L’intime dans les réseaux sociaux – Mondes Sociaux

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  • Quelles sont les raisons invoquées par les internautes qui, dans les réseaux_sociaux, exposent leur vie privée et dévoilent, parfois de façon impudique, leur intimité ? #numérique #Internet #réseaux_sociaux #intimité

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    Dans son ouvrage Raison, bonnes raisons (2003), le sociologue Raymond Boudon s’est intéressé aux « bonnes raisons » que les individus peuvent invoquer pour expliquer que leurs actions sont moins irrationnelles qu’il n’y paraît, mais obéissent à des rationalités que le chercheur doit révéler. Autrement dit, si leurs choix ne sont pas tous nécessairement rationnels, ils ont aussi de bonnes raisons pour agir comme ils le font.

    Dans ma thèse soutenue en 2016, qui traite des pratiques de l’intime dans les réseaux sociaux, j’ai voulu chercher les bonnes raisons qu’ont les internautes de se livrer sur leur vie privée. Il me fallait pour cela dépasser les jugements hâtifs très négatifs qui les relèguent, entre autres, dans la zone trouble du narcissisme et me pencher sur les bénéfices espérés par ces nouveaux pratiquants de l’intime.

    • Cependant, des troubles peuvent naître entre les territoires physiques et leurs calques numériques. Ce que je dis sur un site de rencontre, c’est un peu moi, mais pas tout à fait. Lors de rencontres dans la « vraie vie » les internautes qui se sont connus sur un site de rencontres soulignent régulièrement la non-conformité avec la description donnée sur le profil.

      CC Pixabay Peggy_Marco
      CC Pixabay Peggy_Marco
      Ces difficultés poussent les individus à inventer toutes sortes de stratégies pour créer des outils destinés à y pallier. Les premières définitions des sites, par leurs concepteurs, évoluent selon les usages que nous en faisons. Par exemple Badoo développé initialement pour faire des rencontres amicales a été vite utilisé pour la rencontre amoureuse. De même, plus récemment, Leboncoin, spécialisé au départ dans d’autres types de petites annonces, est aussi devenu un site pour trouver un emploi. Cette créativité permet de retrouver de la liberté d’énonciation et de fournir de nouvelles définitions sur ces réseaux qui seront à leurs tours détournées. C’est un jeu sans fin entre processus de subjectivation et aliénation. Les individus se créent eux-mêmes et en même temps acceptent de jouer une fausse subjectivité attendue par les dispositifs.

      Dans ce processus infini de la #production_de_subjectivité, l’intime trouve sa place car il possède une #dimension_a-signifiante. Car le « dit » de l’intime n’existe pas et n’a jamais existé. En d’autres termes, on ne peut jamais dire l’intime, on croit le dire mais il demeure dans l’indicible. Alors ce que l’on expose, ce n’est pas le « dit » de l’intime ; c’est une tentative de le rendre signifiant. Cette tentative est certes inquiétante, mais elle est sans finalité possible car l’intime gardera en lui cette a-signifiance qui le constitue. Dire un simulacre d’intime ne l’annule jamais. C’est en cela qu’il est un impératif contemporain de la production de subjectivité.