La colonisation a commencé ici

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  • La colonisation a commencé ici par Nicolas Arraitz
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    Dans Portrait du colonialiste (La Découverte, 2011), Jérémie Piolat démontre que les non-Occidentaux ne sont pas les seules victimes de la violence et des destructions du colonialisme. Bien au contraire : pour que le capitalisme conquérant puisse triompher partout, il aura fallu que la spoliation fasse ses armes ici, contre les cultures populaires d’Europe de l’Ouest. Et les conséquences de ce ravage se font encore douloureusement sentir, ici et aujourd’hui. Entretien avec l’auteur.

    CQFD : Dans ton livre, tu dis que la dépossession subie par les peuples colonisés s’est appuyée sur une dépossession préalable des peuples occidentaux. Qu’en est-il ?

    Jérémie Piolat : Je pose en fait cette question : n’est-ce pas le colonialisme qui est la matrice ? Il faut qu’ait été fondée la colonisation sous sa forme moderne pour qu’aie pu se développer le capitalisme. Le XVIe siècle, avec la suppression des terres paysannes communes et la chasse aux sorcières a, selon moi, fondé l’acte colonial moderne.

    Il peut se résumer en cinq étapes : 1) spoliation des terres communales ; 2) soumission de la terre aux demandes du marché ; 3) destruction du lien des peuples européens avec la terre ; 4) destruction des cultures populaires, thérapeutiques, artistiques, qui permettent de maintenir le lien entre les membres des communautés et le lien avec le monde vivant ; 5) instauration de la haine de soi, de sa culture, de son mode de vie.

    Sans cette série de ravages, le développement capitaliste n’aurait pas été concevable. Il fallait apprendre aux peuples à mépriser tout ce que le capitalisme a besoin de ravager pour se développer. La colonisation, sous sa forme moderne, a été fondée ici avant de s’exporter avec les violences et les horreurs que l’on sait.

    La destruction des sols et des êtres qui étaient forcés à les travailler, aux Caraïbes, par exemple, n’aurait pu se produire sans le principe selon lequel la terre, le vivant, végétal, animal ou humain, doivent être soumis aux demandes du marché. Le marché demande du sucre ? Soit. Les Békés utiliseront les terres caribéennes pour produire exclusivement de la canne à sucre et importeront pour cela autant d’esclaves qu’il le faut.

    Pour mettre à disposition le vivant, il faut d’abord le mettre à distance. Cette mise à distance a commencé ici. Et ses conséquences sur nos vies actuelles sont terribles et terriblement ignorées, impensées.