justificatifs de diplômes. Les candidats doivent également fournir un certificat attestant de leur niveau en français, et ce, en effectuant un test de connaissance du français (TCF), payant, ou en présentant un diplôme équivalent.

      L’étape suivante consiste à envoyer le dossier pédagogique aux établissements français dans lesquels le candidat souhaite s’inscrire. En cas d’avis favorable de l’un d’entre eux, les services de Campus France convoquent l’étudiant pour un entretien afin de vérifier l’authenticité des documents fournis, son niveau de français, ses motivations et la cohérence de son projet. À l’issue de cet entretien, l’agent de Campus France donne son avis. S’il est favorable, le candidat est invité à prendre rendez-vous au consulat de France pour déposer sa demande de visa long séjour mention « étudiant ».

      Des démarches coûteuses…

      Tout étudiant ne disposant pas d’une bourse d’études doit présenter une attestation bancaire justifiant « du dépôt d’un ordre de transfert, permanent et irrévocable, d’un montant minimum de la contre-valeur de 615 euros par mois pour la durée du séjour (base de 12 mois pour une année scolaire ou universitaire) ». Cette somme est conséquente, puisque pour un étudiant marocain par exemple, cela représente deux fois le salaire minimum mensuel dans son pays. De fait, pour pouvoir déposer une demande de visa de long séjour pour études en France, un étudiant marocain doit avoir économisé l’équivalent de deux ans de salaire minimum !

      Gardons l’exemple des étudiants marocains, puisqu’ils arrivent en tête de classement des étudiants étrangers en France (38 000 en 2017). Depuis 2015, tous les consulats de France au Maroc ont externalisé la réception des dossiers de demande et de délivrance des #visas à un prestataire privé, la société #TLS-Contact. Ainsi, outre les frais inévitables de #visas – non remboursables en cas de refus, les demandeurs payent aussi des frais de service à TLS-Contact, équivalant à 269 dirhams (autour de 25 euros).

      À leur arrivée en France, les étudiants étrangers doivent se présenter, dans un délai de trois mois à compter de la date d’entrée, aux services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (#OFII) de leur département d’installation, et ce, pour procéder aux formalités d’enregistrement. Une fois l’ensemble de démarches administratives accompli et en s’acquittant d’une taxe de 58 euros sous forme de timbres fiscaux, les passeports de ces étudiants étrangers se voient revêtus d’une vignette attestant l’achèvement des formalités.

      … et sans fin

      Dès leur deuxième année en France, les étudiants étrangers doivent demander une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant ». Selon l’article L.313-7 du CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) français, cette carte est accordée à « l’étranger qui établit qu’il suit en France un enseignement ou qu’il y fait des études et qui justifie qu’il dispose de moyens d’existence suffisants ».

      Le niveau de moyens d’existence estimé suffisant est équivalent à la demande initiale du visa long séjour, c’est-à-dire d’au moins 615 euros par mois. Ceci dit, le dossier de demande de cette première carte de séjour temporaire est composé, entre autres, d’un justificatif de ressources financières au montant défini ; un justificatif de domicile ; une attestation d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur et une attestation d’affiliation à une couverture sociale étudiante. La remise de ce premier titre de séjour exige l’acquittement d’une taxe de 79 euros sous forme de timbres fiscaux.

      Arrivés au terme de leur cursus, certains étudiants étrangers trouvent des opportunités d’emploi dans l’Hexagone et décident de s’y établir. Cette décision les expose de front à une nouvelle « carrière de papier » (Spire, 2005) aussi tracassante et complexe que les précédentes. En effet, pour qu’un étudiant étranger puisse séjourner légalement en France à l’issue de ses études supérieures et occuper une activité professionnelle salariée, il est soumis à une procédure administrative dite de « changement de statut », au terme de laquelle il passe de statut « étudiant » à celui de « travailleur temporaire » ou de « salarié ».

      Ceci étant dit, je vous laisse faire le calcul de la somme de tous ces frais (dossier Campus France + TLS-Contact + frais de Visa + timbres fiscaux à l’OFII) que les étudiants extra-européens paient pour poursuivre leurs études supérieures en France. Coûteuse, exigeant plusieurs mois de démarches, la procédure d’obtention d’un visa pour études Jamid, 2018 est révélatrice de la politique d’immigration sélective de la France. Une sélection qui relève à la fois d’une dimension sociale inégalitaire et d’apparentes logiques économiques, prescrites par les besoins économiques du marché du travail français.

      Des mesures contre-productives

      Beaucoup d’étudiants étrangers dépendent au cours de leur expatriation en France des ressources financières que leur procurent leurs familles. Nombreux d’entre eux sont originaires de milieux modestes. Pour subvenir aux différentes exigences matérielles liées au séjour de leurs enfants en France, nombreuses sont les familles qui parfois s’endettent. Avec cette nouvelle politique de frais d’inscriptions qui alourdit les charges pesant sur elles, il ne s’agira plus de « Bienvenue en France », mais plutôt « Allez ailleurs, ne venez pas en France » !

      Si les étudiants étrangers sont souvent considérés comme des candidats « désirables » à l’immigration en France, correspondant parfaitement aux canons de ce que vous appelez « l’#immigration_choisie », il n’en demeure pas moins qu’ils sont traités comme tout étranger, soupçonné en permanence de devenir ultérieurement en situation juridique irrégulière.

      En 2014, Campus France a réalisé une étude auprès d’un échantillon représentatif afin de cerner l’apport économique des étudiants étrangers à la vie du pays. Selon les résultats de cette enquête, en ligne :

      « Alors que le coût de ces étudiants étrangers pour le budget de l’État peut être évalué à 3 milliards d’euros environ, l’apport des étudiants l’économie française se monte à 4,65 milliards d’euros dont : 3 250 millions euros en consommation quotidienne de biens et services ; 563 millions euros en frais d’inscription et de scolarité ; 364 millions euros en dépenses de transport aérien auprès d’opérateurs français ; 466 millions euros de dépenses des proches qui rendent visite aux étudiants. »

      Peut-être les responsables politiques devraient-ils faire un tour pendant leurs vacances dans des villes comme Brest, Nancy ou Mulhouse, où les étudiants étrangers dynamisent la vie locale. Leurs habitants le confirmeront !

      https://theconversation.com/debat-bienvenue-en-france-aux-etudiants-etrangers-vraiment-107291

    • La Cour des comptes préconise une hausse des droits d’inscription à l’université

      L’institution recommande, dans un rapport que s’est procuré « Le Monde », la fin de la quasi-gratuité de l’université, en priorité en master.

      Après la sélection, la quasi-gratuité constitue probablement l’un des derniers principes tabous à l’université, qu’aucun gouvernement n’a remis en cause depuis une trentaine d’années et le projet de loi Devaquet, en 1986, abandonné face aux milliers d’étudiants dans la rue. Dans un rapport intitulé « Les droits d’inscriptions dans l’enseignement supérieur public », que Le Monde s’est procuré, la Cour des comptes remet ce sujet inflammable sur la table et propose rien moins qu’une augmentation substantielle des droits d’inscription, en priorité en master.

      Ce document encore confidentiel de 200 pages, qui doit être transmis aux membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale dans les prochains jours, survient dans un contexte qui n’a rien d’anodin. Commandé par le député du Calvados de la majorité LRM (La République en marche), Fabrice le Vigoureux, il ne manquera pas de faire écho aux mesures annoncées par le gouvernement le 19 novembre, sur l’augmentation de plusieurs milliers d’euros des droits d’inscription des étudiants étrangers extra-européens. Celles-ci ont provoqué une levée de boucliers chez les deux principales organisations étudiantes (UNEF et FAGE) et certains syndicats enseignants, dénonçant une première entaille au principe de gratuité risquant d’en appeler d’autres.

      https://www.lemonde.fr/education/article/2018/11/21/la-cour-des-comptes-envisage-une-augmentation-des-droits-d-inscription-a-l-u

    • Pour attirer les étudiants étrangers, le gouvernement veut… les faire fuir

      Le Premier ministre vient d’annoncer le décuplement des frais de scolarité des étudiants étrangers. Injustice faite aux étudiants ressortissants des pays les plus pauvres, coup porté au dynamisme de l’enseignement et de la recherche en France, ce projet emporte avec lui une réforme encore plus radicale : comment ne pas penser qu’après les étrangers viendra le tour de tous les étudiants, avec pour conséquence le renoncement aux études supérieures pour les plus démunis ou un surendettement massif pour ceux qui persisteraient ?

      À les entendre, nous pourrions penser que le président de la République et son Premier ministre, qui se piquent d’être des gens de lettres, ont, récemment, décidé d’apprendre aux Françaises et aux Français à maîtriser toutes les subtilités de la rhétorique. Après le pseudo mea-culpa du premier dans lequel il nous expliquait qu’il n’avait « pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants », nous donnant ainsi une magnifique illustration de l’« euphémisme » (ainsi que le notait Cécile Alduy sur Twitter).

      https://aoc.media/opinion/2018/11/23/attirer-etudiants-etrangers-gouvernement-veut-faire-fuir
      #paywall

    • Faire payer les étudiants étrangers pour mieux faire s’endetter tous les étudiants

      Six universitaires critiquent la hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers, estimant que « si le gouvernement s’engageait dans cette voie (…) les conséquences sociales de cette politique (…) contribueront à fortement éloigner des jeunes des études supérieures (…) et à l’endettement massif de ceux qui s’y engageraient ».

      Le Premier ministre vient de franchir une nouvelle ligne rouge. Celle qui conduira inexorablement à l’#inégalité de la jeunesse devant le savoir.

      L’annonce a été ainsi faite lors des Rencontres universitaires de la francophonie de l’augmentation des frais d’inscription dans les universités françaises qui passeront de 200 à environ 3 500 euros pour les étudiants extra-communautaires. Une réforme qui serait nécessaire car nous dit Edouard Philippe « Un étudiant étranger fortuné paie les mêmes droits d’inscription qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et paient des impôts en France depuis des années. C’est absurde et injuste ». Mais rassurons-nous, la tradition humaniste française sera respectée, le nombre de bourses d’études, en priorité en direction des pays du Maghreb et d’Afrique, sera triplé passant de 6000 à 21 000. Et cette mesure devrait même rendre la France plus attractive nous assure sans rire le gouvernement alors même qu’une étude menée par France Stratégie, en 2015 indiquait que le nombre d’étudiants a mécaniquement baissé dans les pays qui ont augmenté leurs droits comme en Suède où la chute a été de 80%.

      Mais ne nous y trompons pas, derrière cette annonce qui se veut de « bon sens », faite en pleine crise des gilets jaunes et le jour de l’annonce du retour du service national pour sans doute passer inaperçue, se cache une réforme plus radicale pour le service public de l’Enseignement Supérieur et concerne bien plus que les 320 000 étudiants étrangers inscrits dans nos universités. Car après les étrangers viendra le tour de tous les étudiants, avec pour conséquences à terme le renoncement aux études supérieures pour les plus démunis ou un surendettement massif pour ceux qui persisteraient.

      En effet, cette histoire est ancienne et nous en connaissons la fin. En Grande-Bretagne, l’idée de faire payer les étrangers a été initiée dès 1980 par M. Thatcher puis amplifiée par T. Blair et les gouvernements successifs. Elle a permis d’installer dans les esprits que l’accès au savoir n’était pas un droit pour tous mais un service comme un autre, et qu’à ce titre l’usager, devait payer pour cela. C’est ainsi que les frais d’inscription qui étaient quasi nuls en 1980 ont vu, après cette réforme réservée initialement aux étrangers, leur augmentation s’étendre progressivement à tous les étudiants et s’élèvent aujourd’hui en moyenne à plus de 10 000£.

      Et n’en doutons pas, il en sera de même en France. D’une part parce que l’Etat se désengage et les universités se paupérisent - cette année l’augmentation 500 millions de leurs budgets est inférieure à l’inflation. D’autre part parce que nombreux sont ceux qui réclament cette augmentation, et depuis fort longtemps. Ainsi la Cour des comptes vient elle même de préconiser cette augmentation dans un rapport commandé par un député de la République en Marche. Pour certains les droits élevés garantiraient un "nouveau contrat entre les étudiants et les universités", augmenteraient leur motivation tandis que leur statut d’usager leur permettrait d’imposer de plus fortes exigences de qualité des services fournis aux universités. Ces frais élevés seraient d’ailleurs un « signal de qualité » en direction des publics internationaux si l’on en croit Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles. Pour d’autres l’augmentation de ces droits permettrait plus prosaïquement de compenser très partiellement le manque de ressources des universités. Rappelons que ces droits représentent environ 2% des budgets des universités et 10 à 15% de leurs frais de fonctionnement.

      Un argument de « justice sociale » est aussi invoqué. Certains expliquent en effet que des frais uniques et de faible montant est en fait une fiction accentuant les inégalités. Leur raisonnement est le suivant : ce sont les jeunes les plus favorisés qui font les études les plus longues et les moins chères - or cet investissement est payé par toute la Nation, notamment via la demi-part fiscale dont bénéficient leurs parents, Il en résulte un « rendement privé » important puisque les salaires les plus élevés dont bénéficient les actifs diplômés sont ainsi financés par cette subvention publique importante payée par tous. Aussi la quasi gratuité de l’Enseignement Supérieur ne serait pas redistributive et serait contraire aux ambitions d’égalité de la République.

