entretien avec Roxane Darlot-Harel – ⋅ lecture ⋅ culture ⋅ genre ⋅ littérature ⋅

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  • Etudier la culture du #viol dans la #littérature : entretien avec Roxane Darlot-Harel – ⋅ lecture ⋅ culture ⋅ genre ⋅ littérature ⋅
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    – J’ai travaillé en deuxième année de Master (2015-2016) sur « la culture du viol dans la littérature libertine du XVIIIe siècle » ; à force de lire des romans libertins (puisque je travaillais sur Crébillon et Vivant Denon en première année), je me suis rendu compte d’une constante, et j’ai voulu la mettre en lumière : les relations intersexuelles dans cette littérature (c’est-à-dire les relations entre les sexes, puisqu’on reste essentiellement dans un paradigme hétérosexuel) se construisent toujours sur une esthétique de la violence dans laquelle les femmes étaient des proies qui disaient « non » et les hommes des prédateurs qui cherchaient à mettre ces proies dans leur lit, et on veut nous faire croire que les femmes sont, dans l’histoire, manipulatrices, hypocrites, nymphomanes, tandis que les hommes sont finalement victimes de cette sensualité perverse féminine. Il s’agit en fait de faire penser au lecteur que, dans les relations sexuelles libertines, les femmes qui disent « non » veulent toujours dire « oui » mais ne peuvent pas à cause des convenances, et il s’agit donc de discréditer systématiquement la parole féminine : on ne peut pas croire les femmes, ces créatures assoiffées de sexe. Les femmes sont toujours coupables, même si stricto sensu, dans le texte, on lit un viol… ce qui rappelle étrangement les tendances actuelles à faire culpabiliser les victimes de violences sexuelles, à croire l’agresseur plus que la victime.

    Il m’a donc semblé intéressant de mobiliser le concept ultra-contemporain de « culture du viol », ce qui n’avait jamais été fait auparavant dans la recherche, pour aborder cette constante de la littérature libertine (française, mais pas seulement) au XVIIIe siècle, et pour montrer en quoi nos conceptions sont, au XXIe siècle, largement héritées de cette période et de cette littérature. Car si la littérature libertine n’a pas inventé la domination masculine, le viol ou les violences sur les femmes en général, elle a largement contribué à modeler, cristalliser, orienter notre pensée.

    Cela conduit, encore aujourd’hui, à interpréter des textes libertins écrits par des hommes sur les femmes, et mettant en scène des violences d’hommes sur des femmes, comme la description rose, idéale, froufrouteuse, de relations consenties et heureuses entre des hommes et des femmes libres de toutes conventions : il suffit de voir les expositions consacrées au XVIIIe dans les musées aujourd’hui pour se rendre compte que le #libertinage est constamment envisagé comme quelque chose de beau, de doux, où la violence demeure une esthétique (et encore, quand on parle de violence) qui ne revêt aucune substance réelle. C’est contre ces préjugés faux que j’ai voulu m’élever dans mon mémoire, car il m’est apparu qu’idéaliser le XVIIIe était, non seulement dangereux, mais aussi contre-productif pour comprendre l’époque dans laquelle nous vivons.

    #culture_du_viol #domination_masculine #hétérosexisme

    • Aussi, je ne pense pas que le concept de culture du viol soit militant (ou s’il l’est, il ne devrait pas l’être car je le vois comme quelque chose d’objectif), puisque j’ai cherché par tous les moyens possibles à le fonder sur mes analyses. Pour être plus exacte, je ne veux pas que ce concept soit militant : je veux qu’il devienne un outil d’analyse crédible et irréprochable. Bien évidemment, il m’a fallu me prémunir du reproche qu’on aurait pu me faire de n’être pas dans les clous de la recherche, car il demeure assez évident que je suis féministe, mais j’ai eu la chance d’avoir un directeur et un second membre de jury tous les deux féministes et sensibles à ces questions : j’ai pu me contenter de brefs avertissements au début de mon mémoire et de définitions assez neutres indépendantes des mouvements féministes en présence actuellement.