• Vous entrez dans un théâtre, sur scène une grande table noire, de part et d’autre de la-quelle, deux chaises indiquent qu’il y aura, conformément à l’affiche du spectacle, deux lec-teurs, d’ailleurs leurs deux textes sont posés sur la table au-devant des chaises et sont éclairés vivement dans un rectangle de lumière qui emprisonne parfaitement les deux tas de feuilles, la réflexion des deux tas de feuilles blanches est d’ailleurs le seul éclairage, si ce n’est la lumière rouge d’un écran, au lointain, derrière la table. La sonorisation de la salle de spectacle passe en boucle une chanson d’un autre temps, Smile, chantée par Timi Yuro. Vous vous installez et discutez, ou pas, avec les personnes autour de vous. Ça dure un peu, on vous passe bien cinq fois la chanson, c’est un peu lassant à vrai dire, puis au moment, où cela pourrait presque devenir plaisant, panne d’électricité, toutes les lumières s’éteignent et la chanson est brusquement interrompue. La rumeur autour de vous cesse. Deux ombres viennent s’assoir, l’une à jardin, l’autre à cour. Puis tout d’un coup le vidéoprojecteur envoie une image générique et sombre de la ville de nuit et, avec elle, la sonorisation, elle, crache des coups de feu, des cris, des invectives et pendant cinq minutes le plan fixe de la ville ne bouge pas, il se rapproche d’un immeuble, il y a une vie silencieuse dans des appartements, en revanche la bande-son est insoutenable parce que vous avez compris, assez rapidement, qu’il s’agissait d’un enregistrement aux abords du Bataclan un soir de 13 novembre 2015. Et très franchement, vous seriez en droit de vous demander si on vous a bien regardés, qui sont les personnes qui sont en train de vous imposer ces longues minutes, de les revivre d’une façon spectaculaire, vous êtes à deux doigts de vous lever et de foutre le camp, d’autant que la probabilité n’est pas faible que vous ayez perdu un proche dans les attentats du 13 novembre 2015, ou dans un autre attentat, ou encore que vous connaissiez, parmi vos proches, une personne qui a effectivement perdu quelqu’un dans des conditions tellement éprouvantes et, donc, qui sont les personnes - les deux ombres sur scène - - qui sont en train de faire spectacle de tout et de justement d’un événement pareillement mortifère ? Pour tout vous dire, les deux ombres en question y pensent salement et même redoutent qu’effectivement, vous vous leviez et même que vous les invectiviez et les deux ombres le redoutent tout particulièrement qu’elles trouveraient la chose, votre désertion, vos invectives, parfaitement justifiées et ces deux ombres sont en train de spéculer dans le noir, sans même se regarder, mais elles en ont parlé entre elles, plus d’une fois, et longtemps, de savoir si c’est ce qu’il va se passer ou si, au contraire, elles vont pouvoir s’appuyer sur la confiance du public pour lui dire ce qu’elles ont à vous dire - lire.

    Et pour tout vous dire, les deux ombres en question ne sont pas exactement des professionnels du spectacle, elles ont un putain de trac et cette entrée en matière ne fait qu’ajouter de la peur à leur peur, la peur du public à la leur. Sans compter, répétitions obligent, que cette bande-son les deux ombres l’ont entendue un très grand nombre de fois et que ce n’est pas parce qu’elles l’ont déjà entendue un grand nombre de fois qu’elle fait moins mal à entendre, ce serait plutôt le contraire. De là à vous dire que les deux ombres s’imposent à elles-mêmes ce qu’elles sont en train de vous imposer. Dans la bande-son, la voix angoissée et incrédule d’un journaliste du Monde, voisin du Bataclan, qui, réflexe professionnel, filme au téléphone de poche la petite rue derrière le Bataclan - le passage Saint-Pierre Amelot - par lequel s’échappent des personnes, comme elles peuvent, parmi lesquelles une femme qui explique être enceinte et qu’elle va bientôt lâcher - de la rembarde de fenêtre à laquelle elle s’est suspendue pour s’échapper. Et de fait elle finira par tomber - ici, je préfère tout de suite dire que cette femme est toujours en vie et que son enfant est né quelques mois plus tard. Le journaliste du Monde filme et enregistre sa propre voix, trempée dans l’angoisse qui exige de savoir : « mais qu’est-ce qu’il se passe ? »

    Et maintenant que se passe-t-il ?

