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  • « L’affichage de la réelle situation financière des collectivités territoriales pourrait constituer une véritable bombe »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/09/l-affichage-de-la-reelle-situation-financiere-des-collectivites-territoriale

    La chercheuse en management Marie Caussimont observe, dans une tribune au « Monde », que l’absence de certification des comptes des collectivités locales permet de dissimuler de nombreuses dérives comptables.

  • « Au lieu d’une inflation technique coûteuse pour l’environnement, pourquoi ne pas simplement réglementer le poids des voitures ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/08/au-lieu-d-une-inflation-technique-couteuse-pour-l-environnement-pourquoi-ne-

    Au cœur de l’été, les nouvelles normes européennes de sécurité des automobiles ont commencé à entrer en vigueur dans une grande indifférence, comme toutes ces mesures techniques qui semblent aller de soi. Après tout, l’amélioration de la sécurité routière est une cause assez consensuelle – nul ne souhaite tuer, ou être tué, dans un accident de la route –, et le renforcement des véhicules par l’innovation est un moyen qui échappe à toute forme de débat ou de discussion. Derrière des mesures en apparence indolores se dissimule pourtant tout un impensé politique : celui d’un certain rapport à la technologie, investie de toutes sortes de pouvoirs et envisagée comme unique pourvoyeuse de solutions à chaque problème – y compris à ceux dont elle est responsable.

    Ces nouvelles normes automobiles sont un cas d’espèce. Depuis le 7 juillet, tout véhicule (neuf) à quatre roues commercialisé dans l’Union européenne doit être équipé d’une myriade de #systèmes_électroniques et de #capteurs permettant l’aide au maintien de la trajectoire, le freinage d’urgence autonome, l’adaptation « intelligente » de la vitesse, l’alerte en cas de distraction ou de somnolence du conducteur, la détection d’obstacles à l’arrière du véhicule, etc.
    Voitures et camions devront aussi avoir passé l’épreuve de nouveaux crash-tests plus exigeants, ce qui va mécaniquement conduire à leur alourdissement, relève l’UFC-Que choisir. Il est impossible d’anticiper l’impact que ces mesures auront sur l’accidentologie, mais il est certain qu’elles contribueront non seulement à accroître la quantité d’énergie nécessaire à faire rouler nos voitures, mais aussi à aggraver leur empreinte environnementale, avec à leur bord plus d’électronique et plus d’écrans, donc plus d’eau et d’énergie nécessaires à leur fabrication, plus de métaux, de terres rares, de plastiques, etc. L’ampleur des bénéfices est incertaine, les inconvénients sont assurés.

    Réductionnisme technique

    On touche ici au paradoxe le plus cocasse de la fabrique des politiques publiques européennes, dont chacune semble dotée de son gouvernail propre. Tandis qu’à un étage du Berlaymont on pédale fort pour aller vers le nord, on manœuvre âprement à l’étage du dessous pour mettre le cap au sud (d’où l’importance cardinale des porte-parole de la Commission, dont la tâche est ensuite d’échafauder des déclarations capables de nous convaincre que le nord et le sud se trouvent en réalité, plus ou moins, dans la même direction).

    L’Union européenne s’est ainsi dotée d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030, mais contraint dans le même temps son industrie #automobile à alourdir l’empreinte environnementale et climatique de ses voitures. On rétorquera que le mouvement en cours, fortement poussé par l’UE, est à l’électrification du parc. C’est juste. Mais l’énergie issue des renouvelables ou des centrales nucléaires n’est pas inépuisable : d’importants efforts de sobriété seront nécessaires dans tous les secteurs si l’on veut se passer des fossiles. Dans tous les secteurs, donc, sauf l’automobile – notons au passage qu’ une petite Renault Zoe ou une Peugeot 208 électrique pèse 1,5 tonne, c’est-à-dire environ trois fois plus qu’une 2CV.

    Présenté ainsi, le problème semble revenir à un arbitrage entre la protection de l’environnement et la sécurité des personnes. Mais ce faux dilemme est en réalité le fruit d’un réductionnisme technique. Quand on a un marteau dans la tête, tout prend la forme d’un clou. En réalité, les immenses progrès accomplis en matière de sécurité routière au cours du demi-siècle écoulé (de 18 000 morts par an en France en 1973 à un peu plus de 3 000 aujourd’hui) ont pour leur plus grande part été rendus possibles par des mesures socio-économiques (port de la ceinture obligatoire, limitations de vitesse, lutte contre l’alcool au volant, etc.) plutôt que par des miracles de la technique. Gageons aussi que la gratuité des autoroutes réduirait de manière significative la mortalité routière.

    Les véhicules lourds tuent plus

    Bien sûr, les voitures les plus modernes et les plus lourdes sont aussi plus sûres que jamais. C’est juste, mais là encore tout dépend du point de vue. Les choses ne sont pas exactement les mêmes selon que vous êtes à l’intérieur, ou à l’extérieur, de ces monstres d’acier. Dans une minutieuse analyse des données de l’#accidentologie américaine, l’hebdomadaire The Economist – peu suspect de luddisme ou de menées écologistes – montre, dans son édition du 7 septembre, qu’à l’échelle de la population les véhicules les plus lourds en circulation coûtent environ dix fois plus de vies humaines qu’ils n’en sauvent.

    Osons une suggestion au régulateur : en lieu et place d’une inflation technique coûteuse pour l’environnement et marginalement utile pour la sécurité, pourquoi ne pas tout simplement réglementer le poids des automobiles ? Une telle mesure aurait pour elle de réconcilier les objectifs de sécurité routière de l’Europe avec ses ambitions environnementales. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Quitte à les réguler, pourquoi autoriser la mise sur le marché d’automobiles de plus de 2 tonnes capables d’atteindre 100 km/h en moins de quatre secondes et de filer à plus de 200 km/h, lorsque la vitesse la plus élevée autorisée n’excède pas 130 km/h ?

    En définitive, nous consommons des ressources et développons des trésors de technologie pour rendre plus sûres des automobiles que nous rendons de plus en plus dangereuses par la #surconsommation de ressources et le développement d’autres trésors de technologie. On ne sait trop comment peut finir cette escalade. Tourner en rond en détruisant au passage le climat et l’environnement : n’y a-t-il pas mieux à faire de la science et de la technique ?

    • La question c’est aussi de savoir si on peut faire des voitures électriques plus petites que la Zoé et qui peuvent se vendre. Il y a bien la Dacia spring qui doit faire 1 tonne mais l’autonomie est de moins de 300 km (soit 100 de moins que la Zoé).
      Autant dire qu’on n’est pas prêt de voir des mesures d’amaigrissement des bagnoles parce qu’aucun-e politicien-ne ne se fera élire avec une telle proposition (qu’on se rappelle juste la levée de boucliers quand il y avait eu le projet des autoroutes à 110, et aussi la limite à 80 sur les routes départementales...).

      Gageons aussi que la gratuité des autoroutes réduirait de manière significative la mortalité routière.

      Oui mais par contre avec des voitures thermiques ça augmente la consommation de pétrole. Sans compter que les autoroutes sont une aberration écologique.

    • Si toutes les électriques pouvaient ne faire « que » 1500kg, ce serait un meilleur début (faute d’être bon). Pour rappel, en électrique, dès que tu es à 130, tu consommes double, donc tu roules à 110, si vraiment tu veux faire de la distance. Ajoutons que 70 euros le « plein » en charge rapide, pour 200 km de parcourus à 110-130, tu te dis que tu ferais mieux d’avoir une thermique. D’autant que, expérience qui vaut ce qu’elle vaut, la voiture toute neuve (une 308 essence 130 ch), elle nous a permis, cet été, à deux reprises, d’avoir une autonomie de 800 km sur autoroute, vitesse moyenne entre 110 et 130, réservoir 52 litres, 90 euros pour le remplir, PV 1300kg. Presque pareil que la précédente, qui était une diesel 130 ch (on lui faisait faire 900 km). C’est pour dire que sur les moteurs essence aussi, ils font de vrais progrès en termes de consommation.

      Pour l’usage quotidien, quelques dizaines de km par jour, l’électrique fonctionne très bien, c’est un vrai confort de conduite. Cette lubie de tous avoir une voiture pour faire le voyage annuel jusqu’à l’autre bout de la France, est délétère.

      Notez que sur les électriques, le moteur n’accélère plus au delà d’une certaine vitesse : 150 sur les 208, par exemple.

  • « La survie du nouveau gouvernement sera désormais entre les mains du Rassemblement national »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/06/la-survie-du-nouveau-gouvernement-sera-desormais-entre-les-mains-du-rassembl

    Après avoir rejeté sans ménagement, dès le mois de juillet, la candidature de Lucie Castets, proposée par les partis composant le Nouveau Front populaire (#NFP), puis avoir tenté en vain, au cours des deux dernières semaines, de détacher le Parti socialiste (PS) de cette alliance, il ne restait plus à Emmanuel Macron qu’à se tourner sur sa droite pour trouver un locataire à Matignon, mais aussi vers l’#extrême_droite pour s’assurer que celui-ci puisse compter sur une potentielle majorité. Il est trop tôt pour savoir si le choix de Michel Barnier sera de nature à sceller une alliance durable entre la droite républicaine et le camp présidentiel. Il est clair, en revanche, que même en comptant sur les vingt-deux députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, voire sur les sept non-inscrits, la survie du nouveau gouvernement sera désormais entre les mains du Rassemblement national (#RN), puisque, en comptant très large, Michel Barnier ne peut a priori tabler que sur le soutien d’au maximum 242 députés, très loin de la majorité absolue de 289 élus sur les 577 qui composent l’Assemblée nationale.

    La nomination de Michel Barnier ne tourne donc pas seulement le dos à la force politique arrivée en tête des élections législatives, mais elle acte la fin du front républicain que, tant bien que mal, le président de la République a accepté lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet après en avoir déjà largement bénéficié en 2017 et 2022. Elle ouvre de facto la voie à un gouvernement soutenu par l’extrême droite, comme c’est par exemple le cas en Suède depuis 2022.

    En imputer la responsabilité au PS, comme se sont empressés de le faire les macronistes, n’est guère convaincant. Le refus d’Emmanuel Macron de se plier à la logique parlementaire, qui impliquait de nommer un premier ministre issu de la coalition arrivée en tête des élections, s’explique avant tout par son refus d’accepter toute remise en cause de sa politique économique et sociale. Elle a eu pour conséquence de déresponsabiliser les partis et les groupes parlementaires et à les pousser à camper sur leurs positions.

    La stratégie des concessions

    Se mettre sous la coupe du RN plutôt que sous celle du NFP peut bien sûr se comprendre d’un point de vue idéologique : les revendications économiques et sociales portées par le RN apparaissent très en retrait par rapport à celles du NFP ; si certaines mesures de son programme, telles que la baisse de la TVA sur les carburants ou l’indexation des pensions sur l’inflation, sont très onéreuses, Jordan Bardella n’a eu de cesse, durant la campagne des législatives, de rappeler que le RN saurait tenir compte des contraintes budgétaires. Surtout, le RN, qui compte dans ses rangs de nombreux chefs d’entreprise, artisans et commerçants, est bien peu critique à l’égard de la politique de l’offre ; il n’hésite d’ailleurs pas à soutenir de nouvelles déductions de cotisations sociales ou d’impôts pour les entreprises.

    De leur côté, Emmanuel Macron et Gabriel Attal n’ont eu de cesse d’adopter des orientations de plus en plus anti-« immigrationnistes » (selon les mots du chef de l’Etat, qu’il a lui-même empruntés à l’extrême droite, le 18 juin, pour qualifier le programme du NFP). Rappelons que la loi Darmanin de février, partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, a été présentée par Marine Le Pen comme une « victoire idéologique » en matière d’immigration et de sécurité. On y ajoutera l’adoption de mesures conservatrices conformes aux attentes du RN, comme l’expérimentation du port de l’uniforme ou l’interdiction de l’abaya à l’école. Faire des concessions sur l’immigration, les valeurs traditionnelles et les politiques répressives pour préserver sa politique économique et sociale, telle est au fond la stratégie politique du président depuis au moins 2022 pour contrecarrer la montée de l’extrême droite.

    La décision du président de la République n’en fragilise pas moins gravement les fondements de notre démocratie représentative. Rien ne garantit, à ce jour, que le président et « son » nouveau premier ministre ne soient pas tombés dans un piège tendu par Marine Le Pen et que les députés RN, jugeant les concessions en leur direction insuffisantes, ne choisiront pas, au bout du compte, de censurer le gouvernement. Si le soutien sans participation du RN devait se confirmer, il se monnayera cher. On peut douter que le RN se contente de l’adoption du mode de scrutin proportionnel.

    Présidence démonétisée

    Si Michel Barnier a pu surmonter le veto du RN, c’est d’ailleurs en raison de ses prises de position en matière d’#immigration. On se souvient qu’il avait pris tout le monde à contrepied lors de la primaire des Républicains de 2021, en affirmant que le droit français devrait primer sur les décisions des juges européens en matière d’immigration et en prônant des mesures fermes pour faciliter les expulsions des personnes en situation irrégulière du territoire national. Sera-t-il prêt à aller plus loin encore ? Sera-t-il suivi par l’ensemble des députés du camp macroniste ? Il est trop tôt pour en juger, mais la porte à une surenchère permanente de la part du RN est bel et bien ouverte.

    On mesure ce faisant l’ampleur du risque démocratique pris par Emmanuel Macron. Alors que deux tiers des électeurs, dans un scrutin législatif au taux de participation record, ont clairement rejeté le programme du RN, celui-ci serait donc en partie appliqué et, dans tous les cas, légitimé. Pire encore, la nomination de Michel Barnier revient à concéder au RN la maîtrise des horloges, le soin de provoquer, à son heure et à sa guise, une crise de régime en en imputant la responsabilité aux autres forces politiques et au chef de l’Etat. En se comportant comme un chef de parti cherchant désespérément à sauver un bilan désavoué par les électeurs, quitte à confier le gouvernement au représentant minoritaire d’un parti minoritaire, le président a démonétisé son rôle d’arbitre. Comment pourra-t-il dans un avenir proche, si le gouvernement Barnier était censuré, conserver une quelconque crédibilité ?

    Frédéric Sawicki est professeur de science politique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique (Cessp-CNRS). Il a notamment écrit, avec Igor Martinache, « La Fin des partis ? » (PUF, 2020).

