• Quand la SNCF nous raconte des histoires… _ Grinçant.com - 12 novembre 2017 -

    https://www.grincant.com/2017/11/12/quand-la-sncf-nous-raconte-des-histoires

    Gare SNCF de province, attente d’une correspondance.
Retard du train, comme très souvent.
Au motif « Sortie tardive du dépôt ».
Le genre de « motif » qui sent l’enfumage, car quelle est la vraie raison ?
 Une panne ? Un conducteur absent ? Une motrice démotivée ?

    Mais là, entre deux portes, et à côté d’un défibrillateur en libre service, la solution !
Pour ne pas s’énerver, pour passer le temps, voire pour se cultiver.
Un « Distributeur d’Histoires courtes » !!! 
Pas loin du kiosque Relay dont le gérant doit apprécier l’intention.


    « Votre gare vous offre un petit plaisir à lire »… Et pourquoi pas une « gâterie » ?

    « Choisissez votre temps de lecture » , avec 3 boutons : 1, 3 ou 5 minute(s)…
    • « 1 minute », catégorie « Humour noir » — Mésusage du pouvoir – Clément Paquis —
47 centimètres de papier
    • « 3 minutes », catégorie « Slam » — Mi Amor – Le Shung’ —
59 centimètres de papier
    • « 5 minutes », catégorie « Voyage poétique » — GR5 – vision d’infini – LCBeat —
104 centimètres de papier

    Me voilà avec 2,10 mètres de papier « thermique », sans aucune précision au dos s’il est « Sans BPA » et/ou « Sans PHÉNOL ajouté », comme il est souvent indiqué sur les tickets de caisse utilisant le même principe d’impression.


    En fin de chaque « histoire », le logo SNCF, en gros, et deux mentions :
    • « La Gare de (Bip) vous offre des histoires à lire… sans attendre. »
    • « Retrouvez cet auteur, et plus de 80 000 autres histoires sur (www.)short-edition.com »

    Ben si, justement, ça n’est pas « sans attendre », _ c’est en « attendant », et longtemps même !
 Déchaîné, j’en demande une quatrième, de seulement 1 minute…
Mais là, l’engin se met en rideau, et le bouton concerné clignote furieusement alors que je contemple la fente… en grève !

    À ce stade, je me demande si ça n’est pas du cynisme poussé à l’extrême…
Ça coûte combien cette histoire ? C’est payé par qui ?
    Et si les trains arrivaient tout simplement à l’heure ?
Et sans que l’on nous raconte des « histoires » ???

    © PF/Grinçant.com (2017)
    #SNCF #Transport #gaspillage #délire #en_marche #train #retard #capitalisme #pollution #papier #cynisme #culture (d’après eux).

    Sur le site de ce qui reste de la SNCF :

    Et s’il suffisait d’appuyer sur un bouton pour obtenir un peu de lecture avant de monter à bord d’un train - un voyage avant le voyage en quelques sortes- et l’emporter avec soi ? En installant des distributeurs d’histoires courtes, Gares & Connexions rend cette idée réelle, accessible et gratuite dans actuellement 24 gares françaises. Six mois seulement après le début de l’expérimentation, la branche de SNCF célèbre la 100 000e histoire distribuée. 

    La suite : http://www.sncf.com/fr/presse/article/distributeurs-histoires-courtes-19092016

    • voila voila, avec des auteurs qui ne sont pas des auteurs professionnels … ben ouais, faudrait pas penser à les payer … ni à les reconnaître … écrire c’est gratuit hein … et puis mettre un nom sur celle ou celui qui écrit et d’où, quel intérêt hein …

      - « On les appelle des auteurs #anonymes de talents »

      - Amélioration de l’accueil avec un matériaux noble qui est l’écrit et une gestion de l’attente, l’écran du smartphone est devenu très privé, on est sur un mode magique.

      j’ai pris les notes au fur et à mesure, mais que veut dire ce charabia ?


      Notre #modèle_économique est que les acteurs qui cherchet à améliorer leur relation client utilise ce vecteur là.

      Dans tout les instituts français du monde.

      @philippe_de_jonckheere ça va te plaire :/

    • @touti en fait, ce que je trouve vraiment très dommage dans cette affaire, c’est que cela pourrait être une bonne idée, et il y en aurait d’autres il me semble qui permettrait justement de réenchanter le voyage en train. La première et la plus urgente serait de baisser le prix de billets qui sont inabordables (vendredi, je joue un spectacle à Rennes, j’emmène avec moi ma fille Adèle passionnée de théâtre, pour qu’elle assiste à la préparation du spectacle aux répétitions et au spectacle, le coût de son aller-retour Paris Rennes : 144 euros ! ce qui constitue une sérieuse amputation de mon cachet à laquelle je ne consens qu’au regard de la grande valeur pédagogique de l’expérience)

      Quand je pense que je suis assez vieux pour avoir connu une époque où c’étaient de petites gens qui prenaient le train, qui dépliaient leur pique nique dans une serviette : aujourd’hui pas un passager du TGV ne se prive d’acheter des marchandises absolument hors de prix (le café à 2,5 euros) et tout le monde est enfermé dans l’écran de son ordinareur portable, qui pour travailler sur sa magnifique présentation en powerchose, qui pour avaler plusieurs séquences de suite d’une même série de télévision. La distraction est salement individuelle. Ayant pris le train des centaines de fois entre 2006 et 2012, cela a du m’arriver deux ou trois fois d’avoir une conversation avec mon ou ma voisine.

