• François Dubet : « Une réforme du bac s’imposait »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/15/francois-dubet-une-reforme-du-bac-s-imposait_5257135_3232.html

    La réforme proposée change totalement la donne en proposant de juxtaposer des épreuves et des disciplines obligatoires et nationales à des épreuves de contrôle continu portant sur des matières choisies par les élèves. Ainsi, chacun pourrait obtenir un bac national et un diplôme singularisé, ce qui conduirait les lycéens à anticiper leur orientation vers l’enseignement supérieur par le choix des options. Un « oral de maturité » couronnant le tout, le bac change de nature par l’individualisation du diplôme.

    L’objectivité des notations anonymes est plus une croyance qu’un fait établi, mais il reste que le contrôle continu risque de créer des normes locales fortement inégales. On peut être plus généreux dans les établissements populaires que dans les établissements élitistes, ce qui conduirait paradoxalement à faire encore plus confiance aux seconds.

    Il faudra bien s’interroger sur l’équité des options offertes par les divers établissements et sur la capacité d’adaptation d’un système tenu de répondre aux demandes a priori fluctuantes des enseignements optionnels. Quant au grand oral, si les élèves n’y sont pas préparés de longue date, il risque de ne sanctionner que leur origine sociale.

    L’opposition à cette réforme a de bonnes raisons d’en souligner les risques. Mais plutôt que de parer le système actuel de toutes les vertus, mieux vaudrait s’intéresser au chantier et aux détails mêmes de cette réforme. En donnant plus de liberté aux élèves, celle-ci exige le renforcement de la régulation du système. La recherche obstinée de l’égalité des conditions d’apprentissage des élèves et le souci des conditions de travail et de formation des enseignants ne sont pas devenus de vieilles lubies.

    Enfin, pour ce qui est de l’orientation vers l’enseignement supérieur, il est indispensable de créer des filières et des formations utiles aux étudiants qui n’ont ni la chance ni le mérite d’être des « premiers de cordée ». La justice d’une politique se juge toujours à la façon dont elle traite les plus fragiles.

    #Education

  • « Les internautes réclament un usage moins opaque et une maîtrise de leurs données personnelles »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/07/les-internautes-reclament-un-usage-moins-opaque-et-une-maitrise-de-l

    Par Judith Rochfeld (Professeur à Paris-I), Joëlle Farchy (Professeur à Paris-I), Paula Forteza (Députée LRM, rapporteure pour la commission des lois sur le projet de loi sur la protection des données personnelles) et Valérie Peugeot (Chercheuse et présidente de l’association Vecam)

    « Toutes les start-up qui se sont essayé à construire des services sur une commercialisation individuelle des données ont échoué : le revenu annuel généré par utilisateur est trop faible »

    Tribune. Sur la base du constat largement partagé de l’importance des données personnelles dans une économie numérique en pleine transformation, l’idée, ancienne, d’un droit de propriété accordé aux individus a fait récemment l’objet d’un regain d’attention médiatique.

    Cette proposition qui affiche pour ambition de donner à l’internaute un pouvoir de négociation face aux géants du numérique ne résout en réalité aucun des problèmes posés. Au moment où se débat à l’Assemblée nationale le projet de loi sur la protection des données personnelles, ne tombons pas dans le piège des fausses bonnes idées.
    Propriété de personne

    Aujourd’hui, ces données ne sont la propriété de personne, ce qui autorise leur collecte et leur traitement sous réserve du respect du droit des individus. Dans l’hypothèse de l’instauration de droits de propriété, la question de savoir qui serait titulaire de droits est loin d’être simple.

    Qui serait propriétaire de mes « likes » sur le mur de mes amis sur Facebook, eux ou moi ? Qui serait propriétaire des données de mon tensiomètre connecté prescrit par mon médecin ? Ce dernier, le fabricant du tensiomètre, moi en tant que patient, le Conservatoire national des arts et métiers ou encore la recherche médicale publique ?

    Du point de vue de l’analyse économique, quel que soit le titulaire initial de ce droit, dans la mesure où des transactions seraient possibles, le marché permettrait de les attribuer in fine aux agents économiques les mieux à mêmes d’en tirer profit.

    Dans le cas des données personnelles, le droit de propriété bénéficierait alors aux organisations qui sont à même de recueillir, traiter et analyser les données et qui leur donnent une valeur plus qu’aux internautes soit, finalement, l’effet inverse de celui recherché d’un rééquilibrage des pouvoirs.