  • « Accueillir les Palestiniens de Gaza qui ne peuvent pas recevoir de soins dont ils ont besoin est un impératif humanitaire pour la France »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/07/accueillir-les-palestiniens-de-gaza-qui-ne-peuvent-pas-recevoir-de-soins-don

    « Accueillir les Palestiniens de Gaza qui ne peuvent pas recevoir de soins dont ils ont besoin est un impératif humanitaire pour la France » Tribune
    Belkis Wille, Directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes de Human Rights Watch
    En juin, je me suis rendue à Doha, au Qatar, pour m’entretenir avec des patients palestiniens et des membres de leur famille évacués de Gaza. Les professionnels de santé qui les soignaient nous ont dit qu’il s’agissait des cas de traumatismes les plus complexes qu’ils aient jamais vus. D’autres pays dotés, comme la France, de systèmes de santé solides et sophistiqués et des capacités nécessaires, devraient accueillir les Palestiniens de Gaza qui ne peuvent pas recevoir les soins dont ils ont besoin à Gaza ou en Egypte. Il s’agit d’un impératif humanitaire.
    Depuis plus de dix mois que dure la campagne militaire israélienne à Gaza, plus de 40 000 Palestiniens ont été tués et plus de 93 000 ont été blessés, selon le ministère de la santé de Gaza. Le système de santé de Gaza est au bord de l’effondrement, avec seulement 16 des 36 hôpitaux fonctionnant encore partiellement, un grave manque de médicaments et de carburant et 500 travailleurs de santé tués.
    Malgré les allégations de l’armée israélienne selon lesquelles le Hamas aurait installé des bases dans les hôpitaux, aucune preuve avancée ne justifie de priver ces structures de soins et les ambulances de leur statut de protection en vertu du droit international humanitaire. A Doha, j’ai rencontré Malak Shahin, une Palestinienne de Gaza, qui m’a raconté comment une explosion a frappé l’immeuble voisin de celui où elle s’abritait avec sa famille, le 11 octobre 2023. Il a fallu quarante minutes aux secouristes pour retrouver sa fille Shahad, âgée de 17 ans, qui était inconsciente. Le fils de Malak Shahin, médecin, lui a fait un massage cardiaque « pendant au moins dix minutes, mais cela n’a servi à rien », selon les dires de Malak.
    « Les ambulanciers ont enveloppé son corps pour le préparer pour les obsèques et nous l’avons emmenée pour l’enterrer. J’ai ouvert la housse pour la voir une dernière fois et j’ai alors vu ses yeux s’ouvrir et je l’ai entendue faire un bruit. » Shahad a été réanimée et évacuée vers le Qatar, où elle est soignée pour de graves pertes de mémoire et d’importantes lésions cérébrales.
    Shahad est l’une des 470 personnes blessées à Gaza qui sont à Doha pour recevoir des soins spécialisés de haut niveau. J’ai également rencontré Jehad Arafat, un artiste de 29 ans, qui s’était réfugié dans une école près de l’hôpital Nasser à Gaza en février. Il était sorti chercher de l’eau quand un sniper lui a tiré dessus depuis une hauteur. « Je me suis soudain rendu compte que ma jambe droite était passée par-dessus mon épaule gauche. » Il raconte que le tireur a continué à viser les personnes qui tentaient de le secourir. Finalement, un ami lui a lancé une corde et l’a traîné jusqu’à ce qu’il soit en sécurité puis l’a transporté jusqu’à l’hôpital Nasser.
    Jehad a été opéré trois fois. Mais le 15 février, une munition a percé le toit de l’hôpital, blessant à nouveau ses deux jambes et lui arrachant deux doigts. Il a été évacué vers Doha le 22 mars et a subi de multiples interventions chirurgicales à la jambe.
    Depuis octobre 2023, les autorités israéliennes n’ont autorisé qu’une petite partie des personnes ayant besoin d’un traitement médical à quitter Gaza. Fin juillet, moins de 5 000 mille personnes avaient été évacuées vers l’Egypte, dont très peu d’hommes de moins de 60 ans. Les forces israéliennes ont fermé le point de passage de Rafah le 7 mai, empêchant presque tous les autres Palestiniens ayant besoin de soins vitaux de quitter Gaza.
    Cependant, même si les arrivées de blessés ont de fait été stoppées, le système de santé égyptien est mis à rude épreuve par le nombre de cas pris en charge. En avril, nous avons visité des hôpitaux dans le nord du Sinaï et constaté que des milliers de patients de Gaza ne pouvaient obtenir les soins dont ils avaient besoin en Egypte.
    Si certains gouvernements ont tenté de renforcer l’assistance médicale à l’intérieur de Gaza, seuls quelques pays, dont le Qatar, les Emirats arabes unis, l’Espagne, la Turquie, la Jordanie, l’Italie, la Belgique et la Norvège accueillent des patients de Gaza.
    Les commissaires européens à la santé et à la gestion des crises ont appelé les Etats membres de l’Union européenne (UE) à évacuer de Gaza davantage de personnes ayant besoin de soins. En comparaison, en janvier 2024, plus de 3 000 patients ukrainiens avaient été transférés dans des hôpitaux européens.
    Les évacuations médicales ne portent que sur les conséquences des hostilités en cours. Pour agir sur les causes, il est indispensable que les gouvernements fassent pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à toutes ses attaques illégales contre les civils et les structures de santé, et pour qu’il cesse de bloquer délibérément l’acheminement de l’aide. Ils devraient aussi pousser Israël à évacuer les Palestiniens de Gaza qui ne peuvent pas obtenir les soins dont ils ont besoin vers l’Egypte – en garantissant qu’ils pourront rentrer chez eux s’ils le souhaitent. La France a déployé un navire militaire au large des côtes égyptiennes pour y soigner des blessés pendant deux mois et a accueilli sur son sol quatorze enfants de Gaza pour les soigner, mais il faut faire plus. Le gouvernement français devrait travailler d’urgence avec les autorités palestiniennes et avec son ambassade en Egypte pour identifier d’autres Palestiniens de Gaza gravement blessés ayant besoin de soins et faire le nécessaire pour qu’ils puissent être soignés en France. Belkis Wille (Directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes de Human Rights Watch)

    #Covid-19#miigrant#migration#palestine#gaza#israel#morbidité#sante#humanitaire#france#qatar#EAU#espagne#turquie#jordanie#Italie#belgique#norvege

  • Migrants : « Le gouvernement doit faire la lumière sur les pratiques à l’œuvre à la frontière franco-britannique »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/06/migrants-le-gouvernement-doit-faire-la-lumiere-sur-les-pratiques-a-l-uvre-a-

    Migrants : « Le gouvernement doit faire la lumière sur les pratiques à l’œuvre à la frontière franco-britannique »
    Collectif
    Après le naufrage le 3 septembre dans la Manche d’un bateau emmenant des migrants vers le Royaume-Uni, entraînant la mort de douze personnes, un collectif rassemblant des députés de gauche, des artistes, dont la romancière Annie Ernaux, le chanteur JoeyStarr ou l’actrice Corinne Masiero, ainsi que des intellectuels demande la création d’une politique d’accueil inconditionnel.
    Il faut venir à Calais pour s’en rendre compte. Murs, barbelés, grillages, blocs de béton ont remplacé les terrains forestiers dans cette ville où la pauvreté sévit durement et où les habitants vivent dans une prison à ciel ouvert. Bienvenue en absurdie, où l’arsenal répressif est poussé à l’extrême pour décourager les personnes en situation de migration à s’installer. A Calais, les pires dispositifs sont à l’œuvre pour lutter obstinément contre les « points de fixation » : destruction et vol de biens, détournement des procédures judiciaires, entrave à l’accès à l’eau et à l’aide alimentaire, construction de clôtures, installation de rochers, harcèlement et intimidations.
    Depuis la signature des accords du Touquet en 2003, visant à partager la gestion du contrôle des flux migratoires entre la France et le Royaume-Uni, la frontière britannique s’est déplacée à Calais où la police française est devenue le bras armé de la politique migratoire britannique. Cette technique visant à rendre les territoires situés sur le littoral de la Manche aussi inhospitaliers que possible n’a eu pour effet que de militariser encore plus la frontière. Non seulement cette militarisation n’a pas empêché la hausse des traversées, mais elle les rend plus dangereuses. Pressurisées à Calais, de plus en plus de personnes en situation d’exil tentent à la hâte la traversée en partant du bas du littoral, ce qui augmente la durée de la traversée et les risques de naufrage.
    Les conséquences sont dramatiques. Le 3 septembre, douze personnes sont mortes dans la Manche et deux autres sont portées disparues au large de Wimereux, près de Boulogne-sur-Mer. Ainsi, 2024 devient l’année la plus meurtrière à la frontière, selon Utopia 56. Depuis le début de l’année, trente-cinq personnes sont mortes en mer (noyades, chocs thermiques, piétinements…).
    Cette situation humanitaire désastreuse nourrit à la fois les réseaux mafieux qui tirent parti de cette misère humaine, mais également les partis d’extrême droite qui voient dans cette désertion de la puissance publique, une occasion d’engranger des voix. Les voix de celles et ceux qui se sentent abandonnés face à la gestion de cette misère humaine, sommés de gérer à leur petite échelle les conséquences des dérèglements du monde.
    Cette réalité quotidienne ne fait malheureusement plus la une des journaux, malgré les alertes répétées des associations installées à Calais comme Utopia 56, qui font face à l’horreur sur le terrain et à la surdité au sommet de l’Etat. Tout comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui ont condamné à plusieurs reprises la France, ces associations dénoncent des atteintes intolérables aux droits fondamentaux dont sont victimes les personnes exilées aux frontières françaises.
    Le 23 mars, le collectif de journalistes d’investigation Lighthouse Reports, dans une enquête publiée dans les grands quotidiens Le Monde, The Guardian et Die Welt, a révélé les techniques inhumaines opérées par les forces de police et de gendarmerie françaises en mer en dehors de tout cadre juridique pour empêcher les traversées, quitte à mettre en danger la vie d’autrui : perçage de la coque des bateaux, lancement de filet pour paralyser l’hélice, manœuvre pour faire chavirer les embarcations…
    L’enfer vécu par les exilés n’a eu d’égal que l’absence de réactions publiques. Nous sommes-nous habitués à l’innommable ? Quand les représentants de la loi deviennent illégalité, peut-on encore parler d’Etat de droit en France ?
    Face aux violences répétées par les forces de l’ordre à l’encontre des personnes exilées, face aux violences engendrées pour toutes les personnes vivant sur le littoral, nous devons, aujourd’hui, regarder la réalité en face. Les accords du Touquet, qui auraient dû être révisés, ne permettent pas le respect de l’Etat de droit à la frontière franco-britannique.Ce sont essentiellement les associations sur place, impressionnantes de solidarité, qui luttent contre ces conditions d’existence indignes en donnant aux personnes exilées des moyens de subsistance auxquels toute personne a droit : de l’eau, de la nourriture, un toit, même s’il s’agit de tentes systématiquement lacérées lors des opérations d’évacuation.
    A cette crise de l’humanité s’ajoute un déni de réalité. Ce n’est pas en construisant des murs plus hauts, en armant mieux la police, en pratiquant la politique dite « du zéro point de fixation » que les personnes en situation d’exil cesseront de fuir leur pays pour des raisons politiques, économiques, climatiques. Le repli sur soi ne fermera pas nos frontières. Mais le non-accueil, lui, aggrave la situation. En mettant tout le monde en situation de vulnérabilité : personnes exilées, associations et habitants.
    Nous, citoyens, élus de la nation, appelons le gouvernement à organiser une politique de l’accueil inconditionnel, à garantir le respect de la dignité de la personne humaine, et à faire la lumière sur les pratiques à l’œuvre à la frontière franco-britannique. Réaffirmons les valeurs de solidarité et de fraternité qui sont les marques de notre histoire.Sont signataires de cette tribune : Ariane Ascaride, actrice ; Arthur Delaporte, député (Parti socialiste) du Calvados ; Annie Ernaux, écrivaine, Prix Nobel de littérature 2022 ; Jean-François Coulomme, député (La France insoumise) de Savoie ; Elsa Faucillon, députée (Parti communiste français) des Hauts-de-Seine ; Charles Fournier, député (Les Ecologistes) d’Indre-et-Loire ; Robert Guédiguian, réalisateur de cinéma et producteur ; Corinne Masiero, actrice ; Danielle Simonnet, députée (groupe Ecologiste et social) de Paris ; JoeyStarr, chanteur et acteur.

    #Covid-19#migrant#migration#france#politiquemigratoire#frontiere#calais#accueil#sante

  • « La défense des violeurs de Mazan est un échantillon chimiquement pur de la violence patriarcale », Hélène Devynck
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/06/helene-devynck-la-defense-des-violeurs-de-mazan-est-un-echantillon-chimiquem

    Chère #Gisèle_Pélicot, vous êtes entrée dans nos vies comme au tribunal d’Avignon, par la grande porte. Vous ne voulez pas vous dérober. Vous marchez droit, tête haute. Votre mise est soignée, silhouette menue, robe d’été, coiffure impeccable. Votre regard est caché par des lunettes noires que vous allez bientôt retirer. Un peu perdue, un peu flottante au centre d’une attention trop grande pour vous. Autour, c’est un cirque. La meute de journalistes est tenue à distance par vos avocats.

    Vous l’avez défendu, cet homme avec qui vous avez fait votre vie et vos enfants avant d’apprendre qu’il vous droguait et invitait tous ceux qui le voulaient à vous violer. Un bon père, un type bien, un super mec même, disiez-vous. Votre fille Caroline a cessé de l’appeler « papa » comme elle l’a écrit sur la couverture de son livre. Elle raconte l’explosion, les ravages du mensonge sur la famille, l’angoisse qui terrasse, la colère qui brûle, le passé en cendres et la douleur qui tabasse. Elle est là avec ses frères et ses questions sans réponse. Leur amour vous escorte.

    Le jour de l’ouverture du procès de vos violeurs a aussi été celui de l’officialisation de votre divorce. Une autre meute vous attend dans la salle d’audience : celle des 50 hommes qui sont jugés pour viol en réunion. Il y en aurait des dizaines d’autres qu’on n’a pas pu identifier. Vous faites face. Rien ne vous préparait à être dans cette salle d’audience. Un des accusés est arrivé en retard parce que, dit-il, il devait accompagner son fils à l’école pour la rentrée. Je me suis demandé qui avait accompagné vos petits-enfants, qui faisaient, eux aussi, leur rentrée scolaire. Je sais que vous avez pensé à eux à ce moment précis.

    Réalité difficile à accepter

    Vous les voyez tous pour la première fois sauf ce voisin que vous croisiez parfois dans la vie d’avant, celle qui ne reviendra jamais, celle de la maison du Vaucluse et de l’ignorance préservée. Vous les regardez. Ils regardent leurs pieds. Ils n’avaient jamais vu vos yeux, Jean, Didier, Jean-Luc, Romain, Redouan, Cédric, Grégory, Karim, Jean-Marc, Philippe, Quentin, Nicolas, Vincent, Patrick, Paul et les autres… On ploie sous la longueur de la liste et la banalité des profils. Les trois quarts d’entre eux ne reconnaissent pas les viols, comme tous ceux qui font les gros titres de l’actualité, les PPDA, Nicolas Hulot, Salim Berrada, Gérard Miller, Olivier Duhamel, Benoît Jacquot, Jacques Doillon, Gérard Depardieu…

    Leurs arguments sont toujours les mêmes. Ils font tourner l’infect disque rayé du mensonge complaisant. Ils n’ont pas compris ce qu’ils faisaient. Ils sont sûrs d’être, eux aussi, des types bien, pas des monstres, même quand on leur montre les vidéos des crimes. Ils sont pompier, journaliste, étudiant, chauffeur routier, gardien de prison, infirmier, retraité, conseiller municipal, nos amis, nos amants, nos pères, nos frères. Une réalité difficile à accepter.

    Un seul s’est adressé à vous pour vous présenter des excuses. Leur défense est un échantillon chimiquement pur de la #violence_patriarcale et des masques derrière lesquels elle s’abrite pour prospérer. « Le patriarcat est dans la maison ce que le fascisme est dans le monde », écrivait Virginia Woolf dans Trois guinées (1938).

    Certains évoquent le poncif éculé de la pulsion, d’autres la frustration sexuelle due à l’absence prolongée d’une compagne officielle. Il y a celui qui trouve « bizarre » d’avoir fait ça. On trouve aussi des traces de « libertinage incompris ». Il y a celui qui ose l’ahurissant « viol involontaire ».

    « Consentement par délégation »

    Puisque vous étiez comateuse, il est difficile de prétendre que vous étiez partante. Difficile, mais quelques-uns tentent quand même le « j’ai pu croire qu’elle faisait semblant de dormir ». Les plus audacieux essayent le « consentement par délégation » ; le mari était d’accord, « il fait ce qu’il veut avec sa femme ». Une femme est soumise à son compagnon. L’ordre immémorial de la hiérarchie masculine est respecté.