      Les gares comme les trains pourraient être réhumanisés avec peu de chose, pendant mes années de grande fréquentation de la ligne Paris-Clermont, j’ai pris quantité de photographies du défilement du paysage que j’ai ensuite assemblées dans de grands collages d’images. Du coup je me suis dit que ce serait peut-être une bonne idée que j’ai d’ailleurs proposée à la SNCF que d’imprimer de tels collages en très très grands et de les coller sur les trains qui seraient nettement plus beaux dans les gares et quand ils traverseraient le paysage il en deviendraient presque invisibles, je n’ai pas eu de réponse, pas même une réponse administrative qui aurait tenu lieu d’accusé de réception. J’avais même acheté un train électrique sur une brocante, que j’avais rafistolé, j’avais imprimé mes images sur des étiquettes, que j’avais collées sur le train électrique et j’avais filmé ce petit train électrique, il faudrait que je remette la main sur cette vidéo, elle était assez mignonne.

      Le relais H voisin ne se sent pas du tout menacé par le distributeur d’histoires parce qu’il n’y pas de vraie concurrence. Si à la place de ce distributeur mal conçu il y avait un véritable coffre-à-dons (ma traduction de give box), les choses iraient autrement tu peux me croire.

      Ce qui me frappe aussi, c’est le côté absolument cheap de cet appareil. Et pourtant je ne doute pas que l’étude, la mise au point et la fabrication d’un truc pareil a du coûter un bras. Et qu’avec ce bras on aurait pu payer quelques artistes pour de véritables oeuvres qui auraient la vertu de donner un peu de beauté et même de contemplation, je pense par exemple à la sculpture de Tinguely dans le hall de la gare de Bâle

      Est-ce que plutôt que les grands écrans publicitaires, il ne serait pas tellement plus nourrissant de passer The Clock de Christian Marclay, ce serait une oeuvre parfaite, favorisant la rêverie tout en ne faisant par perdre l’heure de vue.

      Maintenant j’imagine que le truc qui serait à faire avec ces petites machines de merde ce serait de les pirater et qu’elles débitent des passages entiers de l’Insurrection qui vient, par exemple ou de je ne sais quoi d’autre d’un peu plus nourrissant.

      Donc, oui, tu as raison, ça va me plaire

    • Effectivement, c’est pour les 50 % qui n’ont pas de smartphone. D’après eux, c’est qu’ils n’en ont pas les moyens, donc le côté cheap de la chose.

      C’est aussi afin de pouvoir occuper le temps de cerveau disponible, dans les petites gares où n’est pas distribuée la presse gratuite .

      C’est enfin, un moyen de ne pas entretenir les matériel ferroviaire, et de dire que les dirigeants de cette société font quelque chose durant leurs très longues heures de réunion.

      Le piratage de ces appareils serait une excellente idée.

      https://www.youtube.com/watch?v=gT3PPOXZqNk

    • Ah voila, c’est super @philippe_de_jonckheere de #proposer de créer quelque chose de différent plutôt que de seulement râler :) c’est régénérant !
      Un temps j’ai eu envie de proposer (à la RATP) des diffusions de sons dans le métro, plutot musique concrète, avec un tel acoustique, au détour d’un couloir entendre un torrent, des galops de chevaux, s’étonner du renversement sonore. Évidemment, je n’en ai rien fait, pas assez de cœur à l’ouvrage.

    • @reka je ne sais pas si tu dois me remercier de détourner de choses plus sérieuses. D’autant qu’avec ma petite affaire tu en prends aussi pour vingt quatre heures, quant aux possibiité d’assembages sonores, là c’est proche de l’infini (vraiment).

      @touti Dans le genre de la proposition, je devrais réunir, si je les retrouve toutes, ces belles lettres qu’il m’est arrivé d’écrire et pour lesquelles je n’ai (presque) jamais eu de réponse, certaines était injurieuses (à propos du mobilier urbain qui vise à empêcher les SDF de pouvoir s’allonger nulle part), d’autres étaient sans doute plus « constructives » comme tu dis, comme de prendre exemple sur le carrefour de la porte des Lilas à Paris pour éclairer de la sorte toute la ville et toute la banlieue la nuit, c’est-à-dire presque comme une scène et non avec des éclairages à espaces fixes et répétés : je suis persuadé que la répétition de l’interval régulier induit la violence et qu’au contraire des éclaiages plus scéniques et narratifs aideraient à diminuer le niveau de violence dans la ville, mais personne ne m’écoute (air connu).

    • héhé dans ce genre de belle lettre, j’en avais commis une en 1995, adressée au maire de Clichy, restée sans réponse, avec une amie. A la suite de l’éradication des plantes sauvages de notre impasse par des cosmonautes municipaux harnachés de bidons de glyphosate, nous y dénoncions les véritables pollueurs et revendiquions le fait de vouloir rester en vie et même d’être sales et heureuses :)

      Et pour la page du temps qui passe, j’ai beaucoup aimé, j’ai fait de midi à 14h, et puis ça s’est décalé de 20 minutes avec mon horloge, peut-être parce que j’ai cuisiné et que j’écoutais seulement !

