« L’Etat, monstre froid face aux zadistes »

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  • « L’Etat, monstre froid face aux zadistes »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/14/l-etat-monstre-froid-face-aux-zadistes_5285480_3232.html

    De passage à Paris, un universitaire israélien regarde à la télévision les images de l’intervention des forces de l’ordre, à Notre-Dame-des-Landes. « Tout ça pour quelques gars qui veulent monter un kibboutz… », dit-il, goguenard. Plus votre adversaire est minuscule, plus son écrasement doit être spectaculaire. Dans le bocage nantais, 2 500 gendarmes mobiles, bottés et casqués, équipés de toutes sortes de grenades et d’armes de jet, appuyés de bulldozers et de pelleteuses, de véhicules blindés et d’hélicoptères, ont offert le spectacle d’une certaine forme de faiblesse – celle qui vous fait rouler des épaules devant les plus petits que vous. Nul ne songerait à nier qu’il y avait, cette semaine dans la « zone à défendre » (ZAD), agrégée aux agriculteurs et à la majorité paisible des zadistes qui vivent là, une population avide d’en découdre. Nul ne songerait non plus à nier que les affrontements furent violents et que, de part et d’autre, plusieurs dizaines de blessés sont à déplorer.

    Mais, finalement, de quoi s’est-il agi ? Il s’est agi, pour l’Etat, de déloger d’une petite zone humide quelque deux cents personnes désireuses de liberté et d’autonomie. La majorité n’est pas constituée de forcenés radicalisés et « ultraviolents », comme on l’a lu et entendu ici ou là, mais plutôt de femmes et d’hommes engagés dans des projets, formels ou informels, d’agriculture, d’artisanat, etc. Comme l’ont montré les reportages de notre confrère Rémi Barroux, ce qui se joue là-bas est une expérience sociale et politique, la recherche et l’invention de nouvelles formes d’organisation et de vie collectives, d’une autre relation à l’environnement, d’une autre façon d’habiter et d’utiliser le monde.
    Le bénéfice de la marge

    Dans un livre magnifique (Zomia, ou l’art de ne pas être -gouverné, Seuil, 2013), l’anthropologue américain James Scott a raconté l’histoire des peuples -nichés dans la Zomia – du nom de cette longue chaîne montagneuse qui traverse l’Asie du Sud-Est – et qui tentent, depuis deux millénaires, d’échapper au joug des « Etats rizières » installés dans les plaines. James Scott montre comment cette âpre et opiniâtre volonté de se soustraire à l’autorité des Etats a forgé la culture et les modes de vie de ces peuples, mais il montre aussi comment ces gens des marges ont apporté un bénéfice à ceux du centre. Par l’entretien et la connaissance de leur environnement, par le savoir-faire qui leur permettait de l’exploiter, ces montagnards ont parfois offert aux plaines étatisées des biens rares qui ont fait leur richesse (calambac, ébène, ambre, poivrier long, bois de sapan, santal, gomme-gutte, graines de -krabao…).

    L’Etat est un monstre froid, disait Nietzsche, il est aussi un monstre idiot. Il cherche sans répit l’assujettissement de ses périphéries, leur domination, leur mise en coupe réglée, et enfin leur destruction par le nivellement, quand celles-ci peuvent lui apporter bien plus lorsqu’elles demeurent libres. Cela valait pour la Zomia comme cela vaut pour -Notre-Dame-des-Landes. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’une source de matières premières, bien sûr, mais d’une source d’inspiration et d’invention. Car il est probable qu’au moins en germe l’expérience de la ZAD contienne des éléments de solutions à nombre de grands problèmes auxquels nous sommes confrontés.

    Un collectif d’une centaine d’architectes et de paysagistes le dit avec force dans un texte publié le 6 avril sur Mediapart. « La ZAD, c’est aussi l’aventure de ses constructions. Ce sont des corps de ferme rénovés lors de grands chantiers collectifs, de nouveaux hangars agricoles aux charpentes impressionnantes ; c’est aussi la force poétique des nombreuses cabanes dans les arbres, au milieu d’un lac, au coin d’une friche, ou d’un champ (…), écrivent-ils. Hors norme, multiples, divers, poétiques, adaptés, bidouillés, légers, sobres, précaires, faits de matériaux locaux ou de réemploi, en terre, en bois, en paille ou en récup, ces constructions répondent à leur échelle aux enjeux écologiques et énergétiques, à rebours du monde que l’industrie du béton et de l’acier est en train de construire partout sur la planète. » Ce sont ces maisons, faites d’imagination, d’huile de coude, et de bric et de broc, que, pour flatter la part de son électorat qui n’aime que le bitume et les angles droits, le gouvernement a fait raser.

    Nous pouvons mépriser, déplorer ou moquer ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes, mais pourquoi vouloir à tout prix que cesse cette expérience en cours ? Pourquoi ne pas attendre, par simple curiosité, d’observer toute l’étendue de ce qui peut en sortir ? « Des jeunes qui veulent vivre sans Etat, ça ne me choque pas, a confié Daniel Cohn-Bendit à Rémi Barroux. La question que l’on doit se poser, c’est pourquoi n’y a-t-il pas des espaces où l’on puisse vivre autrement ? »

    Pour le gouvernement, vider l’abcès de Notre-Dame-des-Landes a donc consisté à donner raison aux défenseurs de l’environnement en opposant un coup d’arrêt au projet d’aéroport, mais à engager ensuite une normalisation de la zone épargnée par le béton. Or, pour tous ceux qui doutaient de l’intérêt du projet aéroportuaire, l’important est autant la nature préservée du bocage que l’expérimentation que ses occupants y mènent. Le gouvernement ne l’a pas compris. Il veut garder l’écrin et jeter le joyau.

    par Stéphane Foucart

    • M’est avis que si l’état fait preuve d’une telle pugnacité pour déloger « quelque deux cents personnes désireuses de liberté et d’autonomie », c’est qu’il y a (depuis un moment) un « beau » projet d’aménagement de cette zone (humide) dans les cartons des bétonneurs assermentés.

    • On apprend que le régime de Macron a bombardé sa population à l’arme chimique (2-chlorobenzylidène malonitrile) dans la région de Nantes où l’opération serait toujours en cours. D’après des milieux autorisés (Colucci International Agency), la communauté internationale ne devrait pas rester sans réagir suite aux exactions du boucher de Notre-Dame-Des-Landes.

    • @sombre j’ai aussi un peu en tête des stratégies de guerre psychologique avec le livre à côté du chevet as mitterrand avec le jeu de go médiatico symbolique. Finalement on le fait pas cet aéroport, tout le monde s’en va, ceux qui restent sont illégitimes mettons les dehors, une fois dehors, oh désolé, le contrat avec vinci nous oblige bien à construire l’aéroport … et vous voyez qu’il n’y a pas de contestataires.
      Et puis cette idée de territoire nation défendu par la flicaille de l’état moral, le colonialisme insitu qui envoie des pères taper sur leur enfants, j’sais pas mais ça résonne ridicule tandis que de l’autre côté ils lâchent leurs bombes en syrie.