Le Liban attend la visite du secrétaire d’État des USA Mike Pompeo cette semaine, à un moment oùla carte politico-économique libanaise se redessine et oùle Liban subit sa pire crise économique de son histoire récente.
Les raisons de la détérioration de l’économie locale s’expliquent non seulement par la corruption du leadership politique et des échelons inférieurs de l’administration du Liban, mais aussi par les sanctions des USA imposées à l’Iran. Les plus récentes sanctions sont les plus sévères de toutes. Elles toucheront durement le Liban aussi longtemps que le président Donald Trump sera au pouvoir s’il ne se plie pas à la politique et aux diktats des USA.
Si, comme prévu, Washington déclare une guerre économique contre le Liban, les sanctions ne laisseront guère de choix au pays. Elles pourraient forcer le Liban à compter de nouveau sur l’industrie civile iranienne pour contrer la pression économique des USA et sur l’industrie militaire russe pour équiper les forces de sécurité libanaises. C’est ce qui arrivera si Pompeo continue à menacer les responsables libanais, comme ses assistants l’ont fait lors de leurs visites précédentes dans le pays. Le sempiternel message des responsables américains n’a pas changé : vous êtes avec nous ou contre nous.
Politiquement, le Liban se divise en deux courants, l’un favorable aux USA (et à l’Arabie saoudite), l’autre en dehors de l’orbite des USA. La situation économique pourrait bien accroître la division interne jusqu’à ce que la population locale réagisse avec vigueur pour mettre fin à toute influence des USA et de ses alliés au Liban.
Pareil scénario peut encore être évité si l’Arabie saoudite investit suffisamment de fonds pour relancer l’économie locale agonisante. Sauf que l’Arabie saoudite craint que ceux qui ne sont pas au diapason avec ses politiques et celles des USA tirent avantage de son soutien. Jusqu’à maintenant, Riyad n’a pas tellement compris la dynamique interne au Liban et ce qui est possible et impossible de réaliser dans ce pays. Le kidnapping du premier ministre Saad Hariri était l’illustration la plus éloquente de l’ignorance du jeu politique libanais par les Saoudiens. Leur manque de vision stratégique au Liban va probablement empêcher tout soutien important à son économie défaillante, ce qui pourrait causer une grande instabilité.
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Mais après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et son rejet de l’accord sur le nucléaire iranien, le gouvernement des USA a imposé les sanctions les plus dures contre l’Iran et a cessé les dons aux organismes des Nations unies qui soutiennent les réfugiés palestiniens. Les sanctions contre l’Iran ont forcé le Hezbollah à adopter un nouveau budget, dans le cadre d’un plan d’austérité de cinq ans. Ses forces ont été réduites au minimum en Syrie, les mouvements de troupes ont ralenti en conséquence et toutes les rémunérations additionnelles ont été suspendues. Le Hezbollah a réduit son budget au quart de ce qu’il était, sans toutefois suspendre les salaires mensuels de ses militants ou contractuels ni les soins médicaux, sous l’ordre de Sayyed Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah.
Cette nouvelle situation financière affectera l’économie libanaise à mesure que les flux de trésorerie et les devises se tariront. Les conséquences devraient se faire ressentir davantage au cours des prochains mois et il est plausible que la population locale réagisse sous le poids de l’économie défaillante.
Les USA et l’Europe imposent des contrôles stricts sur tous les montants transférés en direction ou en provenance du Liban. Le pays est sur une liste noire financière et toutes les transactions sont passées au peigne fin. Les dons religieux provenant de l’étranger ne sont dorénavant plus possibles, car les donateurs risquent alors d’être accusés de soutenir le terrorisme par les pays occidentaux.
Tant que Trump sera au pouvoir, le Hezbollah et l’Iran croient que la situation restera critique. Ils s’attendent aussi à ce que Trump obtienne un second mandat. Les cinq prochaines années seront difficiles pour l’économie libanaise, notamment si Pompeo est porteur de messages et de diktats auxquels le Liban ne peut se plier.
Pompeo veut que le Liban abandonne son tracé de la frontière maritime avec Israël, ce qui mettrait en péril ses prétentions sur les blocs 8, 9 et 10 du gisement d’hydrocarbures au profit d’Israël. Cette demande ne sera pas accordée et les responsables libanais ont dit à plusieurs reprises qu’ils comptent sur les missiles de précision du Hezbollah pour empêcher Israël de s’accaparer d’eaux territoriales libanaises.
Pompeo veut aussi que le Liban abandonne le Hezbollah et mette fin à son rôle au sein du gouvernement. Là encore, l’administration américaine semble ignorer que le Hezbollah représente presque le tiers de la population du Liban, en plus de bénéficier du soutien de plus de la moitié des chiites, des chrétiens, des sunnites et des druzes qui y vivent, qui comptent parmi eux des membres officiels des pouvoirs exécutifs et législatifs du pays. En outre, le président libanais fait partie de la coalition du Hezbollah et maintient fermement son lien avec le groupe, qu’il juge nécessaire à la stabilité du pays.
Quelle est l’alternative alors ? Si l’Arabie saoudite s’engage, ce n’est pas un, deux ou même cinq milliards de dollars qu’il faut pour relever l’économie du Liban, mais des dizaines de milliards de dollars. Le Liban doit bénéficier aussi d’une politique de non-intervention de la part de l’administration américaine pour permettre au pays de se gouverner lui-même.
Les Saoudiens souffrent déjà de l’intimidation que Trump exerce sur eux et leurs fonds commencent à se tarir. Si l’Arabie saoudite décide d’investir au Liban, elle cherchera à imposer des conditions pas très différentes de celles des USA. Elle se fait des illusions en voulant éliminer l’influence de l’Iran et des partisans du Hezbollah au Liban, un objectif impossible à remplir.
Le Liban n’a pas tellement de choix. Il peut se rapprocher de l’Iran afin de réduire ses dépenses et le prix des biens, et demander à la Russie de soutenir l’armée libanaise si l’Occident refuse de le faire. La Chine se prépare à entrer dans le jeu et pourrait devenir une alternative intéressante pour le Liban, qui pourrait lui servir de plateforme pour parvenir en Syrie, puis en Irak et en Jordanie. Sinon, le Liban devra se préparer en vue de joindre la liste des pays les plus pauvres.
Une ombre plane au-dessus du pays du cèdre, qui a déjà dû combattre pour assurer sa survie au 21e siècle. Le Hezbollah, dorénavant sous le coup des sanctions des USA et du R.‑U., est la même force qui a protégé le pays contre Daech et d’autres combattants takfiris qui menaçaient d’expulser les chrétiens du pays, d’où le conseil lancé par le président français Sarkozy au patriarche libanais qu’il vaudrait mieux que les chrétiens libanais abandonnent leurs foyers. C’est que les djihadistes takfiris et l’OTAN partageaient les mêmes objectifs au Liban. L’incapacité de l’administration américaine à diviser l’Irak et à créer un État en déliquescence en Syrie dans le cadre d’un « nouveau Moyen-Orient » a réveillé l’ours russe de sa longue hibernation. Aujourd’hui, la Russie rivalise avec les USA pour assurer l’hégémonie au Moyen-Orient, ce qui oblige Trump à tout mettre en œuvre pour tenter de briser le front antiaméricain.
C’est une lutte sans merci où tous les coups sont permis. Les USA poussent le Liban dans un goulet d’étranglement, en ne lui donnant pas d’autre choix que de resserrer son partenariat avec l’Iran et la Russie.