  • Je me débats ce matin
    Avec des souvenirs doux
    Des souvenirs d’aube cévenole

    Mon appareil-photo m’indique
    Que j’ai fait une dizaine d’images hier
    Quelle timide reprise !

    Le ciel cévenol rappelle
    Qui il est, ce matin
    Le patron

    Du vent brosse
    La canopée
    Mi-Juillet

    Les sept enfants
    Aux petits soins, prévenants
    Je suis inquiet de les inquiéter

    Pas de musique non plus
    Pendant tout un mois
    Confiant

    Chaque été
    J’oublie quelque chose
    Mes accessoires de yoga !

    Voilà bien le poète que je suis
    Comptant ses vers, toutes pensées
    Tendues vers le recueil, pas le recueillement

    Vingt mille
    Sept cent
    Cinquante-neuf (mots)

    Est-ce que je ne ferai pas mieux
    De chercher l’inspiration
    En regardant par la fenêtre ?

    Je déplace des objets
    Je les arrange, c’est déjà, un peu
    De la photographie

    Fiers étrons du matin
    Je ne vous épargne rien
    Les Cévennes prennent le pouvoir

    Pesée matinale du bestiau
    Je ne vous épargne rien
    Les Cévennes prennent le pouvoir

    Se débarrasser des oripeaux de la ville
    Remiser clefs, badges, kits,
    Oublier mots de passe

    Être sur le pont
    Depuis trois bonnes heures
    Quand les jeunes gens émergent

    Convoquer des souvenirs tendres
    D’avant sa rencontre
    Avec d’autres femmes, s’y tenir

    Contrariée par le vent sans doute
    La buse ne vient pas
    À notre rendez-vous, café seul

    Dans les Cévennes, pas un mail
    Pas un coup de téléphone
    La mesure exacte de sa solitude

    Tu te demandes
    Est-ce vraiment le moment
    De travailler à Une fuite en Egypte

    De repasser par tous ces passages
    Dont elle avait dit qu’elle les avait aimés
    Qu’ils l’avaient charmée

    Et tous ces passages érotiques
    Dont tu comprends après coup
    Qu’elle s’en était inspirée pour ton plaisir

    Tu es cerné
    Tu as fui dans les Cévennes
    C’est, en fait, une impasse, un piège

    Pourtant c’est depuis le cœur
    Depuis le centre de toi-même
    Que tu dois repartir

    Cette Suzanne dont il est question
    Dans Une Fuite en Egypte
    La rencontreras-tu un jour ?

    Elle pourrait même ne pas s’appeler
    Suzanne, mais un prénom un peu tarte
    Comme Sophie ou Jessica

    Tu viens de penser à quelque chose :
    Tu penses tout le temps à elle
    Elle pense-t-elle à toi, même un peu ?

    Ne prenant plus tant de photographies
    Tu comprends, enfin, que ce gourd sera
    Toujours là, été après été, tel qu’il a toujours été

    Est-ce que cela ne devrait pas me rassurer ?
    Mes souvenirs, finalement, seront toujours intacts
    Ce que je voudrais ce sont de nouveaux souvenirs

    Les nouveaux souvenirs
    N’écraseront pas
    Les vieux souvenirs

    Je change mon fusil d’épaule
    Un osso-buco devient
    Un sauté de veau au curry

    Distrait par l’écriture
    De mes petits poèmes
    Je rate le coucher de soleil

    Que je note un rêve
    Ou que j’écrive un récit
    Je tente d’aller mieux

    A la fin d’une journée cévenole
    Pas de triptyque
    Pas de bilan

    #mon_oiseau_bleu

  • J – 138 : Aujourd’hui j’ai décidé que j’allais faire une petite séance de défonce de portes ouvertes. Clint Eastwood. Cinéaste de droite, et révisionniste. Son dernier film. Sully . Film de droite jusque dans son esthétique. Vous voyez la démonstration ne devrait pas poser trop de difficulté.