    Ce qui est certain, c’est qu’ils ont tous bandé à l’idée de pénétrer un corps inerte. Le viol et l’ordinaire de la sexualité semblent avoir beaucoup de points communs dans leur esprit. Ils ont bien le droit. Ils ont le pouvoir de le faire. Ils n’allaient pas passer à côté d’un viol gratuit près de chez eux. Ils ont été biberonnés à la haine des femmes, au mépris qui s’excite de l’impuissance de l’autre. Le #sexisme féroce transpire de leur discours. La pornographie violente dont certains collectionnaient les images les plus répugnantes y est sans doute pour quelque chose. La domination absolue les a fait jouir. Ils ne voient pas le problème. Même au tribunal. Même devant vous.

    Ils font ce que font la plupart des hommes accusés : ils se victimisent et rajoutent une couche de mépris sur celle qu’ils ont déjà humiliée. Ils sont tombés dans un traquenard. On les a piégés. Vous êtes restée là, à les écouter sans ciller, droite sur le ring. Vous décrivez désormais votre vie comme un combat de boxe. Le combat est déloyal. L’adversaire a les armes du terrorisme patriarcal. Que vous soyez à terre ou debout, cassée ou le poing levé, votre droiture fait craqueler la carapace d’impunité qui les a longtemps protégés.

    Ce n’est pas seulement vous, Gisèle, qu’ils ont traitée comme une chose. Ils nous disent, à toutes, notre insignifiance. Votre force nous rend la nôtre. Merci pour ce cadeau immense.

    #viol #couple #famille

  • « Oui, en Israël en 2024, on a parfois l’impression qu’il y a eu un enlèvement de l’avenir »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/06/oui-en-israel-en-2024-on-a-parfois-l-impression-qu-il-y-a-eu-un-enlevement-d

    i l’accord sur un cessez-le-feu à Gaza et sur la libération des otages évolue de façon positive, les chances d’une accalmie au nord du côté du Hezbollah se feront plus probables et il sera possible de concrétiser, sous la conduite des Etats-Unis, une alliance régionale entre pays modérés contre l’« axe du Mal » représenté par l’Iran et ses « proxys ». Cette alliance, l’Etat d’Israël en a besoin comme de l’oxygène. Elle pourrait constituer la réponse la plus efficace à cet « axe du Mal » qui entend prendre le contrôle du Moyen-Orient d’abord, de l’Europe ensuite, afin de les soumettre à sa version intégriste de l’islam.

    Comme si on pouvait considérer Israël comme un pays modéré, avec un gouvernement dominé par l’extrême-droite depuis près de 25 ans

    • Outre Israël, il me semble que cette personne désigne notamment comme « pays modérés » l’Égypte du très démocrate al-Sissi, et l’Arabie saoudite de MBS, qui découpe les journalistes un peu trop critiques à la scie de boucher dans ses ambassades. Dans le genre « axe du Bien », c’est assez charmant.

    • Sinon, dans le Monde, du moment qu’on est Israélien·ne, on a le droit d’écrire des choses factuellement fausses au motif que c’est une « tribune » :

      Et sa cruauté sadique n’a pas seulement sévi sur les citoyens israéliens, mais aussi sur les Palestiniens de Gaza, sur son propre peuple. Délibérément et en toute connaissance de cause, il a utilisé les civils comme boucliers humains pendant que ses hommes lançaient des missiles sur Israël depuis les hôpitaux, les écoles et les centres d’hébergement, cela, au lieu de proposer à sa population de se mettre à l’abri dans les tunnels afin de sauver des vies. Aujourd’hui encore, quand les habitants de la bande de Gaza réclament un cessez-le-feu urgent et une reconstruction, le Hamas empêche la conclusion d’un accord sur les otages, démontrant par là qu’il se contrefiche du bien-être des siens.

    • Zeruya Shalev est née au kibboutz Kinneret où est également née la poétesse Rahel. Elle grandit à Bet Berl, près de Kfar Saba, avant de venir étudier la Bible à l’université hébraïque de Jérusalem. Elle a baigné dans une atmosphère où l’écrit et la littérature étaient valorisés au plus haut point[réf. souhaitée], sa famille compte plusieurs écrivains : son oncle est le poète Itshak Shalev et son cousin l’écrivain Meir Shalev. Son père, Mordehai Shalev, est un critique littéraire renommé ; elle est mariée avec l’écrivain Eyal Megged, fils de l’écrivain Aharon Megged1. Le 29 janvier 2004, alors qu’elle est sur la rédaction du roman Thèra, elle est victime d’un attentat suicide : dix personnes meurent dans l’explosion d’un bus à Jérusalem, Zeruya Shalev en réchappe mais est grièvement blessée et doit rester immobilisée plusieurs mois2,3.

      Dans une interview, elle dit en parlant de son écriture : « J’ai l’impression d’écrire comme un poète, en refusant de trop planifier, en portant une grande attention au rythme, aux métaphores, à la musique de la phrase… »4

      En janvier 2018, elle est signataire avec 34 autres personnalités littéraires dont Etgar Keret, David Grossman, Orly Castel Bloom et Amos Oz d’une lettre adressée au premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lui demandant le non renvoi des personnes réfugiées originaires de l’Érythrée et du Soudan5.

      Zeruya Shalev est mariée à l’écrivain Eyal Megged et est mère de trois enfants6.

  • Giorgia Meloni, Marine Le Pen : sur l’immigration, deux discours, deux stratégies
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/03/giorgia-meloni-marine-le-pen-sur-l-immigration-deux-discours-deux-strategies

    Giorgia Meloni, Marine Le Pen : sur l’immigration, deux discours, deux stratégies
    Lorsque Marine Le Pen et Giorgia Meloni emploient le mot « immigration », elles ne parlent pas de la même chose. On aurait tort de prendre les deux dirigeantes d’extrême droite pour les interprètes d’un même discours. Pour la présidente du conseil italien, l’immigration est un phénomène de géographie humaine externe qui doit être contrôlé, sa régulation offrant des opportunités en matière de politique étrangère.
    En revanche, quand le terme est employé par les chefs de file du Rassemblement national [RN], il évoque tout autre chose. On ne parle plus d’un phénomène quantifiable. On convoque plutôt, au moyen de non-dits, un imaginaire anxieux faisant référence moins à des flux réels qu’à des tensions et à des malaises identitaires intérieurs, produits de la longue histoire coloniale et migratoire qui a façonné la société française contemporaine.
    Il est donc question d’autre chose. Dans ce discours confus mais efficace, la notion d’immigration sert de liant à un ensemble d’angoisses nationales, identifiant le terrorisme islamiste, les révoltes des banlieues, les fraudes sociales, la criminalité et, depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme, à la figure d’un migrant imaginaire. Le discours du RN vise en réalité les citoyens appartenant aux minorités, en particulier ceux de confession musulmane.En Italie, dans le discours de Giorgia Meloni, ce sous-texte est inexistant. Le thème de l’immigration ne sert pas à camoufler un discours sur une réalité intérieure qu’elle laisse à ses alliés de la Ligue et aux franges les plus droitières du spectre politique. Il désigne un phénomène extérieur.
    Dans les discours de la présidente du conseil, le migrant est une victime « désespérée » dont le « droit à ne pas émigrer » a été bafoué du fait de carences de développement économique imputables aux politiques jugées prédatrices de puissances extérieures. C’est alors la France qui est visée. Il est surtout victime de « trafiquants d’êtres humains » à combattre en puisant dans le savoir-faire italien de la lutte antimafia. Dès lors, la politique migratoire de Rome est devenue un vecteur d’action diplomatique. Depuis le début de son mandat, Giorgia Meloni a posé les jalons d’un discours prônant une coopération renouvelée avec les Etats africains. Ayant organisé un sommet Italie-Afrique à Rome en janvier, elle met en avant un récit selon lequel l’Italie serait porteuse d’une approche « d’égal à égal », socle d’une coopération en matière migratoire avec les Etats de départ et de transit.
    Cette politique s’est traduite par des accords avec l’Egypte, la Libye et la Tunisie conditionnant des aides financières à un contrôle plus efficace des flux, au prix de violations des droits humains au sud de la Méditerranée. De fait, le nombre d’arrivées irrégulières par la mer a considérablement baissé avec 41 181 personnes enregistrées fin août pour l’année 2024 contre 113 877 personnes à la même période en 2023.
    La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été partie prenante de cet effort italien et Mme Meloni a pour l’instant abandonné le discours selon lequel l’Union européenne [UE] était complice d’une immigration illégale bouleversant les équilibres communautaires. La présidente du conseil a préféré présenter à ses électeurs l’Italie comme une force motrice en matière migratoire, se félicitant que Bruxelles se soit réapproprié son raisonnement. Mme Meloni a d’ailleurs soutenu le Pacte européen sur la migration et l’asile adopté en mai, farouchement combattu par le Rassemblement national.
    La poursuite de cette dynamique dépendra de l’évolution des relations entre Rome et Bruxelles. Soucieuse de ne pas abandonner trop d’espace à droite à son allié Matteo Salvini de la Ligue, Giorgia Meloni s’est en effet abstenue au Conseil européen lors de l’élection pour un deuxième mandat d’Ursula von der Leyen. Le parti de la cheffe de l’exécutif italien, Fratelli d’Italia, a annoncé avoir voté au Parlement contre sa reconduction à la tête de la Commission.
    Au-delà de l’UE, la diplomatie migratoire de Giorgia Meloni s’est également traduite par un accord inédit avec l’Albanie censé aboutir à l’ouverture de centres de rétention pour demandeurs d’asile. Ces structures de droit italien qui seront installées en territoire albanais ont été présentées comme propres à dissuader les candidats à l’exil. La présidente du conseil veut voir dans ce projet bilatéral une preuve de l’influence retrouvée de l’Italie sur la scène internationale.
    Elle a trouvé en son homologue à Tirana, Edi Rama, un italophone avec lequel elle entretient des relations d’une cordialité démonstrative. Ce dernier est en effet toujours prêt à flatter l’orgueil italien en rappelant avec reconnaissance l’accueil dont ont bénéficié les migrants albanais venus s’installer en Italie dans les années 1990. Le gouvernement de Mme Meloni a aussi fait preuve de pragmatisme en confirmant l’ouverture de l’Italie à la migration régulière dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de déclin démographique prononcé. En 2023, un décret organisant l’entrée dans le pays de 452 000 travailleurs étrangers d’ici à la fin de 2025 a ainsi été adopté.Cet été, la question de l’accès à la nationalité a été rouverte. Le vice-président du conseil, Antonio Tajani, chef de file de Forza Italia (centre droit), partenaire de Mme Meloni au sein de la coalition au pouvoir, s’est en effet prononcé en faveur d’un assouplissement des règles de naturalisation pour les enfants d’immigrés scolarisés en Italie. Sa proposition, rejetée par de la Ligue et par Fratelli d’Italia, faisait suite aux succès d’athlètes italiens qui, aux Jeux olympiques de Paris, ont donné à voir une nouvelle fois à l’Italie, pays d’émigration devenu terre d’immigration, sa diversité déjà bien installée.

    #Covid-19#migration#migrant#italie#albanie#egypte#afrique#tunisie#libye#UE#politiquemigratoire#economie#demographie#sante#migrationreguliere

  • « Chacune des cinq “majors” du pétrole est contrôlée par pas plus de 25 actionnaires institutionnels »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/28/chacune-des-cinq-majors-du-petrole-est-controlee-par-pas-plus-de-25-actionna

    Les cinq plus grandes compagnies pétrolières privées du monde cotées en Bourse, surnommées Big Oil ou « supermajors » (Chevron, Exxon, Total, BP et Shell), attirent des milliers d’actionnaires individuels (les « petits porteurs ») et des milliers d’actionnaires institutionnels (fonds communs de placement, fonds de pension, assureurs…).

    Mais, de façon surprenante, chacune de ces cinq compagnies géantes est en réalité contrôlée par pas plus de 25 actionnaires institutionnels, qui détiennent la quasi-majorité ou une part dominante de leurs actions. Ces 25 actionnaires ne sont pas exactement les mêmes d’une entreprise à l’autre, mais on retrouve la plupart d’entre eux dans la liste des actionnaires dominants de chaque entreprise.

    Pour Chevron, le site Simply Wall Street, utilisé comme référence par Investopedia et Yahoo Finance, affichait ainsi, le 14 août 2024, que « les 25 principaux actionnaires détiennent 49,93 % de l’entreprise ». Cette affirmation correspond à celle trouvée trois jours auparavant sur le site du Nasdaq (l’une des deux principales Bourses américaines) : les 25 principaux actionnaires institutionnels de Chevron détenaient 51 % des actions, un peu plus que le chiffre fourni par Simply Wall Street.

    Les actionnaires institutionnels, 51,4 % de Total Energies

    Au total, 3 649 actionnaires institutionnels détiennent 73,23 % de Chevron, mais la moitié du capital est donc détenue par seulement 25 d’entre eux. Et la part des petits porteurs s’élevait, selon Simply Wall Street, à 25,7 %. Pour Exxon, les chiffres ne sont pas très différents. Selon Simply Wall Street, toujours le 14 août, 39,26 % des actions étaient détenues par ses 25 principaux actionnaires.
    Un calcul effectué le 12 août à partir des données du Nasdaq révèle un pourcentage un peu plus élevé pour les 25 principaux actionnaires : 44,86 %, tandis que 4 121 investisseurs institutionnels détenaient 66,19 % des actions. Les données de Simply Wall Street pour Total, BP et Shell, cotées aux Etats-Unis, ne sont pas, à la même date, notoirement différentes de celles des deux grandes compagnies pétrolières américaines.

    Pour Total Energies, les 25 principaux actionnaires détiennent 42,19 % de l’entreprise, soit un peu plus que tous les petits porteurs réunis, qui en détiennent 41,9 %. La participation du grand public est donc plus importante que pour les deux compagnies américaines, mais elle reste inférieure à celle des principaux actionnaires. En tout, les actionnaires institutionnels (y compris les 25) possèdent 51,4 % de Total, un pourcentage inférieur à celui des grandes compagnies pétrolières américaines. Les salariés actionnaires en détiennent 6,64 %.
    Les gestionnaires de fonds sont connus pour agir en meute
    Pour BP, 25 actionnaires détiennent 45,02 % de l’entreprise. Ce sont essentiellement des investisseurs institutionnels qui font partie des 75 % possédant l’entreprise alors que les petits porteurs n’en possèdent que 22,4 %.

    Pour Shell, les 25 principaux actionnaires (en grande majorité des investisseurs institutionnels) détiennent 37,78 % de l’entreprise, mais c’est toujours plus que les 33,6 % détenus par le grand public. Les investisseurs institutionnels (y compris les 25) détiennent en tout 64,1 % de la compagnie.

    Ainsi, les actionnaires détenant entre 38 % et 50 % de chacune des grandes compagnies pourraient se retrouver tous autour d’une table de banquet dans un restaurant chic de Manhattan – et peut-être le font-ils parfois. Ces propriétaires n’ont pas besoin de contrôler la majorité des actions ; une part substantielle est presque toujours suffisante.

    Pourquoi ? Parce que les gestionnaires de fonds sont bien connus pour agir en meute, et sont d’ailleurs très bien payés pour cela. Tant que chacun d’eux n’est pas plus mauvais que le gestionnaire moyen, ils peuvent généralement conserver leur emploi. Ainsi, l’incitation à éviter les risques et à faire ce que font les autres est plus que séduisante.

    Des gestionnaires de fonds en costume-cravate sombre

    Si la table de banquet des institutionnels décide de vendre, que fera l’actionnaire individuel (le prétendu « petit porteur ») ? Il peut simplement rester assis là à perdre de l’argent, ou faire ce que font les gros bonnets. Et ce ne sera guère différent pour les milliers d’autres investisseurs institutionnels qui ne sont pas à la table…

    Le restaurant mythique de Manhattan pourrait accueillir les véritables propriétaires de Shell pour le petit-déjeuner, les maîtres de BP pour le déjeuner, les détenteurs de Chevron pour un verre l’après-midi, ceux qui contrôlent Total pour le dîner et servir du whisky tard dans la nuit aux gars d’Exxon.

