Justice. Logement indigne, la lutte avance

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  • A Paris, un marchand de sommeil condamné à 500 000 euros d’amende
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    Condamné pour « mise à disposition d’hébergement contraire à la dignité humaine », le propriétaire, qui louait une soixantaine de logements, ne pourra plus exercer son activité de logeur. (...)

    Jugé en première instance en 2015, Michel Zaghdoun avait été relaxé. Le parquet et les parties civiles avaient fait appel. La sévérité de l’arrêt, inédite à Paris, s’explique par l’ampleur du délit qui a concerné jusqu’à 60 familles à la fois, pendant près de dix ans, bien que les faits ici jugés ne couvrent que la période de mars 2011 à mars 2013. (...)

    Quarante-quatre arrêtés d’insalubrité
    Alertés, les services de la Ville et l’Agence régionale de santé (ARS) avaient, dès 2011, dressé 44 arrêtés d’insalubrité touchant tant les parties communes que les logements. Pour remédier aux défauts pointés dans ces arrêtés, M. Zaghdoun s’empressait de faire les travaux : « Mais il s’agissait de travaux cache-misère. M. Zaghdoun n’attendait même pas que les plâtres soient secs pour peindre », a constaté un ex-locataire.
    « En 2012, M. Zaghdoun a demandé à deux familles de quitter les lieux quelques heures pour changer les fenêtres. En réalité, il a abattu des cloisons pour supprimer les pièces aveugles, et laissé les lieux couverts de gravats et de poussière sur les affaires des locataires, a rappelé MmeVolson. Un épisode traumatisant pour l’une des familles, qui avait un nourrisson. »
    « J’ai travaillé d’arrache-pied dans cet immeuble, a soutenu M. Zaghdoun devant la présidente du tribunal, Danièle Dionis. J’y ai laissé ma santé, ma vie, j’ai fait tout ce que demandaient les arrêtés, j’ai embauché des ouvriers et même payé un architecte. » Et M. Zaghdoun a, en effet, non seulement réussi à faire annuler sept de ces arrêtés par le tribunal administratif, mais obtenu la mainlevée de tous les autres.
    Malgré les arrêtés d’insalubrité et une enquête de police de 2 000 pages, l’affaire a frôlé le fiasco juridique en raison de la fragilité des arguments de l’ARS qui a mal rédigé ses arrêtés, n’a pas assez vérifié la qualité des travaux réalisés et, surtout, ne s’est pas défendue devant le tribunal administratif, ni n’a fait appel de l’annulation de ses arrêtés. Ce qui a sans doute pesé en première instance.

    « L’ARS a cédé aux pressions de M. Zaghdoun, qui l’appelait tous les jours, alors qu’elle savait très bien que ces travaux ne réglaient rien », explique M. Mouchard. Les réponses de l’Etat aux marchands de sommeil sont d’une grande faiblesse et ne protègent pas les victimes. La législation est complète, ce sont les moyens de l’appliquer qui font défaut », estime-t-il. « Nous allons examiner la motivation de l’arrêt et peut-être nous pourvoir en cassation. L’indignité des locaux ou la vulnérabilité des personnes qui toutes ont bénéficié d’aides de l’Etat, posent question », a déclaré Me Muriel Ouaknin-Melki, avocate du propriétaire, après l’énoncé du jugement en appel, mercredi.

    Justice. Logement indigne, la lutte avance | L’Humanité
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    La cour d’appel de Paris a infligé hier des sanctions sans précédent à un marchand de sommeil qui avait loué 61 appartements insalubres dans le 18e, à Paris.

    C’est peut-être un tournant dans la lutte contre les marchands de sommeil. Hier, la cour d’appel de Paris a condamné Michel Zaghdoun à deux ans d’emprisonnement avec sursis et 200 000 euros d’amende pour « soumission de personnes vulnérables à des conditions de logement indigne », ainsi qu’une interdiction définitive d’exercer le métier de loueur. Le quinquagénaire devra aussi payer des dommages et intérêts au titre du préjudice moral à dix des habitants des immeubles dont il était propriétaire au 40-44, rue Marx-Dormoy, dans le 18e arrondissement de Paris. Sa société devra également payer une amende de 300 000 euros. « À Paris, il n’y a jamais eu de condamnation aussi lourde. C’est vraiment un cas emblématique, capital pour motiver les victimes à agir et pour les associations qui les soutiennent », a commenté Violette Volson, directrice du Comité actions logement (CAL), partie civile.