    Et du coup on peut même se poser la question de savoir ce que je pouvais bien faire dans une salle de cinéma pour voir le dernier film de Clint Eastwood, qui plus est avec ma fille cadette, la merveilleuse Adèle, qui mérite sans doute mieux, dans son parcours de formation, notamment au cinéma. De même que j’avoue une prédilection tout à fait coupable pour les films de James Bond, je dois reconnaître que j’aime par-dessus tout le film de catastrophe aérienne, même quand ils sont assez mauvais et j’en rate peu et du coup je peux dire qu’ils sont généralement unanimement mauvais, les pires étant souvent ceux de détournements d’avions avec sauvetage héroïque par des troupes d’élite, autant vous dire que ceux-là ne sont pas mes préférés. Expliquer pourquoi mon goût cinéphile est aussi déplorable, s’agissant des films de James Bond, est assez embarrassant, cela a beaucoup à voir je crois avec une certaine scène du premier James Bond dans laquelle on voir Ursula Andres sortir de l’eau dans un bikini blanc fort chaste à l’époque, complètement ravageur du point de vue de ma libido naissante, pré-adolescent, en colonie de vacances à Villars de Lans, le film projeté avec un vrai projecteur, sur un drap tendu dans la salle de ping-pong, la plupart d’entre nous assis parterre. Pour ce qui est des films de catastrophe aérienne, c’est un peu moins honteux, cela a à voir aussi avec un souvenir d’enfance, mais d’un tout autre ordre. Mon père était ingénieur en aéronautique, et il est arrivé, plus d’une fois, quand nous étions enfants, mon frère Alain et moi, qu’il soit appelé, c’était souvent le soir, au téléphone à la maison, pour conseiller à distance des équipes techniques ou carrément remettre son pardessus et sa cravate et repartir au travail faire face à des situations, dont il lui arrive aujourd’hui de parler plus librement et qui n’avaient rien de simple apparemment, certaines sont assez cocasses comme l’histoire de cette vieille dame qui avait été mal aiguillée, en partance dans un vol pour la Côte d’Ivoire et qui au bout d’une douzaine d’heures de vol s’étonnait auprès d’une hôtesse de n’être toujours pas arrivée, indocte qu’elle fut qu’elle était en fait sur le point de se poser à Singapore. D’autres anecdotes sont sans doute moins plaisantes. Un soir, nous regardions en famille un film dont je viens de retrouver le titre en faisant la rechercher suivante, « film de catastrophe aérienne » + « Burt Lancaster », il s’agit donc d’ Airport , film de 1970, dont de nombreuses scènes se passent dans la tour de contrôle d’un aéroport aux prises avec une situation de crise et dans lequel film un personnage se tourne vers le personnage interprété par Burt Lancaster, « et maintenant qu’est-ce qu’on fait Chef ? » Et mon frère Alain, rarement en manque de répartie, avait répondu : « On appelle De Jonckheere ». Les films de catastrophe aérienne vus à la télévision en famille avaient pour moi cet éclairage particulier que de temps en temps, ils faisaient sourire mon père qui commentait gentiment que certains situations étaient hautement improbables. Bref, je garde pour le souvenir d’Airport de George Seaton, 1970, comme pour celui de ces soirées de télévision familiales lointaines, une prédilection étonnante, eut égard à mon rapport assez critique en général à propos des films de fiction, donc, pour les films de catastrophe aérienne.

    Les films de catastrophe aérienne sont unanimement mauvais, j’aurais bien du mal à en sauver un dans le genre, peut-être le Vol du Phenix de Robert Aldrich avec James Stewart, mais ce n’est pas non plus un chef d’œuvre, mais le récit est assez étonnant.

    Et donc Sully de Clint Eastwood. Avec Adèle en plus. La honte.

    Depuis une dizaine d’années Clint Eastwood réécrit la grande narration performative et nationale des Etats-Unis, ne se contenant d’ailleurs pas toujours de réécrire avantageusement l’histoire de son pays, puisque son récit d’Invictus fait l’éloge inconditionnel de Nelson Mandela et voudrait nous faire croire que la nation multicolore sud africaine s’est bâtie sur la victoire des Bocks sur les All Blacks , comme c’est mignon, comme c’est loin de la réalité et comme surtout ce passe sous silence la pieuse tricherie du bon Mandela ( http://www.desordre.net/blog/?debut=2010-05-02#2487 ), pareillement le récit d’American Sniper est à gerber, qui, même s’il frôle par endroits à quel point quelques soldats américains auront laissé des plumes dans cette guerre d’Irak du fils, continue de remarquablement regarder ailleurs quand il s’agirait de considérer le martyr de la population irakienne, mais que voulez vous Clint Eastwood il est américain, à ce titre, il pense que les éléments de sa nation ont des droits supérieurs et valent mieux que les habitants d’autres pays, pensez s’il va se pencher sur la souffrance d’un pays du tiers Monde même si ce dernier est pétrolifère, il est au contraire plus urgent de construire une statue de commandeur à un gars de chez lui, probablement con et inculte comme une valise sans poignée, mais très doué pour ce qui est de dégommer des Irakiens à distance, aussi con que soit ce type il est aux yeux de Clint Eastwood et d’une nation de lavés du bulbe l’homme providentiel, concert de klaxons à ses funérailles, pauvre type providentiel, pauvres types qui klaxonnent.

    Sully donc, surnom de Chesley Sullenberger admirable commandant de bord qui en janvier 2009, avec une maestria et un sang-froid, un peu hors du commun tout de même, a réussi à amérir sur l’Hudson alors qu’il venait de décoller de La Guardia et quelques minutes plus tard, de perdre les deux moteurs de son airbus A320, d’où la nécessité de se poser, mais, las, aucune possibilité d’aller se poser sur une piste voisine. Cette catastrophe aérienne évitée, les 155 passagers de ce vol, de même que le personnel de bord tous sauvés, par ce geste extraordinaire de Chesley Sullenberger, quelques jours plus tard, le maire de New York lui remet les clefs de la ville et quelques jours encore plus tard il est invité à la première cérémonie d’investiture de Barak Obama, c’est vrai qu’après les huit années catastrophiques de Bush fils, on pouvait y voir un signe prometteur, on remarque d’ailleurs que Clint Eastwood en bon républicain crasse de sa mère coupe bien avant.

    Bon c’est sûr avec un miracle pareil, vous avez un film. Encore que. L’incident en lui-même et le sauvetage, c’est suffisamment répété dans le film, ne durent que 208 secondes, le sauvetage des passagers ayant ensuite trouvé refuge sur les ailes de l’avion, une vingtaine de minutes, du coup évidemment, il faudra recourir à quelques artifices du récit, surtout en amont, le coup des trois passagers qui attrapent leur vol in extremis, le gentil commandant de bord qui connait tout le monde à La Guardia, même la vendeuse de sandwichs pakistanaise, et ensuite en aval, la célébration du héros, foin du miracle trop rapide pour le cinéma, en brodant un peu, vous l’avez votre film.