      Selon eux, pour compenser, il faudrait augmenter les frais d’inscription, quitte à le faire avec des tarifs progressifs selon les revenus des parents ou les revenus ultérieurs attendus (les étudiants en médecine ou en droit pourraient payer plus chers). Et pour payer ces frais élevés, la solution préconisée le plus souvent est le recours à l’emprunt, au prêt d’études garanti par l’Etat remboursable avec le premier emploi. Cette politique est celle menée dans de nombreux pays avec les effets néfastes que nous connaissons. Aux Etats-Unis par exemple, modèle des promoteurs de ce financement par l’emprunt, la dette contractée par les étudiants est d’environ 25 000$. Son total qui s’élevait à 500 milliards de dollars en 2008 est aujourd’hui de 1500 milliards de dollars, une menace pour l’économie au moins aussi importante que celle des subprimes en 2008 puisque de plus en plus de jeunes diplômés sont en surendettement et incapables de rembourser leurs dettes. Cet endettement est tel que certains encouragent d’ailleurs les jeunes à ne pas faire d’études.

      Ainsi, partout où cela a été fait, l’augmentation des frais d’inscription réservé aux étrangers a conduit à l’augmentation des frais pour tous puis à l’endettement des étudiants qui voulaient poursuivre leurs études. Si le gouvernement s’engageait dans cette voie comme la logique du processus le suggère, les conséquences sociales de cette politique seront immédiates. Elles contribueront à fortement éloigner des jeunes des études supérieures (seuls 4 jeunes sur 10 obtiennent un diplôme d’enseignement supérieur) et à l’endettement massif de ceux qui s’y engageraient (1 étudiant sur 2 est obligé de travailler pour subvenir à ses besoins).

      Elle sera injuste car ces augmentations pénaliseront essentiellement les familles les plus modestes dont les enfants s’inscrivent dans les premiers cycles universitaires. Par ailleurs, elle conduira de nombreux jeunes à entrer dans la vie active handicapés par un emprunt initial, créant au delà des difficultés individuelles une situation économique potentiellement dangereuse pour le pays.

      Pour faire accepter cette transformation, le gouvernement a choisi indignement de commencer par commodité de montrer du doigt ces étrangers qui viendraient profiter des largesses françaises. C’est faire mine d’oublier que le rayonnement international de la France a besoin d’accueillir ces étudiants étrangers ; la francophonie notamment y perdrait, la Chine ayant de son côté une action de « coopération » extrêmement énergique vers le continent africain. C’est faire mine d’oublier que ces étudiants étrangers par leur consommation participent au développement économique des villes universitaires dans lesquelles ils vivent. C’est faire mine d’oublier que les liens qu’ils auront noués au cours de leur scolarité se retrouveront souvent dans les partenariats économiques et culturels qu’ils pourront établir ensuite entre leur pays d’origine et la France.

      Mais au delà de cette mesure injuste, il s’agit là de la première étape d’un processus plus vaste pour imposer mezza voce une vision libérale de l’Enseignement Supérieur qui fait passer d’un financement public par l’impôt à un financement par endettement privé. Notons que cette politique libérale a déjà été mise en œuvre par le gouvernement dans le secteur hospitalier via le développement des mutuelles privées, notons qu’il vient d’ailleurs de la même façon d’acter des frais d’hospitalisation plus élevés pour les étrangers venant se faire soigner en France. Refusons cette réforme et rappelons avec force que l’université française doit demeurer un service public qui élabore et transmet des savoirs permettant à chacun d’acquérir la maitrise de son destin, professionnel mais aussi intellectuel et citoyen.

      https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/241118/faire-payer-les-etudiants-etrangers-pour-mieux-faire-sendetter-tous-
      #endettement #taxes_universitaires

    • Message du Directeur du Cabinet de la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation adressé aux établissements relevant du ministère français de l’enseignement supérieur

      –-> message reçu par email via mon université

      Mesdames et messieurs les présidents et directeurs,
      Le Gouvernement français a lancé une stratégie d’#attractivité pour les étudiants internationaux incluant :

      – une simplification de la politique des #visas,
      – la multiplication des formations en français langue étrangère et en anglais,
      – une démarche de généralisation et de #labellisation des programmes d’accueil et d’accompagnement des étudiants étrangers mis en place dans les établissements
      – et une campagne de #communication mondiale, sous l’égide de Campus France.

      La France se fixe ainsi l’objectif d’accueillir un demi-million d’étudiants étrangers d’ici 2027. En parallèle, des moyens sont mobilisés pour accompagner le déploiement hors de France des campus et des formations des universités et des écoles françaises, notamment en #Afrique.

      Dès la rentrée 2019, les droits d’inscription seront différenciés en France pour les étudiants internationaux hors Union européenne. Ils resteront inférieurs au tiers du coût réel des formations mais permettront d’augmenter significativement les ressources propres des universités et des écoles. Vous aurez ainsi les moyens de renforcer l’attractivité et la #visibilité de vos établissements vis-à-vis des étudiants internationaux. Dans le même temps, le nombre de #bourses et #exonérations sera triplé.

      J’attire votre attention sur trois points essentiels :
      – Les #droits_différenciés concernent les étudiants internationaux hors Union Européenne, Suisse et Québec. Ils ne s’appliquent pas aux étudiants internationaux d’ores et déjà présents dans vos établissements et qui, à la rentrée 2019, poursuivront leurs études au sein d’un même cycle (L, M ou D). Vos établissements sont par ailleurs en mesure, dans le cadre de leur stratégie d’attractivité et d’accueil, de prévoir une exonération pour les étudiants internationaux changeant de cycle.
      – Le nombre de bourses et exonérations à destination des étudiants étrangers sera triplé, prioritairement à destination des étudiants venus de pays du Maghreb ou d’Afrique. Les universités auront la possibilité d’accorder des bourses et des exonérations, totales ou partielles, notamment dans le cadre des accords de coopération entre universités et écoles (Erasmus+, cotutelle de thèse, par exemple).
      – Les doctorants internationaux bénéficieront de programmes spécifiques de soutien permettant de maintenir l’attractivité des laboratoires de recherche. Les droits d’inscription des doctorants internationaux pourront être pris en charge dans le cadre de financements qui soutiennent les projets de recherche auxquels ils participent.

      Les services du ministère vous feront parvenir les documents techniques nécessaires à la mise en place de ces nouvelles mesures tout au long de l’année.
      Bien cordialement,
      Philippe Baptiste

      –-----

      Qui est concerné par le paiement des droits d’inscription différenciés ?

      Les étudiants extra-européens qui s’inscrivent pour la première fois dans un cycle supérieur de formation en France seront amenés à acquitter des droits d’inscription différenciés. Ces droits concernent les établissements relevant du ministère français de l’enseignement supérieur.

      Ne sont pas concernés par le paiement de ces droits différenciés :
      – Les étudiants ressortissants d’un pays de l’Espace économique européen ou de la Suisse ;
      – Les étudiants de nationalité canadienne domiciliés au Québec, conformément aux accords franco-québécois ;
      – Les étudiants venant en France dans le cadre d’un partenariat entre universités qui prévoit une telle exonération, notamment les étudiants qui ne sont pas ressortissants d’un pays de l’UE et qui sont accueillis dans le cadre des programmes d’échange du type Erasmus+ ;
      – Les étudiants réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, qui seront naturellement exonérés ;
      – Les étrangers ayant le statut de résidents en France ou dans l’Union européenne ainsi que les étudiants étrangers présents en France au titre de la vie privée et familiale ;
      – Les étudiants déjà inscrits dans un cycle d’étude (Licence, Master ou Doctorat) et le poursuivant en 2019 ;
      – Les étudiants actuellement inscrits dans une formation préparatoire à l’entrée en Licence, Master ou Doctorat (comme les formations en FLE) et entrant dans un cycle en 2019.
      Sont également exonérés les étudiants bénéficiant d’une bourse du Gouvernement français ou d’une exonération de droits d’inscription, accordée par l’ambassade de France dans leur pays d’origine ou de résidence. Les universités pourront également accorder des bourses et des exonérations.

    • #Choose_France

      Sommet sur l’attractivité de la France

      A l’initiative d’Emmanuel Macron, Président de la République française, le sommet sur l’attractivité de la France s’est tenu le lundi 22 Janvier à Versailles en présence de 140 dirigeants d’entreprises internationales.

      A cette occasion Facebook a annoncé le développement de son pôle de recherche sur l’#intelligence_artificielle en France. A ce titre, le nombre de chercheurs du #Facebook_Artificial_Intelligence_Researchers (#FAIR) Paris passera de 30 à 60 et le groupe va investir 10 millions d’euros supplémentaires d’ici 2022, soit un triplement des sommes qu’il y consacre.

      #Google, a lui-aussi fait part, hier, de ses intentions en matière d’intelligence artificielle dans l’Hexagone. L’entreprise va ouvrir un centre de #recherche_fondamentale dévolue à l’intelligence artificielle en France . Il s’agira du troisième centre du groupe en la matière, après ceux de Mountain View, en Californie, et Zurich, en Suisse. Il sera installé dans le siège parisien de Google, qui s’étendra sur 6000 M2 supplémentaire pour devenir un « campus ».

      Enfin, le principal éditeur européen de logiciels, SAP, annoncé hier son intention d’investir 150 Millions d’euros par an en France pendant les cinq prochaines années. Ces investissement concernent la recherche et développement.

      Toujours pour favoriser l’attractivité de la France, Edouard Philippe, Premier Ministre, s’est engagé à développer l’offre scolaire internationale en France. Le gouvernement promet un « #accueil_personnalisé » aux familles qui s’installent en France. « Un numéro de téléphonique unique, un guide interactif et un outil cartographique présentant l’ensemble de l’offre éducative, seront mis à disposition des familles pour simplifier leurs démarches » précise-t-il. Trois nouveaux #lycées_internationaux devraient également voir le jour d’ici la rentrée 2021.

      https://www.campusfrance.org/fr/choose-france

      Dans le dossier de presse ("STRATÉGIE D’ATTRACTIVITÉ
      POUR LES ÉTUDIANTS INTERNATIONAUX"), quelques statistiques et chiffres :

    • Augmenter les frais d’inscription des étudiants étrangers ? Pas en mon nom

      Alors que l’asphyxie financière des universités est méthodiquement planifiée depuis des années par les majorités successives, le Premier ministre a présenté l’augmentation prochaine des droits de scolarité des étudiants étrangers comme un vecteur de ressources nouvelles et d’attractivité à l’international des universités françaises.

      L’augmentation prochaine des frais d’inscription des étudiants non-européens dans l’enseignement supérieur public a été annoncée par le Premier ministre le 19 novembre 2018. Conformément à la tradition de novlangue orwellienne à laquelle le « nouveau monde » a systématiquement recours, il a inséré cette discrimination tarifaire a priori désincitative pour les usagers dans le cadre d’une « stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux », dénommée non sans humour « Bienvenue en France », et n’a pas manqué de présenter comme une « révolution » sa réforme d’essence conservatrice.

      Pour la rentrée universitaire 2019/2020, à suivre le Premier ministre « les étudiants internationaux qui ne résident pas dans l’Espace économique européen paieront des frais d’inscription correspondant approximativement au tiers du coût réel de leur formation » ; concrètement, et s’agissant en particulier des formations universitaires où sont inscrits 70% des étudiants internationaux, il est annoncé que ces étudiants devront s’acquitter de 2 770 euros de droits de scolarité au lieu des 170 euros actuellement prévus « pour tous » afin de s’inscrire dans l’une des trois années conduisant à la délivrance du diplôme de licence, et 3 770 euros pour une inscription en diplôme de master ou de doctorat – contre 243 euros et 380 euros actuellement (v. l’annexe de l’arrêté du 21 août 2018 fixant les droits de scolarité d’établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’enseignement supérieur ; plus généralement, v. le chapitre « Les étudiants » que l’auteur de ce blog a publié in : Bernard Beigner et Didier Truchet (dir.), Droit de l’enseignement supérieur, LGDJ, novembre 2018, p. 345-390).

      Le Premier ministre n’a pas précisé si ces futurs tarifs à quatre chiffres s’appliqueront aux seuls étudiants internationaux inscrits pour la première fois à partir du 1er septembre 2019, où s’ils seront également opposables aux étudiants internationaux déjà inscrits en France en cette année universitaire 2018/2019 et qui ont vocation à poursuivre leur cursus l’année prochaine.

      Le discours du Premier ministre prononcé à cette occasion est abstrait et déconnecté des réalités. Il suffit à cet égard de relever que, à le suivre, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a « amélioré l’accueil et l’accompagnement de nos étudiants et (mis) un terme à un système qui conduisait trop souvent à l’échec en licence ». Or, cette affirmation est factuellement erronée, car d’une part la loi ORE n’a rien changé aux conditions, dramatiques pour un pays tel que le nôtre, d’accueil et d’accompagnement des étudiants – il faudrait drastiquement augmenter le budget des universités pour cela –, et d’autre part Parcoursup, qui est un mécanisme de sélection en forme de supplice chinois, a pour résultat concret de créer des filières universitaires duales : celles où ont été acceptés les meilleurs élèves de terminale qui n’ont pas voulu ou pas pu accéder à l’enseignement supérieur ouvertement sélectif, et où le taux de réussite sera amélioré ; les autres filières « choisies » par défaut au carré voire au cube, où c’est le taux d’échec qui sera amélioré. En termes de « réussite » en licence, Parcoursup est globalement un jeu à somme nulle, aux sens propre et figuré.