    Valeur d’usage et valeur monétaire

    Les modèles économiques de l’exploitation de données profitent aujourd’hui en effet plus aux collecteurs qu’aux individus. Mais les partisans du tout propriétaire confondent valeur d’usage et valeur monétaire. Les données personnelles d’un individu ont une valeur d’usage pour lui – son graphe social lui parle de ses sociabilités, ses tickets de caisse de son mode de consommation –, et pour l’entreprise – elle améliore sa relation client.

    Mais leur valeur monétaire ne se révèle à cette dernière qu’une fois agrégées à celles de milliers d’autres utilisateurs. Toutes les start-up qui se sont essayées à construire des services sur une commercialisation individuelle des données ont échoué : le revenu annuel généré par utilisateur est trop faible.

    Mais l’essentiel est ailleurs. Ne regarder les données qu’au simple prisme économique, c’est oublier qu’elles ne sont pas un bien assimilable à une ressource matérielle ou immatérielle mais qu’elles sont d’abord le fruit de nos interactions avec des services, avec des objets connectés et de nos sociabilités liées à nos échanges sur les médias sociaux, à nos communications interpersonnelles. En cela les données parlent de nous, mais aussi de nos proches, du monde qui nous entoure. Elles sont tout à la fois intimes et sociales.

    Pour aborder conjointement maîtrise de ces données particulières et innovations numériques en mettant à distance la question de la propriété il faut penser en termes de droits de l’individu à son autodétermination, impliquant qu’il puisse décider des usages qu’il accepte de laisser à une pluralité d’acteurs. Le tout conduit à des « faisceaux de droits » souples et variés.

    Plus que la propriété de leurs données, ce que réclament les internautes c’est en effet un usage moins opaque et une maîtrise de ces données dans un cadre respectueux de leur vie privée et non discriminant. Les risques et dommages d’une perte de contrôle sur ses données personnelles sont à la fois réels et connus. Pour autant, ces dommages et leur possible réparation ne se situent pas sur le plan d’un bien, mais de la personne.

    Société numérique plus éthique

    Pour protéger la vie privée, les logiques de responsabilités existent déjà dans les différents systèmes juridiques, sans qu’il soit pour autant pertinent de proclamer une propriété des individus sur eux-mêmes. Le Règlement européen sur les données personnelles (RGPD) qui entrera en vigueur en mai constitue un premier outil essentiel pour donner à la France et à l’Europe un modèle de société numérique à la fois plus éthique et plus compétitive par rapport au reste du monde.

    Il accentue en effet la logique de responsabilisation des organisations, renforce les droits des individus et en crée de nouveaux, notamment le droit à la portabilité des données. Celui-ci réintroduit de la concurrence puisque l’utilisateur peut désormais migrer vers un service moins « prédateur » de ses données.

    Conscientes des enjeux pour l’avenir de leurs modèles économiques, les entreprises sont donc incitées à intégrer le respect des données personnelles de leurs utilisateurs dans leurs stratégies et à le faire apparaître comme une caractéristique concurrentielle discriminante.

    Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir les chantres d’une idée qui se proclame libérale afficher un tel manque de confiance dans des solutions qui pourront être négociées entre l’ensemble des acteurs, sans un quelconque recours à l’instauration de droits de propriété.

    Les signataires : Judith Rochfeld (Professeur à Paris-I), Joëlle Farchy (Professeur à Paris-I), Paula Forteza (Députée LRM, rapporteure pour la commission des lois sur le projet de loi sur la protection des données personnelles) et Valérie Peugeot (Chercheuse et présidente de l’association Vecam).

    #Données_personnelles #RGPD #Valeur_usage

  • Il faut « interdire la collecte de données personnelles en ligne »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/06/il-faut-interdire-la-collecte-de-donnees-personnelles-en-ligne_52526

    Analyse. Le plus grand danger, à long terme, estime le journaliste du « Monde » Damien Leloup, est celui de créer des sociétés habituées à la surveillance de masse permanente, dans laquelle tout libre arbitre disparaît dans les bases de données de quelques entreprises géantes.

    Or, des Exxon-Valdez [du nom du pétrolier américain qui répandit 38 000 tonnes de pétrole sur 1 300 km de côtes en Alaska en 1989] de données, il y en a tous les jours. Il ne se passe pas 24 heures sans que l’on apprenne le vol d’une gigantesque base de données, la collecte illégale d’informations médicales ou sur des mineurs par une grande société en ligne, ou l’utilisation de ces données pour débusquer des opposants politiques ou vendre des informations ou des produits frelatés.