    Y a-t-il des Texans fanfarons en bottes de cow-boy et chapeau Stetson, ou des cheikhs arabes en robe blanche flottante et lunettes de soleil à cette table mythique ? Peut-être quelques-uns. Mais presque tous les autres ressembleraient plutôt à ces gestionnaires de fonds en costume-cravate sombre de BlackRock à Manhattan, de J.P. Morgan Chase sur Park Avenue, ou de Vanguard près de Philadelphie. Ces trois fonds américains figurent en effet toujours parmi les 25 principaux investisseurs institutionnels des cinq « supermajors », d’après une analyse détaillée publiée par l’ONG allemande Urgewald et 17 ONG partenaires le 7 juillet.

    Une difficile transition vers les énergies renouvelables

    Selon Urgewald, « les investisseurs institutionnels américains détiennent collectivement 2 800 milliards de dollars dans des entreprises de combustibles fossiles dans 62 pays et représentent 65 % du total des investissements institutionnels dans les entreprises de combustibles fossiles ». C’est 11 fois plus que les investisseurs institutionnels canadiens (254 milliards de dollars), 53 fois plus que les investisseurs institutionnels français (71 milliards de dollars).

    Selon un article de Bloomberg du 7 février, ces cinq grandes compagnies pétrolières « ont dépensé 113,8 milliards de dollars en paiement de dividendes et rachat d’actions en 2023 malgré l’effondrement des prix du #pétrole brut ». Ainsi, les prix du pétrole ont baissé, mais les versements aux 25 de la table du restaurant mythique ont augmenté.

    Ce que l’ONG Global Witness a condamné en ces termes dans un communiqué de presse du 19 février : « Une somme sans précédent de 200 milliards de dollars… a été versée aux investisseurs, ratant une opportunité exceptionnelle d’investir dans les énergies vertes et les emplois. » Le fait qu’une poignée de gestionnaires de fonds institutionnels contrôle cinq compagnies pétrolières majeures empêche-t-il la transition de ces compagnies vers les #énergies_renouvelables ? L’argent fait-il la loi ?

    #fonds_communs_de_placement #fonds_de_pension #assureurs

    • Selon Exxon, la quantité de pétrole consommé en 2050 sera la même qu’aujourd’hui
      https://www.rfi.fr/fr/environnement/20240826-selon-exxon-la-quantité-de-pétrole-consommé-en-2050-sera-la-même-qu-auj

      Deux visions du futur de l’#industrie_pétrolière. Deux visions opposées. D’un côté, l’AIE, l’Agence internationale de l’#énergie, rappelle qu’aucun nouveau projet ne doit voir le jour pour respecter l’objectif de limiter le réchauffement climatique à +1,5°. En 2050, avec les infrastructures déjà existantes, 24 millions de barils de pétrole seraient alors consommés par jour.

      De l’autre côté, les plus grandes entreprises du secteur anticipent une demande soutenue. Exxon s’attend même à ce qu’elle soit équivalente à celle d’aujourd’hui : 100 millions de barils quotidiens. Et malheureusement pour le #climat et ceux qui vont en subir les conséquences, les projections des pétroliers semblent plus pragmatiques.

      Matthieu Auzanneau est le directeur du Shift Project et auteur d’Or noir – la grande histoire du pétrole. « Si on regarde les dures réalités du marché, dit-il, les pétroliers sont plus réalistes que l’AIE. La demande mondiale de pétrole est plus forte que jamais, on a un déclin relativement lent dans les vieilles nations industrialisées, à l’exception très notable des États-Unis, mais sinon, dans le reste du monde, au mieux ça se maintient, et dans le pire des cas, en Asie en particulier, la croissance de la demande reste soutenue. »

      Une inconnue cependant, la production pourra-t-elle tenir un rythme aussi élevé ? Exxon répond sans surprise que oui, à condition de continuer à investir dans le secteur.

      #biodiversité #énergie_fossile

  • Les Conventions de Genève, un rempart face à la barbarie ? « Nous n’avons rien d’autre »
    Luis Lema | Publié le 12 août 2024- Le Temps
    https://www.letemps.ch/monde/les-conventions-de-geneve-un-rempart-face-a-la-barbarie-nous-n-avons-rien-d-

    Exécution sommaire de civils pendant la Seconde Guerre mondiale, Ivangorod, Ukraine, 1942.

    Alors que les Conventions de Genève fêtent leurs 75 ans ce lundi, les motifs de réjouissance ne sont pas très nombreux. La pertinence du droit international humanitaire n’est pas remise en cause. Mais les populations civiles souffrent (...)

    • « En soixante-quinze ans, les conventions de Genève ont démontré la différence qu’elles produisent pour les victimes des conflits armés »
      11 août 2024 | le Monde | Julia Grignon Juriste, Samer Mousa Juriste enseignant à Gaza, Université de Palestine
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/11/en-soixante-quinze-ans-les-conventions-de-geneve-ont-demontre-la-difference-
      Face à ceux qui prédisent la mort du droit international humanitaire, les juristes Julia Grignon et Samer Moussa affirment, dans une tribune au « Monde », qu’il est indispensable en Ukraine comme à Gaza, même si les parties au conflit le détournent pour construire des justifications à leurs violations.

      Le droit international humanitaire a subi tellement de violations et de distorsions qu’il en a été déclaré mort. Gaza en serait le cimetière. A l’occasion des soixante-quinze ans des conventions de Genève, adoptées le 12 août 1949 et qui en constituent le socle fondamental, nous voulons au contraire les célébrer, rappeler leur vivacité et nous inscrire dans la défense de leur absolue nécessité, à Gaza comme partout où sévissent les conflits armés.

      Jamais le droit international humanitaire n’avait fait l’objet d’un tel débat public et d’une telle exposition médiatique. C’est heureux. Ce droit, qui a vocation à protéger les personnes affectées par les conflits armés en offrant des garanties aux individus hors de combat et en limitant les méthodes et moyens de faire la guerre, doit être diffusé le plus largement possible.

      Les conflits récents le démontrent, personne n’en est à l’abri, et il est essentiel de s’approprier les règles qui tendent à en limiter les effets. Cela s’accompagne toutefois d’un revers. Compte tenu des souffrances engendrées par les conflits, les attentes à l’égard de ce droit sont parfois irréalistes, ce qui conduit à ce qu’il déçoive.
      Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Alain Pellet, juriste : « La Cour internationale de justice redore le blason du droit international si malmené par ailleurs »

      Le droit international humanitaire contemporain est un droit qui a été façonné pour faire face à une situation d’urgence extrême : la guerre. Que les Etats aient décidé d’amener du droit dans le chaos était et reste audacieux. Il en résulte nécessairement que ces règles sont limitées, dérogatoires du droit commun et parfois moralement difficiles à accepter. (...)

    • CICR : « Depuis le 7 octobre nous n’avons pas eu accès aux prisons israéliennes »
      RFI | Par : Nicolas Falez | Publié le : 12/08/2024
      https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20240812-cicr-depuis-le-7-octobre-nous-n-avons-pas-eu-acc%C3%A8s-aux-prisons-isr

      Il y a 75 ans, le 12 août 1949, la signature des Conventions de Genève établissait le Droit international humanitaire. Mirjana Spoljaric est la présidente du Comité international de la Croix-Rouge, doyenne des organisations humanitaires. Elle évoque le rôle du CICR auprès des détenus dans les conflits armés. « Nous sommes prêts » à travailler pour faciliter la libération d’otages israéliens en cas de conclusion d’un accord de trêve, assure Mirjana Spoljaric à RFI.

    • « Comment parler d’une marouette [oiseau échassier migrateur de petite taille] ? » Cette étrange question m’a récemment été posée par deux amis. Nous sommes dans la Drôme, à 15 kilomètres de Valence, dans une plaine agricole où dominent les étendues de blé et de maïs, sur la ferme du Grand Laval.

      Ici, depuis 2006, un couple de #paysans, Sébastien Blache et Elsa Gärtner, a repris une des exploitations familiales et y a transformé une étendue de maïs uniforme en un paysage d’enchevêtrement de petites parcelles cultivées de céréales, de légumes secs (pois, lentilles, haricots) et d’oléagineux (colza, cameline [ou « faux lin »], tournesol), de prairies fourragères (graminées, luzerne, sainfoin [plante herbacée]) et de vergers extensifs (pommes, poires, pêches, abricots, prunes, figues). Ajoutez des poulaillers mobiles, 120 brebis et leurs agneaux, des interrangs de rhubarbe et de fruits rouges, et vous obtenez un système de #polyculture-élevage parmi les plus ambitieux qui soient.

      La morne plaine est devenue luxuriante et les promeneurs ne s’y trompent pas : tous les jours, la petite route qui traverse la ferme est empruntée par les habitants des hameaux et du village voisin, Montélier. Le travail est enthousiasmant, mais rude. Ainsi, à l’approche de l’été, il se prolongeait la nuit pour presser les foins avant les pluies, les fruits devaient être cueillis d’urgence, les tournesols resemés, car les premiers n’avaient pas pris : dans ce métier, les imprévus sont une constante.

      La grande diversité des productions complexifie le travail mais constitue l’assurance-vie du système : si un atelier échoue une année, comme lors des gels précoces des abricotiers ou des sécheresses estivales qui ont eu la peau des pois chiches et des haricots en 2023, d’autres productions permettent d’assurer la pérennité économique de la ferme. Ici, aucun produit chimique n’est ajouté, sauf contre la cloque du pêcher [maladie causée par un champignon], en bio. Aucun intrant extérieur : la fumure est celle des brebis et des poules, les légumineuses enrichissent les sols en azote. Les poules sont nourries à partir des aliments produits sur la ferme.

      Faire une place au sauvage

      Alors que l’intensification des pratiques agricoles toujours en cours a conduit à une rapide érosion de la #biodiversité, ce type de système produit l’effet inverse. Elsa Gärtner et Sébastien Blache le constataient jour après jour, et de discussions en discussions, en particulier avec le philosophe Baptiste Morizot, est venue l’idée de créer l’association Réensauvager la ferme pour mettre en place un suivi scientifique de la vie sauvage de cette ferme, que je coordonne désormais.

      Des #naturalistes de la France entière viennent nous aider à y explorer le vivant. Le pari : transformer les imaginaires et montrer qu’une ferme nourricière peut être aussi riche en biodiversité qu’une réserve naturelle. Un pari audacieux, qui vient de Sébastien Blache : avant d’être paysan, il travaillait à la Ligue pour la protection des oiseaux. La vie sauvage le passionne et guide ses pratiques paysannes.

      Alors, partout sur la ferme, le #réensauvagement_paysan opère : plantation de haies, division des parcelles par des bandes enherbées, creusement de plus de 20 mares, réintroduction de plantes messicoles [qui poussent dans les champs de céréales d’hiver]… Ce que nous appelons « réensauvagement paysan », c’est faire une place au sauvage au côté du domestique et favoriser les dynamiques des espèces sauvages qui permettent les productions agricoles : faune du sol, pollinisateurs, bousiers, prédateurs…

      Les suivis ornithologiques sont parlants : sur les 17 hectares que comptait la ferme lors de sa reprise (elle en compte désormais près de 50), les populations d’oiseaux sont passées de 66 couples pour 32 espèces, en 2006, à 161 couples pour 49 espèces, en 2023, sur la même surface. Les espèces qui déclinent particulièrement dans les campagnes françaises sont ici en augmentation : bruant proyer, caille des blés, tourterelle des bois, chouette chevêche et effraie…

      Les populations de libellules, de criquets, de papillons sont florissantes et comparables à ce qu’on trouverait dans une aire protégée gérée en faveur de ces espèces. En ce moment, il est possible d’observer, chaque jour, un millier de libellules de 20 espèces en se promenant sur la ferme. Les dizaines de nichoirs et d’abris bénéficient aux oiseaux qui se nourrissent des chenilles, comme les mésanges, et aux chauves-souris, qui chassent les papillons de nuit. En tout, plus de 2 300 espèces d’animaux, de végétaux et de champignons y ont été recensées. La démonstration est puissante.
      Et cette marouette, alors ? J’y viens, après un détour quelques siècles auparavant. A cette époque, la plaine de Valence était une immense #zone_humide. Nous nous trouvons dans le lit majeur du Rhône. Cette vaste plaine alluviale a été progressivement asséchée et drainée par les habitants successifs au cours des siècles, jusqu’au XIXe siècle, avec la chenalisation du fleuve. Comme la plupart des cours d’eau français, l’espace de vitalité du Rhône s’est réduit à son lit dit « mineur ».

      Le lit « majeur », dans lequel les tresses du fleuve divaguent, aidées en cela par les castors, où les marais abondent et stockent les surplus lors des inondations, a été asséché, cultivé, urbanisé, transformé en un espace largement piloté par les humains, dans lequel le #sauvage est toléré sur les marges ou dans les espaces consacrés. A l’époque, les oiseaux des marais devaient abonder. Et la nuit, pour qui savait les entendre, les marouettes chantaient. Nulle trace écrite de leur présence passée. Les marouettes sont telles les Furtifs d’Alain Damasio [en référence au roman de science-fiction du même nom, publié chez La Volte en 2019] : craintives, essentiellement nocturnes, elles circulent toujours à couvert dans les herbes denses des marais en eau. Personne n’eut l’idée de pleurer la disparition d’une espèce si discrète.

      Que sont-elles devenues ? Il en reste quelques-unes en France, dans leurs derniers bastions connus, en particulier les plaines inondables de la Saône et les basses vallées angevines. Ailleurs, elles font parfois une halte migratoire au détour d’un marais, de retour d’Afrique, pour qui a la chance de les détecter. La nuit – un moment propice à leurs migrations –, le réseau de micros déployés ces dernières années à travers l’Europe témoigne cependant d’une présence plus importante qu’on ne le croyait. Chaque soir, ces êtres mystérieux sillonnent le ciel nocturne à la recherche de portions de terre où leur existence serait encore possible.

      Possibilité d’une nidification locale

      C’est dans l’idée de favoriser le retour des espèces des zones humides qui préexistaient dans la plaine de Valence que de nouveaux aménagements ont été effectués, en 2023, sur la ferme du Grand Laval : extension du petit marais, réouverture d’un fossé agricole enfoui pour le transformer en cours d’eau et inondation d’une prairie. Depuis un an, bihoreaux gris, chevaliers gambettes, bécassines sourdes, hérons pourprés, râles d’eau y séjournent quelques jours au cours de leur voyage. Et, le 16 mai, sur le piège photographique placé pour détecter le passage désormais régulier d’oiseaux d’eau dans la prairie inondée du Grand Laval, la surprise est grande : un adulte de marouette ponctuée traverse en nageant une petite zone en eau libre.

      S’il est possible qu’il s’agisse d’un migrateur en retard, à cette date, la possibilité d’une nidification locale nous traverse l’esprit. Les jours suivants, on écoute, on cherche, sans succès. Le 1er juin, un éclair fugace passe de nouveau devant le piège photo : il s’agit vraisemblablement d’une marouette, mais l’image est floue. Le 6 juin, nous n’en revenons pas : c’est un poussin déjà grand de marouette qui vient se promener juste devant l’appareil ! Cet événement n’avait encore jamais été consigné dans la Drôme, de mémoire d’ornithologue.