      Le Premier ministre affectionne le mot « horizon » – peut-être pour l’aspect visionnaire que tel ou tel Candide, s’il en reste, pourrait prêter à celui qui l’emploie. Il a ainsi évoqué le 6 septembre 2018 « l’horizon 2035 » (sic) – soit dans dix-sept ans – pour la réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité. S’agissant de la stratégie présentée le 19 novembre, il a visé un peu moins loin dans la perspective temporelle, et s’en est tenu à un « objectif d’atteindre 500 000 étudiants en mobilité à l’horizon 2027 », soit quand même dans neuf ans, sans au demeurant qu’il nous explique pourquoi il a précisément choisi cette année là du 21ème siècle. Il a parallèlement fait savoir que « d’ici 2025, le nombre d’étudiants en mobilité internationale aura doublé, passant de plus de 4,6 à 9 millions ». A supposer que ces prévisions dignes de Nostradamus soient exactes, il faudrait en réalité, pour que la France ne perde pas sa part relative d’attractivité des étudiants en mobilité, plus que doubler leur nombre actuel – 324 000, dont 70% suivent une formation dans les universités – d’ici à 2027, c’est-à-dire donc en accueillir au moins 648 000 et non « seulement » 500 000 comme le projette le Premier ministre.

      Les chiffres avancés par le Premier ministre évoquent « en creux » un fort ralentissement de la dynamique de progression de l’attractivité des universités françaises : une augmentation de 50% du nombre des étudiants internationaux est projetée pour 2027, là où cette augmentation devrait être d’au moins 100%... Il serait utile de s’interroger sur les causes de cette grave perte d’influence de la francophonie, qui ne sont évidemment pas dues à la quasi-gratuité de l’inscription dans les filières universitaires.

      L’explication de cette multiplication par dix ou seize des frais d’inscription des étudiants étrangers laisse pour le moins dubitatif : le Premier ministre trouve « absurde » et « injuste » qu’un étudiant non-européen « fortuné » « paie les mêmes droits d’inscription qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et paient des impôts en France depuis des années ». Dans le monde théorique d’Edouard Philippe, tous les étudiants non internationaux sont des étudiants français, tous ces étudiants français ont non pas un mais des parents, tous ces étudiants français ont des parents qui tous deux résident en France (quid des ressortissants européens), tous ces étudiants français ont deux parents qui résident en France et qui tous deux paient des impôts, et « donc » qui financent indirectement ces services publics administratifs que sont les établissements universitaires. A contrario, dans le monde théorique d’Edouard Philippe, un étudiant international est originaire d’un pays où le niveau de vie est comparable au nôtre et où donc 2 770 euros ou 3 770 euros représentent « en vrai » 2 770 euros ou 3 770 euros ; cet étudiant arrive en France sans frais ; il y trouve immédiatement, d’un simple clic sur internet, un logement meublé pour lequel il ne paye pas de loyer ; il mange gratis ; il ne s’acquitte d’aucun impôt ou taxe lorsqu’il suit son cursus. La technocratie, c’est exactement cela : un administrateur qui modèle à sa façon, telle qu’il l’imagine, une réalité qu’il ne connait pas, pour lui donner l’aspect qu’il souhaite qu’elle possède et non celui qu’elle a.

      Quant aux ressources supplémentaires susceptibles d’être générées par cette augmentation des frais d’inscription, il suffit d’avoir à l’esprit que la loi de finances peut immédiatement les neutraliser en diminuant d’autant les ressources étatiques attribuées aux universités, par un jeu de bonneteau auquel nous sommes désormais fort habitués depuis mai 2017.

      En clair, ce projet vise à évincer les étudiants africains au profit des étudiants d’autres régions du monde (Maryline Baumard, « Les étudiants africains, laissés-pour-compte de la nouvelle stratégie française », Le Monde, 19 novembre 2018) ainsi que l’a reconnu le Premier ministre par une formule faussement volontariste (« Les étudiants indiens, russes, chinois seront plus nombreux et devront l’être »), et ne fait que préparer les esprits à la hausse des frais d’inscription « pour tous » telle que la préconise la Cour des comptes (965 euros en master et 781 euros en doctorat, pour obtenir 432 millions d’euros de ressources supplémentaires, prélude à une baisse équivalente des dotations étatiques : Camille Stromboni, « La Cour des comptes préconise une augmentation des droits d’inscription à l’université », Le Monde, 21 novembre 2018 ; Camille Stromboni, « La hausse des droits d’inscription pour les étudiants français et européens écartée par le gouvernement », Le Monde, 21 novembre 2018), alors que l’Etat entretient savamment la pénurie, et désormais la disette, budgétaire et financière pour la plupart des universités, là où des établissements « sélectifs » du supérieur sont au contraire favorisés.

      Des voix se sont déjà élevées contre ce projet (v. Eric Fassin et Bertrand Guillaume, « Attirer les plus riches, et en même temps, écarter les plus pauvres », Le Monde, 21 novembre 2018 : « Faire payer leur formation par les étudiants, et non par l’Etat, c’est refuser d’investir collectivement dans l’avenir » ; Augusta Lunardi, « Monsieur le premier ministre, vous ne connaissez pas notre réalité », Le Monde, 21 novembre 2018 ; Menel Zeggard, « Universités françaises, salons de manucure, mêmes combats », Blog Mediapart, 21 novembre 2018 ; Hugo Harari-Kermadec, entretien avec Faïza Zerouala, « Une logique contraire au service public », Mediapart, 20 novembre 2018 ; Hicham Jamid, « Bienvenue en France aux étudiants étrangers, vraiment ? », The Conversation, 20 novembre 2018). Des enseignants-chercheurs des universités ont lancé le 22 novembre 2018 une pétition en ligne « pour le maintien d’un enseignement supérieur ouvert et accessible à tous ».

      A ces justes critiques et réflexions, on ajoutera trois remarques.

      L’une est personnelle à l’auteur de ce blog qui, à l’instar sans doute de beaucoup d’universitaires, tire grande fierté au quotidien d’être partie prenante au fonctionnement d’une institution qui non seulement ne monnaye pas la diffusion des savoirs, mais en offre l’accès au plus large public, sans distinction aucune entre usagers, y compris en termes de nationalité ou de lieu de résidence des parents, autre que la judicieuse continuité entre les parcours scolaire et universitaire prévue à l’article L. 612-2 du Code de l’éducation.

      La deuxième porte sur les montants qu’il est envisagé de demander aux étudiants internationaux, présentés par le Premier ministre, on l’a vu, comme « correspondant approximativement au tiers du coût réel de leur formation ». Pour l’inscription en doctorat en droit au moins, cette affirmation mériterait d’être étayée ou relativisée selon les disciplines : à l’expérience, il semble tout à fait improbable qu’un doctorant en droit « coûte » à l’université 11 310 euros (3 770x3) euros par année d’inscription. On ajoutera, comme directeur de site universitaire accueillant quelque 3 000 étudiants en première et deuxième années de licence en droit ou en science politique, que payer 2 770 euros par an pour étudier dans des locaux inadaptés, sans bibliothèque universitaire, avec une salle de lecture pouvant contenir 100 personnes où la moquette est inchangée depuis l’ouverture du centre au milieu des années 1990, avec des toilettes plus que vétustes, où les amphithéâtres ont une capacité d’accueil de 500 étudiants, est une somme qui paraît largement excessive au regard des prestations matérielles offertes aux usagers.

      La dernière est d’ordre purement juridique, et tient notamment à l’application du principe d’égalité de traitement entre usagers d’un même service public.

      A partir du 1er septembre 2019 donc, il devrait y avoir une distinction tarifaire entre deux catégories d’usagers du service public universitaire, selon leur nationalité : les français et assimilés d’une part ; les étudiants internationaux de l’autre.

      La jurisprudence constante du Conseil d’Etat depuis un arrêt connu de tous les étudiants de deuxième année de licence en droit (CE 10 mai 1974, Denoyez et Chorques), constamment confirmée depuis (v. par exemple, pour une différentiation tarifaire dans l’accès des moins de 26 ans aux musées nationaux : CE 18 janvier 2013, SOS Racisme), n’admet, pour un même service rendu, la légalité de telles distinctions tarifaires établies par le pouvoir réglementaire que si l’une des conditions suivantes peut être remplie, et sous réserve que ces différences ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des objectifs poursuivis : l’existence d’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les missions des établissements concernées, qui permet de déroger au principe d’égalité ; l’existence entre les usagers de différences de situations appréciables, qui rend inapplicable le principe d’égalité.

      A supposer même que l’objectif poursuivi par le Premier ministre soit intelligible et ne consiste pas uniquement à abonder le budget de l’Etat par un financement spécifique à certains usagers, aucune de ces deux exceptions au principe d’égalité de traitement des usagers du service public de l’enseignement supérieur ne semble ici présente (cependant, pour un point de vue plus nuancé, v. Cédric Mathiot, « Le gouvernement va faire payer plus cher les étudiants étrangers : est-ce légal ? », liberation.fr, 21 novembre 2018 : « concernant les étudiants primo-arrivants, n’ayant donc aucune attache en France, aucun texte ne semble pouvoir empêcher l’application de frais différenciés » - v. toutefois l’article L. 123-2 du Code de l’éducation cité plus loin).

      D’une part, il n’existe pas de différence de situation objectivement appréciable, au regard du fonctionnement de l’université, entre étudiants français ou européens d’un côté et étudiants internationaux de l’autre.

      Certes, le Conseil d’Etat a depuis les années 1980 admis la légalité de tarifs différentiels selon que les parents d’un élève sont ou non contribuables d’une commune (par exemple : la prise en charge d’une partie du coût de la cantine scolaire ou d’une école de musique par le budget communal justifie un tarif préférentiel au profit des élèves domiciliés dans la commune), de sorte qu’il peut paraître cohérent d’instaurer une différentiation des frais d’inscription dans le supérieur selon que les parents des étudiants résident ou non en France. Mais cette analogie est trompeuse, en ce que la jurisprudence établie concerne des services publics locaux et non nationaux (il ne viendrait à personne de prôner une différentiation tarifaire pour l’inscription d’un étudiant dans une université située dans un autre ressort que l’académie où il a passé son bac). Le Conseil d’Etat valide ce type de différentiation tarifaire locale au motif que les parents ne paient par construction jamais d’impôts locaux dans la commune où se trouve le service public dans lequel est inscrit leur enfant, commune où cet enfant ne fait que passer ponctuellement ; or, en l’occurrence, un étudiant international s’établissant en France participera en continu, le temps de sa formation, à l’alimentation du budget de l’Etat d’une manière comparable à celle des étudiants français et assimilés, étant entendu qu’un étudiant n’est normalement pas assujetti à l’impôt sur le revenu, lequel n’est acquitté que par 43% des foyers fiscaux. Davantage même, les étudiants internationaux inscrits dans les universités françaises sont, dès leur arrivée en France, une source importante de recettes pour les finances publiques nationales (v. Campus France, « Au-delà de l’influence : l’apport économique des étudiants étrangers », Note n° 45, novembre 2014 : l’accueil de 295 000 étudiants internationaux coûte 3 milliards d’euros par an mais rapporte dans un même temps 4,65 milliards à la France), et par conséquent participent au moins autant sinon plus encore que la plupart des étudiants français ou assimilés au financement des établissements du supérieur via le budget de l’Etat. Qu’ils soient français ou non, les étudiants sont des usagers dans une situation objectivement identique par rapport au service public national de l’enseignement supérieur - il en va de plus fort ainsi pour ceux des étudiants internationaux qui ne sont pas « néo-arrivants » mais suivent un cursus depuis au moins une année universitaire, même s’ils changent de cycle (passage en master ou en doctorat) en cours de cursus.

      L’on signalera au surplus qu’en évoquant les étudiants non-européens « fortunés », le Premier ministre a laissé entendre que la discrimination tarifaire qu’il a annoncée était en réalité assise sur les ressources des familles, alors qu’il a envisagé la mise en place d’une discrimination tarifaire selon le domicile des familles (celles qui résident en France et celles qui n’y résident pas). Il faudrait choisir...

      D’autre part, on ne voit guère quelle nécessité d’intérêt général en rapport avec les missions du service public universitaire telles que définies par l’article L. 123-2 du Code de l’éducation pourrait justifier la discrimination sur la nationalité annoncée par le Premier ministre.

      On le voit d’autant moins que ce projet discriminatoire paraît manifestement contraire aux 3° et 3 bis° de cet article, qui disposent que le service public de l’enseignement supérieur contribue « à la lutte contre les discriminations, à la réduction des inégalités sociales » et « à la construction d’une société inclusive. A cette fin, il veille à favoriser l’inclusion des individus, sans distinction d’origine (et) de milieu social (…) ». Sans distinction d’origine et de milieu social…

      Au surplus, ce projet est de nature, contrairement à l’objectif affiché, à dé-favoriser l’attractivité des universités françaises, ainsi que l’a reconnu un universitaire pourtant favorable à l’augmentation différenciée des frais d’inscription (Jean-Paul Gayant, « Augmenter les droits d’inscription à l’université, c’est faire le pari de l’excellence », Le Monde, 21 novembre 2018 : « La hausse des droits d’inscription pour les étudiants étrangers devrait, dans un premier temps, faire sensiblement diminuer leurs effectifs dans les établissements français. Mais, dans un second temps, par la grâce (sic) d’un signal de meilleure qualité (sic), leur nombre et leur niveau devrait (sic) substantiellement progresser. C’est enfin le pari de l’excellence (sic) qui est fait dans ce domaine »). On a d’ailleurs déjà indiqué que, en présentant son projet, le Premier ministre faisait lui-même ce pari d’une augmentation de 50% « seulement » du nombre des étudiants internationaux, là où cette augmentation aurait dû être de 100%.