    Les deux îlots de lumière éclairent à nouveau les tas de feuille. Une voix off, jeune, en-tame la narration : « Désormais, nous le savons, tout est à recommencer. »

    Si vous avez reconnu l’incipit de L’Étreinte d’Adrien Genoudet, vous avez bon. Et vous vous doutez depuis le début que je suis une des deux ombres et que l’autre c’est celle d’Adrien Genoudet et que nous sommes en train d’entamer la lecture spectacle de l’Étreinte, vous avez bon aussi. Et à vrai dire si vous n’avez pas encore lu L’Étreinte d’Adrien, je ne peux que vous encourager à le faire et vous allez enfin lire quelque chose de sensible, d’intelligent et de cultivé sur le sujets des attentats du 13 novembre 2015, ça devrait vous changer de tout ce que vous avez déjà lu sur le sujet. Le texte d’Adrien va vous prendre par la main, vous emmener partout où la violence a éclos et semé la mort et vous dire d’une très poétique façon que Notre Mal vient de plus loin, pour reprendre le titre d’Alain Badiou. Adrien avec force exemples, comparaisons, métaphores, symboles, citations, bref avec toutes les armes de la littérature, va faire rien moins que de vous dire que pour monstrueux que soient les attentats de novembre 2015, ils ne venaient pas de nulle part, qu’ils étaient en nous, prêts à germer, que notre part inconsciente, mieux encore, notre histoire, et notre culture, portaient tout cela en elles et en nous. Et pour comprendre, entendre de telles atrocités en somme, il va falloir nous faire confiance. Une confiance presque aveugle et qu’en quelque sorte ce qu’on vous a imposé au début de notre affaire c’était une manière, un peu maladroite, de vous demander cette confiance.

    Et aussi invraisemblable que cela puisse paraître à la fin, vous serez remué et retournée ou retourné et remuée. En tout cas pas indemnes. A Rennes, après la première lecture, au foyer, un homme un peu plus âgé que moi est venu me trouver pour me dire que cette lecture lui avait fait prendre conscience que depuis le 13 novembre 2015 il se trompait du tout au tout dans sa lecture de ces faits affreux, et que pour ainsi parler, sur le sujet, on nous raconte beaucoup de carabistouilles, on nous fait avaler des couleuvres.

    Il n’empêche la question des moyens employés subsiste, pourquoi ce début, et d’autres effets - je e vais pas tout vous dire non plus, des fois qu’on le rejoue, notamment le 16 juin à Autun, notez ! - et qui sommes-nous pour nous permettre de tels effets, une telle violence ?

    Nous avons joué deux fois ce spectacle. Les deux fois, pendant tout le début, j’étais au bord de vomir de trac et d’angoisse, et quand c’est à moi de prendre la parole le premier - « Adrien, je viens de lire l’Étreinte que Tiffanie avait mis de côté pour moi » - je peux vous dire que je ne fais pas le fier, en revanche je suis vidé d’une chose, je n’ai plus peur et je vais pouvoir faire ce que j’ai à faire et que je ne sais pas vraiment faire, à savoir lire en public, devant une centaine de personnes, et même - les idées d’Adrien, des fois ! - vous gratifier de cinq dix minutes de complète improvisation sur une guitare électrique, instrument que je maîtrise presque aussi bien que des patins à glace. Bref je suis lancé. Et pour Adrien, c’est un peu pareil, pour lui c’est plus dur que pour moi, ses parties de texte sont plus longues à lire et c’est un peu son texte qu’on est en train de défendre ici. Et lancés, nous avons acquis une forme de légitimité, en tout cas, j’en ai le sentiment, après-coup.

    Et pour tout vous dire une chose qui me donne à moi, pour Adrien je ne sais pas, je pense que cela vient d’ailleurs, cette forme à la fois de légitimité et de courage, c’est que je me dis que je ne pourrais jamais dire quelque chose de plus stupide que tout ce que j’ai entendu de la part des femmes et des hommes politiques de ce pays en commençant par le premier d’entre eux, le précédent président de la République, je sais je l’ai déjà dit, les deux pieds mal assurés sur les décombres du Bataclan, déclarer, faussement martial, que la France est en guerre. Et il s’est dit des choses plus stupides encore, notamment le 14 juillet suivant après les attentats de Nice, quand cet abruti de Guaino - l’homme qui vomit ses électeurs aux dernières législatives perdues par lui - qu’il faudrait installer des lance-roquettes sur des endroits comme la promenade des Anglais à Nice. C’est qu’elle va être belle la promenade des Anglais, ses palmiers et ses lance-roquettes, parfaitement intégrées dans le paysage, Philippe Stark nous fera bien quelque chose.

