À Nantes, les Jeux olympiques peuvent-ils museler des militants de la cause palestinienne ?
En plus des deux arrêtés d’interdiction de manifester pris par le préfet dans le contexte des Jeux olympiques, l’interpellation de trois militants de l’Association France Palestine solidarité, à La Chapelle-sur-Erdre, près de Nantes, a fait réagir. Notre décryptage.
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Que s’est-il passé en marge des Jeux olympiques, mardi 30 juillet, à La Chapelle-sur-Erdre, au nord de Nantes ?
« Un quart d’heure après notre arrivée, on voit débarquer quatre véhicules de gendarmerie. Ils étaient six gendarmes et, un peu après, deux policiers municipaux. » Pierre a écarquillé les yeux, dans la matinée de mardi 30 juillet. Avec ses compagnons de 69 et 81 ans, ce retraité de 79 ans ne pensait pas que le simple déploiement d’une banderole et le port de drapeaux, sur un rond-point de La Chapelle-sur-Erdre, au nord de Nantes, le conduiraient à finir sa matinée dans les locaux de la brigade locale. C’est pourtant bien ce qui est arrivé à ce militant de la cause palestinienne, juste après une altercation avec un automobiliste en colère.
Dans cette commune qui s’est associée à Jénine, dans les Territoires occupés de Cisjordanie, au point d’y envoyer des délégations officielles, cet adhérent de l’Association France Palestine solidarité (AFPS) a pourtant l’habitude de ce genre d’actions. Lecture des droits, prise d’empreintes, photographies et « interrogatoire bon enfant ». Rien n’a manqué.
Que reproche-t-on aux trois militants de la cause palestinienne ?
Justement, cette opération de soutien au peuple palestinien dans un des deux périmètres où le préfet l’a interdit depuis la fin juillet, dans le cadre des Jeux olympiques. Ce que les trois hommes d’âge mûr ignoraient, jurent-ils. Les trois militants déplorent une stigmatisation des activistes pro-Palestiniens. « Dès que l’on manifeste un soutien, on nous taxe d’antisémitisme. Notre association, dans ses statuts, combat tous les racismes, dont l’antisémitisme. » Les membres de l’AFPS assument : ils considèrent que « le gouvernement français joue ce jeu de stigmatiser le soutien au peuple palestinien. On souffle sur les braises ».
Quelles sont les suites judiciaires ?
L’arrêté préfectoral prévoit, en cas d’infraction, une peine maximale encourue de six mois de prison et 7 500 € d’amende. Mais faut-il sanctionner trois retraités avec banderoles et drapeaux ? Ils sont ressortis de leurs deux heures et demie d’auditions libres, sans leurs accessoires… et sans indication claire. Vendredi 2 août, le procureur de Nantes, Renaud Gaudeul, nous a précisé qu’« il n’y avait pas eu de réponse au niveau du parquet ». Du moins pas encore, semble-t-il, à ce moment-là. Les militants de l’AFPS ont été alertés, samedi, d’une convocation au tribunal judiciaire de Nantes, mardi 10 septembre, pour un avertissement pénal probatoire. Ce que confirme une source de la gendarmerie.
Pourquoi un arrêté interdisant de manifester a-t-il été pris sur le territoire de La Chapelle-sur-Erdre ?
L’explication se trouve dans les termes de l’arrêté du 25 juillet. Dans le cadre des Jeux olympiques 2024, Nantes accueille des matches des tournois féminins et masculins de football. Parmi les équipes, celle d’Israël, dans un contexte de conflit avec les Palestiniens. Les rencontres se jouent au stade de La Beaujoire. Les sportifs fréquentent le Club 2024, sorte de mini-village olympique, au Creps de La Chapelle, et logent dans des hôtels à proximité.
Les autorités sont sur les dents. Elles ont pris les devants en interdisant les manifestations, pour « prévenir un trouble grave à l’ordre public ». Pour les autorités, un lien est établi entre ces mouvements de protestation et un risque de « provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence », du fait de l’origine des sportifs et d’antécédents « d’affrontements entre les “antifas” d’ultra-gauche et les partisans de l’ultra-droite ». La découverte récente de croix gammées sur la façade de l’école communale est rappelée.
Pourquoi le préfet et le maire se sont-ils renvoyé la balle pour prendre cet arrêté ?
La pique n’est pas passée inaperçue. Au milieu des considérants de l’arrêté, le préfet rappelle qu’il a demandé au maire de La Chapelle d’interdire les manifestations, mais que l’intéressé ne l’a pas fait. « C’était une décision de l’État, soutient sans animosité Laurent Godet (ex PS), élu le 13 juillet. Le Creps est un équipement de l’État, les Jeux olympiques ont une dimension nationale. La sécurité des JO est essentielle. Il est important que chacun soit dans son rôle. » La préfecture semble adhérer, aujourd’hui, à cette lecture de la répartition des rôles. Sollicitée, elle n’a pas répondu à nos questions.
En quoi ces interpellations ont-elles fait réagir ?
Les syndicats FO et CGT ont, au préalable, qualifié d’« inacceptable » l’arrêté préfectoral d’interdiction de manifester jusqu’à la fin des JO. « Les autorités ne peuvent invoquer à tout bout de champ des prétextes sécuritaires pour étouffer la contestation sociale », ont-ils écrit, dans un communiqué commun. Jeudi, la Ligue des droits de l’Homme est à son tour montée au créneau pour dénoncer « une interpellation disproportionnée ».
Peut-on, à cause des Jeux olympiques, limiter le droit à la liberté d’expression ?
Membre du Syndicat des avocats de France, Loïc Bourgois se dit « très choqué ». L’avocat nantais voit dans les arrêtés et les trois interpellations « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale. Même s’il y a des interdictions, la liberté est la règle ». Pour lui, « ce sera bien compliqué de faire la démonstration de la menace de ces trois personnes, en dépit d’une interdiction qui a pu exister ».