      Enfin, en tout état de cause, l’écart entre les droits de scolarité des étudiants français et européens et ceux qui seront demandés aux étudiants internationaux est à ce point important – une amplitude de dix à seize, on l’a dit –, qu’il paraît impossible d’en déduire « que la différence de traitement qui en résulte n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif » (CE 18 janvier 2013, SOS Racisme, préc.) poursuivi par les annonces du Premier ministre, cette disproportion manifeste paraissant attentatoire au principe d’égalité de traitement des usagers d’un service public.

      Le Premier ministre s’est félicité à l’avance de « l’équité solidaire » (sic) qui consisterait à ajouter 14 000 bourses aux 8 000 existantes au bénéfice des étudiants internationaux, alors que dans la période considérée 180 000 étudiants internationaux de plus sont espérés. Concrètement donc, sur 500 000 étudiants internationaux, 21 000 pourront éventuellement être boursiers - 4% ! -, quand au moins 479 000 ne le seront pas…

      La « stratégie » est claire : elle vise à attirer en France les étudiants internationaux aisés, autrement dit les filles et les fils des « premiers de cordée » dans leurs pays respectifs. C’est à eux et à eux seuls que s’adresse le slogan « Bienvenue en France ».

      Le risque que cette « stratégie » échoue, à l’instar de la politique fiscale du « ruissellement », est non négligeable : on a beaucoup de mal à adhérer à l’intuition que l’augmentation des frais d’inscription pour les seuls étudiants étrangers est susceptible, à conditions d’accueil et à situation budgétaire constantes, de rehausser le prestige des universités françaises à l’international, et donc de faire « ruisseler » les étudiants non-européens vers nos universités.

      Mais en 2027, qui ira demander des comptes à Edouard Philippe si la « révolution » qu’il a annoncée le 19 novembre 2018 se révélait être un cuisant échec ?

      https://blogs.mediapart.fr/paul-cassia/blog/221118/augmenter-les-frais-d-inscription-des-etudiants-etrangers-pas-en-mon

    • Face à la hausse des frais d’inscriptions, 2 étudiantes chinoises s’interrogent sur leur avenir

      Nous recevons aujourd’hui (mettre les noms) pour parler de la hausse des frais d’inscription des étrangers extra-communautaires dans les facultés françaises. Si l’objectif affiché semble ambitieux (faciliter les formalités, augmentation du nombre d’étudiants boursiers), il augmente par contre fortement les frais d’inscription, en les multipliant par 10. Même si ça reste bien en dessous de la plupart des universités européennes, et notamment anglo-saxonnes, cette mesure va impacter lourdement les étudiants déjà engagés dans un cursus universitaires, comme nos 2 invités.

      https://www.youtube.com/watch?v=Z_ORt5UAjmE

    • Attirer les « meilleurs » étudiants étrangers : genèse d’une politique sélective

      La « stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux » présentée par Édouard Philippe le 19 novembre 2018 a suscité beaucoup de réactions dans les milieux universitaires et associatifs, à juste titre. Le premier ministre prétend « gagner la bataille de la concurrence internationale entre nos systèmes d’enseignement supérieur et de recherche » en augmentant fortement les frais de scolarité concernant les étudiants hors de l’Union européenne afin d’accueillir les « étudiants les plus brillants et les plus méritants ».

      C’est oublier que l’une des raisons qui permettent à la France de se positionner parmi les destinations les plus prisées des étudiants internationaux est justement la quasi-gratuité de son système éducatif. S’inscrivant dans le prolongement de la politique de « l’immigration choisie » adoptée sous le gouvernement Sarkozy, la réforme actuelle risque d’accélérer une sélection déjà basée sur le potentiel apport économique de ces étudiants, tel que le perçoit la classe dirigeante, et donc de reconfigurer les caractéristiques des mobilités étudiantes vers la France.
      Un tournant en 2006

      Ce retournement intervient après deux décennies de forte progression des effectifs d’étudiants étrangers inscrits dans l’enseignement supérieur, encouragée par l’assouplissement des conditions d’accueil sur le sol français avec, par exemple, la facilitation de l’obtention du visa décidée en 1998 par le gouvernement Jospin (loi RESEDA). S’y ajoutait l’obligation de motiver les refus de visas opposés aux étudiants ainsi que l’augmentation des bourses du gouvernement français.

      Dans les années 2000, une réforme globale de la politique d’immigration est entreprise, d’abord avec la loi du 26 novembre 2003, sur la lutte contre l’immigration clandestine, puis celle de 2006 qui vise à mieux sélectionner les migrants selon les besoins économiques de la France, et donc à « promouvoir une immigration choisie et une intégration réussie ».

      Différentes mesures entendent ainsi faciliter l’entrée et le séjour en France des étudiants et chercheurs, de préférence ceux qui répondent à la vision sarkoziste du « bon migrant ». C’est dans ce cadre que le gouvernement va mettre en place, en 2005, les Centres pour les études en France (qui deviendront par la suite Campus France). La baisse des flux entre 2005 et 2007 serait peut-être due à l’implantation de ces CEF qui auraient accru la sélection, notamment sur la base de l’origine sociale, comme l’ont montré les travaux d’Alexis Spire.
      La circulaire Guéant de 2011

      La série des mesures restrictives se poursuit en 2011 avec l’introduction de la très médiatisée circulaire de 2011, dite circulaire Guéant, qui limite la possibilité pour les étudiants étrangers diplômés de travailler en France. Celle-ci a eu un effet très ponctuel : le nombre de premiers titres de séjour accordés à des étudiants baisse de 64928 titres en 2011 à 58857 en 2012. Une chute qui touche surtout les étudiants originaires de pays africains.

      Cette circulaire a ainsi non seulement restreint les possibilités de séjour en France, mais a également envoyé un signal négatif aux candidats au départ. En revanche, son impact va se résorber très rapidement, dès son abrogation l’année suivante sous la pression des universitaires et des associations étudiantes. Le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur en France va continuer à croître à partir de ce moment-là.

      Mais qu’en est-il de la composition de ces migrations ? Cette question est plus complexe, d’autant plus que les données sur l’origine sociale des étudiants étrangers ne sont pas disponibles au niveau national. Nous tentons tout de même donner quelques éléments de réponse et voir tout d’abord que les flux se redistribuent entre les types d’établissements du supérieur.
      Attirer des étudiants étrangers dans les cursus sélectifs

      Si la loi de 1998 a eu surtout un effet sur la croissance des effectifs dans les universités, la politique dite de l’immigration choisie, va surtout favoriser l’inscription d’étudiants étrangers dans les grandes écoles ou des cursus sélectifs comme les classes préparatoires et les IUT. Leur nombre augmente de manière continue jusqu’en 2016 de même que la proportion de ces étudiants qui passe de 22 % à 29 % sur cette période.

      Cette approche privilégie également certaines disciplines, comme les sciences, le génie, le droit, l’économie et la gestion au détriment des lettres et des sciences sociales. Si l’on observe une augmentation importante des étudiants inscrits en sciences depuis 2005, la tendance à la hausse des effectifs en lettres et sciences sociales se tasse.
      Montée en puissance de l’Asie et de l’Amérique

      Cette politique a aussi pour but d’attirer de plus en plus les étudiants en provenance des pays développés ou émergents – comme la Chine, le Brésil ou la Russie – et de décourager la migration en provenance des anciennes colonies. De fait, les effectifs par grande région d’origine montrent une forte augmentation des effectifs d’étudiants en provenance des pays d’Asie, d’Amérique et de l’Union européenne à partir des années 2000. Par contre, si le nombre d’étudiants africains augmente fortement entre 2000 et 2005, les chiffres baissent à partir de la mise en place de la loi de 2006 et ce, jusqu’en 2014.

      Ces données masquent les spécificités nationales, notamment l’augmentation impressionnante du nombre d’étudiants chinois inscrits en France depuis 2000 (2563 en 2000 contre plus de 21 000 en 2009), atteignant en 2007 le même nombre que les étudiants algériens et marocains, dont les effectifs diminuent sur cette période. Les années les plus récentes montrent cependant une inversion de ces tendances. On voit moins bien les tendances pour les pays dont les effectifs sont plus petits, mais notons tout de même une progression stable des effectifs des étudiants brésiliens et russes sur la période.
      Une logique de « marché »

      Les modalités de gestion des migrations étudiantes en France s’inscrivent dans le contexte de l’évolution des relations Nord-Sud et des changements qualitatifs et quantitatifs de l’immigration. Si au tournant des années 60, la France a adopté une vision très positive de la migration étudiante en provenance des pays du Tiers Monde et a largement contribué à la formation des futures élites des pays nouvellement indépendants, dès les années 80, la formation des étudiants étrangers se situe dans le cadre d’une compétition internationale pour les « talents » et se définit en termes de « marché à gagner ». Comme l’écrivent Borgogno et Streiff-Fénart, les enjeux de la coopération internationale sont désormais

      « de pousser les universités françaises à tenir leur rang dans la formation aux technologies de pointe. L’indice d’attractivité d’une université se mesure désormais à son rayonnement « technologique » et à sa capacité d’attirer des étudiants provenant de pays où le niveau technologique est égal ou supérieur à celui de la France ».

      Les gouvernements précédents ont ainsi tracé la voie des réformes actuelles. L’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers extra-communautaires aura pour principal effet d’accélérer des tendances déjà bien engagées conduisant à la reconfiguration des caractéristiques des mobilités étudiantes vers la France, à moins qu’une mobilisation généralisée du secteur universitaire et, plus généralement, de l’ensemble de la société française ne parvienne à contrer ces réformes.

      http://theconversation.com/attirer-les-meilleurs-etudiants-etrangers-genese-dune-politique-sel

    • Vers des études payantes pour tous ?

      L’annonce par le gouvernement d’une hausse des frais d’inscription pour les étudiants non européens est une décision injuste car elle privera d’accès à l’Enseignement supérieur de bons étudiants ayant peu de ressources. Sans compter qu’elle vise à diviser les étudiants. Manière de préparer une hausse générale ?

      Le gouvernement revient sur un engagement d’Emmanuel Macron. Se prépare-t-il à lancer les premières manœuvres d’une attaque encore plus violente et sans précédent contre l’éducation publique et gratuite ? Edouard Philippe vient d’annoncer, lundi, une hausse des frais d’inscription pour les étudiants non communautaires, en les portant à 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master. Nous avions annoncé depuis plusieurs années dans des articles et tribunes qu’une telle décision arriverait, en préfiguration d’une hausse généralisée. Dans les prochaines années, il faudra ainsi prévoir entre 4 000 et 8 000 euros par an en licence et autour de 10 000 euros par an en master, et ce pour tous les étudiants, comme le suggère une note remise au candidat Macron en 2017.

      Bien sûr, l’exécutif n’a pas annoncé les prochaines étapes d’une généralisation des frais d’inscription à l’ensemble des étudiants. Ce serait mettre l’ensemble de la jeunesse dans la rue. La stratégie est autrement plus subtile : elle consiste en effet à réformer par étapes, en segmentant les populations pour leur ôter toutes capacités de mobilisation.

      Disons-le d’emblée, la seule annonce de lundi devrait susciter une réaction d’indignation tant elle est injuste et contre-productive : elle est injuste car elle privera d’accès à l’enseignement supérieur de bons étudiants ayant peu de ressources. Elle est contre-productive car elle entravera les coopérations entre établissements français et étrangers. Ajoutons qu’elle semble méconnaître la réalité car, comme le mentionne une étude commandée par Campus France en 2014, les étudiants non communautaires font vivre l’économie et rapportent bien davantage (4,65 milliards d’euros) qu’ils ne coûtent (3 milliards d’euros). Le gouvernement propose certes le triplement des bourses et des exonérations, mais cette usine à gaz ne résoudra rien.
      Généralisation des frais à tous

      Augmenter les frais d’inscription visant les étrangers non communautaires n’a, en fait, d’autre sens que d’ouvrir en douceur la voie d’une généralisation de ces frais à tous.

      Procès d’intention, penseront certains. Pas vraiment si l’on observe qui conseille le président de la République. L’offensive a été relancée par le professeur d’économie Alain Trannoy dans une tribune parue dans le Monde du 9 novembre : fidèle à sa position maintes fois répétée, il y défend le relèvement des droits d’inscription (de 3 000 à 5 000 euros par an en master) assorti d’une refonte du système de bourses pour les étudiants les plus modestes, et surtout la mise en place d’un système de prêts à remboursement contingent au revenu. Or son coauteur habituel sur le sujet n’est autre que Robert Gary-Bobo, l’auteur d’une note pour l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron préconisant une réforme par étapes devant aboutir à des frais de scolarité élevés pour tous !

