Stéphane Beaud : « La jeunesse populaire a été abandonnée à son sort »

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  • « La jeunesse populaire a été abandonnée à son sort » (Stéphane Beaud, Alternatives Economiques)
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    La profonde désindustrialisation et la très forte diminution des emplois non qualifiés condamnent quasiment à une sorte de mort sociale les jeunes non diplômés. Mais le lien essentiel se joue entre le marché du travail et l’école. […] L’école est devenue l’instance principale de légitimation et la clé d’entrée dans le monde social.
    […]
    Ce mouvement structurel de poursuite d’études lié à la transformation du marché du travail fait que les jeunes non diplômés ou peu diplômés sont des « jeunes sans avenir ». Ils le savent, et très tôt.
    […] le « grand partage », celui qui distingue, en fin de troisième, ceux qui vont poursuivre leurs études en seconde générale et ceux qui vont en lycée professionnel, voire en apprentissage. Et ce grand partage est à la fois social et symbolique. […] Il y a différentes solutions pour « s’en sortir ». Les jeunes femmes peuvent envisager de s’en sortir par une « carrière matrimoniale », en restant femme au foyer. Pour les jeunes garçons, c’est le statut d’intérimaire permanent, voire de chômeur. […] on oublie trop facilement qu’il y a toujours eu des classes populaires surnuméraires. Avant, pour ceux-là, il y avait l’armée ou les colonies. Ces débouchés qui faisaient qu’ils trouvaient malgré tout leur place dans la société.
    […]
    Le problème, c’est que l’on dise d’eux qu’ils sont irrécupérables […]. On les transforme en seules « classes dangereuses », sans aucune perspective de rebond. Le seul horizon qu’on semble leur donner, c’est la prison. C’est consternant et, il faut bien le dire, une régression historique.
    Aujourd’hui, dans toutes les institutions (scolaire, judiciaire, etc.), on constate un durcissement.
    […]
    Dans la jeunesse populaire, à part la minorité que Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron appelaient les « miraculés scolaires », la plupart des autres sont « à leur place » : ils subissent les lois implacables de la reproduction sociale et sont de plus en plus inemployés, voire considérés comme inemployables. On ne fait rien pour aller vers eux. De plus, les travailleurs sociaux vous le diront, on a « managérialisé » le travail social.
    […]
    La caractéristique de la situation actuelle, à mon sens, tient à ce que la lutte pour les places est plus que jamais cruciale, et donc que l’affrontement de classe est plus que jamais évident.
    […]
    Le système social en France est victime de ce culte de la précocité scolaire, de la priorité accordée à la formation initiale et de l’insuffisante attention accordée à la formation professionnelle. En France, il n’y a pas ou peu de vie après l’échec scolaire. Nous avons un système scolaire hyperhiérarchisé, avec nos classes prépas, nos écoles privées, notre filière S. Cette production de l’élite républicaine a un effet très coûteux en soi et des effets en cascade : que fait-on des autres ? C’est, à mes yeux, la grande question.

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