À Verfeil, la future autoroute A69 cristallise un choc entre ambitions de développement et impératifs écologiques.
À Verfeil, aux portes de Toulouse, le ballet incessant des tractopelles a cédé la place à un bras de fer juridique et idéologique. L’autoroute A69, reliant Toulouse à Castres, est devenue le symbole incandescent d’une fracture profonde : celle entre un « quoi qu’il en coûte » du développement et un « tout est réversible » de l’écologie. Depuis la décision du tribunal administratif de Toulouse de casser fin février l’autorisation environnementale du chantier, le débat n’est plus seulement technique, il est existentiel. Faut-il achever un ouvrage jugé déjà trop avancé, ou miser sur une réhabilitation audacieuse ?
Le mirage de l’achèvement rapide : un argumentaire pro-A69 inébranlable
Pour les défenseurs de l’A69, la messe est dite. Le ministre des Transports, Philippe Tabarot, l’a formulé sans ambages : ne pas achever ce chantier serait « ubuesque ». L’argumentaire est simple : l’intérêt général, incarné par la désenclavement du Tarn, prime. Philippe Folliot, sénateur centriste du Tarn, fer de lance de cette vision, a même fait adopter une proposition de loi au Sénat pour contourner le jugement.
Les chiffres d’Atosca, maître d’œuvre et futur concessionnaire, sont brandis comme des preuves irréfutables : 54 % des terrassements et 70 % des ouvrages d’art seraient achevés. Pour eux, tout arrêt serait une gabegie financière et un déni de réalité. « Si dégâts environnementaux il y a eu, un, ils n’ont été que très marginaux, et deux, ils sont faits depuis très longtemps. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison sur le plan environnemental de continuer à stopper ces travaux », assène M. Folliot. Une position qui ne laisse que peu de place au doute ou à la marche arrière.
La nature à l’assaut du bitume : le plaidoyer des« irréversibles »
Pourtant, sur le terrain, une autre réalité émerge. Les opposants de La Voie Est Libre (LVEL) réfutent l’idée d’un chantier irréversible. Thomas Digard, membre du collectif, estime que le chantier « n’en est même pas à la moitié ». Le spectacle des herbes et des fleurs jaunes repoussant sur la bande de terre décapée nourrit leur optimisme. « Ça repousse de partout », se réjouit-il. Leur postulat est clair : le jugement de fin février, bien que tardif, intervient suffisamment tôt pour permettre une réhabilitation écologique. Jacques Thomas, spécialiste des sols, renchérit : « Il n’y a eu que des mouvements de terre sur ce chantier. Il n’y a pas eu de pollution, pas de bitume, donc le chantier est totalement réversible. »
La vision des opposants est celle d’une restauration possible. Si le sol n’est pas encore bitumé, il peut être rendu à l’agriculture. Les couches superficielles de terre, pleines de matière organique et entassées, pourraient être simplement remises en place. Quant aux sols traités à la chaux pour les stabiliser, ils pourraient être « cassés » par des engins spécialisés, permettant ainsi une remise en culture. Jacques Thomas, fort de son expérience sur le barrage de Sivens, évoque une « réhabilitation » permettant de faire « repartir les fonctions des sols et leur rôle d’accueil de biodiversité ». Seule l’épineuse question des structures en béton demeure, mais même là, LVEL envisage des solutions pragmatiques, n’excluant pas de conserver les ouvrages qui pourraient avoir une utilité future.
Au-delà du béton, le gouffre juridique et le bras de fer politique
Le débat dépasse la simple opposition entre béton et biodiversité. Il s’ancre dans un labyrinthe juridique et un bras de fer politique. La proposition de loi de Philippe Folliot, adoptée au Sénat, est un signal fort de la volonté politique de passer outre la décision de justice. Dans le même temps, l’État a déposé un recours en justice pour faire reprendre les travaux, qui sera examiné par la cour administrative d’appel de Toulouse. Ces manœuvres soulignent la tension croissante entre le pouvoir judiciaire et la volonté des exécutifs locaux et nationaux.
L’issue de ce conflit aura des implications majeures, non seulement pour le projet A69, mais aussi pour les futurs grands chantiers d’infrastructures en France. Elle dessinera les contours de la capacité de notre modèle économique à s’adapter aux impératifs environnementaux, et la place de la justice dans ces équilibres. La question n’est plus seulement de savoir si l’A69 se fera, mais à quel prix, et surtout, quel message cette décision enverra à la société sur la réversibilité de nos choix et la prévalence de l’urgence écologique face aux projets d’hier. L’A69, bien plus qu’une autoroute, est devenue un révélateur des tensions d’une époque.