      Dans cette note interne révélée par les « MacronLeaks », son auteur distingue le fond de ses recommandations (qu’il sait socialement et politiquement explosives) et des éléments de stratégie et de communication qui permettront de faire passer l’amère pilule. Pour lui, au risque de faire « hurler les âmes sensibles », il s’agit de relever les frais d’inscription entre 4 000 euros et 8 000 euros par an, voire davantage (le chiffre de 10 000 euros est évoqué pour les masters). La méthode ? « Y aller doucement, mais commencer tout de suite avec les droits d’inscription », peut-on lire. Les prêts octroyés aux étudiants permettraient, selon l’auteur, d’engranger au plus vite « la pompe à finance » en s’assurant que l’argent arrive directement des banques commerciales aux caisses des universités. Il va même plus loin, suggérant de pousser les étudiants à s’endetter en décourageant le paiement au comptant des frais d’inscription. Pour faire avaler la réforme, son auteur propose des éléments de langage : il s’agira de présenter l’endettement étudiant comme un nouveau droit pour l’autonomie des jeunes ou encore de « bannir du vocabulaire les mots de "concurrence" et d’"excellence", détestés par les syndicats d’enseignants et d’étudiants, [pour les] remplacer systématiquement par "ouverture" et "diversité" ».
      Endettement massif des étudiants

      Cette hausse des frais d’inscription n’est qu’une étape, après celle de leur hausse régulière dans les grandes écoles d’ingénieurs publiques. L’Ecole polytechnique a récemment ouvert une licence à 12 000 euros par an (15 000 euros pour les étudiants non communautaires). Cet établissement public par excellence, comme Sciences-Po et d’autres, ouvre ainsi la voie aux licences payantes.

      Pourtant, les expériences internationales en matière de hausse de frais d’inscription devraient nous inciter à ne pas suivre le mouvement : aux Etats-Unis, l’endettement massif des étudiants est devenu l’objet de spéculation et menace de déclencher la prochaine crise financière. En Angleterre, avec un taux de défaillance sur les prêts approchant les 40%, les garanties apportées par l’Etat aux prêts étudiants représentent un coût très élevé pour les finances publiques. De surcroît, les frais d’inscription ne permettent que marginalement de financer les besoins éducatifs en même temps qu’ils contribuent à accroître la polarisation de l’enseignement supérieur entre établissements bien et mal dotés.

      Pourquoi alors vouloir accroître les frais d’inscription alors que ceux-ci se révèlent partout et invariablement inéquitables, inefficaces et incapables de mieux financer l’enseignement supérieur ? Soit le gouvernement est mal informé, soit il vise à écraser les étudiants et futurs travailleurs sous une montagne de dettes qui les rendra dociles et peu enclins à revendiquer. Le découpage de la réforme, en commençant par les étudiants non communautaires, est déjà une manière de désolidariser les étudiants et de rendre toute mobilisation massive plus difficile à organiser. Il y a pourtant là un danger majeur pour toute la population.

      https://www.liberation.fr/debats/2018/11/20/vers-des-etudes-payantes-pour-tous_1693144
      #vocabulaire #mots #terminologie

      Je mets en évidence ce passage :

      Dans cette note interne révélée par les « MacronLeaks », son auteur distingue le fond de ses recommandations (qu’il sait socialement et politiquement explosives) et des éléments de stratégie et de communication qui permettront de faire passer l’amère pilule. Pour lui, au risque de faire « hurler les âmes sensibles », il s’agit de relever les frais d’inscription entre 4 000 euros et 8 000 euros par an, voire davantage (le chiffre de 10 000 euros est évoqué pour les masters). La méthode ? « Y aller doucement, mais commencer tout de suite avec les droits d’inscription », peut-on lire. Les prêts octroyés aux étudiants permettraient, selon l’auteur, d’engranger au plus vite « la pompe à finance » en s’assurant que l’argent arrive directement des banques commerciales aux caisses des universités. Il va même plus loin, suggérant de pousser les étudiants à s’endetter en décourageant le paiement au comptant des frais d’inscription. Pour faire avaler la réforme, son auteur propose des éléments de langage : il s’agira de présenter l’#endettement étudiant comme un nouveau droit pour l’#autonomie des jeunes ou encore de « bannir du vocabulaire les mots de "#concurrence" et d’"#excellence", détestés par les syndicats d’enseignants et d’étudiants, [pour les] remplacer systématiquement par "#ouverture" et "#diversité" ».

    • Lettre reçue de la présidence de l’Université Grenoble Alpes :

      Le gouvernement a annoncé le 19 novembre 2018, par la voix du Premier ministre, le lancement d’une stratégie pour l’attractivité à destination des étudiants internationaux baptisée « Bienvenue en France / Choose France ». L’introduction dès la rentrée 2019-2020 de droits d’inscription différenciés est l’une des six grandes mesures annoncées par le Premier ministre dans le cadre de ce plan.

      Partant du constat de l’augmentation du nombre d’étudiants en mobilité sur le plan mondial et d’un risque de décrochage pour la France, qui accuse par ailleurs un retard dans les dispositifs d’accueil, « Bienvenue en France » se fixe l’objectif d’atteindre 500 000 étudiants en mobilité dans l’Hexagone d’ici à 2027, contre 324 000 actuellement.

      Six mesures sont annoncées pour "favoriser l’attractivité" de la France :

      1. Simplifier la politique de visas
      2. Doubler les enseignements en anglais et en Français Langue Etrangère (FLE)
      3. Créer un label pour améliorer la qualité d’accueil, doté de 10 M€ pour les établissements engagés dans cette démarche.
      4. Appliquer des frais différenciés et tripler les bourses d’études
      5. Accroître la présence et l’attractivité françaises à l’étranger (offres délocalisées, en nombre de places et d’implantations, et renfort de la politique d’aide au développement)
      6. Lancer une campagne mondiale de communication

      La stratégie nationale d’attractivité s’appuie sur deux nouveaux outils :

      – Un fonds d’amorçage doté de 5 millions d’euros (Ministère des Affaires Etrangères), pour les projets de formation construits en commun par des établissements français et étrangers, et les projets de développement de notre offre de formation à l’étranger ;
      – Un fonds de soutien doté de 20 millions d’euros par an (Agence Française de Développement), à compter de 2020.

      L’Université Grenoble Alpes, université de rang mondial, partage l’ambition d’améliorer la visibilité et l’attractivité internationales de ses formations et de sa recherche, tout en améliorant la qualité d’accueil et l’accompagnement de l’ensemble de ses étudiants.

      Forte de ses valeurs humanistes qui accompagnent l’accès aux savoirs et les transformations de nos sociétés, l’Université Grenoble Alpes défend un juste accès à l’université.

      Ainsi, si le Plan d’attractivité répond à des enjeux partagés (simplifier l’obtention de visa, développer l’offre en anglais et en FLE, accroitre les moyens et les services associés à l’accueil des étudiants étrangers …), l’Université Grenoble Alpes veillera scrupuleusement à ce que la mise en application de l’ensemble des mesures soit accompagnée et équitable.

      Conscients des risques engendrés par l’introduction de droits différenciés, nous nous engageons sur les principes suivants :

      – ne pas créer/aggraver les inégalités d’accès à notre université, en proposant un nombre de bourses/exonérations qui préservent les étudiants étrangers les plus fragiles financièrement
      – préserver notre attractivité internationale, en particulier sur les partenariats stratégiques et privilégiés
      – continuer à améliorer les conditions d’accueil et les services pour l’ensemble des étudiants, et notamment les étudiants étrangers (accompagnement à l’installation, remédiation en langue et méthodologie universitaire, aide aux démarches administratives …)
      – continuer à améliorer la qualité de nos enseignements.

      Les conditions de mise en œuvre

      a. Les publics concernés

      Les publics concernés sont les « étudiants extra-européens qui s’inscrivent pour la première fois dans un cycle supérieur de formation en France et seront amenés à acquitter des droits d’inscription différenciés. Ces droits concernent les établissements relevant du ministère français de l’enseignement supérieur ».

      L’Etat précise cette définition par la liste de ceux qui ne sont pas concernés par le paiement de ces droits différenciés :
      – Les étudiants ressortissants d’un pays de l’Espace économique européen ou de la Suisse
      – Les étudiants de nationalité canadienne domiciliés au Québec, conformément aux accords franco-québécois
      – Les étudiants venant en France dans le cadre d’un partenariat entre universités qui prévoit une telle exonération, notamment les étudiants qui ne sont pas ressortissants d’un pays de l’UE et qui sont accueillis dans le cadre des programmes d’échange du type Erasmus+
      – Les étudiants réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, qui seront naturellement exonérés
      – Les étrangers ayant le statut de résidents en France ou dans l’Union européenne ainsi que les étudiants étrangers présents en France au titre de la vie privée et familiale
      – Les étudiants déjà inscrits dans un cycle d’étude (licence, master ou doctorat) et le poursuivant en 2019
      – Les étudiants actuellement inscrits dans une formation préparatoire à l’entrée en Licence, Master ou Doctorat (comme les formations en FLE) et entrant dans un cycle en 2019
      – Les étudiants bénéficiant d’une bourse du Gouvernement français ou d’une exonération de droits d’inscription, accordée par l’ambassade de France dans leur pays d’origine ou de résidence.

      Les universités pourront également accorder des bourses et des exonérations.

      b. Les frais différenciés et les modalités d’accompagnement

      L’objectif énoncé dans « Bienvenue en France » est que les étudiants extra-communautaires payent un tiers du coût réel de leur formation, soit 2 770 € en licence et 3 770 € en master et doctorat. A ce jour, les étudiants s’acquittent de 170€ de droits d’inscription nationaux pour la licence ou 243€ en master, ainsi que 90€ de CVEC (contribution vie étudiante et de campus), sur un coût total estimé d’environ 9660€ par an.

      Au niveau national, les modalités d’accompagnement prévoient 7 000 bourses gérées par le Ministère des Affaires Etrangères (MAE), auxquelles s’ajouteront "8 000 nouvelles exonérations" et "6 000 bourses d’établissement que les universités et écoles pourront librement attribuer". Il pourra s’agir d’exonérations ou d’aides en numéraire.

      Le nombre de bourses et d’exonérations qui sera financé par l’Etat ne devrait pas être suffisant pour couvrir les besoins des étudiants. Aussi, nous nous engageons à explorer l’ensemble des possibilités qui s’offrent à nous pour proposer les bourses et exonérations complémentaires.

      Il semble ressortir des discussions en cours entre les réseaux des Vice-présidents Formation et des Vice-présidents Relations Internationales avec le cabinet de la Ministre les éléments suivants :

      – Les droits différenciés sont versés directement aux établissements. Ce sont bien des ressources supplémentaires qui ne viendront pas en déduction des dotations actuelles.
      – Les étudiants d’échange (y compris a priori nos doubles diplômes) sont exonérés (soit d’après le calcul du MESRI autour de 12500 étudiants en France) auxquels il faudra donc rajouter les doctorants en cotutelles.
      – Une proposition en cours de discussion est d’exonérer, hors quota, les étudiants déjà en France qui changent de cycle sur les 2 prochaines années.
      – Une politique de formation ouverte vers certaines régions géographiques (ex. masters recrutant fortement dans certains pays d’Afrique des étudiant.e.s avec de faibles moyens financiers) peut reposer sur un taux-plafond d’exonération selon des priorités géographiques ou de formations dont les formations doctorales ou des secteurs particuliers.

      L’établissement communiquera tout nouvel élément relatif à cette stratégie.

    • Le dispositif #Bienvenue_en_France, dans lequel l’augmentation des frais d’inscription est mentionnée, se fonde sur deux études (que je n’ai pas lues) :

      La première :
      L’attractivité de la France pour les étudiants étrangers Perceptions et attentes – Vague 3


      https://www.campusfrance.org/fr/ressource/l-attractivite-de-la-france-pour-les-etudiants-etrangers-perceptions-e
      ... réalisée par #Kantar_Sofres

      La deuxième :
      L’enseignement supérieur français par-delà les frontières : l’urgence d’une stratégie

      Avec plus de 600 programmes à l’étranger, l’enseignement supérieur français s’exporte bien mais reste loin derrière les pionniers anglo-saxons. Un retard concurrentiel qui traduit l’absence de stratégie affirmée des établissements.

      https://www.strategie.gouv.fr/publications/lenseignement-superieur-francais-dela-frontieres-lurgence-dune-strate

    • Etudiants étrangers : une concertation pour calmer la contestation

      La hausse des droits d’inscription ne sera pas appliquée de la même manière dans toutes les universités. L’Etat débloquera 10 millions d’euros « dès le mois de mars » pour les aider à l’appliquer.

      Calmer le jeu en lançant une concertation : le procédé est à la mode. C’est ce que le gouvernement va tenter de faire sur la hausse des droits d’inscription des étudiants étrangers non européens. Le Premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé, en novembre, leur multiplication par seize dès septembre prochain, déclenchant une vague de contestation . Selon nos informations, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, vient de charger cinq personnalités d’ouvrir une concertation qui doit aboutir mi-février.

      A chacun sa stratégie

      Selon la lettre de mission que « Les Echos » ont pu consulter, elle doit déboucher sur dix engagements « très concrets », portant sur la délivrance des visas et titres de séjour, l’accès au logement, la place des enseignements en langue étrangère ou encore la mise en place d’un « référent unique et personnalisé pour tout étudiant international ».

      La ministre entend faire de ces dix engagements un « socle commun », une « référence nationale ». Pour cela, le fonds d’amorçage de 10 millions d’euros annoncé par le Premier ministre sera mis en place « dès le mois de mars ».
      Etablir une sorte de péréquation

      En matière d’accueil, la France « n’est pas à la hauteur », justifie dans cette lettre Frédérique Vidal, qui veut établir une sorte de péréquation : certains étudiants étrangers paieraient plus que d’autres, pour financer un meilleur accueil pour tous.