      Les jours suivants, les photographies nous apprendront qu’il y a, en réalité, deux jeunes qui sont nés sur la ferme. Depuis, entre 6 heures et 6 h 30 du matin, nous parvenons parfois à les observer à découvert, courant derrière les éphémères, avant qu’elles ne repartent se terrer dans la végétation pour le reste de la journée. Les journées n’en sont que plus joyeuses.
      La marouette ponctuée est aux fermes sauvages ce que la médaille du Meilleur Ouvrier de France est aux artisans. Alors, nous avons sorti le champagne. Le Grand Laval a, lui aussi, son Huldufolk [ensemble de légendes et croyances du folklore islandais]. Dans cette fable réelle, la récompense du labeur paysan tient autant dans la récolte des figues que dans l’arrivée de la marouette.

      Le rôle du paysan est double : non seulement, il nourrit le pays, mais il joue également un rôle essentiel dans le retour des espèces sauvages, à l’heure où les indicateurs de biodiversité sont au rouge. Là où la FNSEA et le gouvernement ont choisi d’ériger l’#écologie en ennemie de l’#agriculture pour masquer leurs responsabilités et leurs collusions avec l’industrie agroalimentaire responsable du mécontentement paysan, ce qui se passe au Grand Laval et, plus largement, dans les réseaux des fermes paysannes et sauvages et des paysans de nature, propose une voie nettement plus inspirante. Elle nous apporte l’espoir de lendemains réenchantés, l’espoir de la résistance du petit peuple féerique face aux forces destructrices qui s’étendent.

      Maxime Zucca est ornithologue, coordinateur scientifique de l’association Réensauvager la ferme.

  • Michel Hazanavicius, réalisateur : « Pourquoi j’ai le sentiment que les juifs sont les ennemis les plus cool à détester ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/07/michel-hazanavicius-realisateur-pourquoi-j-ai-le-sentiment-que-les-juifs-son

    Et pourquoi j’ai le sentiment que, même s’ils ne sont pas antisémites, de plus en plus de gens ont de moins en moins de problèmes avec l’antisémitisme ? Et pourquoi, quand on fait le procès de Nétanyahou, j’entends trop souvent le procès d’Israël, voire le procès des juifs, au lieu de simplement faire le procès de l’extrême droite, si israélienne fût-elle ? Et, aussi, pourquoi un connard juif ne pourrait pas être juste un connard ? Pourquoi chaque juif qui dit ou fait une connerie doit-il embarquer tout son peuple avec lui ? Pourquoi j’ai le sentiment que, depuis un moment, les juifs sont les ennemis les plus cool à détester ? Nettement plus cool que les Russes ou les Chinois, par exemple.

    Et pourquoi il faut que je me positionne aussi vite sur Israël quand je prends la parole ? Pourquoi je devrais avoir un avis tranché et définitif sur la question ? Pourquoi, chez tant de non-Israéliens, non-Palestiniens, non-juifs, non-musulmans, cette passion obsessionnelle pour ce conflit et une indifférence abyssale aux autres tragédies du monde ? Pourquoi c’est si dur d’accepter qu’il y a des questions sans réponse et des problèmes sans solution ? Pourquoi c’est si compliqué de dire : « Je ne comprends pas tout, mais j’ai en horreur toutes ces morts d’innocents ? »

    Pas étonnant, j’avais déjà noté que son second OSS 117 faisait, sous couvert d’humour, la promo d’un Mossad sympa, moderne, démocrate et féministe, face à un personnage d’espion français bien rance et antisémite. Alors qu’à ma connaissance, personne n’exigeait qu’OSS 117 et son réalisateur « se positionnent sur Israël »…

    Le monsieur a un problème de calendrier, tout de même, à balancer son « pourquoi cette passion obsessionnelle ? », après plus de 300 jours de génocide à Gaza.

  • « Lorsque la puissance publique ne parvient plus à offrir des soins, quel risque prend-on à renverser la table ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/09/lorsque-la-puissance-publique-ne-parvient-plus-a-offrir-des-soins-quel-risqu

    Aujourd’hui, l’#accès_aux_soins est une préoccupation majeure des Français, avant même le terrorisme, le contrôle des flux migratoires ou la lutte contre le réchauffement climatique, d’après les enquêtes d’opinion qui se succèdent (voir par exemple l’enquête Ipsos, « Ce qui préoccupe les Français », en juillet).

    Les carences sont connues, documentées et vécues par tous au quotidien. Selon le ministère de la santé, 87 % du territoire est considéré comme un désert médical, et un tiers de la population n’a pas un accès suffisant aux soins. Les #urgences souffrent, craquent, ferment ou trient. L’accès à un spécialiste ou à un centre d’expertise peut prendre des mois, à condition qu’ils acceptent encore de nouveaux patients.

    Ainsi en est-il par exemple des centres antidouleur, des centres médico-psychologiques ou des équipes de #soins_palliatifs auxquels n’ont accès que la moitié des patients qui en auraient besoin alors même qu’ils sont atteints de maladies graves en phase parfois très avancée (Cour des comptes, juin 2023). Trop souvent, l’accès aux soins est affaire de réseau. « Connais-tu un bon médecin spécialiste ? » « Pourrais-tu parler de moi ? » « As-tu quelqu’un dans ta famille qui connaît quelqu’un ? » Le capital social est ainsi devenu la meilleure assurance-maladie, ce qui crée dans le pays un fort sentiment d’insécurité médicale.

    Le soin comme engagement

    Cette réalité est un moteur profond de colère et une des causes majeures du sentiment de déclassement. L’impossibilité de parvenir à être soigné ou à faire soigner ses parents ou ses enfants génère une immense et légitime rancœur. La violence qui s’exerce parfois à l’encontre des #soignants en est une conséquence. Lorsque la puissance publique ne parvient plus à offrir des soins, quel risque prend-on à renverser la table ? Les votes des dernières semaines traduisent aussi cette réalité.

    Soignants, nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes là parce que ce qui compte, c’est l’humain. Infirmiers, aides-soignants, psychologues, pharmaciens ou médecins de toutes disciplines, nous accueillons tous ceux qui demandent de l’aide. Chaque jour, nous accompagnons les personnes dans leur diversité. Pour nous qui les soignons, ces personnes ne sont pas de gauche ou de droite, françaises ou étrangères, avec ou sans papiers, elles sont simplement humaines, et notre mission est de les aider à guérir ou à vivre avec la maladie et de les accompagner parfois jusqu’à la mort.

    En cela, le #soin est un engagement politique au sens le plus élémentaire, c’est notre engagement : prendre soin de tous sans distinction et avec la même attention parce que la relation de soin est un bien commun. Alors même que notre société valorise le pouvoir, le contrôle et la force, nous, soignants, nous sommes là pour entendre la détresse, pour accompagner la souffrance jusqu’à parfois même l’envie de mourir et pour essayer de comprendre, soulager et rassurer. Or, notre service public du soin est exsangue voire maltraitant, pour les personnes qu’il accueille comme pour celles qui y travaillent. Chaque jour, nous faisons avec inquiétude le constat de la fragilité de notre système de #santé et de son incapacité croissante à répondre aux besoins de tous.

    Un choix de société

    Nous sommes dans une période de grande incertitude politique. Dans ce contexte chaotique, nous invitons nos élus, d’où qu’ils viennent, à faire front commun en faveur du soin pour le bénéfice de tous. Comment souhaitons-nous habiter notre Terre pour prendre soin des humains qui la peuplent ? Comment voulons-nous collectivement prendre soin de tous et, en particulier, des personnes malades, vulnérables, âgées ou handicapées ?

    Ces questions font du soin un projet profondément politique, un choix de société au-delà des querelles de partis. Car une société qui n’accompagne pas de manière satisfaisante ceux qui ont le plus besoin d’aide face à la maladie et à la souffrance est une société où se développent la colère et l’indifférence. Soignants, nous ne pouvons nous résoudre à cette défaite annoncée qui serait celle de tous et d’abord des plus fragiles.

    Le soin rassemble et ouvre une perspective de solidarité, de progrès et de fraternité. Il replace le progrès technique au service de l’humain, peut remédier à de nombreuses pathologies sociales (isolement, sentiment d’inutilité, violences de tous ordres…). Il est un éloge de l’attention et nous invite à nous engager les uns pour les autres. Il est l’espoir de recoudre notre société fracturée. Nous espérons que s’impose la « loi du plus faible ». Ce plus faible que nous continuerons d’accompagner quoi qu’il arrive parce que c’est notre métier, notre choix et le cœur battant de notre engagement. Ce cœur qui bat pour toute notre société.

    Parmi les signataires : Pr Georges Abi Lahoud, neurochirurgien, ICVNS Paris, membre de l’académie nationale de chirurgie, Thierry Amouroux, infirmier, porte-parole du SNPI (Syndicat national des professionnels infirmiers), Dr Cyril Boronad, pharmacien, président du Synprefh (Syndicat national des pharmaciens en établissement de santé), Dr Claire Fourcade, présidente de la SFAP (Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs), Carole Gauvrit, présidente du CNPAS (Conseil national professionnel des aides-soignants, Dr Raphaël Gourevitch, psychiatre, hôpital Sainte-Anne, délégué de la Société médico-psychologique, Pr Olivier Guérin, président du CNP (collège national professionnel) de gériatrie, Pr Patrice Queneau Membre émérite de l’Académie nationale de médecine, membre émérite de l’Académie nationale de pharmacie, Dr Manuel Rodrigues, président de la SFC (Société française du cancer), Ghislaine Sicre, infirmière, présidente de Convergence Infirmière…

    La liste complète des signataires https://docs.google.com/document/d/18q42X6swl4VX4oY6zPt1os6z2-_9l2cp66sTpT4R3Q8/edit

    #déserts_médicaux

  • « Les Jeux de Londres ont été le terrible signe avant-coureur de l’isolationnisme qui a mené le pays au Brexit », Will Self
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/27/will-self-les-jeux-de-londres-ont-ete-le-terrible-signe-avant-coureur-de-l-i

    Une des expériences les plus formatrices de ma vie a été de visiter Montréal, au Québec, à l’âge de 16 ans, de louer un vélo et de passer un après-midi à me balader autour des infrastructures laissées à l’#abandon après que ce grand festival international de course et de saut s’en est allé parasiter une autre ville. Oui, les Jeux olympiques (#JO) n’avaient eu lieu qu’un an auparavant [en 1976], et pourtant, tous ces stades, salles de compétition, vélodromes, piscines et pistes de course étaient déjà tellement peu utilisés, voire carrément abandonnés, qu’ils avaient pris l’aspect d’étranges ruines modernistes.
    Cette expérience m’a conforté dans une pensée qui m’a accompagné tout au long de ma vie d’adulte : tout ce qui est solide se dissout dans l’air, et toute idée que le progrès moral peut être accompli en construisant quelque chose se volatilise aussi.

    Après Montréal, je suis allé voir les infrastructures olympiques de Los Angeles, Barcelone, Atlanta, Sydney, Vancouver, Athènes et, bien sûr, de ma ville natale, Londres. Oui, c’est vrai : certaines villes qui ont accueilli les Jeux s’en sont mieux sorties que d’autres, mais je doute que quiconque, mis à part les athlètes de saut à la perche ou les politiciens dont les carrières ont été opportunément propulsées, s’intéresse véritablement à l’« héritage » de ces Jeux.

    Ardent critique des JO de 2012 à Londres, j’ai à l’époque dénoncé ce qui était une évidence pour tous : la ville a investi dans ces Jeux au détriment d’investissements dans des structures sportives destinées à tous les jeunes gens afin qu’ils puissent rester en forme. Les Jeux londoniens ont plus ou moins coïncidé avec la dernière ligne droite, sinistre, de la politique lancée sous le régime Thatcher de liquidation de toutes sortes d’actifs de l’Etat britannique.

    Privatisation des biens publics

    On parle souvent, évidemment, des logements construits par les municipalités, mais quantité de terrains de jeu appartenant à des établissements scolaires, de piscines, d’aires de jeu et de biens municipaux d’une manière générale ont été vendus pour une bouchée de pain, et ce avec un enthousiasme croissant, en particulier à Londres, pour atteindre, autour de l’année 2010, une forme d’apothéose.
    Cette grande braderie répondait à l’impératif de privatiser les biens publics, qui a mené le Royaume-Uni à avoir des inégalités de revenus et de richesse en général bien plus importantes que la France, des services publics de moindre qualité, et une population qui, dans sa majorité – étant la plus obèse et la plus physiquement inactive d’Europe –, se montre plus rebondie que ces affreuses doudounes qu’elle ne quitte plus.

    Si vous pensez que je ne suis qu’un vieux gaucho de plus qui pleure la fin d’un contrat social n’ayant jamais existé, détrompez-vous. Mieux, allez à Stratford, dans le quartier d’East London, visiter le parc olympique, mais aussi écoutez les immortels vers de Percy Shelley dans Ozymandias, qui ventriloque la voix immémoriale de la vanité pharaonique.
    Ozymandias, pharaon éponyme du poème en question, adjure son auditoire de contempler les ruines éparses dans le désert : « Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez ! » » Si seulement le fanfaron pharaon de Londres – son maire, Boris Johnson – avait tenu compte de cet avertissement ! Hélas, il a été le plus grand chantre des Jeux – même si la candidature londonienne a été retenue avant son entrée en fonctions –, ayant bien compris que, à l’ère moderne, le pouvoir est largement devenu une affaire de geste, et que, pour poursuivre son ascension dans la hiérarchie britannique, les Jeux constituaient une perche bienvenue. Elle lui a permis de faire un grand saut, jusqu’à atteindre la loge de la souveraine de l’époque [Elizabeth II] et de son premier ministre, donnant ainsi l’impression d’être, lui aussi, taillé pour les plus hautes fonctions.

    Oui, le désastreux mandat de Boris Johnson a commencé par les désastreux JO de Londres – mais quand lui n’a fait que donner davantage de substance à sa propre insipidité, les Jeux, eux, se sont dissous dans l’air. Le gigantesque centre aquatique, conçu par l’architecte Zaha Hadid, est très peu utilisé, comme la plupart des autres enceintes – à l’exception du stade principal, qui, avant les Jeux déjà, était en passe d’être cédé à West Ham, club de football du championnat d’Angleterre, avec un coût considérable pour le contribuable britannique qui a financé sa construction. Comme pour tous les grands projets britanniques de ce genre, si l’on cherche à suivre la trace olympique dans les documents écrits, on se perd vite dans un bourbier de bureaucratie. Contentons-nous de dire que personne ne pense que les Jeux ont généré des profits d’aucune sorte, qu’ils soient culturels, sociaux ou simplement financiers.

    Cavalcade consumériste effrénée

    Outre cette ribambelle d’infrastructures quasiment à l’abandon, on s’est dit que ce grand événement allait « régénérer » ce quartier de l’est de Londres supposément déshérité. En réalité, les marais de Stratford constituaient une fascinante zone intermédiaire entre la ville et la campagne, d’une grande diversité écologique, et forment à présent une nouvelle zone néolibérale d’« espace planifié », avec un centre commercial géant planté au-dessus de la gare de Stratford International – une gare que les Français venant à Londres sont des milliers à traverser sans jamais sortir pour jeter ne serait-ce qu’un œil au site olympique.
    Je suppute même que s’ils y accordent la moindre pensée, c’est uniquement pour hocher la tête de tristesse et songer – comme nous, Britanniques, songeons – que les Jeux ont été le terrible signe avant-coureur de l’isolationnisme qui, les années suivantes, a mené le pays au Brexit – et en a fait un acteur émasculé sur la scène mondiale.