    Je ne vais pas m’attarder sur le fait que l’état d’urgence décrété en 2015 n’a finalement été levé qu’une fois que ses dispositions avaient été intégrées au sein même du code civil, en revanche je ne doute pas qu’à la prochaine occasion, quand l’état d’urgence sera de nouveau décrété, cela permettra de corser encore un peu plus l’affaire, je crois même que militaires et bleusaille pourront désormais décider d’élire domicile chez qui leur semble bon, peut-être au-rons-ils la politesse d’apporter leurs propres brosses à dents, mais cela ne sera pas tant par politesse mais par souci, sans doute, de ne pas mélanger torchons et serviettes dans leurs petits fichiers de collectes d’ADN. Bref l’état d’urgence c’est maintenant. Surtout, comme l’ont amplement montré les journées du procès de Tarnac, la lutte contre le terrorisme, si fictive soit-elle, c’est en fait le Nord des gouvernements de droite qui se succèdent sur le trône. Ce serait très injuste et incorrect de ma part sans doute de sous-entendre que pendant que d’amples ressources matérielles et humaines étaient dédiées à la surveillance d’un magasin d’épicerie dans un petit village de la Creuse, d’aucuns se radicalisaient, et pas que sur internet.

    D’ailleurs il est désormais loisible de prendre la mesure de cette menace, tout du moins ce que l’on veut bien nous en dire. Vous n’imaginez pas à côté de quoi nous sommes passés. Le journal Le Monde - au sommet sa volonté de nous informer sans doute, ou est-ce de nous pousser dans le gosier des données, graphiques compris, toutes droites pondues et made in ministère de l’Intérieur - nous donne donc le récit, à la fois exhaustif et pléthorique, de tous les attentats manqués ou réussis - leurs mots, pas les miens. Et cela me met dans une colère noire, vous n’avez pas idée.

    Voici désormais les impensés du pouvoir et de leur chambre à écho, la presse.

    À l’antiterrorisme, ils et elles sont trop forts, ils et elles n’arrêtent pas de nous éviter la mort au coin de la rue. Regardez tout ce qu’ils et elles ont déjoué.
    Mais il faut quand même continuer d’avoir peur.
    Grâce à l’état d’urgence, qui fait tellement l’économie de la liberté de chacunes et cha-cuns, on n’a pu déjouer tant et tant d’attentats (dont par ailleurs il est assez difficile de déter-miner le niveau de terreur, quelques empêchements de quitter le territoire national pour des mineurs sont parfois caractérisés, hypothétiquement, comme des évitements de grands mal-heurs, ce qu’ils sont peut-être, c’est possible, mais sont-ce vraiment des attentats déjoués)
    Mais il faut quand même continuer d’avoir peur.
    Lisez bien cette longue liste d’attentats déjoués et vous devriez normalement en trouver un près de chez vous. Elle n’est pas passée bien loin celle-là. Couplez cela avec un peu d’intelligence artificielle et la prochaine fois vous devriez avoir les horaires de passage manqué de la grande faucheuse. Quand on vous dit que l’antiterrorisme est une fiction - je vais finir par leur envoyer mon C.V. d’auteur et donc des compétences à revendre dans le domaine de la fiction, au moins je serais vraiment payer pour de telles compétences qui seraient enfin reconnue à leur insurpassable hauteur.
    Mais il faut quand même continuer d’avoir peur.
    Last but not least, ne perdez jamais de vue, braves gens, que le sujet de préoccupation principale qui doit être le vôtre c’est que le terrorisme est partout - devenez un peu comme Finkielkraut, désolez-vous que Nuit debout détourne l’attention publique de l’islam radical.
    Mais il faut quand même continuer d’avoir peur.

    Est-ce que la logique pure ne pourrait pas nous venir un peu en aide, chers et chères journalistes du Monde, le journal qui décode ? Est-ce qu’un attentat déjoué n’est pas, en soi, un non-événement par excellence ? Et est-ce qu’un non-événement n’est pas une non-information ? Et est-ce qu’une non-information n’est pas, par définition, de la désinforma-tion ? De la fiction ?

    D’ailleurs posez-vous un peu la question, là, tout de suite, de quel fait d’actualité le pouvoir, et ses médias inféodés, aimeraient détourner notre attention, là, tout de suite, maintenant ?

    Je vous aide un peu ou vous trouvez par vous-mêmes ?