      Accusée de mettre à mal la relation de la France avec le Maghreb et l’Afrique francophone, Frédérique Vidal assure au contraire vouloir « renforcer » cette relation. Au lieu d’appliquer de manière systématique la hausse des droits d’inscription, elle entend laisser la main aux universités, comme nous l’avions annoncé . « Il appartiendra [...] à chaque université et à chaque école d’affirmer la stratégie d’attractivité qui est la sienne », écrit la ministre. Les universités décideront si un étudiant international, « compte tenu de sa situation particulière », sera amené « ou non » à « acquitter des frais d’inscription différenciés ».

      Le plafond actuel qui fixe le volume d’exonérations de frais d’inscription à 10 % des étudiants inscrits (hors boursiers) pourrait ainsi être revu. Mais le nombre de 30.000 bourses annoncées pour les étudiants internationaux est « bien trop insuffisant » par rapport aux 500.000 attendus d’ici à 2027, critique la Fage qui appelle à une nouvelle mobilisation à Paris le 22 janvier.
      « Pris pour des cons »

      Dans le milieu universitaire, par ailleurs, le profil des personnalités chargées d’animer la concertation fait jaser. Frédérique Vidal en a retenu cinq : Julien Blanchet (Conseil économique, social et environnemental et ex-président de la Fage), Philippe Gillet (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne), Minh-Ha Pham (« PSL » - qui regroupe le Collège de France, l’Ecole normale supérieure ou Dauphine), Christophe Strassel (Cour des comptes et ex-directeur de cabinet des ministres de l’Enseignement supérieur sous le quinquennat précédent) et Pierre-Paul Zalio (Ecole normale supérieure Paris-Saclay).

      « Ce panel fait la part belle aux grandes écoles. Où sont les universités, qui sont les principales concernées dans cette affaire ? s’étrangle un président d’université. On a vraiment l’impression d’être pris pour des cons. Si la ministre veut créer un nouveau mouvement dans le sillage des « gilets jaunes », elle est bien partie. »

      https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/0600482225366-etudiants-etrangers-une-concertation-pour-calmer-la-contestat

    • Université : les frais d’inscription serviront à compenser le #désengagement_de_l’Etat

      Annoncée pour redorer l’image des facultés françaises dans le monde, la future hausse des droits d’inscriptions des étrangers pour la rentrée prochaine doit en fait pallier de nouvelles coupes budgétaires.
      Edouard Philippe a annoncé un relèvement très significatif des frais d’inscription à l’université pour les étrangers extracommunautaires : ils passeront de 160 à 2770 euros en licence et de 250 à 3770 euros en master. L’objectif annoncé : mieux financer l’accueil des étrangers en France, dégager des moyens pour proposer des bourses à certains étudiants internationaux et envoyer un signal de qualité aux étudiants – notamment asiatiques – qui verraient en l’actuelle gratuité un signe de médiocrité.

      L’annonce tombe au plus mal pour le gouvernement qui n’aurait pas pu mieux faire s’il avait voulu faire converger les luttes et revendications. Tétanisé par le conflit des gilets jaunes, le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche peine à tenir le cap : alors même que la ministre s’efforçait, dans une lettre datée du 10 décembre, de souligner l’importance de cette réforme pour financer l’accueil des étrangers, son ministère envoyait une lettre aux universités dès le lendemain pour expliquer que les frais d’inscription ainsi rehaussés permettraient en fait… de financer un désengagement de l’Etat. Dans les universités devenues « autonomes » à la suite de la loi Pécresse de 2007, la gestion de la masse salariale est devenue un casse-tête et surtout un boulet financier. En effet, cette masse salariale croît mécaniquement avec l’ancienneté et l’évolution des qualifications. C’est ce que l’on appelle le « glissement-vieillesse-technicité » (GVT) dans le jargon des ressources humaines. En 2008 et 2009, le gouvernement s’était engagé à compenser ces hausses par des dotations ministérielles spécifiques. Finalement, les services du Ministère annoncent que ce GVT « ne fera pas l’objet d’un financement dédié ». Dit autrement, il faudra que les universités le financent sur des ressources propres et le ministère d’ajouter que ces ressources comprennent notamment les « droits d’inscription différenciés pour les étudiants internationaux ». La France choisit donc de suivre le chemin emprunté par d’autres pays, comme l’Angleterre, qui ont décidé le relèvement – par palier mais au final massif – des frais d’inscription.

      Tout l’argumentaire de la ministre, déjà bancal, s’effondre du même coup : les frais d’inscription n’annoncent pas un accroissement des moyens pour les universités mais un effet de vase communicant : les étudiants financeront le désengagement de l’Etat, en s’endettant s’il le faut ! Devant la levée de boucliers des responsables budgétaires des universités, selon l’agence spécialisée AEF, le cabinet a tenté de rassurer tout en jouant à son tour de maladresses en évoquant « le contexte budgétaire actuel très particulier après les annonces ambitieuses du président de la République lundi (hausse du Smic de 100 euros, fin de la CSG pour les retraites de moins de 2 000 euros…) » appelant selon lui à « voir comment construire des solutions concrètes autour du GVT ». Autrement dit, le gouvernement est en train de gratter tout ce qu’il peut pour financer les promesses annoncées par Emmanuel Macron, quitte à se servir sur les frais d’inscription annoncés ! A n’en pas douter, il ne restera rien pour les universités, de la même manière que les recettes de la taxe sur les carburants, dans un autre domaine, étaient détournées du financement de la transition écologique…

      Avant même ces errements révélateurs de la teneur profonde de cette réforme paradoxalement intitulée « Bienvenue en France ! », celle-ci était déjà dénoncée par une écrasante majorité de la communauté scientifique et par les étudiants. Les motions se multiplient en provenance des Conseils d’administration des établissements d’enseignement supérieur, des facultés, des laboratoires de recherche, des revues scientifiques… La Conférence des Présidents des Universités s’inquiète de la réforme de même que différentes organisations professionnelles. Les syndicats des personnels comme des étudiants sont vent debout contre l’augmentation des frais d’inscription. La contestation prend un tour de plus en plus insurrectionnel avec des assemblées générales dans de nombreux établissements. Des universités ont connu ou connaissent des blocages ou fermetures administratives. Des rassemblements et manifestations sont organisés. La jonction avec les revendications des lycées, qui se mobilisent contre Parcoursup et la réforme du baccalauréat, est en train de se faire naturellement puisque ce seront les premiers concernés. Ils sont non seulement solidaires de leurs camarades mais aussi conscients du fait que la hausse qui touche aujourd’hui les étrangers extracommunautaires ne constitue qu’une étape avant une hausse, plus massive encore, qui touchera l’ensemble des étudiants.

      Le gouvernement devrait avoir appris de la crise des gilets jaunes que renoncer suffisamment tôt à une décision injuste et inefficace peut être préférable au déclenchement d’une mobilisation de grande ampleur. Au vu des nombreuses tribunes et motions, au vu de la mobilisation croissante des élèves et des étudiants, il ne pourra pas dire qu’il n’était pas prévenu.

      https://www.liberation.fr/debats/2019/01/31/universite-les-frais-d-inscription-serviront-a-compenser-le-desengagement

    • Plus c’est cher, plus c’est attractif ? Faire payer les étudiants extra-européens

      « Bienvenue en France ! » Le nom de ce programme ne manque pas d’ironie quand on sait l’accueil réservé aux étrangers, étudiants ou pas – comme pour renouveler leur titre de séjour en préfecture. On songe au titre d’un film : Welcome… Campus France préfère d’ailleurs traduire par « Choose France » ! Texte support de mon audition par la commission des Affaires étrangères, mission flash (19 février 2019).

      Depuis le discours d’Édouard Philippe du 19 novembre 2018, le site de Campus France tient « compte des annonces du Premier ministre », « prochainement publiées au Journal Officiel ». Or, trois mois plus tard, le décret n’a toujours pas été publié. Pourtant, les candidatures sur Campus France sont closes, pour la première année de licence, depuis le 15 février. Le fait précède donc le droit. Au moins peut-on déjà estimer les premiers effets de l’annonce. Reste qu’on ne pourra mesurer pleinement le recul de la France qu’au bout de quelques années. En effet, la mise en œuvre de la hausse est progressive : la mesure ne touche pas les personnes qui étudient déjà en France. L’impact sera donc cumulatif.

      Campus France a déjà rendu publique une baisse de 10% des candidatures, mais, pour « répondre aux craintes », la juge « limitée ». Or depuis 2004, le nombre d’étudiants étrangers en France était en progression constante ; ainsi, entre 2011 et 2016, il a augmenté de 12,2% (Campus France, « Chiffres clés », avril 2018, p. 30). La ministre de l’Enseignement supérieur a même traduit ce chiffre provisoire, devant l’Assemblée nationale, par : « une sorte de stabilité ». Pourtant, dans les Universités, les baisses enregistrées à la même date sont beaucoup plus importantes : par exemple, 76% à Poitiers, 83% à Tours, et « seulement » 26% à Rennes 2 et 39% à Lyon 2. À Paris 8 où j’enseigne, la baisse est aujourd’hui de 84%. Or c’est l’université de France où le taux d’étudiants étrangers hors-UE est le plus élevé (24%)…

      Première explication de cet écart considérable : les chiffres de Campus France ne concernent que les candidatures de néo-entrants en première année de licence ; en revanche, les universités prennent en compte toutes les années d’études – y compris le master et le doctorat. Deuxième hypothèse, complémentaire : Campus France inclut dans sa moyenne des établissements déjà payants (Dauphine, Science Po), ou qui échappent à la hausse (les CPGE).

      Malgré ces baisses, la stratégie de hausse revendiquée par le Premier ministre reste centrée sur l’attractivité. C’est donc le point de départ de mon analyse. Pourquoi faire payer les étrangers extra-européens plus qu’avant, et davantage que les Européens, les attirerait-il ? Le premier argument pour séduire les étrangers, sur la vidéo d’accueil de Campus France, c’est pourtant : « un pays où tous les étudiants ont accès à une scolarité subventionnée par l’État ! » Et c’est aussi la première des « 10 bonnes raisons d’étudier en France ».

      L’exécutif ne renonce pas non plus à cet argument : le Premier ministre a justifié les nouveaux montants, « correspondant approximativement au tiers du coût réel de leur formation », en rappelant l’importance de la contribution publique (les deux tiers) (vidéo, à 14 minutes). Quant au Président de la République, il va jusqu’à déclarer à Courcouronnes, le 4 février, qu’avec cette réforme, « on ne fait payer que le dixième du coût réel » (dépêche AEF, 18 février 2019).

      Si le coût moyen est bien de 10 000 € par an, les écarts sont considérables : selon le rapport de la Cour des Comptes sur les frais d’inscription publié en novembre 2018, en DUT, les coûts par étudiant peuvent s’élever jusqu’à 20 000 € ; mais on n’y trouve que 2 % des étudiants étrangers. Ceux-ci sont donc concentrés dans les autres formations universitaires, moins onéreuses (voir Repères et références statistiques Enseignement Formation Recherche 2018, p. 181). Ainsi, en SHS, les coûts sont de 2 736 € par an pour la licence, et 3 882 € pour le master (Cour des comptes, p. 153-154). Ce sont à peu près les 2770 et 3770 € fixés par le gouvernement. En SHS, on va donc demander aux étudiants étrangers de payer non pas un tiers, moins encore un dixième, mais la totalité du coût de leur formation.

      Comment comprendre la logique contre-intuitive selon laquelle l’attractivité de l’enseignement supérieur français, sur la scène internationale, bénéficierait d’une augmentation substantielle des frais ? Sur les marchés internationaux, les entreprises françaises n’essaient-elles pas de baisser leurs prix pour augmenter leur compétitivité ? Il n’empêche : l’idée, pour certains économistes, c’est que le prix ne reflète pas la valeur ; au contraire, ce serait le prix qui fait la valeur.

      Si les étrangers ne viennent pas en plus grand nombre chez nous, affirment ces économistes, ce serait parce qu’un enseignement gratuit ne vaut rien ; et d’ajouter, comme Jean-Pascal Gayant (qui est auditionné aujourd’hui), que ce faible coût « draine des étudiants plutôt moins bons » (sans indiquer toutefois, dans sa tribune du Monde, sur quelle base empirique, sauf à postuler que les plus riches sont meilleurs). Les classes préparatoires, qui restent gratuites, ne sont pourtant pas moins convoitées que Sciences Po, où le prix de la scolarité est très élevé. On se demande aussi comment la France, malgré la quasi-gratuité, est encore la quatrième destination au monde pour les étudiants…

      Pourquoi ne pas parler plutôt du sous-financement de l’enseignement supérieur français, dont la « démocratisation », c’est-à-dire l’ouverture à un public plus large, n’a jamais été accompagnée par un investissement de l’État à la hauteur de ce choix de société ? Le problème des universités françaises n’est-il pas leur pauvreté, plutôt que leur gratuité ? Quand on est invité par des collègues du monde entier, on s’émerveille des conditions matérielles de l’enseignement, alors qu’on est honteux de recevoir des universitaires étrangers. N’importe : plus c’est cher, plus c’est désirable, nous explique-t-on, même à qualité égale.