    C’est sans compter sur la volonté dextrogène du Clint Eastwood républicain de sa mère, il ne suffit pas que l’avion se soit posé, que les passagers soient sauvés, Sully est un homme providentiel et si vous n’aviez pas compris que d’aller poser son coucou sur les eaux glacées de L’Hudson en janvier était miraculeux, on va vous le montrer et vous le remontrer, un certain nombre de fois, quatre ou cinq fois si ma mémoire est bonne, et comme on peut douter que vous ayez vraiment compris que Sully il a vraiment été très fort, on vous montre aussi, cela aussi répété trois fois, ce qu’il aurait pu se passer s’il n’avait pas été assez fort, c’est-à-dire, l’avion aller se cracher sur les banlieues denses du New Jersey, sauf que ces dernières étant peu photogéniques, on dira que c’était l’Hudson River ou le sud de Manhattan et là autant vous dire que cela claque visuellement, et des fois que vous n’ayez toujours pas compris que cette scène est un remake d’un truc qui s’est déjà produit au même endroit un certain 11 septembre, dont la moitié des Américains seulement sont capables de savoir que c’était celui de l’année 2001 — ils savent juste que c’est nine-eleven comme ils disent —, on n’est pas aidé avec un public pareil, pas étonnant que le vieux Clint Eastwood républicain de sa maman il soit un peu obligé de souligner certains passages trois fois en rouge, bref si vous n’aviez pas suivi que c’était à cela que cela faisait référence, vous aurez une scène qui vous dira que oui, un tel miracle à New York cela fait du bien, qui plus est un miracle aéronautique. Bref du lourd, du charpenté, des câbles d’amarrage pour ficeller le récit. Vous avez compris que Sully c’était un héros ? Un type providentiel ? C’est bon je n’insiste pas ?

    Ben Clint Eastwood, républicain, je crois que je vous l’ai déjà dit, qui aime croire à la providence des grands hommes du cru, il ne voudrait pas non plus que vous ignopriez qu’en plus le héros, on l’a emmerdé vous n’avez pas idée, parce que voilà quand même on se demandait si à la base il n’aurait pas commis un erreur de jugement et que si cela se trouve, en fait, il aurait très pu aller poser son coucou sur la piste de Newark dans le New Jersey tout juste voisin et que là quand même, en choisissant un terrain aussi défavorable et risqué il a quand même pris un sacré pari, un pari à 155 âmes. Alors à la commission d’enquête, ils ont peut-être été un peu tatillons, blessants, peut-être, envers le héros national en tentant de lui opposer que certes l’histoire se finit bien encore que le zingue qui a dû coûter un bras, ben il est au fond de l’eau, sans doute pas réparable. A vrai dire, c’est possible, je n’en sais rien, je m’en fous un peu même. Je note aussi au passage que Clint Eastwood de la providence républicaine dans cet endroit du film commet surtout le plagiat assez éhonté d’un très mauvais film, Flight de Robert Zemeckis, et que si cela se trouve c’est avec cette enquête prétendument interminable qu’il comble et qu’il meuble, là où le récit dans sa durée originale n’est peut-être pas suffisant pour tenir le film entier, même répété à l’envi. A vrai dire je ne connais pas bien l’histoire et ma curiosité n’est pas si grande, moi ce que j’aime dans les films de catastrophe aérienne, ce sont les scènes d’avion — et là j’ai bien aimé, faut avouer, la scène avec les deux F4 au dessus du Nevada, mais je m’égare —, il y a sans doute eu une enquête, elle a peut-être été un peu pénible, ce n’est même pas sûr, elle est présentée dans le film comme un péché de l’adminsitration, pensez, Clint Eastwood de sa maman, il a appelé à voter Trump, alors pensez si effectivement il va faire les louanges de quelque administration que ce soit, ce que je sais, et que le film ne dit pas c’est que la semaine suivante, le Chesley Sullenberger il était l’invité de Barack Obama pour sa première investiture à la Maison Blanche, de là à penser qu’il n’avait pas beaucoup de raisons de s’inquiéter sur la suite de la fin de sa carrière...

    Et, finalement, ce n’est pas tout, il y a une chose qui est entièrement passée sous silence dans ce film, dans l’après accident, plutôt que de passer des témoignages, genre télé-réalité de passagers miraculés pour entrelarder le générique, Clint Eastwood s’est bien gardé de nous dire que Chesley Sullenberger, son Sully donc, avait, en fait, intelligemment profité de son quart d’heure warholien pour attirer l’attention du Sénat américain sur les dangers de la dérégulation aérienne aux Etats-Unis, les mauvaises pratiques de la formation des jeunes pilotes et la dépréciation alarmante de la profession (c’était une chose que j’avais lue je ne sais plus où, et dont il me semblait aussi l’avoir vue dans un film, Capitalism, a love story , de Michael Moore, cinéaste dont je ne pense pourtant pas le plus grand bien, mais, vous l’aurez compris, pas autant de mal que Clint Eastwood).

