• Refuser de donner son code de téléphone en garde à vue est passible de poursuites
    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/04/18/01016-20180418ARTFIG00290-refuser-de-donner-son-code-de-telephone-en-garde-

    Le Conseil constitutionnel a tranché : refuser de donner son code confidentiel de téléphone en garde à vue est passible de poursuites. Dans une décision rendue le 30 mars, les Sages, qui répondaient à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ont estimé que punir un suspect qui refusait de déverrouiller son téléphone était constitutionnel et que cela ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée.

    À l’origine de cette initiative : Malek B., poursuivi pour avoir refusé de donner les codes de ses téléphones portables lors de sa garde à vue. Âgé d’une vingtaine d’années, il avait été arrêté en mars 2017 avec 97 grammes de produits stupéfiants. Poursuivi par le parquet de Créteil, Malek B. avait décidé de déposer une QPC en octobre 2017. Elle portait spécifiquement sur l’article 434-15-2 du code pénal qui punit de trois ans d’emprisonnement et de 270.000 euros d’amende le fait de ne pas fournir « la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit ». Selon lui, cette obligation était inconstitutionnelle.
    « Un détournement de l’esprit de la loi »

    Devant les Sages, le 29 mars dernier, son avocat Me Karim Morand-Lahouazi avait fait valoir que cette infraction portait atteinte « au droit du silence » et « au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination », c’est-à-dire de ne pas s’accuser. Il avait même été plus loin en expliquant que le texte était utilisé à mauvais escient. Pour lui, l’article 434-15-2 ne concerne pas les codes de déverrouillage d’un téléphone : « Ce texte s’applique à ceux qui mettent en place des moyens de cryptologie tel que les applications WhatsApp ou Telegram », avance-t-il, pointant un problème de définition. « Ce texte vise les clés qui permettent de chiffrer les échanges, les messages », poursuit-il. En clair, selon lui, on ne devrait pas pouvoir demander ce code de déverrouillage à un suspect sur la base de ce texte. « Autrement, c’est un détournement de l’esprit de la loi », insiste-t-il.

    Son confrère, Me Yves Levano, qui défendait un autre justiciable, n’a pas dit autre chose durant l’audience : « Lorsque des services enquêteurs trouvent un coffre-fort lors d’une perquisition et qu’ils veulent rentrer dedans, on ne punit pas d’une peine d’emprisonnement celui qui refuserait de donner sa clé. On appelle un serrurier. » De même, la Quadrature du Net, association française spécialisée dans la défense des droits des internautes qui s’est jointe à la procédure, avait aussi jugé que cette obligation était une atteinte au droit au respect de la vie privée, au secret des correspondances et la liberté d’expression. Même le gouvernement, représenté par Philippe Blanc, avait reconnu qu’il y avait un problème, rapporte Le Monde qui a repéré cette décision.

    Pour autant, l’ensemble de ces arguments n’ont pas convaincu les huit membres du Conseil qui siégeaient ce jour-là. L’audience enregistrée en vidéo est visible ici. Dans leur décision, les Sages ont estimé que cette obligation pesait sur « toute personne », y compris le suspect et pas uniquement les opérateurs et créateurs d’applications mobile. En revanche, ont-ils précisé, les enquêteurs ou les juges d’instruction devront, pour réclamer le code, prouver que le téléphone contient des données chiffrées potentiellement liées à l’affaire. « J’ai été très surpris par la décision rendue », réagit aujourd’hui Me Morand-Lahouazi. « D’autant qu’elle était peu développée et argumentée ». Dans un communiqué, la Quadrature du Net a, quant à elle, jugé « décevante » cette décision, « qui risque d’affaiblir durablement le droit au chiffrement ».

    Cet article du Code pénal, qui peut s’appliquer dans le cadre d’une garde à vue ou d’une instruction, est loin d’être nouveau. Apparu dans la loi antiterroriste de novembre 2001 après les attentats du 11-Septembre, le texte a été modifié en juin 2016, avec la dernière loi antiterroriste. Ce qui aurait donné un coup de projecteur sur ce texte qui était jusqu’ici ignoré, selon Me Morand-Lahouazi. « C’est à partir de ce moment-là que le parquet de Créteil s’est mis à poursuivre les suspects qui refusaient de donner leur code de déverrouillage. Puis Nanterre a suivi », se souvient-il.
    Une décision « décevante »

    Plusieurs dizaines de ses clients - la plupart poursuivis pour détention ou trafic de stupéfiant - auraient ainsi été condamnées pour ce motif et un seul, arrêté pour défaut de permis, aurait été relaxé. Son confrère, Me Yves Levano, estime à plusieurs centaines le nombre de justiciables qui ont été contraints de donner leur code d’accès. Malek B., lui, devra attendre le mois de mai pour connaître son sort. Même si les Sages ont jugé le texte constitutionnel, Me Morand-Lahouazi reste persuadé que ce texte est mal appliqué. Il plaidera donc la relaxe. Parallèlement, il compte bien épuiser d’autres voies de recours et aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme pour faire changer l’application de ce texte.

    Les autorités ont tout intérêt à demander le code de déverrouillage au propriétaire du téléphone, tant le déchiffrement par les services de police et de gendarmerie est long et fastidieux. De plus, elles peuvent difficilement compter sur les fabricants de téléphone : la marque Apple avait par exemple expliqué qu’elle ne pouvait pas débloquer un iPhone car elle ne possédait pas la clé de déchiffrement, stocké dans le téléphone. Dès 2015, le procureur François Molins, avec d’autres responsables internationaux, avait mis en cause l’entreprise américaine et demandé aux géants du web de changer leur politique de chiffrement. Outre-Atlantique, la NSA avait elle aussi fait savoir que le chiffrement compliquait les enquêtes et qu’il avait empêché de déjouer des attentats. En vain.

    Pour autant, le chiffrement s’avère très utile aux yeux de certains acteurs. Notamment dans le milieu politique. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé en début de semaine qu’il allait lancer une messagerie chiffrée pour ses ministres cet été.