• Universités : « Aucune jeunesse au monde ne tend spontanément l’autre joue », affirme François Cusset
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/14/francois-cusset-aucune-jeunesse-au-monde-ne-tend-spontanement-l-autre-joue_5

    Tribune. Rennes-II va-t-elle s’enflammer ? Paris-VIII, céder ? Les quartiers et les collectifs ruraux, rejoindre le mouvement ? La répression fait rage, mais en face, chez les jeunes, l’impression est celle d’une colère qui monte, d’une résolution nouvelle.

    C’est qu’aucune jeunesse au monde ne tend spontanément l’autre joue. Car le message du pouvoir est clair, en ce cinquantenaire convenu des soulèvements du printemps 1968 : aux jeunes que reprendrait ce prurit du refus, cette construction d’alternatives en acte ou juste ce folklore de la contestation, la réponse sera la gifle, plus ou moins brutale.

    Métaphore des mesures draconiennes, qui claquent comme une baffe, ou coups effectifs de la matraque et des rangers sur les côtes ou le crâne, la gifle en question vient toujours rappeler la jeunesse au souvenir de l’ordre social en place, lui rappeler ses lois iniques, et la stricte place à laquelle elle doit se tenir.

    La gifle, ces jours-ci – telle l’impossible fin d’un triste hiver, cet hiver politique des années 1980 dont on ne voit pas le bout – peut prendre la forme des coups de poing et de bâton assénés sur les étudiants en droit de Montpellier ou leurs cadets du lycée autogéré de Paris, par des groupuscules fascistes qu’on laisse entrer, qui viennent défendre à coups de Taser le droit de ne pas s’opposer.

    La gifle revêt aussi l’aspect, plus familier, des nasses policières et des harcèlements préventifs (manifestants fouillés, fichés, survolés, leurs banderoles ou tracts détruits d’emblée), qui empêchent de manifester en solidarité avec les étudiants passés à tabac – de Lyon à Nantes, où le fil Twitter des écrasés d’un jour notait que « lutter pour ses droits expose à des dommages physiques », mais aussi que « lorsqu’une répression aussi ridiculement disproportionnée est mise en place pour mater l’opposition dans un pays comme la Russie, les médias [hurlent] à l’autoritarisme ».

    Existence alternative

    A Nanterre, la gifle du 9 avril a pris un double visage : celui, brutal et casqué, des CRS appelés par la présidence pour expulser d’un hall les étudiants réunis en assemblée – au prétexte, toujours le même, d’éléments « extérieurs », dont le fantasme sert à opposer gentils étudiants et méchants encagoulés, bons manifestants et dangereux casseurs, et à cacher que ce sont souvent les mêmes – et celui du message envoyé par la même présidence pour justifier la gifle.

    Elle y rappelle qu’un « local a été mis en permanence à disposition des étudiants mobilisés » : un local rien que pour eux – rendez-vous compte ! –, comme on intime aux enfants l’ordre de rester jouer dans leur chambre pendant que les adultes traitent d’affaires sérieuses.

    Mais la gifle à la jeunesse va bien au-delà de la vingtaine de campus occupés, de cet « avis de déferlante étudiante » qu’anticipe un dessin de la fameuse vague de Hokusai, au fond de l’amphi jonché de matelas de la fac de sciences de Marseille. Elle va au-delà d’un mouvement étudiant qui s’ébroue, se réveille interloqué, entre démesure policière et menaces des phalanges brunes (la Manif pour tous de 2013 les ayant, elles aussi, « dédiabolisées »).

    Elle est durement à l’œuvre dans l’offensive militaire, avec blindés légers et cabanes détruites à la pelleteuse, lancée pour évacuer le bocage de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), comme bientôt la ZAD de Bure, dans la Meuse, ou les squats de quartier dans les villes paupérisées.

    Car derrière la distinction officielle, brandie pour diviser, entre opposants « légalistes » et « radicaux », ce qui se trouve puni, éradiqué, avec l’évacuation violente des ZAD (comme avec la mise en examen pendant dix ans du « groupe de Tarnac »), c’est le choix de la sécession, le bricolage, coopératif et écologique, agricole et politique, de formes d’existence alternative sur un terrain concret.