    La notion même de « Jeux olympiques modernes » est un oxymore : il n’est pas d’équivalence possible entre le rôle des Jeux dans la Grèce antique et cette cavalcade consumériste effrénée – une cavalcade, quoi qu’en disent les organisateurs, follement insoutenable et destructrice pour l’environnement. A chaque instant, les « idéaux olympiques », dont les organisateurs, les compétiteurs et les spectateurs se battent l’œil, sont trahis par la marchandisation instantanée de ces moments victorieux, transformés en autant d’occasions de vendre quelque chose à quelqu’un, quelque part dans le monde.
    Et puis il y a toutes ces drogues, tous ces cris, ces coups, ces abus généraux qui vont de pair avec la culture de l’athlétisme de haut niveau – une culture qui a si peu à voir avec les idéaux de la paideia grecque [l’éducation civique et sportive en Grèce antique] que l’analogie est absurde. Dans le monde anglophone, le shibboleth [mot de passe] sur toutes les bonnes lèvres progressistes est : « On ne peut être ce que l’on ne peut voir. » Mais la vérité, c’est que seul un athlète au talent inné peut gagner une médaille olympique, car un phénotype donné doit se démarquer d’un génotype partagé par plus de huit milliards d’individus.

    Dans l’année qui précède chacun de ces Jeux, des millions d’enfants dans le monde nourrissent le rêve de décrocher une médaille olympique – car, oui, c’est bien de cela qu’il s’agit véritablement. Le théoricien situationniste Guy Debord disait que le #capitalisme spectaculaire se sert des grands événements sportifs annuels pour enfermer les gens dans un cycle, comme les saisons agricoles enfermaient les paysans dans un cycle avant l’industrialisation. Et Debord avait raison. Il était même prophétique puisque, si Internet et le Web étaient censés être des technologies libératrices et égalitaires qui allaient rendre l’esprit du temps – et donc l’exercice du pouvoir – ouvert à tous, la survivance des JO témoigne de la mesure dans laquelle les gens rejettent cette bénédiction et préfèrent rester vautrés sur leur canapé.

    Montaigne disait de se méfier d’une personne qui prend le jeu trop au sérieux, car elle ne prend pas la vie suffisamment au sérieux. Ainsi faut-il se méfier de l’élite politique française, qui a choisi d’accueillir les JO en 2024, et ne prend pas la vie suffisamment au sérieux. Mais cela, nous le savions déjà, non ? Si ces hommes et ces femmes prenaient la vie au sérieux, pas simplement la leur, mais aussi celle de la planète et de ceux qui y habitent, ils n’auraient pas proposé d’organiser les JO d’hiver de 2030 dans les Alpes françaises, qui seront alors pratiquement dépourvues de… neige.

    Traduit de l’anglais par Valentine Morizot
    Will Self est un romancier et journaliste britannique, né à Londres en 1961. Il est notamment l’auteur de « Will » (Ed. de l’Olivier, 2021) et de « Requin » (Ed. de l’Olivier, 2017).

  • Mussolini aux Jeux olympiques de 1960 [archives de Libé du 9 octobre 1959]
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2009/10/08/mussolini-aux-jeux-olympiques-de-1960_1251089_3232.html

    A l’entrée de l’ensemble imposant du Foro Italico, situé au pied du mont Mario, qui abrite toute une série d’installations sportives, dont un des plus beaux stades du monde de quelque quatre-vingt-dix mille places, se dresse un obélisque sans autre ornement que le nom Mussolini gravé dans le marbre, en lettres de la hauteur d’un homme. Puis, sur le sol dallé qui conduit aux terrains de jeux, on relève, en marqueterie, toute une imagerie majestueuse à la gloire du régime défunt, et des inscriptions d’énormes proportions tel le serment solennel : « Je jure d’exécuter, sans discuter, les ordres du Duce et de servir avec toutes mes forces, et si cela est nécessaire avec mon sang, la cause de la révolution fasciste... »

    Un député socialiste avait demandé au gouvernement d’effacer « ces scandaleux vestiges ». Le sous-secrétaire d’Etat, M. Macri, lui a répondu qu’il n’y a pas lieu d’abattre l’obélisque ni de supprimer des maximes « dont l’expérience a démontré la fausseté » et qui « prouvent justement la faillite d’une dictature ».

    A noter, sans nous mêler de la pertinence des arguments gouvernementaux, que des foules romaines se pressent, en masse, devant l’obélisque et piétinent ces symboles chaque dimanche, sans y apporter la moindre attention. Le fascisme est enterré à Rome sous le poids de la totale indifférence du peuple. Lorsqu’ils pénétreront au Foro, bien des étrangers pourtant auront un haut-le -coeur...

  • Panne informatique : « Le coût de notre obsession pour la performance, c’est un monde toujours plus précaire »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/23/panne-informatique-le-cout-de-notre-obsession-pour-la-performance-c-est-un-m

    Comment traduire le nom de l’entreprise CrowdStrike, à l’origine de la panne informatique mondiale du 19 juillet ? Alors que cette nouvelle crise est, ironiquement, le fait d’une entreprise de cybersécurité, comment ne pas y voir un nouvel avatar de la loi de Goodhart : « Quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure » (« Improving ratings : audit in the British University system », Marilyn Strathern, European Review, n° 5/3, 1997). A force de mettre le compas sur la sécurité à tout prix, à coups d’algorithmes toujours plus performants et toujours plus agiles, on en oublie les fondamentaux : la fragilité d’un monopole.

    Ce type d’effet boomerang n’est pas nouveau. Il suffit de constater que plus un contrat d’assurance est détaillé, et moins nous le lisons. Notre monde obsédé par la performance, c’est-à-dire par l’efficacité (atteindre son objectif) et l’efficience (avec le moins de moyens possibles), n’a jamais été aussi simpliste, homogène et pauvre en solution de rechange. Ce monobloc socioculturel et économique est un géant aux pieds d’argile. C’est le coût de notre obsession pour la performance : un monde toujours plus précaire.

    Certains ingénieurs diront que nous avons au contraire des systèmes qui prennent en compte les risques et font appel à une diversité de solutions, justement pour éviter le crash. C’est, par exemple, le cas des systèmes de pilotage automatique des avions de ligne, composé de trois modules indépendants, chacun ayant un design différent (« Biological robustness », Hiroaki Kitano, Nature Review Genetics, n° 5, 2004). Mais, face à l’intensité et à la fréquence des crises à venir, cette redondance-là paraît bien ridicule. La panne causée par CrowdStrike révèle que c’est désormais tout le système socio-économique mondial qui est sous l’emprise d’un oligopole fragile, l’hégémonique Gafam [Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft] en étant l’emblème le plus évident.

    Cette simplification n’est pas seulement informatique. L’histoire récente permet de l’illustrer : une pénurie mondiale de masques en 2020 parce que leur production a été centralisée en Chine, un commerce mondial au ralenti à cause d’un porte-conteneurs échoué dans le canal de Suez, une pénurie de moutarde en Europe suite à une sécheresse au Canada, une dépendance de l’Europe au pétrole russe révélée par la guerre en Ukraine, etc.

    Un monde toujours plus fluctuant

    Combien de crises faudra-t-il encore pour que nous – décideurs, politiques, entreprises, citoyens – comprenions que réduire l’humanité à un village global est très fragile ? Combien de ruptures, de krachs, d’événements extrêmes ou de bugs faudra-t-il encore traverser pour comprendre qu’un système n’est robuste que s’il est pluriel ?

    La littérature sur ce sujet ne manque pourtant pas. Citons par exemple Michel Serres, dans Le Contrat naturel (François Bourin, 1990) : « Rien de plus faible qu’un système global qui devient unitaire. »
    Alors que nous entrons dans un monde toujours plus fluctuant, avec des inondations toujours plus importantes ou des mégafeux toujours plus fréquents, cette canalisation vers toujours plus d’optimisation est mortifère. En effet, plus nous nous enferrons dans le credo de la performance nécessairement positive, plus les crises elles-mêmes entrent en synergie. C’est par exemple le cas de la pandémie de Covid-19, fruit indirect de la performance de notre hypermobilité, de la suroptimisation de nos hôpitaux et d’une agro-industrie puissante.

    Cette mutation vers les turbulences en synergie se manifeste dans la sémantique. Après des décennies de « croissance », puis de « crise », on parle désormais de monde « VUCA » (volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté), et le mot « polycrise » inonde les discours, du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à la CIA en passant par l’Organisation mondiale du commerce.

    Le long terme n’existe plus

    Dans ce monde-là, le long terme n’existe plus : les valeurs extrêmes que le GIEC prévoyait pour 2100 peuvent tout aussi bien arriver dès 2024, comme cela est le cas actuellement dans l’Europe centrale en canicule. Et le maillon écologique n’est pas le plus faible, parce qu’il peut encore compter sur de grands tampons planétaires, comme l’océan ou l’atmosphère. Le maillon le plus faible est d’abord social, et numérique. A la synchronie des crises, nous ne pouvons plus opposer la diachronie des perceptions. Le monde en polycrise nous fait surtout entrer dans l’ère de la simultanéité. Il ne s’agit plus de prévoir, il faut se préparer.

    Comment faire ? Pour nous aider dans ce basculement de civilisation, nous avons sous les yeux une voie inspirante. Alors que, pendant des décennies, nous avons plaqué le modèle « optimaliste » sur les êtres vivants, prêchant leur prétendue performance – voire en en faisant des modèles de compétitivité pour les néolibéraux fanatiques –, les biologistes depuis une vingtaine d’années démontrent au contraire que les êtres vivants sont robustes avant d’être performants.

    Mieux, ils sont robustes, car ils sont pluriels, décentralisés, incohérents, lents, hétérogènes… bref, très loin de la suroptimisation. Notre cerveau, par exemple, continue à fonctionner correctement, alors même qu’il perd continuellement des neurones. Une architecture robuste, très différente de celles des ordinateurs comme le notait déjà le fondateur de l’informatique moderne John von Neumann (Probabilistic Logics and Synthesis of Reliable Organisms from Unreliable Components, C. Shannon and J. McCarthy, 1956).

    L’antidote à la simultanéité d’un monde en polycrise, ce n’est pas toujours plus d’optimisation, mais, au contraire, toujours plus de robustesse. Le vivant nous donne une clé importante : embrassons la pensée complexe pour nourrir l’adaptabilité de nos organisations, en ouvrant des chemins de traverse multiples. Résistons au culte de la performance. Désoptimisons. Finalement, le vivant appelle les foules à la grève : « Crowd strike »

    Olivier Hamant est directeur de l’institut Michel-Serres, chercheur Inrae à l’Ecole normale supérieure de Lyon, auteur d’Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant (Gallimard, 2023) et de La Troisième Voie du vivant (Odile Jacob, 2022).

    #culte_de_la_performance #polycrise

    • « Il faut rompre avec le culte de la performance qui nous rend si fragiles et souvent destructeurs », Antoine Denoix, PDG d’Axa Climate, Olivier Hamant, Biologiste
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/17/il-faut-rompre-avec-le-culte-de-la-performance-qui-nous-rend-si-fragiles-et-

      Reconnaissons-le : le culte de la performance a été le moteur des immenses progrès technologiques, humains et sociaux des derniers siècles. Il est aujourd’hui partout, omniprésent, indépassable. Hélas, il nous conduit aussi (et rapidement !) dans le mur, celui des limites planétaires physiques. La concentration actuelle en CO2 atmosphérique (415 ppm) nous renvoie 800 000 ans en arrière ; les réserves connues de roches de phosphate, indispensables à la production alimentaire, pourraient être épuisées dès 2040…
      L’obsession contemporaine pour l’optimisation de quelques variables quantitatives (PIB, rendements…) nous a condamnés, progressivement, à détruire les autres variables, moins quantifiables, issues du vivant. Et elle nous (société, entreprise, individu) place en condition d’extrême fragilité, et de non-adaptabilité, alors que les crises systémiques (climatiques, sociales…) se multiplient.
      Il est urgent d’engager une grande inversion : substituer au culte de la performance celui de la robustesse, et donc d’une dose assumée d’inefficacité. Il s’agit de ne plus viser le maximum, ni même l’optimum, mais d’être en dessous de l’optimum pour pouvoir faire face à des évènements imprévus. La sous-optimalité, un des piliers de l’économie régénérative, n’est pas un gros mot. Au contraire.

      La robustesse rend opérationnelle la durabilité

      Le vivant, tout autour de nous, est incroyablement inefficace, et de façon permanente. Prenons deux exemples : la photosynthèse ? Si elle avait été inventée dans une usine, elle aurait provoqué sa faillite immédiate, selon les normes du marché actuel. Les feuilles captent 100 % des rayonnements lumineux du soleil, mais le rendement de la photosynthèse est le plus souvent inférieur à 1 %. C’est ce qui permet aux plantes de gérer des variations lumineuses. Si le rendement de la photosynthèse était optimal, les plantes brûleraient en cas de forte fluctuation.

      De même pour la température corporelle, 37 °C, très loin de l’optimum des enzymes à 40 °C, ce qui permet à notre organisme de garder de grandes marges de manœuvre en cas d’infection. Appliquer ce nouveau paradigme à nos vies quotidiennes peut tout changer. La robustesse rend opérationnelle la durabilité : elle nourrit l’adaptabilité de nos entreprises et l’autonomie des territoires.

      Aujourd’hui, les chaînes logistiques s’optimisent encore en flux tendus – un cargo de travers dans le canal de Suez… et tout se bloque ! Et si nous privilégiions les stocks, la diversité des fournisseurs et les ressources du territoire local, proches des consommateurs ? Aujourd’hui, les versions des produits électroniques sont toujours plus performantes, avec toujours plus de fonctionnalités. Et si nous favorisions au contraire la capacité d’un produit à être réparable, avec des pièces modulaires, et disponibles en proximité ?

      L’objectif de performance devient contre-productif

      C’est aussi une question de préservation de la santé dans le monde du travail : beaucoup de collaborateurs, dans nos entreprises, sont sursollicités et spécialisés. Avec les conséquences que nous connaissons, en termes d’absentéisme et de burn-out. Au lieu de chercher des stars, et si nous privilégions la polyvalence des métiers et des compétences en alimentant la coopération du groupe ?

      Il s’agit enfin de permettre notre souveraineté alimentaire : pousser au maximum les rendements agricoles conduit à un appauvrissement du sol et de la biodiversité. Et si nous privilégiions la santé du sol, par sa capacité propre à porter la vie, pour de multiples cultures ? Finalement, les excès de la performance se cristallisent dans un chiffre : l’indicateur.

      Pourtant, il cesse d’être fiable quand la mesure devient le seul objectif. Pensez aux sportifs de compétition qui se dopent, aux étudiants qui bachotent… à chaque fois, l’objectif de performance devient contre-productif. Et si nous choisissions plutôt des indicateurs de bien-être, plus inclusifs par nature et impossibles à optimiser, car pluriels ? Au regard des défis climatiques, nous avons peu de temps pour appliquer cette grande inversion et rompre avec le culte de la performance, qui nous rend si fragiles, et souvent destructeurs.

      Accepter et promouvoir une certaine dose d’inefficacité, dans nos organisations et nos vies, va bousculer nos façons de faire. La robustesse construit le vivant depuis des millions d’années. C’est aussi une voie pragmatique et engageante pour dessiner le monde soutenable de demain. C’est en œuvrant ensemble, associations, écoles et entreprises, que nous nous donnerons une chance de réussir !

      Olivier Hamant, est l’auteur de La Troisième Voie du vivant (Odile Jacob, 2022).
      Antoine Denoix (PDG d’Axa Climate) et Olivier Hamant (Biologiste, directeur de l’institut Michel Serres et chercheur à l’Inrae)

  • Dominique Rousseau, constitutionnaliste : « Si le pays s’enlise dans le blocage, ce ne sera pas la faute des institutions, mais celle de nos responsables politiques »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/17/dominique-rousseau-si-le-pays-s-enlise-dans-le-blocage-ce-ne-sera-pas-la-fau

    Dominique Rousseau est professeur émérite de droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Spécialiste de droit constitutionnel, il a notamment écrit l’ouvrage Les Contestations. Penser, décider, agir (Belopolie, 56 pages, 10 euros).

    Au vu du résultat des législatives, est-ce qu’un premier ministre issu d’une certaine famille politique s’impose à Emmanuel Macron ?

