• Syrie : l’inéluctable riposte occidentale
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/10/syrie-l-ineluctable-riposte-occidentale_5283307_3232.html

    Près de cinq ans après le tragique renoncement des Etats-Unis face à l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien contre ses propres citoyens, la communauté internationale se retrouve confrontée au même défi : comment punir les auteurs de ce qui s’appelle, en droit international, un crime de guerre ?

    Hormis Moscou, qui crie sans vergogne à un montage orchestré par les rebelles, nul ne doute en effet que la substance à l’origine de la mort de plus de 40 civils syriens, parmi lesquels de nombreux enfants, samedi 7 avril, à Douma, dernière poche rebelle aux abords de Damas, fait partie des gaz neurotoxiques interdits par les conventions internationales sur les armes chimiques. L’ambassadeur de France aux Nations unies, François Delattre, a évoqué devant le Conseil de sécurité de l’ONU « un carnage chimique » et des symptômes « typiques d’une exposition à un agent neurotoxique puissant, combiné au chlore pour en augmenter l’effet létal ».

    Ni Washington ni Paris ne contestent que la fameuse « ligne rouge », celle du recours mortel aux armes chimiques contre des civils, a ainsi été franchie. Les présidents Donald Trump et Emmanuel Macron se sont entretenus deux fois au téléphone en deux jours après l’attaque de Douma et sont convenus de la nécessité d’une « réaction ferme de la communauté internationale ». Devant la presse à Washington, le président américain a assuré que ce nouveau défi du régime syrien serait relevé « avec force » et qu’« il serait établi » si cet acte avait été commis par la Syrie, la Russie, l’Iran, « ou tous ceux-là ensemble ».

    Une riposte est donc inéluctable.

  • L’humiliation de Mark Zuckerberg, convoqué devant le Congrès

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/10/l-humiliation-de-mark-zuckerberg-convoque-devant-le-congres_5283156_3232.htm

    L’heure des comptes a sonné pour le PDG de Facebook, attendu mardi 10 avril au Sénat et le lendemain à la Chambre des représentants, analyse la correspondante du « Monde » à San Francisco Corine Lesnes.

    La série culte Silicon Valley, qui a repris fin mars sur HBO, n’a pas manqué de se moquer. Au générique, elle montre maintenant le logo de Facebook… en cyrillique. Même malin plaisir du côté du rival Snapchat. Pour le 1er avril, l’application préférée des ados a proposé un filtre imitant la mise en page de la plateforme de Mark Zuckerberg. Les photos y sont aimées par « votre maman » et « un bot » russe, l’un des 50 000 faux comptes déployés par la Russie pour influencer l’élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis…

    Dans la Silicon Valley, les malheurs de Facebook ont été parfois durement commentés. « C’est une crise de confiance », a jugé Marc Benioff, le PDG du géant du logiciel Salesforce, qui, comme Elon Musk, de Tesla, s’est désinscrit du réseau social. Tim Cook a tancé son alter ego. Apple aussi aurait pu « faire des tonnes d’argent si elle avait transformé son client en produit, a-t-il pointé. Nous avons choisi de ne pas le faire ». « Zuck » a reconnu que Facebook monétise les données de ses usagers auprès des publicitaires. Mais à l’en croire, c’est par pur esprit humanitaire : pour offrir un service « qui ne soit pas accessible qu’aux riches ».

    Rares sont ceux, aujourd’hui aux Etats-Unis, qui défendent le réseau social aux 2 milliards d’inscrits, emblème, il y a peu encore, de la réussite planétaire des géants des technologies. Depuis la découverte des interférences russes dans l’élection de Donald Trump, Facebook est devenu le symbole de l’irresponsabilité globale des milliardaires du numérique – et la preuve des effets pervers du modèle économique de gratuité des réseaux sociaux.

    Le scandale Cambridge Analytica – du nom de la firme britannique de marketing politique liée à M. Trump qui a aspiré les données de 87 millions de comptes de Facebook en 2015 – a été la débâcle de trop. La Federal Trade Commission a ouvert une enquête qui pourrait valoir à Facebook une amende record. L’action a perdu 15 % en trois semaines (mais son cours avait doublé en trois ans).