    En fait ce que cela m’apprend, c’est que cette érection de l’homme providentiel m’est insupportable, on l’a bien compris, surtout envers et contre toutes les logiques collectives pourtant possibles, c’est le principe de tout programme de droite, se goberger pendant que cela dure et quand cela ne dure pas, ne plus avoir d’autres alternatives que d’attendre que l’homme providentiel — comme Roosevelt a su le faire en insufflant un peu de communisme dans le moteur capitaliste, ce qu’Obama n’a pas su faire, non qu’il n’ait pas nécessairement essayé d’ailleurs, pourtant, comme le montre Laurent Grisel, dans son Journal de la crise , ce qui marche dans le capitalisme c’est le communisme —, ne sauve la situation pour pouvoir de nouveau se goinfrer, sans comprendre que l’on ne peut pas toujours compter sur les hommes providentiels, parce qu’ils n’existent pas davantage que le père Noël et pas davantage que James Bond.

    Alors si je peux promettre raisonnablement que je n’irai plus jamais voir un film de catastrophe aérienne, cela va me coûter davantage avec les films de James Bond, la faute à Ursula.

    Exercice #53 de Henry Carroll : Utilisez le flash pour capturer l’énergie d’une fête

    #qui_ca

  • J – 169 : Comme de très nombreuses personnes, et certaines nettement plus cinéphiles que moi, je n’avais jamais vu Kapo de Gilo Pontecorvo, en dehors du court extrait du fameux travelling qui a donc déclenché l’ire de Jacques Rivette dans un texte devenu célèbre des Cahiers du cinéma . Le travelling je l’avais déjà vu plusieurs fois, je me l’étais repassé plusieurs fois sur des sites de partage de fichiers vidéographiques - je crois que l’on appelle cela des tubes - et d’ailleurs la première fois je m’étais dit que la foudre de Rivette avait peut-être été disproportionnée, la description du travelling en question avait fait germer dans mon imagination des images nettement plus outrées encore. Quand bien même, je me disais qu’il y avait chez Rivette une certaine acuité visuelle et critique pour avoir été aussi réactif à quelque chose qui ne saute pas aux yeux, je me disais même qu’avec des sentinelles aussi attentives, nous, les lecteurs des Cahiers , pouvions dormir les yeux fermés sur l’oreiller.

    Mon insistance toute personnelle, mentionnant la fameux travelling et sa critique, dans mon texte Arthrose (Spaghetti), d’en obtenir l’extrait pour l’insérer dans mon projet interactif, m’aura donc poussé à trouver une copie de ce film.

    Et du coup à la regarder.

    Et j’ai été effaré.

    En fait le travelling , le fameux travelling , est ce qu’il y a de plus anodin, de presque moins fautif dans ce film qui est une horreur, une abomination.

    Le film date de 1961. De même sa critique par Rivette.

    En 1961, la perception historique que l’on a de la destruction des Juifs d’Europe - que l’on appelle pas encore de cette manière - repose essentiellement sur des regroupements de témoignages. Il faut attendre la somme de la Destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg pour disposer d’une compréhension globale et historique de ces événements. Et la première édition de ce livre précieux et intelligent date justement de 1961, Pontecorvo n’a donc pas pu le lire, si tant est qu’il aurait su tirer de cette lecture quelques enseignements.

    En fait, en 1961, Pontecorvo ne peut que fantasmer le camp de concentration et celui d’extermination, pour donner un exemple particulièrement fautif de cette vue myope, l’arrivée du train dans un camp d’extermination dont force est de constater qu’il ne ressemble à aucun des sept camps d’extermination, donne lieu à un premier tri dans lequel les familles sont séparées, les jeunes d’un côté, les vieux de l’autres, du coup femmes et hommes ne sont pas séparés, puis ils sont conduits vers des baraques pour y passer la nuit, après laquelle, bien reposés, sans doute, ils sont exterminés, Pontecorvo apparemment ignorant que la machine de mort à Auschwitz, notamment, fonctionne nuit et jour, et de même le jour suivant on extermine un groupe de personnes dans lequel âges et sexes sont mélangés. Et tout est à l’avenant dans ce merveilleux film d’aventure au dénouement tellement heureux, le plan d’évasion et de soulèvement aboutit.

    Du coup, dans un tel massacre, je m’interroge sur ce qui a bien pu faire sursauter Rivette dans ce travelling , à moins d’imaginer que Rivette n’avait pas plus de connaissances que Pontecorvo sur l’existence des camps d’extermination, ce qui l’amène, finalement, à réagir sur un problème de grammaire cinématographique, c’est-à-dire là où sa compétence lui permet de déceler le caractère fantasmagorique et immoral du film. Chapeau.

    De façon plus anecdotique. Il se trouve que j’ai connu, vaguement, un homme qui avait survécu à Auschwitz. Cet homme plus tard a eu un gendre qui cumulait d’être antisémite et révisionniste. Un jour le gendre avait demandé à son beau-père ancien rescapé, mais qu’y faisiez-vous toute la journée dans votre camp de concentration ?les cons cela ose tout c’est d’ailleurs à cela queon les reconnait (Michel Audiard). Plein de malice le beau-père avait répondu, on s’ennuyait du matin jusqu’au soir et on trompait souvent l’ennui en faisant des parties de cartes avec nos geôliers. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le gendre qui citait souvent cet exemple sur le fait que les camps de concentration n’étaient pas l’enfer qu’on disait qu’ils fussent.

