Vacarme / devenir pairs

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  • Nancy Fraser : devenir pairs (Vacarme)
    http://www.vacarme.org/article2005.html

    Si l’horizon de toute bonne politique peut se définir comme celui de la justice sociale, la cartographie des thèmes chers à Nancy Fraser est aussi immense que le monde, espace dont elle rappelle qu’il nous oblige à déborder les frontières nationales, à configurer de nouvelles échelles d’action. Autour de son méridien origine constitué par le concept de « parité de participation », elle refuse les lignes parallèles pour penser plutôt l’émancipation conjointe des minorités : son œuvre leur donne une armature théorique et pratique pour aujourd’hui et demain. En somme, à lire et suivre la pensée de Nancy Fraser, on retrouve cette formule précieuse : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat. » (...) Source : Vacarme

    • Les « féministes » françaises se sont divisées ces dernières années sur la question du port du foulard dans le cadre des établissements scolaires. Certaines avancent l’argu­ment du pragmatisme de la loi, face à un islamisme qui impose aux femmes des pratiques et des conduites ; selon elles, la loi donne un signe fort. Le risque est alors que l’argument féministe soit instrumentalisé par le pouvoir pour justifier son islamophobie, ce qui a suscité la mobilisation d’une autre partie des féministes opposées à cette manipulation. À leur suite on peut souligner le fait que vouloir libérer une minorité discriminée en la réprimant est en soit aberrant. Mais, si l’on vous suit, on peut aussi poser les choses en termes d’égalité d’accès. Est-ce une façon de proposer une politique d’émancipation de portée universelle ?

      En premier lieu, il faut discuter du symbole. Le foulard a un sens plurivoque et signifie plusieurs choses en même temps. L’idée qu’il se réduirait à la patriarchie est fausse. On peut développer toute une analyse qui rendrait visible les significations multiples et contextuelles du foulard. Par exemple, le foulard peut symboliser les efforts des jeunes filles, souvent des familles immigrées, pour avoir une place dans la société française, pour devenir des acteurs politiques. Deuxièmement, si l’on veut vraiment exclure tout symbole du patriarcat dans les écoles, il y aurait plein d’autres choses que l’on pourrait exclure… Je préfère donc ne rien exclure du tout !

      Or, avec cette loi sur le foulard en France, c’est la fille qui porte le voile qui se trouve empêchée d’aller à l’école, et c’est un problème. La question de l’accès, de l’égalité de participation, est essentielle. Le pragmatisme des féministes auxquelles vous faites référence, et qui soutiennent la loi, est différent du mien. De mon point de vue, il appartient aux individus de choisir les moyens par lesquels mener leur « vie bonne », dès lors que ces moyens ne limitent pas la liberté des autres.


      http://maicbatmane.fr/hors-series/contre-la-loi-2010-sur-le-port-du-voile-integral

    • Récemment sur le même sujet :

      Veilsousveillance | castagne de Jean Noël Lafargue
      http://hyperbate.fr/castagne/2016/09/13/veilsousveillance

      [...]

      On reproche au hijab d’être un vêtement sexiste, un signe de soumission et en même temps un instrument de prosélytisme. Tout ça n’est pas nécessairement faux, mais j’ai défendu cette semaine l’idée que l’on pouvait dire à peu près la même chose d’un vêtement tel que la cravate. Tout d’abord, la cravate est un vêtement plutôt sexiste : certes des femmes en portent, notamment avec certains uniformes (et ça prend sans doute un sens dans le rapport sexué à la domination), mais en général, c’est un ornement vestimentaire masculin qui est, je cite un article de l’Express, “un accessoire à la symbolique phallique, qui (…) a longtemps tenu lieu de caractère sexuel secondaire. Les plus chatoyantes rappellent la queue d’un paon ou d’un faisan. Cet appendice inutile et gênant tend à montrer le niveau hiérarchique de celui qui le porte” (l’ouvrier ne porte pas de cravate, le risque d’accident bête étant certain). La plupart des gens qui portent des cravates ne le font pas pour une raison personnelle, pour le plaisir, mais y sont contraints, et s’en débarrassent même avec plaisir lorsqu’ils rentrent du bureau.

      Il est difficile de savoir quelle est la signification exacte du port de la cravate, car il en existe sans doute plusieurs3. À l’origine, c’était un signe d’engagement sentimental, les hussards croates qui ont donné leur nom à l’objet le portaient pour signaler qu’ils avaient une épouse ou une fiancée au pays — c’est une représentation de la “corde au cou”.

      Je ne peux pas interdire aux gens de porter une cravate, je connais d’ailleurs des gens qui en portent avec plaisir, c’est leur choix et je le respecte. Mais je sais aussi que certaines personnes sont forcées d’en porter. Dans certains environnements professionnels, les personnes qui refusent de porter des cravates sont mal vus, et n’ont tout simplement pas le choix. À l’Assemblée nationale, les 422 hommes élus par le peuple pour voter ses lois et décider de leur propre salaire se voient refuser l’entrée dans l’hémicycle par des huissiers s’ils ne sont pas vêtus correctement, c’est à dire s’ils ne portent pas de cravate. Les services de l’Assemblée disposent de tout un stock de cravates à nouer au cou des étourdis.

      Cette soumission à un code vestimentaire censé signifier le respect des valeurs républicaines est volontaire, ou presque, puisque ce sont les députés eux-mêmes qui valident régulièrement ce règlement. Mais il n’en est certainement pas de même dans tous les bureaux de la Défense, où la cravate et autres signes allégeance au monde du travail constituent des obligations.

      Je sais que cette comparaison entre le hijab et la cravate ne pourra que choquer certains. Effectivement, il n’y a pas, derrière la cravate, de groupes de pression religieux qui font progresser ce vêtement à coup de scandales ou de polémiques. Mais je pense de mon côté que dans beaucoup de pays du monde — pas en France, certes, le hijab est un vêtement certes fortement codé, imposé par la société, mais qui n’est pas plus réfléchi ou théorisé par celles qui le portent que ne l’est la cravate de par chez nous.

      [...]