• J’apprends ce soir la disparition cet été de ma chère Barbara Crane dont je mentionnais encore le travail pas plus tard qu’il y a deux jours ( https://seenthis.net/messages/802058 ). C’est justement en visitant son nouveau site, en utilisant le formulaire de contact que je lui ai envoyé un petit mail histoire de lui donner de mes nouvelles comme elle me demandait de temps en temps. Le pire étant que dans ce mail d’il y a deux jours je lui demandais des nouvelles de la santé de son mari, le peintre (et quel !) John Miller lequel est atteint de la maladie d’Altzheimer. C’est la dernière assistante de Barbara qui m’a répondu ce soir pour me dire que Barbara était partie cet été à l’âge de 91 ans.

    https://www.nytimes.com/2019/08/15/arts/barbara-crane-dies.html

    http://www.artnews.com/2019/08/08/barbara-crane-dead

    Robert Frank la semaine dernière, il y a deux ans j’apprenais le départ de Bart Parker et en cherchant une chouette image de Barbara je tombe naturellement sur les baseball card de Mike Mandel parmi lesquels je commence à compter pas mal de disparus.

    Ce soir j’étais au cinéma, et juste avant de partir j’avais lancé dans le garage le calcul de remontage du blues du suceur de bite de Robert Frank que je voudrais libérer dans le Désordre, mon idée un peu tordue d’un hommage. Mais là ce soir je mesure grandement l’écart, Robert Frank en dépit de mes efforts je ne l’ai jamais croisé. Barbara Crane j’ai passé des journées avec elle, notamment parmi les plus belles de ma vie dans sa maison forestière dans le Michigan, maison autour de laquelle elle avait construire une très grande terrasse en bois en préservant ça et là le passage pour quelques arbres au travers même de sa terrasse. Sous les toits, juste derrière les gouttières il y avait de puissantes mandarines qui éclairaient avec beaucoup de contraste les branches environnantes tout en maintenant le fond noir, c’était un peu son jardin de Giverny.

    Je dois tant de choses à cette toute petite femme devant laquelle je tremblais comme une feuille morte quand elle dardait son regard quand je tentais vainement de la contredire lorsqu’elle passait en revue mes boîtes de tirages.

    Cela va sans doute me prendre un peu de temps, mais je tenterais de fabriquer un petit quelque chose pour elle

    Alors pour le coup je vous invite ce soir à plutôt visiter son premier site internet http://barbaracrane.desordre.net

  • À la faveur d’une réunion à laquelle je dois me rendre dans une aile de mon bureau dans laquelle je ne m’étais encore jamais allé, je découvre un atelier de créa, entendre un atelier de création, et, profitant que la porte est entrouverte, je jette un œil. Où je constate une pièce très étrange, ce sont les mêmes sous-plafonds et faux-planchers et la même moquette que dans les autres open spaces, en revanche le mobilier diffère entièrement et ressemble à s’y méprendre à celui des chambres factices dans les salles de démonstration de ces entreprises de mobilier à monter soi-même. Il y a notamment tout un coin garni de poufs, des tables hautes et des tables basses, des couleurs vives et répartis sur toutes sortes de tables, des pots remplis à craquer de feutres de couleurs, et, carrément, des pinceaux, des ciseaux, des rouleaux de feuille de couleur différentes, un massicot, des martyres pour couper au cutter, autant de choses qui pour le coup rappellerait plutôt le décor d’une école maternelle ou élémentaire, mais avec du mobilier qui serait à la taille des adultes. Et tandis que je passe cette tête curieuse, je suis hélé par une jeune femme qui ressemblerait plutôt à une illustratrice telle qu’elle serait représentée dans un magazine de droite, donc très propre sur elle, mais tout de même habillée de façon savamment négligée, surtout par rapport à mes collègues féminines d’open space, et qui me demande si je viens pour l’atelier de création, ce à quoi je tente de la détromper en lui disant que pas du tout et que je suis plutôt un ingénieur informatique qui se rend à une réunion dans laquelle il risque de repartir avec des sujets, elle me répond qu’au contraire, je ne dois pas avoir des a priori et que nous avons tous une part créative en nous. Ce qui me fait sourire. Évidemment.

    N’empêche je m’interroge à propos de l’avalanche de présupposés de cette situation. L’incongru d’une salle de création dans une entreprise spécialisée dans l’informatique bancaire. Son aménagement en un atelier très propre sur soi et aux couleurs vives et aux formes infantilisantes. Et naturellement sur le fait que cette jeune femme pense devoir combattre chez moi un a priori que ce qui se passe dans un tel atelier n’est pas sérieux, que la création n’est pas chose sérieuse. Et cette jeune femme qui enchaîne un peu les poncifs sur le thème de nous sommes tous des artistes, et si elle-même en est une, ce qu’elle semble laisser entendre, qu’est-ce qu’elle fait exactement dans les locaux de la Très Grande entreprise qui m’emploie ?

    Et si moi-même, je suis, comme il m’arrive de le dire, un artiste, qu’est-ce que je fais dans les locaux de la Très Grande Entreprise et ses ateliers de créa ?

    La jeune femme enchaîne, je dois laisser mes a priori de côté. Et je dois résister, par tous les moyens de lui révéler qui je suis vraiment, je veux dire dans d’autres cadres que celui de la Très Grande Entreprise, et que, par ailleurs, je suis un ancien étudiant des Arts Déco, parce que justement si on savait une telle chose à mon propos (et cela filtre malgré tout), on se demanderait bien comment il se fait que d’une part je sois dans le sein même de la Très Grande Entreprise et qu’elles seraient les mesures les plus appropriés qui soient pour me raccompagner vers la porte et m’expulser tel un corps étranger. Ce que je suis.

    Oui, tout cela je me le demande bien.

    De même je me demande bien ce qu’il se passe dans la tête des personnes qui sont à l’origine de ce concept de salle de créa, récréative j’imagine, au sein de la Très Grande Entreprise ? Et je m’effraie finalement que de telles inversions du sens deviennent la norme et la règle au point qu’il devient très difficile de rétablir un peu de sens à tout cela et qu’en exagérant à peine, il se passe de drôles de choses pendant la fin du monde, #pendant_qu’il_est_trop_tard.

    Revenant à mon bureau, à mon poste, devant mon ordinateur dit personnel, je décide de prendre cela en note, à la fois la surprise visuelle de cet atelier de création, son incongruité et les allers-retours un peu fous et affolés de présupposés qu’il génère. Pendant qu’il est trop tard. J’y reviendrai (comme écrirait @tintin)