    D’après la Constitution, en l’absence d’une majorité absolue au Parlement, le président n’est pas tenu de nommer un premier ministre issu d’un camp particulier. Et justement, nous sommes dans une situation inédite où l’Assemblée nationale n’est composée que de minorités. Ce à quoi il faudrait rajouter, pour complexifier l’équation, qu’il s’agit de minorités sans chef. Ensemble et le Nouveau Front populaire (NFP) n’ont pas de leader clair ; seul le Rassemblement national (RN) en a un, Marine Le Pen.
    Le président est tenu de nommer un premier ministre qui pourra gouverner ou, au moins, qui ne risquera pas d’être immédiatement renversé. Il est donc naturel qu’Emmanuel Macron ait demandé dans sa lettre aux Français, le 10 juillet, aux partis politiques de s’entendre, afin de former une coalition majoritaire. Pour l’instant, une telle coalition n’a pas encore émergé.

    Si les partis n’arrivent pas à s’entendre, nous serons, semble-t-il, dans une situation d’ingouvernabilité. Que se passera-t-il alors ?

    En cas de blocage, deux scénarios sont envisageables pour résoudre la crise. Une solution douce : Emmanuel Macron pourrait proposer la mise en place d’un gouvernement technique, comme il y en a eu en Italie. Mais il faudrait là aussi qu’il ne soit pas renversé par le Parlement. En cas de crise totale, reste une solution dure : la démission du président de la République, qui fait écho à celle d’Alexandre Millerand [1859-1943] en 1924, dans une situation comparable.

    Les institutions de la Ve République sont-elles inadaptées à la situation que nous vivons, avec une tripartition du champ politique ?

    Non, au contraire. Tout le monde l’a oublié, mais Charles de Gaulle et Michel Debré, qui furent les artisans de notre Constitution, pensaient, lorsqu’ils l’ont conçue en #1958, qu’il n’y aurait jamais de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ils l’ont donc élaborée pour qu’elle puisse fonctionner sans majorité nette, avec des coalitions.
    Nous avons un problème de culture politique, pas de droit. Si le pays s’enlise dans le blocage, ce ne sera pas la faute des institutions, mais celle de nos responsables politiques : ils n’auront pas été à la hauteur. Pour l’être, ils devront arrêter d’associer grossièrement le compromis à la trahison, ou à la compromission. Car aucune minorité ne pourra mettre en œuvre la totalité de son programme, contrairement aux revendications de certaines personnalités de gauche.

    En somme, considérez-vous que notre culture politique va à l’encontre de l’esprit de notre Constitution ?

    Oui, tout à fait. Notre Constitution établit un régime politique avant tout parlementaire – les cohabitations le rappelaient et on le redécouvre aujourd’hui. La présidentialisation (ou jupitérisation) de notre système politique n’est qu’une habitude, un construit culturel lié aux circonstances particulières de la guerre d’Algérie qui ont mené de Gaulle au pouvoir en 1958 et que ses successeurs ont renforcé.

    Le président est aujourd’hui dans la situation de tout chef d’Etat parlementaire. Mais il va falloir réinventer nos pratiques politiques si l’on veut sortir de l’impasse.
    Mais justement, si la culture politique peine à se renouveler, faudra-t-il réviser la Constitution ?
    Oui, très probablement. Il s’agira de lever l’équivoque de la dyarchie, celle d’un exécutif perpétuellement tiraillé entre le président de la République et le premier ministre – une dyarchie qui a rythmé l’histoire de la Ve République (Pompidou/Chaban-Delmas, Giscard/Chirac, Mitterrand/Rocard, Sarkozy/Fillon, Hollande/Valls, Macron/Philippe…).
    Certains souhaitent une révision qui renforcerait le rôle du président. Personnellement, je préférerais au contraire qu’elle confirme la logique parlementaire de 1958. La réforme pourrait imposer que le premier ministre, et non plus le président, préside le conseil des ministres, qui déménagerait de l’Elysée à Matignon. Par ailleurs, d’autres réformes seraient intéressantes, comme le passage au mode de scrutin proportionnel, susceptible de faciliter l’apprentissage d’une culture parlementaire.

    Mais le Sénat et l’Assemblée nationale ne sont pas prêts à changer la Constitution : en tout cas, pas encore. Il faudra d’abord que les conséquences et blocages de la situation actuelle se fassent sentir un temps…

    La Veme, régime parlementaire, c’est osé.

  • Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre rendent publics des faits graves commis par l’abbé Pierre. | Fondation Abbé Pierre
    https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/emmaus-international-emmaus-france-et-la-fondation-abbe-pierre
    https://www.fondation-abbe-pierre.fr/sites/default/files/2024-07/Photo+site%20%2820%29.png

    Le Mouvement Emmaüs rend publics des faits qui peuvent s’apparenter à des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel, commis par l’abbé Pierre, entre la fin des années 1970 et 2005. Ces faits ont concerné des salariées, des volontaires et bénévoles de certaines de nos organisations membres, ou des jeunes femmes dans l’entourage personnel de l’abbé Pierre. Le Mouvement a mandaté un cabinet expert de la prévention des violences, le groupe Egaé, pour mener un travail d’écoute et d’analyse. Ce travail a permis de recueillir les témoignages de sept femmes. L’une d’entre elles était mineure au moment des premiers faits. D’après les informations recueillies, plusieurs autres femmes ont subi des faits comparables, mais n’ont pas pu être entendues. Un dispositif de recueil de témoignages et d’accompagnement, strictement confidentiel, s’adressant aux personnes ayant été victime ou témoin de comportements inacceptables de la part de l’abbé Pierre, a été mis en place.

    • Sur l’abbé Pierre, se souvenir qu’il était mandaté par le Vatican en France lors du début de la purge des prêtres ouvriers durant les années 50. Le choix ’carte des pauvres’ façon activiste venant faire oublier l’opulence de l’église et sa bureaucratie sacerdotale.

      C’est peu après qu’il a été connu en tant qu’agresseur sexuel par l’église

      Révélations sur l’abbé Pierre : « La compulsion sexuelle du clerc catholique paraît indubitable »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/20/revelations-sur-l-abbe-pierre-la-compulsion-sexuelle-du-clerc-catholique-par

      Les archives du Centre national des archives de l’#Eglise de France contiennent des documents des années 1950-1960 sur les compulsions sexuelles de l’abbé Pierre, déjà présentées par Axelle Brodiez-Dolino, dans son livre _Emmaüs et l’abbé Pierre (Presses de Sciences Po, 2009). L’angle des violences invite à lire de manière différente ces données et certains épisodes de la vie de l’abbé. A partir de 1954-1955, des informations reviennent aux oreilles épiscopales sur son comportement.

      [...]

      Les évêques des années 1950 n’ont pris aucune sanction canonique, et il y aurait lieu de rechercher si les informations furent transmises ou connues au-delà de 1961. Les témoignages de la Ciase ont conduit l’un d’entre nous à interroger le diocèse de Grenoble, dont dépendait l’abbé Pierre. Il a reconnu disposer de données, sans les avoir communiquées. Les dirigeants d’Emmaüs se sont contentés de mettre en garde de manière officieuse et elliptique des femmes travaillant pour Emmaüs.

      https://justpaste.it/fetfz

      #Ciase

    • Abbé Pierre : réagissant à une tribune parue dans « Le Monde », les évêques se défendent d’avoir « voulu étouffer » les accusations d’agressions sexuelles
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/07/26/abbe-pierre-reagissant-a-une-tribune-parue-dans-le-monde-les-eveques-se-defe

      « Je ne peux laisser sans réponse de telles assertions, a fortiori dans un quotidien de référence », a déclaré le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort.

      La Conférence des évêques de France s’est défendue, vendredi 26 juillet, « d’avoir voulu étouffer » l’affaire d’agressions sexuelles dont est accusé l’abbé Pierre, estimant qu’une tribune récemment publiée dans Le Monde avait porté atteinte à « l’honneur de milliers de prêtres ».

    • Révélations sur l’abbé Pierre : « Certains savaient, mais n’ont rien dit, car l’icône rendait davantage service sur son piédestal », Axelle Brodiez-Dolino, historienne.
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/01/revelations-sur-l-abbe-pierre-certains-savaient-mais-n-ont-rien-dit-car-l-ic

      Après l’« affaire #Roger_Garaudy » [écrivain et politique français mort en 2012, à l’âge de 99 ans, qui avait conservé l’amitié et le soutien de l’abbé Pierre, malgré sa condamnation pour négationnisme], qui était de nature politique, l’icône abbé Pierre vient de chuter une deuxième fois, sur des comportements privés qui s’étalent, selon le rapport du cabinet Egaé, entre la fin des années 1970 et 2005.

      Sa mort, en 2007, désormais lointaine, le scandale des violences sexuelles commises par des #prêtres sur des mineurs dans l’Eglise catholique, ainsi que le vaste mouvement #metoo, ont libéré la parole des victimes.
      Comprendre implique de distinguer les deux grandes phases médiatiques de la vie de l’abbé Pierre : celles qui ont suivi l’appel de 1954 et les années 1980-1990.

      Après l’immense succès de l’appel, l’ancien résistant et ancien député (1945-1951) devient une icône, prophète des temps modernes, renouvelant la figure du prêtre engagé au moment même de la condamnation par Rome des #prêtres_ouvriers. « Des mains innombrables le touchent comme s’il s’agissait d’un totem aux pouvoirs magiques (…). D’autres vierges folles tombent en extase devant lui (…). Il éprouve de plus en plus de peine à résister (…) aux tentations », rapportaient déjà, en 1969, Gérard Marin et Roland Bonnet dans La Grande Aventure d’Emmaüs (Grasset). Dès février 1954, « des femmes harcèlent le père » et son entourage, sa secrétaire Lucie Coutaz en tête, « s’épuise à le faire suivre, à encadrer ses déplacements pour le protéger contre lui-même », écrivait encore Pierre Lunel dans L’Abbé Pierre. L’insurgé de Dieu (Stock, 1989).

      Quelles « tentations » ? Ceux qui savaient n’ont jamais voulu détailler. Ils exprimaient cependant, quand on les interrogeait [l’autrice de cette tribune a notamment réalisé une série d’entretiens en 2005 et en 2006, en partie publiés dans un livre, Emmaüs et l’abbé Pierre, aux Presses de Sciences Po en 2009], une souffrance (plusieurs se sont effondrés en larmes), des mots très durs contre l’abbé et une lourde déception. Il est possible qu’il se soit plutôt agi d’attouchements ou de relations sexuelles consentis – face à une icône, la frontière du consentement est néanmoins difficile à établir.

      Personne n’a alors parlé, par peur du scandale. A #Emmaüs, une étroite direction voulait sauver l’édifice encore fragile. L’#Eglise, dont ce prêtre redorait l’image et la popularité, a, de son côté, opté, fin 1957, et avec le concours de la direction d’Emmaüs, comme le montrent des courriers conservés dans les archives [de l’association Emmaüs, devenue Emmaüs Solidarité], pour l’exfiltration de l’abbé en Suisse, dans une clinique psychiatrique pour personnalités. Son internement durera plus de six mois ; à partir de son retour, il ne dirigera plus jamais aucune structure Emmaüs. Le #ministère_de_l’intérieur et certains #journalistes savaient aussi, comme l’a montré Pierre Lunel, mais l’icône rendait davantage service sur son piédestal.

      Pulsions répréhensibles

      Son attrait pour les femmes semble ensuite n’avoir jamais cessé. Il redevient cependant facilité par son regain de célébrité à partir des années 1980, sur fond de médiatisation des « nouveaux pauvres », du chômage de masse et d’une nouvelle crise du logement. Le héros, en 1989, du film Hiver 54, l’abbé Pierre sera quinze fois élu personnalité préférée des Français.

      Du début des années 1980 à la fin des années 1990, les personnes chargées à Emmaüs de l’entourer rapportent qu’elles devront continûment lutter pour écarter des femmes qui lui font des avances. A partir de 1982, il déclare en outre la maladie de Parkinson, dont le traitement est connu pour activer fortement la libido. Les témoignages aujourd’hui connus montrent qu’avant comme durant ce traitement, il avait des pulsions répréhensibles qu’il peinait à contrôler. Mais qui savait alors, à part de petits cercles à Emmaüs qui tentaient de s’en protéger, et de l’en protéger comme ils pouvaient, en particulier en ne le laissant pas seul ? Je ne sais pas.

      Au soir de sa vie, il a finalement confié à l’essayiste Frédéric Lenoir avoir « cédé de manière passagère » à « la force du désir » et avoir « connu l’expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction » (Mon Dieu… Pourquoi ?, Plon, 2005). Après ces révélations, la hiérarchie ecclésiastique – par le biais, selon des témoins d’alors, de Mgr Lustiger, archevêque de Paris, et de Mgr Simon, futur vice-président de la Conférence des évêques de France – viendra lui intimer l’ordre de ne pas en dire davantage.

      Remettre chaque acte dans son contexte

      L’abbé Pierre a toujours clamé qu’il n’était pas un saint. Il s’est livré à des actes consentis mais aussi non consentis. Son entourage à Emmaüs savait. L’Eglise a, quant à elle, tenté d’étouffer d’abord ses actes, puis ses paroles. Et que savaient les présidents de la République, qui l’ont décoré de la #Légion_d’honneur jusqu’au plus haut grade, celui de grand-croix ?
      Il faudra remettre chaque acte dans son contexte : avant ou après sa maladie de Parkinson mais également selon la sensibilisation aux violences sexuelles et à la nécessité du consentement – les temps ont à cet égard, en soixante-dix ans, radicalement changé.

      Il n’empêche [science pipo oblige] qu’Emmaüs reste une extraordinaire organisation, remarquablement inventive, pionnière dans l’articulation du social et de l’écologique, qui se bat sur tous les fronts. L’abbé Pierre a été un vrai résistant, un vrai pacifiste, un inlassable héraut de la guerre contre la pauvreté, dont il a considérablement fait avancer la cause. Il continuera d’appartenir à l’histoire. Il en reste encore des zones d’ombre ; et les vivants peuvent en parler en toute liberté.

      Axelle Brodiez-Dolino, historienne, directrice de recherche au CNRS, est l’autrice d’« Emmaüs et l’abbé Pierre » (Presses de Sciences Po, 2009).
      Axelle Brodiez-Dolino (historienne)
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  • Paris 2024 : une cérémonie d’ouverture réduite au seul Trocadéro coûterait plus de 255 millions d’euros aux organisateurs
    https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/07/15/paris-2024-une-ceremonie-d-ouverture-reduite-au-seul-trocadero-couterait-plu


    Répétition technique de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 17 juin 2024, à Paris. TERENCE BIKOUMOU POUR « LE MONDE »

    Dans une note interne révélée par « Le Canard enchaîné » et que « Le Monde » a pu consulter, le Comité de Paris 2024 a calculé l’impact financier de différents scénarios restreints envisagés pour la cérémonie du 26 juillet.
    Par Nicolas Lepeltier

    C’est un document qui ne devait pas sortir des bureaux du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop). Une note interne sobrement intitulée « Alternatives CER1 » dressant les conséquences financières « des différents scénarios alternatifs à l’organisation de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques pour Paris 2024 ».

    Dans cette note, dont l’existence a été révélée par Le Canard enchaîné le 10 juillet et que Le Monde a pu consulter, la piste d’une cérémonie sur un autre site que la Seine et ses quais, dans l’hypothèse d’une menace terroriste avérée, semble écartée. « Au-delà des enjeux réputationnels pour la France, les impacts opérationnels et financiers seraient considérables voire irréalistes », écrit la direction de Paris 2024, qui estime la facture globale d’un tel déménagement à près de 300 millions d’euros.
    Exit donc le Stade de France. La possibilité d’un « plan C » avait été publiquement évoquée par le président de la République en décembre 2023 – soit avant l’existence de la note, rédigée début février, « à quelque cent soixante-dix jours de la cérémonie » –, puis réaffirmé en avril. Le début du tournoi olympique de rugby à VII dans l’enceinte dyonisienne dès le 24 juillet rend toutefois caduque cette possibilité de repli, objectaient à chaque fois les organisateurs. « En cas d’absolue nécessité », ils recommandent, dans leur document interne, d’organiser la cérémonie au village des athlètes, « dans une version dégradée à l’extrême ».

