Des chiffres qui peuvent surprendre. En France, en 2017, 24 % des multipropriétaires détenaient 68 % des logements possédés par des particuliers, selon l’étude France portrait social de l ’Insee publiée ce jeudi. Les ménages propriétaires de trois logements ou plus (11 % des ménages) possédaient quant à eux près de la moitié du parc (46 %). « On est sur la poursuite d’une tendance qui montre le creusement des inégalités de patrimoine dans notre pays », commente Yankel Fijalkow, sociologue du logement et professeur de sciences sociales à l’École nationale supérieure d’architecture Paris Val-de-Seine.
« Ces chiffres prouvent que la richesse immobilière est très concentrée en France. Et que la hausse des prix de l’immobilier depuis trente ans a bénéficié aux ménages déjà propriétaires, qui ont pu continuer à investir, alors que la primo-accession est de plus en plus difficile », souligne pour sa part Alain Trannoy, directeur d’étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Marseille. « Nous attendions ces données depuis longtemps. Le mythe du petit rentier détenant un seul logement se lézarde », ajoute Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du Droit au logement (DAL).
49 % des multipropriétaires détiennent au moins un logement en location
Les multipropriétaires ont un profil identifiable : ils sont plus âgés et plus souvent en couple que l’ensemble des ménages français. Et 41 % d’entre eux appartiennent aux 20 % des Français les plus aisés. « Les autres ont pu devenir propriétaires en bénéficiant d’un héritage », commente Alain Trannoy. Et plus leur niveau de vie augmente, plus les ménages détiennent un nombre élevé de logements.
Que font-ils de leurs biens immobiliers ? En louent-ils certains ? Oui, pour la moitié d’entre eux, qui possèdent au moins un logement mis en location. Dès le troisième logement possédé, la propriété immobilière des particuliers est essentiellement à usage locatif. Mais il ne s’agit pas toujours de locations de longue durée. « Or, si plusieurs villes ont mis en place une limitation des locations touristiques sous peine de taxes, d’autres ne l’ont pas fait. Par ailleurs, les contrôles des équipes municipales pour vérifier que les propriétaires sont dans les clous ne sont pas assez nombreux », indique Alain Trannoy.
Un impact sur la population des grandes villes
« Cela signifie que l’autre moitié des multipropriétaires ne mettent aucun de leur bien en location. Ce qui explique en partie le fait qu’en France, 4 millions de logements soient vacants. Un gros problème quand on sait que notre pays compte 4 millions de mal-logés et 1,8 million de personnes en demande d’un logement social », souligne Yankel Fijalkow. Certes, des dispositifs incitatifs ont été mis en place par les différents gouvernements pour pousser les propriétaires à louer leurs biens, mais force est de constater qu’ils n’ont pas porté leurs fruits. « Les taxes qui sont infligées aux propriétaires restent assez modérées », commente Yankel Fijalkow. Et malgré les assurances loyers impayés, certains propriétaires redoutent toujours de tomber sur des locataires indélicats.
L’Insee insiste aussi sur la dimension géographique de ces multipropriétés. Car ces ménages possèdent à eux seuls 37 % des logements situés dans le centre des grandes villes, notamment à Lyon, Marseille, Paris, Toulouse et Lille. Les ménages propriétaires de 5 logements ou plus possèdent une part élevée de ces biens urbains. Ils détiennent ainsi 40 % des logements à Paris. Ce qui a des conséquences directes pour le reste de la population de ces grandes villes, comme l’explique Yankel Fijalkow : « Cela contribue à diminuer l’offre locative dans ces métropoles et à faire des centres-villes anciens pas très habités ».
Un thème de campagne ?
Ces données seront peut-être exploitées lors de la campagne électorale par des associations caritatives ou des candidats désireux de lutter contre les inégalités en France. « Cette étude peut réouvrir le débat sur la justice fiscale, notamment sur l’opportunité ou non de réviser la taxe foncière », souffle Alain Trannoy.
Pour Jean-Baptiste Eyraud, cette étude montre l’urgence à agir sur plusieurs fronts : « l’encadrement des loyers, le gel du loyer au changement de locataire, la limitation des locations Airbnb, ou encore le respect des obligations liées à l’octroi d’une aide fiscale ».