• Des enfants au front

    Certains Israéliens interrogent « innocemment » : pourquoi les enfants palestiniens sont-ils poussés vers la ligne de front par leurs mères, qui vont ensuite pleurer sur leurs dépouilles ? À première vue, la question semble pertinente. En fait, son énoncé est pathologique.
    La vraie question est : pourquoi nos soldats tuent-ils ces enfants ? Et, j’ajoute, quelquefois de sang-froid et du fait de tirs précis. Une telle interrogation devrait logiquement en amener une autre : que faisons-nous ici, sur la terre des Palestiniens ? Au lieu de cela, ils détournent le visage et considèrent ces enfants comme des voyous et des diables, prenant la pose devant le fusil, provoquant les soldats jusqu’à ce qu’ils les tuent. Ces enfants — nous explique-t-on — n’ont pas le désir de vivre. Leurs mères — suggère-t-on — n’éprouvent pas de sentiments maternels.

    Réfléchissons bien au non-dit de ces affirmations : si les femmes palestiniennes ne ressentent pas d’affection pour leurs enfants, alors les Palestiniens ne sont pas réellement des êtres humains. Pis : nous ne sommes non seulement pas les égaux des êtres humains, mais non plus ceux des chiens ou des chats qui, eux, prennent soin de leurs petits durant les moments de danger ! Est-il possible que les Palestiniens soient inférieurs à des animaux ?

    De telles conclusions nous rappellent ce que les Blancs sud-africains racistes pensaient des Noirs, ce que les envahisseurs européens du continent américain et de l’Australie pensaient des autochtones et des aborigènes, et comment les nazis percevaient les Juifs.

    Le même postulat nie complètement que les Palestiniens défendent leur terre et leur dignité, ce qui est un droit humain élémentaire. Il suggère que les Palestiniens seraient violents par goût de la violence et qu’ils haïssent les Juifs simplement parce que ceux-ci sont juifs.

    Quiconque se rallie à cette idée n’est pas conscient — ou ne veut pas l’être — qu’Israël occupe les territoires palestiniens de manière continue, terrible, destructrice et humiliante. Et que nombre d’Israéliens et de Juifs à travers le monde condamnent cette occupation.

    Eyyad Sarraj
    Psychiatre, fondateur du centre de santé mentale de Gaza, décédé en 2013. Extrait d’une archive de novembre 2000.

    https://www.monde-diplomatique.fr/mav/157/SARRAJ/58318