    Depuis, chaque jour apporte un nouvel aveu. Oui, Facebook scanne les messages de tous les particuliers sur son application Messenger. Oui, Facebook suit les internautes, même quand ils n’ont pas téléchargé l’application (grâce au « mouchard » qui figure sur les sites qu’ils visitent). Selon une note interne de 2016 qui vient de fuiter, montrant à quel point l’affaire commence à éroder la culture d’une entreprise réputée pour sa cohésion, la croissance du nombre d’abonnés était devenue une obsession. Connecter toute la planète, l’ambition suprême. Et cela, « même si quelqu’un meurt dans une attaque terroriste coordonnée grâce à nos outils », précise cette note.

    Un genou à terre

    Zuckerberg-le-surdoué a un genou à terre. Selon un sondage publié le 2 avril par le site Axios, le taux de popularité de Facebook a chuté de 28 points entre octobre et mars (–12 pour Google et –13 pour Amazon). Le « nerd » asocial multiplie les interviews à un rythme effréné, alors qu’il n’en donnait jamais. Zuckerberg, qui se retranchait derrière son adjointe, Sheryl Sandberg, pour faire des politesses à Washington ou Bruxelles, a été obligé d’accepter de se présenter lui-même devant le Congrès : mardi 10 avril au Sénat, le lendemain à la Chambre.

    Deux jours d’audition. Ce sera une première pour un jeune milliardaire qui était revenu un jour de Washington en expliquant à ses employés, médusés, qu’il avait manifesté la « quantité de respect qui convenait » aux élus de la Nation : à savoir sa tenue habituelle, jean et tee-shirt. Aujourd’hui, l’indulgence risque d’être inversement proportionnelle à l’arrogance d’hier, même si Zuckerberg portera la cravate. Selon le New York Times, il a été « coaché » par une firme juridique, qui lui a enseigné à être « humble et agréable » dans ses réponses.

    La commission sénatoriale du commerce entend interroger le fondateur de Facebook sur son plan pour « regagner la confiance perdue », « sauvegarder la confidentialité des données des usagers » et « mettre fin à une série de réponses tardives à des problèmes importants ». « Zuck » aura du mal à restaurer sa crédibilité. Le magazine Wired s’est amusé à faire la liste de ses « excuses » : des dizaines depuis la création en 2003 à Harvard d’un site rassemblant les photos d’étudiantes piratées dans l’intranet de l’université. Quinze ans plus tard, il n’est pas à même de garantir que les données des 2 milliards d’inscrits n’ont pas été consultées à leur insu par des tiers.

    Mark Zuckerberg est-il de taille à affronter la crise ? Plusieurs actionnaires se sont interrogés publiquement sur son aptitude à diriger une compagnie devenue aussi tentaculaire. Le chef du fonds de pension de la ville de New York, Scott Stringer, l’a appelé à démissionner pour permettre à Facebook d’entamer « un deuxième chapitre, celui de l’amélioration de sa réputation ». Même analyse de la part du responsable du service économique du San Francisco Chronicle, Owen Thomas : « Le consensus qui se développe à Washington, dans la Silicon Valley et dans le reste du monde est que Facebook a besoin d’un changement radical, au-delà de l’avalanche d’annonces et de mises à jour des règles sur la vie privée. »

    Zuckerberg, septième fortune du monde (l’affaire Cambridge Analytica lui a coûté deux places), n’est certainement pas du style à s’effacer. « J’ai lancé cet endroit. Je le dirige », a-t-il signifié. Il a pris soin de conserver le contrôle du conseil d’administration et de 60 % des droits de vote des actionnaires. Nul ne peut l’écarter. A 33 ans, il préside une compagnie qui se retrouve en position d’arbitre du processus démocratique mondial. Cela, sans avoir de comptes à rendre à personne, à moins que le Congrès ne décide qu’il est temps de s’en mêler.