    #pendant_qu’il_est_trop_tard

  • Réveil à six heures
    Trois petits rêves
    Avant une journée de rêve

    Un collègue connu pour sa jovialité se suicide
    Mon père était attaché aux motifs décoratifs des matelas cévenols
    Manifestations contre l’ambassade des EU

    Je pars en trombe
    Emmener Émile
    Chez le psychologue, matinal

    Je prends un café turc seul
    La serveuse fardée lourdement
    Pendue au téléphone de poche

    Dehors une grisaille
    De tous les diables
    Café seul

    Je dépose Émile
    J’emmène Zoé
    À nous deux Paris

    On pénètre
    Dans Beaubourg
    Désert !

    L’équipe technique
    Est très au point
    Installation en un temps record

    Premiers essais vidéo
    Premiers essais audio
    Premiers essais de solos

    Déjeuner chez Ibtissem
    Sans Ibtissem
    Les estomacs un peu tendus

    Adrien prend les commandes
    En sortant des toilettes
    Explique le filage, les enchaînements

    On répète l’entrée
    On mime la panne d’électricité
    C’est difficile à faire !

    On répète la fin
    Je n’entends pas ce que je joue
    Dans la salle toutes et tous se bouchent les oreilles

    Filage
    On déconne un peu
    On fait des blagues, on est nerveux

    On refait la fin
    Deux fois
    On refait le début une fois

    On a trois quarts d’heure
    Pour décompresser
    C’est tout le contraire qui se produit

    Je marche avec Zoé
    Dans le centre
    Elle me fait rire, mais tendu

    Je reçois l’appel de Dominique
    Dominique et Michele viennent !
    Je me liquéfie de trac

    Je croise José, Isa, Martin et B.
    Eux tout sourires
    Moi de plus en plus tendu

    Je retourne en loges
    Exercices de respiration
    On met nos habits de lumière. Noirs

    De toutes les petites venelles
    Qui aboutissent à la salle
    Arrivent les techniciens, ponctuels

    On s’équipe, microphones
    Je fais chauffer l’ampli
    Et je vais me cacher

    Le public entre
    Du paravent je pourrais voir sans être vu
    Mais peut-on espionner ses proches ?

    Du paravent
    J’entends cependant
    Des voix et des rires amis

    Puis
    Tout d’un coup
    Silence, noir salle

    Il faut y aller
    Me dis-je les mains moites
    Et les pieds poites

    La violence qu’on impose au public
    Nous nous la sommes imposée
    Tant de fois en répétitions

    Une main tremblante
    S’avance sur la première page
    Tout juste si je peux lire tant elle bouge

    Par bonheur, le début tant rabâché
    Je le connais par cœur
    Paradoxe, je fais semblant de lire

    C’est ma voix étonnamment déliée
    Qui me sort de cette gangue de trac
    Ca y est, le plus dur est fait, après le plaisir

    Après
    Le plaisir
    En pente douce

    On commence à être rodé
    Avec Adrien
    On sait rattraper l’autre

    Arrive la fin
    Je quitte la scène
    Et surprise reviens avec une guitare

    Je fais ce que j’ai à faire
    En tâchant d’oublier la présence
    De Dominique, Michele, Jean-Luc, Hanno, Yuka

    Jouer de la guitare électrique désaccordée
    Devant 150 personnes à Beaubourg
    C’est fait !

    Quand je lâche le petit cône
    Directement sur les microphones
    Serais en peine de dire ce que je lâche vraiment

    Echo, réverbération soutenue par Vincent l’ingé
    Le noir de Bertrand gagne la scène qui happe Adrien
    Les applaudissements nous libèrent

    Dans l’éclairage de service revenu
    Le visage de mes enfants au premier rang
    Et derrière eux tant et tant d’amis

    On range notre chambre vite fait
    Et on retrouve les visages amis
    Qui eux déjà boivent et sont tout sourire

    Yuka, Renaud
    Mr Inserra, Dominique, Michele
    Sarah, Monika, Jérôme, Camille

    Jean-Luc
    Julien
    Patrick

    Jerôme, Nathalène
    Mathieu, Tiffanie, Anne
    B.

    Cécile
    Sarah, Zoé
    Clément, Juliette, Julia

    Camille
    J.
    Eline

    Martin
    Isa
    Hanno

    Nous migrons
    Vers un petit café
    Où nous avons nos habitudes

    Chaleur des échanges
    Marrant de présenter Hanno, B.
    Isa et Martin à Adrien

    Bref échange avec Mathieu
    J’apprends que l’équipe de France
    A perdu contre l’Irlande sur un drop avec 40 rucks

    Bref échange avec Mathieu
    On s’approche de Raffut
    Bonheur de sentir sa lecture de Raffut

    On fait un crochet
    Pour déposer Hanno
    Du coup on galère pour rentrer

    #mon_oiseau_bleu