    Blitzkrieg social

    Les jeunes, car ils le sont aussi, qui défendent au Rojava kurde une alternative séculière et égalitaire aux despotismes en vigueur alentour, comme ceux, qui ne le sont pas moins, soulevant leur communauté indienne d’Amérique latine contre prédation des ressources et Etat corrompu, le savent tous très bien : la gifle chez eux ira, s’il le faut, jusqu’au tapis de bombes ou aux raids paramilitaires, pour empêcher par tous les moyens, aujourd’hui autant qu’hier, la jeunesse du monde d’inventer autre chose, qui pourrait faire tache d’huile.

    Car avant d’être celle des politiques haineuses ou des répressions d’Etat, la gifle, telle que la ressentent les « millenials », du campus en émoi jusqu’au village autonome, est celle d’un monde dont les règles comme les réformes les écrasent, les acculent, les humilient.

    Si la sélection, qu’impose à l’entrée en licence la double réforme en cours (ORE et ParcourSup), a mis le feu aux poudres, c’est qu’elle résume à elle seule, tel un lapsus de manageur, le monde qu’ils découvrent, consternés. Et dont beaucoup ne veulent pas, déclinant le terme à l’envi pour pointer la sombre cohérence de l’époque : évaluation et contrôle, de la maternelle à la retraite ; sélection « naturelle » des plus aptes à la lutte économique, contractuels contre salariés, carriéristes contre victimes du burn-out ; sélection, par le marché, des lignes ferroviaires et de leurs employés, gardés ou supprimés ; sélection, ailleurs, des minorités locales ou des ébauches démocratiques, qu’on sacrifie au réalisme géopolitique ; parmi les migrants, sélection des si rares demandeurs d’asile admis et de la majorité endiguée, soupçonnée d’avoir pour motif la survie économique.

    Les jeunes opposants de ce printemps 2018, eux, accueillent des réfugiés, discutent avec les cheminots, font cause commune pour quelques heures avec des sécessionnistes plus rodés ou moquent le coaching auquel on les soumet pour les préparer à des entretiens d’embauche sans espoir. Ils sont nombreux à voir dans la politique agressive du gouvernement Macron un Blitzkrieg social, une guerre menée contre eux et tous les fragiles, sous prétexte de « réussite ». Et plus nombreux encore, faute d’avoir quelque chose à perdre, à ne pas vouloir plier à la première volée de gifles. Face à la double violence, systémique et policière, qui leur est infligée, ils ne croient plus au monde « pacifié » que leur vendent leurs aînés.

    François Cusset a écrit « Le Déchaînement du monde. Logique nouvelle de la violence » (La Découverte, 240 p., 20 €)

    A la fac de Montpellier, des serveurs informatiques « vandalisés » avant les examens en ligne
    http://lemonde.fr/universites/article/2018/04/11/a-la-fac-de-montpellier-des-serveurs-informatiques-vandalises-avant-les-exam

    Alors que des examens en ligne ont été annoncés à l’université Paul-Valéry de Montpellier, la salle des serveurs de l’université a été « vandalisée par un groupe d’individus » mercredi, annonce le ministère. La connexion Internet est suspendue.

    #étudiants (terme qui mériterait des guillemets ou une sérieuse mise en cause pour être à nouveau descriptif) #luttes_sociales

  • « L’Etat, monstre froid face aux zadistes »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/14/l-etat-monstre-froid-face-aux-zadistes_5285480_3232.html

    De passage à Paris, un universitaire israélien regarde à la télévision les images de l’intervention des forces de l’ordre, à Notre-Dame-des-Landes. « Tout ça pour quelques gars qui veulent monter un kibboutz… », dit-il, goguenard. Plus votre adversaire est minuscule, plus son écrasement doit être spectaculaire. Dans le bocage nantais, 2 500 gendarmes mobiles, bottés et casqués, équipés de toutes sortes de grenades et d’armes de jet, appuyés de bulldozers et de pelleteuses, de véhicules blindés et d’hélicoptères, ont offert le spectacle d’une certaine forme de faiblesse – celle qui vous fait rouler des épaules devant les plus petits que vous. Nul ne songerait à nier qu’il y avait, cette semaine dans la « zone à défendre » (ZAD), agrégée aux agriculteurs et à la majorité paisible des zadistes qui vivent là, une population avide d’en découdre. Nul ne songerait non plus à nier que les affrontements furent violents et que, de part et d’autre, plusieurs dizaines de blessés sont à déplorer.