    J’ai un vrai choc en voyant Kapo , ce navet abominable qui situe son action dans un camp d’extermination, et dans lequel se trouve une scène de partie de cartes entre une détenue et un SS.

    Exercice #32 de Henry Carroll : Je déclare la guerre aux conventions William Eggleston. Combattez aux côtés d’Eggleson.

    #qui_ca

  • C’est dimanche matin dans le monde, c’est d’ailleurs la légende que j’ai choisie pour cette photographie prise avec mon ardoise numérique et qui représente assez simplement la vue de la fenêtre de chez moi.

    Je ne le sais pas encore mais un homme remonte la rue dans laquelle j’habite, au numéro 92, il sonne à toutes les portes et demande si des fois on ne pourrait pas le dépanner de lait en poudre pour son bébé. C’est aussi cela la France de 2016, une France, qui, en définitive, ne prête pas à rire.

    Lorsqu’il arrive chez moi, il sonne, je lui demande de patienter le temps pour moi de descendre à sa rencontre et surtout pouvoir entendre ce qu’il me dit et je me retrouve en présence d’un homme qui est à bout de force, de moral, un homme brisé, un homme qui est parti à la recherche de soutien, un dimanche matin, en fin de matinée, des autres hommes et femmes de la rue dans laquelle il habite. Ben non monsieur je suis désolé, je n’ai pas de lait en poudre pour bébé, longtemps, je ne le lui dis pas, que Madeleine, bientôt 18 ans, Nathan, surtout lui, 16 ans et Adèle, surtout elle, 12 ans consomment des nourritures plus solides et plus consistantes. Mais je comprends bien que la détresse, même si passagèrement, peut être soulagée avec du lait en poudre pour bébé, est au-delà. D’autant que je me souviens très bien qu’il y a différentes graduations dans le lait en question, premier âge, deuxième âge, etc… jusqu’à dix-huit ans où ils ont tendance à préférer des pâtes à la carbonara (avec du parmesan râpé). Il a quel âge votre bébé ? Huit jours. Et sa maman ? Elle ne peut pas lui donner le sein ?, cela ne fonctionne pas du tout. Je me dis, j’imagine, sans mal, que cet enfant, avant que son père ne soit poussé à cette forme très singulière de mendicité — parce que rapidement vient sur le tapis la question du prix exhorbitant du lait en poudre premier âge —, doit hurler toutes les larmes de son petit corps depuis un bon moment, j’en ai presque le vertige. Mon sang finit par faire le tour nécessaire à quelques ébauches de solutions, téléphoner à Clémence, des fois qu’elle en ait du lait en poudre, même si ce n’est pas le bon âge en diluant un peu plus on doit pouvoir soulager cet enfant, mais las, je le sais bien, et Clémence me le dit au téléphone, elle allaite, et d’ailleurs n’allaite presque plus, la petite Sara est passée à d’autres trucs plus consistants, les pâtes à la carbonara avec du parmesan râpé, par exemple. Est-ce que vous voulez que je vous emmène à une pharmacie de garde, les commerces sont déjà tous fermés, en fait c’est la fin de matinée dans ce qu’elle ressemble au début d’après-midi, le dimanche je peine toujours à faire la différence, surtout quand les enfants ne sont pas à la maison, mais en fait non, cet homme a une voiture, il sait où aller, la pharmacie à la Croix de Chavaux à Montreuil, mais le lait est trop cher, je me souviens vaguement que la chose n’était pas ce qu’il y avait de bon marché, à tout hasard, je demande combien coûte une boîte de lait en poudre premier âge, une quinzaine ou une vingtaine d’euros tout de même, je me souvenais de septante ou quatre-vingts francs, ça a dû augmenter un peu quand même, en tout cas, c’est l’ordre de prix, attendez Monsieur, je vais voir de combien je dispose, c’est que de l’argent liquide j’en ai pas toujours des masses sur moi, en vidant mon porte-monnaie, je trouve dix-huit euros que je donne à cet homme qui s’effondre littéralement dans mes bras, me dit qu’il va me les rendre, qu’il habite plus bas dans la rue, à quatre-vingt numéros de chez moi, je lui promets une visite, le supplie de se dépêcher et de bien s’occuper de son enfant, je me sens terriblement malheureux à la place de cet homme, aucun de mes enfants n’a eu à beaucoup attendre que le biberon arrive, j’ai très rarement eu à souffrir des pleurs sonores de mes enfants et les quelques fois où ils étaient, bébés, inconsolables, j’ai essayé de donner à manger, j’ai changé la couche, j’ai promené et cela n’a jamais duré très longtemps, à la réflexion aujourd’hui où ils préfèrent désormais les pâtes à la carbonara , les sushi et la carbonnade flamande, c’est un peu pareil, c’est rare que je les fasse attendre dans leurs besoins quels qu’ils soient, pour la carbonade, ou le tiramisu , je négocie un délai et dans l’ensemble nous nous entendons bien. Quel départ dans l’existence pour cet enfant, huit jours et déjà il connaît la faim. J’en suis dévasté.

    Je tapote sur l’épaule de cet homme, il se jette dans mes bras, je lui dis que cela va aller, qu’il doit se dépêcher, qu’il doit retourner auprès de l’enfant et de sa mère, leur apporter le lait en question.

    Et je me sens comme un con.