    Rembourser 104 000 billets

    En décembre, Emmanuel Macron avait également confirmé l’existence d’un « plan B ». Ce sont les conséquences financières d’une « cérémonie “ajustée” sur la Seine et le Trocadéro » que les dirigeants du Cojop ont expertisées en détail dans leur note, selon quatre variables présentées de manière graduelle. La première (réduction ou suppression du public quais hauts) aurait un impact financier « négligeable ». Mais le dernier scénario, qui ne conserverait qu’une cérémonie réduite, sans spectateur, face à la tour Eiffel et au pont d’Iéna – au seul point d’arrivée du défilé nautique tel que prévu à l’origine – coûterait plus de 255 millions d’euros aux organisateurs.

    Paris 2024 serait, en effet, contraint de rembourser les 104 000 billets des quais bas (de 90 euros à 2 700 euros), de dédommager leur partenaire d’hospitalités On Location pour le manque à gagner ainsi que les nombreux prestataires (restauration, sécurité, barriérage…). Sans parler de Louis Vuitton-Moët Hennessy, qui ne verrait certainement pas d’un bon œil l’annulation d’une cérémonie pour laquelle le groupe de luxe a énormément investi. Et ce n’est pas tout. « En cas de délocalisation de tout ou partie de la cérémonie au Trocadéro, l’impact lié aux télédiffuseurs pourrait se chiffrer en dizaines (voire centaines) de millions d’euros », ajoutent les auteurs de la note.

    Le chiffre de 255 millions d’euros représente « l’hypothèse la plus maximaliste d’une série de scénarios théoriques qui n’ont pas fait l’objet d’une analyse approfondie », se défend #Paris 2024, lundi 15 juillet. « Il ne représente à ce titre ni un scénario central, ni une estimation fiable et rigoureuse. »
    Les conséquences financières d’une activation du « plan B » pourraient être deux à trois fois plus importantes que le coût lui-même du « plan A ». La facture de la parade nautique entre les ponts d’Austerlitz et d’Iéna est estimée entre 120 millions et 130 millions d’euros, soit trois fois le prix des cérémonies d’ouverture et de clôture de Londres 2012 – 40 millions de dollars au total (36,65 millions d’euros), selon les économistes Robert Baade et Victor Matheson dans une tribune au Monde.

    #JO

    • « Les JO sont devenus financièrement inabordables et économiquement intenables », Robert Baade, Victor Matheson (économistes)
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/12/les-jo-sont-devenus-financierement-inabordables-et-economiquement-intenables

      Après des débuts plutôt modestes en 1896, les JO [Jeux olympiques] modernes ont pris rapidement de l’importance au-delà d’une simple compétition sportive, engendrant des coûts de plus en plus élevés pour les villes hôtes. Avec une facture de plus de 541 millions de dollars (en équivalent dollars de 2021), les JO de 1936 à Berlin, clairement conçus pour illustrer la puissance de l’Allemagne nazie, ont coûté dix fois plus cher que tous les JO précédents.
      Ils n’ont été que les premiers d’une longue série. Par exemple, Montréal 1976 a établi un nouveau record, à près de 7 milliards [tous les chiffres sont en dollars]. Certes, Los Angeles 1984 et Barcelone 1992 ont connu un relatif succès financier, mais les cinq derniers JO d’été et d’hiver ont tous dépassé la barre des 10 milliards, Pékin 2008 allant au-delà de 45 milliards et Sotchi 2014 de 50 milliards. Rio 2016, dont le budget initial était de 3 milliards, en a coûté environ 13. La Chine s’est vantée que les Jeux d’hiver de 2022, à Pékin, n’avaient coûté que 3,9 milliards de dollars. Mais une enquête de Business Insider suggère que les coûts réels étaient près de dix fois supérieurs, une fois inclus l’ensemble des coûts liés aux installations et infrastructures. Entre 1960 et 2016, les JO ont connu en moyenne 156 % de dépassements de budgets.

      Les recettes se révèlent généralement très inférieures : moins de 9 milliards pour Rio 2016, dont une grande partie est revenue au Comité international olympique (CIO). Cela signifie que les retombées positives nettes pour les villes hôtes doivent soit découler d’un renforcement de l’activité économique pendant les JO mêmes, ce que ne peuvent étayer des analyses économiques objectives, soit résulter d’un effet indirect. Malheureusement, ces avantages à long terme sont aussi difficiles à vérifier. Les rares études montrent que, par comparaison avec des pays similaires n’ayant pas accueilli l’événement, les bénéfices économiques liés à l’organisation des JO sont inexistants pour un pays hôte.

      Les coûteuses exigences du CIO

      La progression fulgurante des coûts est due à de nombreux facteurs. Tout d’abord, l’ampleur de l’événement s’est accrue au fil du temps. Au cours des cinquante dernières années, le nombre d’équipes, d’événements et d’athlètes a pratiquement doublé. De nombreux sports nécessitent des infrastructures spécialisées qu’il faut construire, et qui n’ont souvent que peu d’utilité après les JO, ce qui débouche sur un héritage d’« éléphants blancs » onéreux, ou à l’abandon de sites laissés en ruine.

      Le #CIO lui-même est responsable d’une partie de la progression des coûts. Après le succès économique de Los Angeles 1984, le nombre de soumissionnaires a considérablement augmenté lors de chaque appel à candidature. Pour l’emporter, il fallait accueillir les JO d’une manière plus impressionnante, plus opulente et plus mémorable que les autres candidats. Mais si les JO de Los Angeles ont connu un tel succès financier, c’est parce qu’après la catastrophe terroriste de Munich, en 1972, et le désastre économique de Montréal, en 1976, seule Los Angeles était, au moment de l’attribution des JO, prête à se porter candidate. La ville pouvait ainsi dicter les conditions de l’événement au CIO plutôt que l’inverse, et a choisi de réutiliser les installations existantes datant des JO de 1932, plutôt que de construire les nouveaux stades rutilants que le CIO aurait préférés.
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      La sécurité est un autre coût important. Les JO ont été touchés par deux attentats (Munich en 1972 et Atlanta en 1996) qui montrent à quel point ils sont une cible privilégiée pour les groupes terroristes. A eux seuls, les coûts de sécurité des JO d’été dépassent en général, désormais, la barre de 1,5 milliard de dollars.
      La corruption, l’absence d’appels d’offres concurrentiels, la poursuite de priorités politiques et le rôle croissant de la télévision ont aussi joué dans la flambée des coûts. Les cérémonies d’ouverture et de clôture de Tokyo 2020 ont coûté 159,7 millions de dollars, contre 40 millions pour Londres 2012 et 20 millions pour Rio 2016.

      Enfin, les villes hôtes profitent souvent de l’approche des JO pour proposer une liste de projets d’infrastructures générales qui, autrement, ne pourraient pas bénéficier d’un vaste soutien. La question de savoir dans quelle mesure ces dépenses doivent être prises en compte dans le coût d’accueil des JO fait débat. D’abord, elles ont plus de chances d’être rentables à long terme que les infrastructures sportives spécialisées.
      Mais même pour ces installations générales, les investissements de fonds publics peuvent s’avérer peu judicieux, comme dans le cas d’infrastructures touristiques calibrées pour les JO, mais bien trop grandes une fois l’événement terminé. En somme, les Jeux sont devenus financièrement inabordables et économiquement intenables.

      Moins de candidatures

      C’est pourquoi de moins en moins de villes se portent candidates. Lors des sélections pour l’accueil des JO d’hiver de 2022, pas moins de cinq villes hôtes potentielles, toutes situées dans des démocraties occidentales, se sont retirées du processus, ne laissant en lice que Pékin, en Chine, et Almaty, au Kazakhstan. De même, Boston, Budapest, Hambourg et Rome ont toutes annulé leur candidature pour les JO d’été de 2024, ne laissant que Paris et Los Angeles dans la course. Confronté à l’éventualité de ne voir aucune ville adéquate se présenter pour 2028, le CIO a pris la décision sans précédent d’attribuer en même temps les Jeux de 2024 à Paris et ceux de 2028 à Los Angeles, sans organiser de nouvel appel d’offres !

      La constance de ces rendements économiques négatifs devrait conduire à réformer la manière dont les JO sont organisés, préparés et accueillis.

      Le CIO a indiqué qu’il évaluerait désormais les candidatures selon la pérennité économique et environnementale du projet présenté. Il a également signalé qu’il courtisera activement les villes qu’il estime capables d’accueillir les JO avec succès, au lieu de laisser candidater celles qui nécessitent une refonte complète pour accueillir un tel événement. Ce processus de sélection modifié a abouti en 2021 au choix de Brisbane pour 2032, onze ans avant l’événement. La ville australienne a été choisie sans appel d’offres formel, mais plutôt via un dialogue ouvert sollicité par le CIO.

      Reste à savoir si ces changements permettront de réduire de façon permanente le fardeau économique qui pèse sur les villes organisatrices.
      Robert Baade est professeur émérite d’économie au Lake Forest College, à Chicago (Illinois) ; Victor Matheson est professeur d’économie au College of the Holy Cross à Worcester (Massachusetts). Réunis par la Revue économique et financière dans un dossier spécial « Finance et sport » (no 154), dont Le Monde publie les synthèses de plusieurs articles, ils dressent un bilan sévère des éditions précédentes des JO.

  • Laurence Tubiana
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurence_Tubiana

    Laurence Tubiana a toujours revendiqué être de gauche ; militante à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) dans sa jeunesse, c’est une proche de Lionel Jospin.

    Lors de l’élection présidentielle de 2012, elle signe [avec Philippe Aghion et alii] l’appel des économistes en soutien au candidat François Hollande en raison de « la pertinence des options [proposées], en particulier pour ce qui concerne la reprise de la croissance et de l’emploi ».

    Le 15 juillet 2024, quelques jours après les élections législatives anticipées, elle est proposée par le Parti socialiste, Les Écologistes et le Parti communiste français, à la France insoumise pour devenir Première ministre.

    #PS #NFP

    • « Le Nouveau Front populaire doit sans tarder tendre la main aux autres acteurs du front républicain pour discuter d’un programme d’urgence républicaine » (11/7/24)
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/11/le-nouveau-front-populaire-doit-sans-tarder-tendre-la-main-aux-autres-acteur

      Dimanche 7 juillet, au second tour des élections législatives, les Françaises et les Français se sont très majoritairement opposés au Rassemblement national en jouant pleinement le jeu du front républicain initié par le Nouveau Front populaire (NFP). Nous sommes très reconnaissants au NFP d’avoir proposé un tel front, malgré les profondes divergences qui l’ont opposé à l’ex-majorité présidentielle. Les résultats obtenus par l’extrême droite dans un nombre important de territoires montrent cependant que la colère et le désespoir – au sens littéral du terme – de millions de nos concitoyens et concitoyennes restent profonds.

      La voie raciste et xénophobe choisie pour l’exprimer est une impasse qui conduirait le pays au désastre économique, social, écologique et démocratique. Il faut donc réussir à mettre en œuvre ici et maintenant une alternative qui permette d’éviter que la prochaine vague d’extrême droite ne soit encore plus haute et ne parvienne à nous submerger.
      Le 7 juillet, les Françaises et les Français ont fait des députées et députés du NFP la première force à l’Assemblée nationale. Ils et elles n’ont pas donné cependant de majorité absolue au NFP et donc de mandat pour appliquer la totalité de son programme, comme cela avait pu être le cas en d’autres temps. Dans un tel contexte, il n’est pas envisageable de commettre l’erreur justement reprochée à Jacques Chirac en 2002 et à Emmanuel Macron en 2017 et 2022, qui, aussitôt élus, avaient oublié les voix de gauche ayant permis leur élection.
      Réorientation des politiques publiques
      La position de principale force du NFP au sein de l’Assemblée nationale lui donne une responsabilité particulière pour proposer au pays les moyens de sortir de l’impasse où il se trouve du fait de l’absence de majorité claire au Parlement. Il nous semble impossible en effet que la France puisse rester durablement sans véritable gouvernement légitimé par l’Assemblée pour préparer le budget du pays pour 2025 et entamer la profonde réorientation des politiques publiques, indispensable pour ramener la concorde et faire (enfin) reculer l’extrême droite.

      C’est pourquoi, le NFP doit sans tarder tendre la main aux autres acteurs du front républicain pour discuter d’un programme d’urgence républicaine et d’un gouvernement correspondant. Ce sera également le moyen de mettre au pied du mur l’ex-majorité présidentielle, en l’obligeant à se positionner vis-à-vis des nostalgiques qui, en son sein et à droite, rêvent encore de poursuivre et d’accentuer la politique qui a conduit le pays au bord du gouffre.

      Le point de départ d’une telle négociation sera bien sûr, du côté du NFP, son programme, mais chacun et chacune d’entre nous sait, et admet par avance, que ce ne sera pas le point d’arrivée dans tous les domaines. Et très peu nombreux seront celles et ceux qui, dans le pays, tiendront rigueur au NFP d’avoir dévié de ce programme sur tel ou tel sujet si cela permet que la France soit gouvernée de manière stable et apaisée.

      Réduire les injustices

      Nous avons la conviction que si la volonté politique est suffisante, il est possible de trouver un accord pour un tel gouvernement d’urgence républicaine. Et de montrer aux Françaises et aux Français que le message a été entendu. Que la volonté est là de mettre un terme à la dégradation des services publics, notamment d’éducation et de santé, d’améliorer le pouvoir d’achat des plus faibles, de rééquilibrer les territoires, de lutter enfin contre toutes les formes de racisme et de discrimination, d’accélérer une mutation écologique juste et solidaire et de réduire les injustices sociales et fiscales.
      Le tout en commençant à refondre nos institutions pour renforcer la démocratie et à rétablir dans le champ médiatique les conditions d’un débat public serein et de qualité.

      Nous savons que la société civile (associations, syndicats, think tanks, etc.) est prête à aider le NFP à dégager un tel programme d’urgence capable de rassembler une grande partie du pays. Et si d’aventure certains ou certaines préféraient privilégier leurs intérêts de boutique de court terme plutôt que les intérêts supérieurs du pays, cette société civile saurait aussi se mobiliser pour les ramener à la raison, comme elle l’a fait entre les deux tours des élections législatives vis-à-vis de celles et ceux qui étaient réticents à la mise en œuvre du front républicain.
      L’avenir du pays est entre les mains du NFP. Nous comptons sur lui pour se porter à la hauteur des responsabilités que les Français et les Françaises lui ont confiées.

      Premiers signataires : Loïc Blondiaux, politiste ; José Bové, ancien député européen ; Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et écrivaine ; Patrick Braouezec, ancien parlementaire ; Thierry Cadart, questeur du Conseil économique, social et environnemental ; Quitterie de Villepin, innovatrice démocratique ; Cyril Dion, auteur et réalisateur, Hakim El Karoui, essayiste ; Aurélie Filippetti, ancienne ministre ; Noël Mamère, ancien député ; Ariane Mnouchkine, directrice de théâtre ; Christophe Prochasson, historien ; Frédéric Sawicki, politiste ; Benjamin Stora, historien ; Marisol Touraine, ancienne ministre ; Laurence Tubiana, professeure à l’Ecole normale supérieure.

      (parmi les signataires, la rentière la mieux dotée d’un gouvernement Hollande saura "réduire les injustices").