      Il paraît en effet que la hausse des frais d’inscription serait un « signal » « donnant l’impression que la qualité est plus élevée » : les étrangers ne verraient que le prix, pas le sous-équipement des universités. Je renvoie ici aux critiques de deux économistes, Hugo Harari-Kermadec et David Flacher, du collectif ACIDES, récemment auditionnés par la commission de concertation nommée par la ministre : « Cet argument est extrêmement incohérent. A) Le tarif pour les Français et Européens reste le même, donc les étrangers attirés par l’effet signal des frais à 2 770€ découvriraient, une fois sur place, qu’il s’agit en fait d’un enseignement à 170€ ? B) Il n’est nulle part prévu de modifier les cours, il s’agirait donc de tromper les étrangers ? C) Les frais pratiqués dans les pays (Royaume-Uni, Australie) qui s’inscrivent effectivement dans le marché global de l’enseignement supérieur payant sont bien plus élevés (au-delà de 10 000€ par an en Licence) : le signal serait donc un signal de médiocrité. »

      En tout cas, le même rapport de la Cour des comptes met en garde contre « l’hypothèse risquée d’une augmentation des droits pour les seuls étudiants étrangers » (p. 74-82), et en particulier contre son effet dissuasif : « Il paraît probable que le taux d’éviction soit élevé (jusqu’à 40 % dans l’hypothèse d’une forte hausse des droits), notamment compte tenu de l’origine géographique des étudiants étrangers, en majorité issus du continent africain. » (p. 81).

      Or le Président de la République déclare le 20 mars 2018 dans son discours sur la langue française et la francophonie : « Étudiants indiens, russes, chinois seront plus nombreux et devront l’être. » Six mois plus tard, lors des rencontres universitaires de la francophonie, le Premier ministre martèle : « Plus d’étudiants non-francophones » ! Il convient donc de s’interroger : le véritable objectif ne serait-il pas de faire baisser les chiffres de l’immigration d’Afrique francophone ?

      On sait en effet qu’en France, les étudiants étrangers comptent pour un tiers des étrangers qui arrivent en France chaque année. Selon le 14ème rapport au Parlement sur « Les étrangers en France », publié en 2017, « les étudiants représentent en volume le deuxième motif d’immigration, après les motifs familiaux » (p. 35) Si la hausse des frais d’inscription entraîne une baisse de l’immigration étudiante, ne relève-t-elle pas de la politique d’immigration, plutôt que celle de l’enseignement supérieur ?

      Bien sûr, une autre finalité est invoquée pour justifier cette hausse : les étudiants étrangers financeraient l’enseignement supérieur en France, qui en a bien besoin… Mais n’est-ce pas une illusion ? Notons d’abord que multiplier les bourses par trois réduirait de beaucoup cette cagnotte. Puis écoutons à nouveau la Cour des comptes : « Compte tenu du faible nombre d’étudiants concernés in fine après prise en compte des multiples facteurs d’exonération, une augmentation des droits d’inscription circonscrite aux seuls étudiants non européens, […] n’apporterait donc un financement complémentaire significatif que dans l’hypothèse d’une progression très importante des droits, tendant à les rapprocher du coût réel des formations, ce qui pourrait entraîner un fort effet d’éviction, diminuant d’autant le produit attendu d’une telle hausse. » (p. 82) Autrement dit, faire payer les étrangers ne parviendrait pas à financer correctement l’Université, ce qui reste la meilleure manière de les attirer davantage.

      Pourtant, cette deuxième justification, financière, nous donne sans doute la clé de la mesure annoncée : ce serait le premier pas vers une hausse des frais généralisée. Voilà qui revient à transformer l’enseignement supérieur en un investissement individuel ou familial, et non plus collectif – soit une privatisation du capital humain de la nation. Les étrangers vont-ils servir à « faire avaler la pilule », pour reprendre la formule de l’économiste Robert Gary-Bobo, également auditionné aujourd’hui, en vue d’une hausse généralisée dont la xénophobie ambiante ferait oublier l’impopularité ?

      Le 19 novembre, le Premier ministre déclarait : « Un étudiant étranger fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années. C’est injuste. » Certes, mais les frais ne vont pas différer pas selon que les étudiants étrangers seront riches ou pauvres, ni les bourses (attribuées « au mérite », et non en fonction de leurs revenus, a rappelé la ministre devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 31 janvier 2019, 1h27’44’’). Gageons que dans quelques années, pour justifier d’étendre à tous les frais d’inscription, on nous expliquera qu’il est injuste de faire payer autant les riches Européens que les pauvres…

      Je conclus. D’un point de vue économique, la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extra-européens n’est pas rationnelle : d’une part, en fait d’attractivité, elle ne séduira pas les riches, mais elle dissuadera les pauvres ; d’autre part, ces ressources nouvelles ne suffiront nullement à renflouer l’enseignement supérieur. La rationalité de la mesure n’est donc pas celle qui est invoquée. En réalité, il s’agit soit de réduire l’immigration, soit de préparer une hausse généralisée des frais d’inscription. Les deux ne sont pas incompatibles d’ailleurs ; et dans les deux cas, la xénophobie est au cœur de cette stratégie baptisée, dans un langage orwellien, « Bienvenue en France ».

      À l’étranger, parmi nos collègues, et en France, parmi nos étudiants étrangers, nul ne s’y est trompé. Il nous appartient, en tant que Français, d’être également lucides. Les obstacles que notre pays sème sur la route des migrants, étudiants ou pas, sont la première explication du recul de l’attractivité de la France, passée en 2015 de la troisième à la quatrième place dans le monde. La hausse annoncée pourrait bien faire reculer le pays, demain, à la cinquième place, derrière l’Allemagne.

      https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/190219/plus-c-est-cher-plus-c-est-attractif-faire-payer-les-etudiants-extra

    • #Eric_Fassin : « la xénophobie, aujourd’hui, sert à faire avaler la pilule du néo-libéralisme »

      « Quelle est la #rationalité réelle de cette mesure ? La première chose, c’est la #xénophobie. Quel va être le résultat ? Faire baisser le nombre d’immigrés en France, puisqu’on compte, bizarrement, les étudiants parmi les immigrés. […]. Or, l’Afrique francophone, nos anciennes colonies, et bien, c’est environ la moitié des étudiants étrangers en France aujourd’hui. Donc, moins de nos anciennes colonies, et peut-être plus du reste du monde. » « Je crois qu’il faut comprendre que tout cela s’inscrit dans un projet néo-libéral. Et ce projet néo-libéral, il est contenu dans l’argument selon lequel, puisque ces gens ne payent pas l’impôt en France, et bien, ils ne peuvent pas venir étudier en France. En réalité, c’est une conception de l’impôt comme une sorte de cotisation. On ne cotise pas avec l’impôt. L’impôt, c’est une richesse collective qui permet faire des investissements collectifs. Que nous propose aujourd’hui le gouvernement, il nous dit, "ça n’est plus un investissement collectif, c’est un investissement personnel. Il faut que les gens payent." On va bien, à partir de là, que cet investissement personnel, il ne s’arrêtera pas aux étrangers. » « Donc, à quoi sert cette mesure ? Pas à grande chose. Sinon, à introduire une logique néo-libérale, qui sera, à court terme, on peut en être certain étendu aux autres étudiants, c’est à dire aux européens, et en particulier aux français. Donc, c’est la raison pour laquelle il faut se mobiliser. Parce que, si aujourd’hui beaucoup de gens se disent, "c’est bien dommage, mais finalement, ça ne me concerne pas." Ils se trompent. […] La logique qui est introduite aux dépens des étrangers, demain, ça sera une logique qui sera étendu aux dépens des européens et des français. » « La xénophobie, aujourd’hui, sert à faire avaler la pilule du néo-libéralisme. Il est donc encore temps, il est toujours plus nécessaire de se mobiliser contre cette hausse des frais d’inscription. » Merci à Eric Fassin, professeur de sociologie à l’Université Paris 8, pour son analyse du dispositif gouvernemental "Bienvenue en France".

      https://www.youtube.com/watch?v=3AI3se7OzoU

    • Étranger. Tu n’es pas le bienvenu

      La partie semble jouée. Un décret publié le 21 avril prévoit une hausse colossale des frais d’inscription pour les étudiants non-européens.

      À l’université Paris-VIII, où 30% des étudiants sont étrangers, la colère a grondé, étudiants et enseignants se sont époumonés. En vain.

      Une mesure raciste ? Discriminatoire ?
      Pour comprendre les enjeux de ce passage en force Le Quatre Heures retourne sur les bancs de la fac.

      https://lequatreheures.com/episodes/etranger-tu-nes-pas-le-bienvenu

  • De l’intérieur des murs – lettre d’Athènes Par Dimitris Alexakis

    Dans cette lettre sont exposés les motifs qui poussent l’auteur à décliner l’invitation à participer à des rencontres autour de « l’#Europe de la #culture ». Cette Europe campée sur ses privilèges ne peut continuer à célébrer ainsi sa grandeur et à se gargariser de son dynamisme culturel, alors qu’elle ferme ses portes à de plus en plus de populations démunies, qu’elle cède aux courants réactionnaires et s’enferme dans ses murs.

    Dans quelle mesure est-il possible de « réenchanter le projet européen » ? La réalité politique de l’Europe me paraît autrement plus sombre que ne le laisse supposer le texte en forme de manifeste qui semble inspirer ces rencontres. Elle s’illustre dans des « opérations de sauvetage » à l’envers ; les plus riches sont évacués dans l’heure et les plus démunis laissés sur le carreau. Elle repose sur la collaboration de l’#UE avec des régimes de type dictatorial (Turquie, Soudan…) et des territoires mis en coupe réglés par les esclavagistes (Libye) ; les #frontières de l’Europe, et ses #camps, sont bien au-delà de l’Europe. En feignant d’être mise en crise par l’arrivée des #réfugié.e.s syrien.ne.s, l’Europe s’efforce en réalité de construire un consensus contre les exilé.e.s. Face à des guerres et des dérèglements qui s’inscrivent pourtant dans le long terme, elle adopte en urgence des textes toujours plus répressifs. Lorsqu’elle finit par les accepter sur son sol, elle « dispatche » les réfugié.e.s aux quatre vents en leur déniant la qualité de sujets porteurs d’histoires. Elle induit une acceptation de la mort à ses portes de ceux qui demandent secours (fuyant aujourd’hui la #guerre, demain les effets du #réchauffement climatique et les guerres d’un nouveau genre que la raréfaction des ressources naturelles engendrera) et une insensibilisation des opinions publiques à ces morts.

    « La #sécurité de chaque Européen se construit dans les #barbelés de la frontière orientale et dans les profondeurs de l’Egée » dit un graffiti aperçu ces jours-ci dans une petite rue du quartier de Patíssia. « La solidarité est notre arme », répond un slogan tagué près de la station Àgios Nikólaos.

    #Grèce #2015 #gauche #écologie #migrants #Frontex #big_society #forteresse #Méditerranée #UE #Union #racisme #police #austérité #hospitalité #solidarité #résistances #mouvements

    https://aoc.media/opinion/2018/08/23/de-linterieur-murs-lettre-dathenes

    • Chère L.,

      Le hasard fait que je termine cette lettre le 21 août, jour marquant la fin officielle du programme de tutelle auquel la Grèce est soumise depuis plusieurs années. Je peux imaginer la façon dont politiques et journalistes salueront l’événement en France. Ici, la nouvelle a été effacée il y a quelques semaines par les incendies qui ont ravagé une zone résidentielle du bord de mer, faisant 96 morts. Sur l’île de Tínos, nous avons été avertis de l’incendie par une odeur de bois brûlé sur la mer. Nous avons appris le lendemain la disparition de C., que nous connaissions à peine mais qui nous avait quelques fois rendu visite au KET, l’espace de création théâtrale que nous avons fondé en 2012. Nous avons été soulagés lorsque Sotíris, dont la maison de campagne se trouve à quelques kilomètres du sinistre, a fini par répondre au téléphone. Le souvenir des incendies qui avaient en 2007 dévasté le Péloponnèse nous est revenu en mémoire. Avec l’assassinat d’Alèxandros Grigorópoulos, le 6 décembre 2008, et l’attaque à l’acide contre Konstantína Koúneva, représentante syndicale des employées du nettoyage, les incendies de 2007 font partie des premiers signes avant-coureurs de « la crise grecque ».

      Combien de morts ont « fait » les programmes d’austérité ? Nous ne l’apprendrons jamais, car ils ne sont simplement pas comptables.

      Tu m’as demandé récemment si je souhaitais participer aux rencontres autour de « l’Europe de la culture » que ton institut organise cet automne en Grèce. Cette lettre a pour objet de préciser les raisons pour lesquelles je ne le souhaite pas.

      Le lieu choisi – un des plus beaux sites archéologiques de Grèce – me paraît en porte-à-faux par rapport au réel dont nous sommes témoins – celui des quartiers populaires, des aires de jeux désaffectées, des hôpitaux publics où on apprend un jour que tel service d’importance vitale (celui des transfusions sanguines) a fermé, que tel appareil ne marche plus (et qu’on en fera venir un de l’hôpital le plus proche, mais seulement dans six jours) ou que tel médicament n’est plus distribué en Grèce qu’au compte-gouttes (et qu’il va donc falloir faire le tour des pharmacies de la ville ; depuis quelques mois, les produits prescrits ici sous une même ordonnance doivent être retirés auprès d’un point de vente unique).

      La police française nous permettait de discuter au calme des « nouvelles formes de mobilisation » tandis que, de l’autre côté du fleuve, elle réprimait celles et ceux qui se mobilisaient.

      Nous sommes trop proches des ruines de l’État-providence pour que celles du monde antique nous disent grand-chose. Nous nous efforçons de parler à partir du lieu où nous sommes, et la mobilité dont nous continuons de jouir nous paraît déplacée quand tant d’autres sont condamnés à l’immobilité des camps.