    À cinq dans un 12 m2 sous les combles pour 660 euros

    « Je suis très satisfait de cette condamnation », a réagi Jeff, seule victime du marchand de sommeil à s’être rendue au palais de justice de Paris. Lui est arrivé rue Marx-Dormoy en 2006. Animateur, ne disposant pas de garant, il ne trouvait pas d’appartement dans le très compétitif marché parisien du logement. Moyennant plusieurs mois de loyers en liquide, Michel Zaghdoun lui dégote un studio dans un des immeubles qu’il a acquis en 1989. Mais Jeff déchante. « Ça s’est vite dégradé. Il y avait les rongeurs. Les murs étaient mous et humides et rien de ce qu’on y fixait ne tenait. Les escaliers étaient dangereux. » Avec un studio de 15 m2 loué 600 euros, Jeff, un des rares Français dans cet ensemble de 61 appartements, dont une majorité loués à des réfugiés, n’est pourtant pas le plus mal loti. Une famille sri-lankaise avec trois enfants a loué pendant six ans un 12 m2 sous les combles pour 660 euros. Une autre famille de Bangladeshis était logée à cinq dans 28 m2 sans lumière ni chauffage. Les témoignages des habitants, soutenus par la Fondation Abbé-Pierre (FAP), font état d’électricité défaillante, d’absence de chauffage, d’infiltrations d’eau… S’y ajoute une stratégie de l’intimidation du logeur, qui exigeait ses loyers en liquide, et n’hésitait pas à faire irruption dans les habitations sans prévenir. « Il est grand, avec une grosse voix, se souvient Jeff. Il savait aussi qu’il avait en face de lui des gens fragiles, apeurés. »

    La décision de la cour d’appel est l’aboutissement d’un « marathon pénal » démarré en 2011. Tout a commencé par hasard, quand, menacé d’expulsion, un des locataires du 40-44 a poussé la porte de l’espace solidarité habitat (ESH) de la FAP. Très vite, l’association comprend qu’il y a d’autres problèmes. Dans le cadre de son programme SOS Taudis, elle se coordonne avec le CAL pour alerter la Ville de Paris et lancer des procédures. Mais la plainte déposée en 2012 conjointement par la FAP, le CAL et une dizaine de locataires s’enlise. Il faut près d’un an pour qu’une enquête soit lancée par les services de police. Et, en juillet 2015, c’est la claque. En première instance, le tribunal relaxe le prévenu. « Avant même de regarder si les conditions de logement étaient indignes, le tribunal a considéré que les ménages qui portaient plainte n’étaient pas assez “vulnérables” », explique la présidente du CAL. Un raisonnement que les associations ont tenté de contrer lors de l’appel en prouvant que, dans un marché très tendu, un salarié pauvre, à plus forte raison s’il est étranger, est de fait en situation de vulnérabilité. Si cet argument était retenu dans les motifs de la décision des juges de la cour d’appel, il pourrait faire jurisprudence. « Il y a un arsenal juridique conséquent pour protéger les victimes mais la difficulté, c’est sa mise en œuvre. Ce qu’il manque, c’est un accompagnement pour aider les personnes à faire valoir leurs droits », observe Samuel Mouchard, qui dirige l’ESH. Les difficultés rencontrées pour faire aboutir cette plainte traduisent aussi le manque de formation des policiers et des juges sur les questions de mal-logement. Même si la situation s’est améliorée avec la création récente d’une unité de police consacrée à ce problème, se lancer dans une telle procédure relève du parcours du combattant pour un public fragile. « Le plus dur, ça a été la lenteur de la procédure. Il n’a pas été simple de convaincre tout le monde de ne pas abandonner », observe Violette Volson, dont l’association a accompagné les plaignants. Remotiver, expliquer, organiser des réunions ont été déterminants. Une analyse partagée par Me Alexandra Boisset, une des avocates des victimes : « Il faut féliciter le CAL. Sans son travail d’accompagnement, rien de tout cela n’aurait été possible. »

    #logement #marchand_de_sommeil