    Mais, finalement, de quoi s’est-il agi ? Il s’est agi, pour l’Etat, de déloger d’une petite zone humide quelque deux cents personnes désireuses de liberté et d’autonomie. La majorité n’est pas constituée de forcenés radicalisés et « ultraviolents », comme on l’a lu et entendu ici ou là, mais plutôt de femmes et d’hommes engagés dans des projets, formels ou informels, d’agriculture, d’artisanat, etc. Comme l’ont montré les reportages de notre confrère Rémi Barroux, ce qui se joue là-bas est une expérience sociale et politique, la recherche et l’invention de nouvelles formes d’organisation et de vie collectives, d’une autre relation à l’environnement, d’une autre façon d’habiter et d’utiliser le monde.
    Le bénéfice de la marge

    Dans un livre magnifique (Zomia, ou l’art de ne pas être -gouverné, Seuil, 2013), l’anthropologue américain James Scott a raconté l’histoire des peuples -nichés dans la Zomia – du nom de cette longue chaîne montagneuse qui traverse l’Asie du Sud-Est – et qui tentent, depuis deux millénaires, d’échapper au joug des « Etats rizières » installés dans les plaines. James Scott montre comment cette âpre et opiniâtre volonté de se soustraire à l’autorité des Etats a forgé la culture et les modes de vie de ces peuples, mais il montre aussi comment ces gens des marges ont apporté un bénéfice à ceux du centre. Par l’entretien et la connaissance de leur environnement, par le savoir-faire qui leur permettait de l’exploiter, ces montagnards ont parfois offert aux plaines étatisées des biens rares qui ont fait leur richesse (calambac, ébène, ambre, poivrier long, bois de sapan, santal, gomme-gutte, graines de -krabao…).

    L’Etat est un monstre froid, disait Nietzsche, il est aussi un monstre idiot. Il cherche sans répit l’assujettissement de ses périphéries, leur domination, leur mise en coupe réglée, et enfin leur destruction par le nivellement, quand celles-ci peuvent lui apporter bien plus lorsqu’elles demeurent libres. Cela valait pour la Zomia comme cela vaut pour -Notre-Dame-des-Landes. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’une source de matières premières, bien sûr, mais d’une source d’inspiration et d’invention. Car il est probable qu’au moins en germe l’expérience de la ZAD contienne des éléments de solutions à nombre de grands problèmes auxquels nous sommes confrontés.

    Un collectif d’une centaine d’architectes et de paysagistes le dit avec force dans un texte publié le 6 avril sur Mediapart. « La ZAD, c’est aussi l’aventure de ses constructions. Ce sont des corps de ferme rénovés lors de grands chantiers collectifs, de nouveaux hangars agricoles aux charpentes impressionnantes ; c’est aussi la force poétique des nombreuses cabanes dans les arbres, au milieu d’un lac, au coin d’une friche, ou d’un champ (…), écrivent-ils. Hors norme, multiples, divers, poétiques, adaptés, bidouillés, légers, sobres, précaires, faits de matériaux locaux ou de réemploi, en terre, en bois, en paille ou en récup, ces constructions répondent à leur échelle aux enjeux écologiques et énergétiques, à rebours du monde que l’industrie du béton et de l’acier est en train de construire partout sur la planète. » Ce sont ces maisons, faites d’imagination, d’huile de coude, et de bric et de broc, que, pour flatter la part de son électorat qui n’aime que le bitume et les angles droits, le gouvernement a fait raser.