    Et c’est curieux, parce que toutes les personnes auxquelles j’ai depuis raconté cette histoire ont presque toutes tiqué, toutes m’ont dit que c’était du cinéma, que cette histoire ne tenait pas la route que je m’étais fait avoir. Que j’étais trop bon, trop con. Et que vingt euros, dix-huit euros et trente cents pour être précis, j’étais fou de les avoir donnés, tu lui as adonné dix-huit euros ?, s’étrangle-t-on.

    Dix-huit euros, c’est à la fois beaucoup et pas beaucoup. C’est une heure et demie de travail pour moi, une heure vingt-trois pour être précis. Autant dire que je peux très facilement travailler une heure et vingt-trois minutes à faire l’informaticien dans une Très Grande Entreprise si cela permet à cet enfant de biberonner les prochains jours, je ne travaille pas toujours de façon aussi utile. Et puis, il arrive que mon travail ne soit pas spécialement harassant, je travaille comme employé de bureau dans un open space, en hiver on a le chauffage et en été la climatisation.

    En revanche je m’interroge, et pas qu’un peu, à propos de la situation de cet homme, de son enfant, de la mère de cet enfant, né aux environs du 15 octobre de l’année 2016, ce jour-là, c’est facile d’en retrouver la trace quand on tient une manière de journal, j’avais rendez-vous chez mon éditeur — j’aime bien dire mon éditeur —, et le soir j’allais à la Philharmonie invité par mon amie Catherine, autant dire que j’étais sur le toit du monde, plus exactement perché sur les lèvres d’un volcan philharmonique dont le Concertgebouw faisait jaillir une lave sonore extraordinaire. Cet enfant né pendant que j’écoutais Wagner et Strauss a désormais faim, et comment se fait-il que son père n’a pas d’autres solutions de repli que de sonner à tous les 80 numéros qui séparent nos deux logements pour quémander du lait en poudre ?

    Alors sans doute que je me suis fait avoir, comme on me dit. Et quand j’en parle à Madeleine que je suis allé chercher au train ce soir, elle, elle me dit pas que je me suis fait avoir, ou que je suis trop con, elle a encore un peu de respect pour son vieux père arthritique, nous évoquons malgré tout la possibilité que ce soit tout de même de la mendicité, ou que l’argent ainsi obtenu n’ait pas servi à acheter du lait en poudre, peut-être même des bières — encore que je dis cela mais cet homme ne sentait pas du tout l’alcool quand il s’est jeté dans mes bras en disant je ne sais quoi avec le mot d’Allah dedans (quand je pense que la charité est un des cinq piliers de l’islam, cela ferait de moi un étonnant bon Musulman, j’en suis assez fier, il faut dire ce qui est, en revanche il ne faudra pas trop m’attendre sur les quatre autres, la prière, le pèlerinage, la profession de foi et le Ramadan , encore que ce dernier je devrais sans doute essayer une fois dans ma vie, et l’essayer ce serait peut-être l’adopter) — et alors, je dis à Madeleine, si cet homme jouait la comédie, c’était très bien joué et quelque part cela mérite salaire.

    En tout cas cet homme a eu cette ressource et je reprends confiance pour l’avenir de cet enfant.

    Et désormais la question pour moi est de savoir si je dois, ou si je ne dois surtout pas, aller rendre visite à cet homme et à sa famille maintenant, dois-je faire preuve d’esprit de suite ou de pudeur ?

    Exercice #21 de Henry Carroll : Couvrez votre écran de ruban adhésif noir. Prenez des photographies toute la journée et ne l’enlevez qu’en rentrant chez vous.

    #qui_ca

    • « Je préfère croire en un âne qui vole que deux frères qui mentent », disaient François d’Assise.
      Que l’histoire de cet homme soit vraie ou fausse n’a aucune importance, c’est à vous que vous avez rendu service. Contre tous ceux qui ont perdu un bout de l’humanité de François d’Assise dans le soupçon systématique.

  • http://www.markus-brunetti.de

    On ne peut pas dire que le site de Markus Brunetti soit folichon, en revanche, si vous êtes dans la région cela vaut le coup d’aller voir la presque seule exposition des Rencontres d’Arles cette année qui en vaille la peine, l’exposition donc de Markus Brunetti. C’est un travail titanesque de photographie de façades d’églises et de cathédrales en Europe, lesquelles sont donc visibles comme il est impossible de les voir lorsqu’on les voit en vrai, collecte minutieuse de tous les détails de chaque façade raboutés les uns aux autres avec une précision maniaque et un respect pointilleux des proportions, le résultat étant que cette vue objective est souvent méconnaissable en regard de l’édifice tel qu’on la vu sur place. Je m’étonne encore que je n’ai pour ainsi dire pas reconnu la dizaine d’édifices que j’avais vus en vrai et qu’au contraire le seul que j’ai reconnu faisait partie de ceux que je n’ai jamais vues en vrai, Conques (dont je ne connaissais que le portail tel qu’il est moulé à la cité de l’architecture à Paris). Bref un vrai mystère photographique.

    Sans compter que le relevé de chaque façade pourrait être imprimé en 300dpi à la taille même de l’originale, ce qui me laisse un peu songeur. Et déçu que le site de ce photographe ne soit pas un peu plus généreux de ce genre de ressources, vous imaginez vous une page html qui aurait la taille d’une cathédrale, je vais lui écrire pour le lui proposer mais je doute qu’il réponde favorablement.