Incapable de mener une vie stable, Woody Guthrie fut un personnage picaresque, tour à tour et parfois simultanément chanteur, « hobo », c’est à dire vagabond des trains, homme de radio, journaliste, peintre en lettres, romancier, syndicaliste, pornographe, agitateur, ivrogne, blasphémateur, guitariste, philosophe, graphiste, animateur de concerts, orateur, chroniqueur, gratteur de mandoline et de violon, conteur, clown, dessinateur, coureur de filles, graphomane, mémorialiste, archiviste de la chanson populaire, poète, militant, caricaturiste, souffleur d’harmonica, éditorialiste, écornifleur, révolutionnaire, athée, chrétien, juif, menteur, joueur, voleur, cœur généreux, militant, immoraliste, saint, réprouvé, prodigue, internationaliste, étasunien, citoyen du Monde et de l’Oklahoma, et du Texas, et de la Californie, et de New-York, séducteur, consommateur de femmes et d’alcool, révolté, clochard, vedette, étoile filante, enfant, vieillard, raté, amoureux plus ou moins infidèle, idole pour des millions, maudit pour quelques-uns, ignoré des autres, auteur de centaines et de centaines de chansons, parfois chantées une seule fois, sur un piquet de grève, dans une salle de concert, sur un chantier, dans un meeting, à la radio, au fond d’un bistrot mal famé où l’on chante pour un sandwich, ou devant ses enfants ou ceux des autres, auteur aussi de deux romans, de pensées, de centaines de poèmes, de centaines d’articles, de milliers de pages perdues au fil de ses errances, laissées ici sur la table d’une inconnue, là sur celle d’un ami ou d’un hôte de rencontre, pour peu qu’il ait trouvé une machine à écrire à portée de sa main et peut-être une bouteille de bière dans le frigo, homme brisé et homme vivant, tellement vivant, jusqu’à sa lente agonie, qui est aussi celle d’une autre Amérique.