    Risque de s’habituer à la surveillance de masse

    Et le pire est à venir. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de notre savoir en matière d’analyse des données. Ce que nous savons déjà faire devrait nous terrifier : on peut, aujourd’hui, déterminer assez précisément l’orientation sexuelle d’une personne en fonction de ses « likes » sur Facebook, ou savoir si une femme est enceinte en fonction de l’évolution de ses comportements d’achat en ligne.

    Mais ces fonctionnalités, déjà dignes d’un mauvais épisode de la série télévisée britannique dystopique Black Mirror, ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend alors que la quantité de données produites et collectées, et notre capacité à les analyser, grandit chaque jour. Demain, peut-être votre assureur pourra-t-il savoir si vous avez un risque de pathologie cardiaque en se basant sur vos achats Amazon, ou savoir en temps réel que vous rendez visite à votre amant(e).

    Pour éviter ce futur cauchemardesque, il existe une solution, qui n’est certainement pas de proposer à chacun de monétiser lui-même ses données contre quelques centimes d’euros. C’est l’interdiction pure et simple de la collecte de données personnelles en ligne. Les mouchards dont sont remplis tous les sites Web et les applications ne vous servent pas à grand-chose, à vous consommateur et citoyen, à part une vague personnalisation de services sans grande valeur ajoutée.

    Il ne s’agit pas d’interdire aux entreprises de détenir un fichier client, ou de faire de la publicité : si vous voulez donner votre date de naissance à votre supermarché ou à votre compagnie d’assurance, il n’y a aucun problème : les lois actuelles vous protègent de manière claire et simple. Mais cela vaut-il la peine d’être géolocalisé en permanence au mètre près, pour permettre à une grande surface de vous proposer des promotions lorsque vous entrez dans son magasin ?

    Mais l’or noir, direz-vous, c’est aussi de la croissance, des emplois, du PIB ! En fait, non, ça ne l’est pas, ou si peu. Pire : la collecte massive de données personnelles a introduit des distorsions de concurrence à une échelle rarement vue dans l’histoire récente. Aucune PME aujourd’hui ne peut prétendre utiliser elle-même le data : elle est contrainte de passer par les services des géants du Web.

    Ecrire, comme le font les auteurs de la tribune publiée dans Le Monde, que « dénoncer la monétisation, c’est nier une réalité économique, puisque nos données sont de facto devenues objets de commerce », c’est faire preuve d’une méconnaissance fondamentale du sujet.

    Mais l’or noir, direz-vous, c’est aussi de la croissance, des emplois, du PIB ! En fait, non, ça ne l’est pas, ou si peu. Pire : la collecte massive de données personnelles a introduit des distorsions de concurrence à une échelle rarement vue dans l’histoire récente. Aucune PME aujourd’hui ne peut prétendre utiliser elle-même le data : elle est contrainte de passer par les services des géants du Web.

    Ecrire, comme le font les auteurs de la tribune publiée dans Le Monde, que « dénoncer la monétisation, c’est nier une réalité économique, puisque nos données sont de facto devenues objets de commerce », c’est faire preuve d’une méconnaissance fondamentale du sujet.

    #Données_personnelles #Economie_influence

  • « La propriété des données personnelles est une fausse bonne idée »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/05/la-propriete-des-donnees-personnelles-est-une-fausse-bonne-idee_5252

    par Serge Abiteboul et Gilles Dowek

    Le cas des données numériques est cependant un peu plus complexe que celle de des champs d’orge ou de blé, car qui cultive les données ? Ceux qui les produisent (vous et moi, les géants du Web, les hôtels…), ou ceux qui les entassent et les analysent pour en tirer du profit (ni vous et moi) ? Dans le cas d’un champ, décider que le champ appartient à ceux qui le cultivent éclaire la question. Dans le cas des données numériques, cela ne fait que la rendre plus confuse.

    L’idée d’établir la propriété de chacun sur ses données personnelles part peut-être d’un bon sentiment, mais c’est une fausse bonne idée.

    Enfin, plus profondément, il n’existe que peu de données numériques individuelles. La plupart de ces données sont « sociales ». Vous postez une photo sur Facebook : est-elle à vous, aux personnes que vous avez photographiées, aux personnes qui vont la tagger, ou à celles qui vont la commenter, la diffuser ?

    Les données numériques personnelles, méritent d’être protégées. Un droit existe déjà pour cela : le droit à la vie privée ! On peut le renforcer dans le monde numérique comme l’ont fait les lois Informatique et liberté, la loi pour une République numérique, ou le règlement européen sur la protection des données qui entrera bientôt en vigueur. Protéger nos données personnelles est une excellente idée. Mais le bon outil pour le faire, est le respect de la vie privée et non le droit de propriété.