Toumaï : réponse de Roberto Macchiarelli

/la-une-de-la-science-09-fevrier-2018

    • Je colle ici un commentaire de M. Fourteau paru dans le groupe « hominiés » sur fb :

      J’ai suivi cette affaire depuis son début, comme j’avais suivi la découverte d’Orrorin par Brigitte Senut et Martin Pickford d’Orrorin fin 2000. Orrorin a 6 Ma. On n’a pas de crâne, mes les os de ses jambes (en fait plusieurs individus, sans doute dévorés par le même fauve) montrent qu’il était un très bon bipède (beaucoup mieux que les Australopithèques, plus récents, ce qui pose un sacré problème !).

      B. Senut n’a jamais voulu reconnaître Toumaï comme un hominine, y voyant plutôt un hominidé côté gorille. Peut-être y a-t-il un peu de jalousie, mais il n’empêche qu’elle a quelques arguments. Le crâne de Toumaï est très déformé, et sa forme présumée a été reconstituée en Suisse à l’aide d’un programme informatique sophistiqué. Et on sait qu’on sort d’un ordinateur plutôt ce qu’on a rentré en amont sous une autre forme. Ce qui n’empêche que Michel Brunet a, lui aussi, des arguments.
      Mais pour moi le doute subsiste et personne ne peut être affirmatif de façon péremptoire. Par exemple, supposons que B. Senut ait raison, mais que le foramen magnum soit, comme le dit M. Brunet, en position plutôt basse. Peut-on pour autant en déduire avec certitude qu’il s’agit d’un hominidé à ranger du côté humain ? Peut-être ben qu’oui, peut-être ben qu’non.
      En effet, gorille, chimpanzé et homo ont un ancêtre commun, très antérieur à Toumaï (peut-être 10 MA, voire plus). Cet ancêtre commun était partiellement bipède. Comme je l’ai indiqué récemment, gorille et chimpanzé sont retournés dans la forêt, perdant l’essentiel de leur bipédie en marchant avec le « knuckle walking » (s’appuyant sur le dessus des phalanges et non la paume des mains). Mais il y a eu forcément une phase transitoire : l’ancêtre commun avait sans doute un foramen magnum en position relativement basse, caractère que n’aurait perdu le gorille (et le chimpanzé) que peu à peu. Donc, si B. Senut a raison, Toumaï pourrait effectivement être un ancêtre du gorille ayant un foramen magnum n’ayant pas encore totalement migré vers l’arrière.
      Je ne prétends pas avoir raison, mais tout ce qui précède montre, au moins, que les conclusions hâtives ne devraient pas être de mise ici. Comme d’ailleurs cela aurait dû l’être de nombreuses fois dans le passé pour d’autres domaines de l’évolution, avec d’innombrables conclusions définitives à jeter à la poubelle quelques années après...

    • Suite de la réflexion de Jean Fourtaux.

      Je ne pensais pas si bien dire dans ma modeste contribution d’il y a quelques jours. Coppens avait eu l’immense mérite de subodorer que les changements climatiques (refroidissement et assèchement) avaient contraint les hominidés à chercher un complément de leur pitance sur le sol en descendant des arbres. Mais il s’était trompé en supposant que cet ancêtre s’était peu à peu redressé au sol, et non dans les arbres. Quitte à paraître immodeste, j’indique que j’ai eu cette révélation dès 2002 ou 2003, simplement en raisonnant, et cela à l’époque où cette proposition s’est répandue, entre autres dans l’équipe de Jean-Jacques Hublin (j’ai pu l’entendre de la bouche d’une de ses collaboratrices qui donnait une conférence peu de temps après). Je ne suis qu’un paléontologue amateur (et qui n’est évidemment pas allé sur le terrain), mais la réflexion rendait l’hypothèse d’un début de bipédie, ou plus exactement de redressement du corps, au cours de la vie dans les arbres, nettement plus facile à expliquer qu’un redressement laborieux sur le sol de la savane. Ces singes, lourds, se déplaçaient en posant leurs pieds sur une branche inférieure et en s’agrippant avec les mains sur une autre située au-dessus. Ils devaient s’asseoir, le buste redressé, pour manger ou se chercher les poux. D’où l’acquisition, peu à peu, de ce redressement, exploité ensuite lorsqu’il a fallu poser les pieds sur le sol pour compléter sa nourriture. C’est ce qu’on appelle une « exaptation », c’est-à-dire le détournement d’une fonction ou d’une caractéristique anatomique pour un autre usage (autre exemple, les ailes des oiseaux qui ne servaient pas à voler à l’origine). Donc l’ancêtre commun avait des caractéristiques de bipède (certes très imparfait) ; aussi, comme c’est dit dans la vidéo et comme je le disais précédemment, des caractéristiques de bipédie révélées par un crâne, un fémur ou autre ne permettent aucune conclusions par elles-mêmes sur la position d’un fossile dans l’arbre généalogique commun des homininés et des grands singes. Et cette querelle sur ce fémur est ridicule : si on arrive à le caractériser, il s’agira très probablement d’un os de bipède au moins partiel, et il faudra d’autre découvertes pour aider à le situer dans la galerie des ancêtres. Et je m’en tiens contre vents et marées à mon hypothèse que gorilles et chimpanzés ont perdu les caractéristiques de bipède de leur ancêtre (qui est aussi le nôtre) peu peu, lorsqu’ils sont revenus dans la forêt ; une preuve, ou tout au moins un indice assez probant étant leur étrange appui sur les phalanges des mains et non la paume, comme chez les autres singes, acquis de façon convergente dans les deux espèces qui avaient perdu la souplesse de leurs poignets.

      #prehistoire #évolution