      J’avoue avoir de moins en moins envie d’intervenir dans ces panels où jeunes artistes, diplômé.e.s de grandes écoles et responsables de startups sont invités à incarner la face lumineuse ou positive d’une Europe « malmenée » mais « tournée vers l’avenir ». Ce sont des espaces voués à rapprocher des individus aux profils sociaux identiques et où les problèmes qui fâchent et ceux qui font mal sont laissés au dehors.

      Le dernier panel de ce type auquel j’ai eu l’occasion de participer, ce printemps, était consacré aux « activistes de la culture » et se tenait dans une grande université française. Les accès aux bâtiments étaient gardés ; une manifestation de lycéen.ne.s, d’étudiant.e.s et de cheminots solidaires avait lieu au même moment de l’autre côté du fleuve dans le cadre du mouvement contre Parcoursup, le nouveau dispositif de sélection des candidat.e.s aux études supérieures. La police française nous permettait de discuter au calme des « nouvelles formes de mobilisation » tandis que, de l’autre côté du fleuve, elle réprimait celles et ceux qui se mobilisaient.

      C’est une image de l’Europe.

      La violence que les autorités exercent contre les réfugié.e.s, les collectifs de malades ou de précaires, les professionnel.le.s de l’éducation, de la santé, de la Poste, les syndicats paysans et ouvriers, les sans-logis, la jeunesse, les retraité.e.s du Sud et les individus offrant assistance aux sans-papiers et criminalisés à ce titre – toute cette violence multiforme, policière, sociale, symbolique ne traverse ces espaces que comme un écho assourdi. Les intervenant.e.s y ont tendance à dépeindre l’Europe comme un corps en souffrance et à y éluder toute critique directe des instances, des partis et des personnes de pouvoir – a fortiori lorsqu’une institution d’État accueille ou coorganise le forum. Par opposition à un discours politique « dépassé », l’accent est porté sur les alternatives (« novatrices ») et les solutions d’avenir que seraient censées fournir l’ingénierie culturelle, la mise en réseau, la culture digitale ou les « nouvelles solidarités » (dont le projet que tu m’as envoyé omet de rappeler qu’elles prennent racine en Grèce dans la contestation des programmes d’austérité – comme si, à partir de juillet 2015, tout un champ d’expérimentation sociale s’était détaché des conditions politiques qui l’ont fait naître et avait vocation à être capté par l’entreprenariat). Peut-être est-ce là, d’abord, que le bât blesse : dans une période marquée par l’effritement ou la disparition de la gauche traditionnelle, à quelles conditions ces « activistes de la culture » peuvent-ils briguer la place vacante du politique ? Sans doute en partageant le risque assumé par celles et ceux qui vivent et luttent en marge et sans filet sur tout le continent. Nous devons tisser nous-mêmes les alliances et les réseaux dans lesquels nous nous inscrivons et nous démarquer du processus en cours de gentrification des « quartiers créatifs » ; concevoir nos lieux comme des espaces politiques socialement hétérogènes où de jeunes artistes et de jeunes précaires côtoient les mineurs isolés hébergés par telle structure du voisinage, les employées de ménage et aides à domicile originaires de Géorgie ou d’Ukraine et les retraitées frappées par les coupes budgétaires aux côtés desquelles nous vivons.

      Dans quelle mesure est-il possible de « réenchanter le projet européen » ? La réalité politique de l’Europe me paraît autrement plus sombre que ne le laisse supposer le texte en forme de manifeste qui semble inspirer ces rencontres [1]. Elle s’illustre dans des « opérations de sauvetage » à l’envers ; les plus riches sont évacués dans l’heure et les plus démunis laissés sur le carreau. Elle repose sur la collaboration de l’UE avec des régimes de type dictatorial (Turquie, Soudan…) et des territoires mis en coupe réglés par les esclavagistes (Libye) ; les frontières de l’Europe, et ses camps, sont bien au-delà de l’Europe. En feignant d’être mise en crise par l’arrivée des réfugié.e.s syrien.ne.s, l’Europe s’efforce en réalité de construire un consensus contre les exilé.e.s. Face à des guerres et des dérèglements qui s’inscrivent pourtant dans le long terme, elle adopte en urgence des textes toujours plus répressifs. Lorsqu’elle finit par les accepter sur son sol, elle « dispatche » les réfugié.e.s aux quatre vents en leur déniant la qualité de sujets porteurs d’histoires. Elle induit une acceptation de la mort à ses portes de ceux qui demandent secours (fuyant aujourd’hui la guerre, demain les effets du réchauffement climatique et les guerres d’un nouveau genre que la raréfaction des ressources naturelles engendrera) et une insensibilisation des opinions publiques à ces morts [2].

      « La sécurité de chaque Européen se construit dans les barbelés de la frontière orientale et dans les profondeurs de l’Egée » dit un graffiti aperçu ces jours-ci dans une petite rue du quartier de Patíssia. « La solidarité est notre arme », répond un slogan tagué près de la station Àgios Nikólaos.

      Les invocations aux « valeurs humanistes », à « l’État de droit » ou à la « démocratie transnationale » dont le projet européen serait porteur rappellent par ces temps de violence ce qu’écrivait Hannah Arendt en 1951 à propos du « fossé entre les efforts des "idéalistes" (…) qui s’entêtent à considérer comme inaliénables ces droits humains dont ne jouissent que les citoyens des pays les plus prospères et les plus civilisés, et la situation des sans-droit. » Ces appels en faveur d’une « Europe des droits » passent trop aisément sous silence la part tenue dans l’histoire de nos libertés par la privation de liberté et l’exploitation d’autrui, l’appropriation de ses ressources et la guerre.

      Cette volonté de sauvegarde d’un mode de vie qui ne peut, faute de ressources, être étendu ou partagé, concerne aussi la place tenue par ces nations dans le commerce des armes ; la France, en particulier, semble d’autant moins disposée à offrir refuge aux victimes des conflits qu’elle joue un rôle de premier plan dans ce commerce criminel.

      La réinvention du politique, partout à l’œuvre, est partout en butte à la violence d’État. Il ne se passe pas un jour sans que le nouveau contrat social que les dirigeants des pays les plus riches proposent à leurs ressortissants, un pacte fondé sur l’égoïsme, l’indifférence, le maintien par tous les moyens des privilèges dont les sociétés développées ne pourront continuer à jouir qu’au détriment du reste du monde, rencontrent des résistances ; et aucune de ces résistances ne se déploie dans un cadre et selon un imaginaire purement et simplement européens.

      C’est peut-être un élément-clef du paysage actuel et de l’échec prévisible des propositions alternatives à l’échelle de l’Europe ou de l’Union (la distinction entre les deux paraissant de plus en plus rhétorique) qui se font jour depuis 2015 et court-circuitent au passage le niveau local. Les succès électoraux récents de formations néo-libérales (en France) ou néo-fascistes attestent à leur façon de la vivacité mortifère de l’idée européenne. Une part croissante de l’électorat semble acquise à l’idée que le maintien des privilèges du Nord en matière environnementale passera par une politique de fermeture des frontières et de collusion avec des régimes de terreur.

      Cette volonté de sauvegarde d’un mode de vie qui ne peut, faute de ressources, être étendu ou partagé, concerne aussi la place tenue par ces nations dans le commerce des armes ; la France, en particulier, semble d’autant moins disposée à offrir refuge aux victimes des conflits qu’elle joue un rôle de premier plan dans ce commerce criminel. Ce nouveau contrat social est peut-être l’implicite, au XXIesiècle, de « l’idée européenne » et conduit à envisager la politique actuelle et à venir de l’Union à la lumière du phénomène du réchauffement climatique, de la place dévolue à l’industrie des armes dans les économies développées, des migrations forcées que ces deux phénomènes ne cesseront de produire et des formes contemporaines de violence coloniale.

      Politique d’expulsions et de « gestion des flux » sans égard pour la situation des demandeurs d’asile et pour celle de leurs pays d’origine, renforcement du contrôle, « externalisation » de la détention, abandon des naufragés au mépris du droit de la mer. La violence contre les migrant.e.s et le refus des grandes puissances de répondre au défi du réchauffement climatique apparaîtront probablement dans les années qui viennent comme deux phénomènes non pas disjoints mais de plus en plus convergents. Incapables de remettre en cause le modèle sur lequel elles sont assises, et qui ne peut qu’être bouleversé par l’adoption de politiques à la mesure de la destruction environnementale en cours, nos sociétés semblent se préparer à répondre aux conséquences les plus dramatiques de la crise écologique par le renforcement de leur arsenal policier et militaire : réponse ciblant non les causes du réchauffement mais ses premières victimes, tenues à l’extérieur des murs.

      La fermeture des frontières aux victimes du réchauffement climatique, si absurde qu’elle soit (le phénomène ne s’arrêtera pas plus aux frontières que le nuage radioactif de Tchernobyl ne s’était arrêté en 1986 à la frontière franco-allemande), apparaît sous cet angle comme le socle d’un nouveau contrat social et les politiques contre les migrants comme des préparatifs de guerre, acclimatant les opinions publiques occidentales à cette violence qui vient et est déjà exercée, de façon plus ou moins avouée, en leur nom.

      Mais « notre » mode de vie ne nous appartient pas.

      Parler, écrivait Descartes dans sa belle "Lettre à Newcastle", parler comme un être humain et non comme une machine, c’est répondre à propos. L’incapacité de la gauche politique, traditionnelle ou en voie de recomposition, à articuler un discours novateur à la mesure de notre époque tient vraisemblablement à ce qu’elle ne cesse pas d’inscrire sa pensée et son action dans un mode de vie radicalement inégalitaire – puisqu’il ne peut être que l’apanage d’un petit nombre. Ce discours soucieux de ménager justice environnementale, accueil des réfugiés et poursuite des objectifs de croissance – voire, dans certains cas, soutien à l’industrie de l’armement – n’est tout simplement pas crédible, faute de cohérence interne.

      Articuler un autre discours exige de rompre en pensée et pratique avec ces formes de vie et de production dans lesquelles la gauche ne cesse, comme dans des sables mouvants, de s’enliser. S’il ne peut être identifié au « nous » des nations développées, le sujet politique à partir duquel cet autre discours devient possible est à l’œuvre dans la pratique des mouvements de solidarité associant ressortissants de l’UE et non-ressortissants de l’UE, Européens et extra-Européens. Son paradigme est naïf, fraternel, humaniste et anticolonial. Il repose sur un certain sentiment de la dignité et de la beauté des autres, sur l’alliance de militant.e.s, de citoyen.ne.s et de personnes de bonne volonté du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest et refuse de manière aussi simple que frontale de se soumettre aux frontières établies qui sont d’abord des frontières intérieures, des lignes de partage subjectives.

      L’implicite serait alors le suivant : refuser les frontières en place et la partition mondiale entre privilégiés et démunis reviendrait à contester à la racine la perpétuation d’un système de production, de développement et de domination condamnant une partie croissante de l’humanité à l’exil, à l’esclavage ou à la mort.

      La rencontre, les échanges d’idées, les échanges amoureux, le dialogue, l’invention et la création ne peuvent avoir lieu qu’au travers et de part et d’autre de ce mur.

      Je reviens à la citation d’Hannah Arendt, tirée du dernier chapitre de "L’Impérialisme" :

      « Aucun paradoxe de la politique contemporaine ne dégage une ironie plus poignante que ce fossé entre les efforts des idéalistes bien intentionnés, qui s’entêtent à considérer comme “inaliénables” ces droits humains dont ne jouissent que les citoyens des pays les plus prospères et les plus civilisés, et la situation des sans-droit. Leur situation s’est détériorée tout aussi obstinément, jusqu’à ce que le camp d’internement – qui était avant la Seconde Guerre mondiale l’exception plutôt que la règle pour les apatrides – soit devenu la solution de routine au problème de la domiciliation des “personnes déplacées”. »

      Comme le note Christiane Vollaire [3], cette « ironie poignante », éprouvée par Arendt moins de dix ans avant l’écriture de ces lignes, alors qu’elle fuyait le nazisme, « est au cœur du monde contemporain ». Pour un grand nombre de migrants, l’Europe a cessé d’être un lieu, et a fortiori un lieu d’accueil. Pour un grand nombre d’Européen.ne.s, l’Europe a dans le même temps cessé d’être un horizon (de projection, de désir, de pensée politique ou de création) pour devenir un mur, un enclos et un piège, espace où « notre liberté » dépend plus que jamais de la sujétion des autres. La rencontre, les échanges d’idées, les échanges amoureux, le dialogue, l’invention et la création ne peuvent avoir lieu qu’au travers et de part et d’autre de ce mur. C’est dans ses failles que quelque chose de l’ordre du désir et de la politique peut recommencer et recommence à circuler. Pas au centre du monde mais de l’intérieur des murs où nous nous battons pour respirer, en attendant qu’ils cèdent.

      (Athènes, mardi 21 août 2018)

      [1] https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/idees/europe-annee-zero

      [2] Lire le travail de recension entrepris depuis 1993 par le réseau United : http://unitedagainstrefugeedeaths.eu/wp-content/uploads/2014/06/ListofDeathsActual.pdf

      [3] « Langue du déplacement, barbarie de l’enfermement ». intervention de C. Vollaire le 6 février 2016 pour l’association Le sujet dans la Cité. http://www.lesujetdanslacite.com/1/upload/languedudeplacement_christiane_vollaire.pdf

      Dimitris Alexakis, animateur d’un espace de création dans le quartier de Kypsèli, Athènes

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