Dans la mythologie, le mortel Tantale vola les Dieux lors d’un festin pour offrir les mets aux hommes. Les divinités, furieuses d’avoir été trompées par un homme auquel elles avaient accordé leur confiance, l’enfermèrent en enfer au beau milieu d’arbres fruitiers et à côté d’un lac dont les fruits ou l’eau se rétractaient dès que Tantale voulait étancher sa faim ou sa soif. Le malheureux fut condamné à vivre dans le besoin éternel au milieu de l’opulence. Mais le tantale tient aujourd’hui sa revanche. Une triste revanche !
Le coltan, un métal source de misère
TantaleLe tantale, (en partie) à cause de lui, les Congolais sont aujourd’hui plongés dans la misère et la violence sans pouvoir espérer profiter prochainement des fantastiques richesses qui sommeillent sous leurs pieds. Car le tantale est aussi le nom d’un minerai obtenu en raffinant le coltan, dont la République Démocratique du Congo (RDC) dispose de 80 % des réserves connues (1). Très prisé par les industries de pointe occidentales, le tantale est principalement utilisé dans les condensateurs d’ordinateur et de téléphone portable. On le retrouve aussi dans les missiles, les fusées et les avions grâce à ses propriétés physiques remarquables (résistance à la chaleur et à la corrosion). Et oui, vous avez donc du tantale partout autour de vous, probablement même dans l’appareil que vous utilisez pour lire cet article !
Les principaux acheteurs finaux de tantale vous sont d’ailleurs bien connus : Motorola, Nokia, Sony (pour sa PS3), Samsung, Bayer, NEC, …
La République Démocratique du Congo vit dans un état de guerre depuis 16 ans au moins (2),
En 1996, une rébellion contre Mobutu Sese Seko, le dictateur de l’époque, amène Laurent Kabila au pouvoir,
Depuis, les rébellions et les instabilités se succèdent, attisées par des mouvements transnationaux (comme les milices Hutu venues du Rwanda ou les troupes du général Nkuda) et par les pays voisins qui souhaitent s’accaparer le contrôle de cette riche république meurtrie.
« Riche » car si la production mondiale est aujourd’hui assurée aux trois quarts par l’Australie, la part de la production de coltan assurée par la RDC est appelée à augmenter compte tenu :
(a) du fait que l’exploitation australienne n’est pas durable ;
(b) qu’on ne sait actuellement pas recycler le tantale ; et
© que le marché de l’électronique continue de croître depuis le début des années 2000.
La malédiction des matières premières
L’« or gris » ne profite donc guère à la RDC, déjà accablée par la malédiction des matières premières (3) en ce qui concerne l’or et le diamant comme le confirme le Groupe d’experts de l’ONU. D’ailleurs, on constate que le Rwanda voisin exporte 13 % du coltan sur le marché mondial (4) alors qu’il ne dispose pas de réserves de coltan : toutes les ventes rwandaises se font grâce à des ressources pillées en RDC. Au Congo même, l’exploitation des « diamants de sang de l’ère digitale » profite le plus souvent aux groupes armés, soit qu’ils fassent exploiter les gisements, soit qu’ils y touchent au passage une commission. Les mines sont le plus souvent organisées en concessions accordées par le propriétaire du terrain à des « prospecteurs-creuseurs », qui sont d’anciens villageois ou paysans (5).
Ces creuseurs ont un travail à double tranchant : ils peuvent toucher jusqu’à 75 dollars par semaine (6) en revendant leur production à des grossistes, soit l’équivalent de 6 mois de travail pour un cultivateur local. Ce salaire est d’autant plus mirobolant que les agriculteurs ont depuis une vingtaine d’année la quasi-certitude que leurs récoltes seront confisquées par des milices en quête de ravitaillement (7). Mais les conditions de sécurité des mineurs sont plus qu’incertaines et les effets à long terme sur la santé des poussières de coltan, légèrement radioactif, restent inconnus. Les grossistes, de leur côté risquent d’être volés et tués par les milices auxquelles ils vendent leur minerai.
Le développement de cette économie principalement souterraine a été rendu possible par la corruption des politiques et par l’importance opérationnelle des milices, mais aussi par la complicité d’un certain nombre d’entreprises occidentales peu scrupuleuses. Les entreprises américaines (Motorola, AVX puis Nokia) font pour une fois figure d’exemple grâce à la loi Dodd-Frank, qui les oblige à certifier l’origine du coltan qu’elles utilisent.
Mine de coltan au Congo - image aboutenvironment.com
Mais les compagnies qui ne sont pas soumises à cette loi font peu de cas de l’éthique et utilisent du coltan congolais par l’intermédiaire de leurs sous-traitants chinois (encore eux !). Cette situation, déjà dénoncée en 2001 par des ONG avec le slogan « pas de sang sur mon portable » n’a pas manqué d’indigner le célèbre groupe hacktivisteAnonymous en mai dernier : il s’est attaqué aux sites webs des groupes HC Stark (filiale de Bayer), Samsung, LG et Sony (8). Anonymous affirmait à cette occasion que chaque kilo de coltan extrait a coûté la vie à deux enfants – assertion peu vérifiable mais qui a le mérite de mettre en lumière les conditions de travail choquantes dans certaines mines où des enfants extraient à main nue le minerai radioactif .
Ainsi, le coltan et un (gros) coin d’Afrique sont les otages des stratégies de puissance aux intérêt divergents de multinationales avides, de pays à la réalpolitik sans scrupule. Comme le souligne une note de l’Ecole de guerre économique (9), l’irruption brutale de la Chine auCongo menace les intérêts stratégiques européens et américains, eux mêmes divergents. La course pour les mines de l’or gris n’est sans doute pas finie ; ça va saigner !