    Nous pouvons mépriser, déplorer ou moquer ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes, mais pourquoi vouloir à tout prix que cesse cette expérience en cours ? Pourquoi ne pas attendre, par simple curiosité, d’observer toute l’étendue de ce qui peut en sortir ? « Des jeunes qui veulent vivre sans Etat, ça ne me choque pas, a confié Daniel Cohn-Bendit à Rémi Barroux. La question que l’on doit se poser, c’est pourquoi n’y a-t-il pas des espaces où l’on puisse vivre autrement ? »

    Pour le gouvernement, vider l’abcès de Notre-Dame-des-Landes a donc consisté à donner raison aux défenseurs de l’environnement en opposant un coup d’arrêt au projet d’aéroport, mais à engager ensuite une normalisation de la zone épargnée par le béton. Or, pour tous ceux qui doutaient de l’intérêt du projet aéroportuaire, l’important est autant la nature préservée du bocage que l’expérimentation que ses occupants y mènent. Le gouvernement ne l’a pas compris. Il veut garder l’écrin et jeter le joyau.

    par Stéphane Foucart

    • M’est avis que si l’état fait preuve d’une telle pugnacité pour déloger « quelque deux cents personnes désireuses de liberté et d’autonomie », c’est qu’il y a (depuis un moment) un « beau » projet d’aménagement de cette zone (humide) dans les cartons des bétonneurs assermentés.

    • On apprend que le régime de Macron a bombardé sa population à l’arme chimique (2-chlorobenzylidène malonitrile) dans la région de Nantes où l’opération serait toujours en cours. D’après des milieux autorisés (Colucci International Agency), la communauté internationale ne devrait pas rester sans réagir suite aux exactions du boucher de Notre-Dame-Des-Landes.

    • @sombre j’ai aussi un peu en tête des stratégies de guerre psychologique avec le livre à côté du chevet as mitterrand avec le jeu de go médiatico symbolique. Finalement on le fait pas cet aéroport, tout le monde s’en va, ceux qui restent sont illégitimes mettons les dehors, une fois dehors, oh désolé, le contrat avec vinci nous oblige bien à construire l’aéroport … et vous voyez qu’il n’y a pas de contestataires.
      Et puis cette idée de territoire nation défendu par la flicaille de l’état moral, le colonialisme insitu qui envoie des pères taper sur leur enfants, j’sais pas mais ça résonne ridicule tandis que de l’autre côté ils lâchent leurs bombes en syrie.

  • Tarnac : les leçons d’un naufrage
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/14/tarnac-les-lecons-d-un-naufrage_5285495_3232.html

    Editorial du « Monde ». Il y aurait une certaine commodité à considérer le naufrage judiciaire de l’affaire de Tarnac comme un épisode isolé. Il serait rassurant et confortable de n’y voir qu’un accident de l’histoire déclenché, en 2008, par la guerre des polices ou par les emballements fantasmatiques de responsables politiques, au premier rang desquels la ministre de l’intérieur de l’époque sarkozyste, Michèle Alliot-Marie. Mais le jugement prononcé jeudi 12 avril par le tribunal correctionnel de Paris envers huit personnes, militants de la gauche radicale ou supposés l’être, nous tend au contraire un miroir édifiant sur dix années de dérives ininterrompues de l’antiterrorisme français.

    Nom de D…, Le Monde a soutenu avec constance toute la dérive légale «  antiterroriste  » et voilà qu’il découvre …

    Or ces grands principes ont été battus en brèche par l’arsenal antiterroriste mis en place ces dernières années. La loi du 30 octobre 2017, dans la lignée de l’état d’urgence, permet au ministre de l’intérieur d’assigner à résidence et de perquisitionner sur de simples renseignements, sous le contrôle minimal et bienveillant du juge administratif ou, au mieux, sous celui, superficiel, du juge des libertés et de la détention. On pourrait également citer les multiples condamnations pour « apologie du terrorisme » sur la foi du contenu d’un ordinateur ou les poursuites pour « association de malfaiteurs » visant des manifestants à Rennes en 2016 ou autour du site d’enfouissement de Bure, dans la Meuse, en 2017.
    […]
    Il ne fait pas de doute que la lutte – évidemment nécessaire et légitime – contre un terrorisme meurtrier et aveugle a rendu difficilement audible la moindre opposition, fût-elle fondée sur l’invocation de principes élémentaires.

    Ah oui, c’est certainement pour ça qu’on n’a pas entendu ou lu, quand il en était encore temps, les rappels desdits principes élémentaires par les éditorialistes du Monde