Hervé Maisonneuve, chasseur de fraudes scientifiques

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  • Hervé Maisonneuve, chasseur de fraudes scientifiques

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    Médecin de formation, Hervé Maisonneuve est devenu l’un des rares spécialistes français de l’intégrité scientifique. Inlassable promoteur des bonnes pratiques, il dénonce des cas de tricherie dans la recherche, pour faire réagir les institutions.

    « Avez-vous des informations ? » « Quel est votre avis ? »… Très régulièrement, le docteur Hervé ­Maisonneuve interpelle les lecteurs de son blog sur des cas de plagiats, embellissements de données et autres fraudes. En dix ans d’existence, ce site sobrement intitulé « Rédaction médicale et scientifique » est devenu une source incontournable pour qui s’intéresse au milieu de la recherche et des publications, et à leurs bonnes ou moins reluisantes pratiques.

    Il faut dire que ce médecin atypique, bien informé par ses réseaux tissés depuis des décennies dans le milieu de l’édition scientifique internationale, et doté d’un regard d’aigle, n’hésite pas à lâcher de petites bombes. A bousculer les institutions sur des dossiers qu’elles préféreraient garder sous le boisseau.

    Dans un de ses derniers billets, daté du 7 mai, Hervé Maisonneuve s’émeut ainsi du cas d’un enseignant-chercheur de l’université Lyon-I, épinglé pour tricherie sur son CV (mensonges concernant plusieurs publications et brevets) et sanctionné par un simple blâme. « Omerta, protection de collègues, l’université semble très complaisante, car je considère que ce sont des fautes graves », accuse le médecin blogueur. Un exemple parmi bien d’autres de son inlassable combat pour lever les tabous sur les mauvaises pratiques et promouvoir l’intégrité de la recherche.

    Ses premières publications sur ces sujets datent de 1996. Il vient alors d’être élu président de l’Association européenne des rédacteurs scientifiques (EASE), poste qu’il occupera pendant trois ans. Dans une lettre au British Medical Journal, le docteur Maisonneuve regrette que les cas d’inconduite scientifique en France ne soient pas rapportés dans des revues biomédicales. Cette même année 1996, dans la Revue de médecine interne, il appelle à la prévention par la mise en place de bonnes pratiques cliniques et de laboratoire. « Les audits et les inspections sont nécessaires pour prévenir la fraude », insiste-t-il.

    Franche provocation

    Vingt ans plus tard, il s’avoue parfois ­ « déprimé par les rares progrès de l’intégrité scientifique », mais poursuit vaillamment sa mission d’information sur son blog. Il le reconnaît aisément, il est plus facile d’attirer l’attention avec des histoires de dysfonctionnements qu’avec des articles didactiques expliquant comment rédiger un article scientifique ou des initiatives innovantes pour améliorer l’évaluation des chercheurs.

    « Je suis un peu ambigu, concède Hervé Maisonneuve. Je voudrais davantage diffuser des messages positifs mais personne ne les lit, alors que, en agressant un peu, vous suscitez des réactions. » Alors il agresse, titille, remet plusieurs fois sur le tapis les affaires qui le ­turlupinent, quitte à tomber parfois dans la franche provocation… Il assume.

    A 67 ans, après un parcours riche et quelque peu en zigzag, il s’est forgé une place originale dans ce secteur dont il connaît tous les rouages. Depuis son internat en médecine, il a fait partie de comités de rédaction de journaux français ou internationaux, a été relecteur ­ (reviewer) de revues telles le BMJ, The Lancet, le JAMA. Il est toujours actif dans les sociétés savantes de rédacteurs et les colloques.

    Mémoire d’éléphant des chiffres-clés de l’édition scientifique, intarissable sur ses petites et grandes histoires, le personnage sait capter son auditoire. Enseignant des techniques de rédaction médicale et scientifique depuis une trentaine d’années, c’est, depuis sa retraite officielle, en 2013, sa principale activité. Ses clients ? Des universités et hôpitaux, des agences sanitaires et l’industrie pharmaceutique.

    Que de virages depuis le début de sa vie professionnelle. Etudiant en médecine à Lyon dans les années 1970, puis assistant des hôpitaux dans un laboratoire de parasitologie, Hervé Maisonneuve semble parti pour une carrière universitaire. Il est pressenti pour remplacer son patron, infectiologue.

    Mais en 1983, alors qu’il va être nommé professeur, il claque la porte du CHU, en profond désaccord avec le système hospitalo-universitaire, trop figé pour lui. Il va alors participer à des programmes de recherche clinique pour l’industrie pharmaceutique.

    En 1993, nouveau changement de cap. Il est appelé à l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (Andem) par son directeur, Yves Matillon, issu de la même promotion de médecine que lui. L’Andem, précurseuse de la Haute autorité de santé, est alors chargée par le gouvernement d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques médicales, à partir de la littérature internationale et d’avis d’experts. L’enjeu est important car ces documents de référence vaudront obligation – ils seront opposables aux médecins libéraux.

    « Pédagogue hors pair »

    « Hervé Maisonneuve a géré pour nous toute l’approche scientifique, en contrôlant collectivement les conflits d’intérêts. C’était courageux et on peut dire qu’il a fait décoller l’expertise, avec un travail exceptionnel, très rigoureux », rapporte le professeur Matillon, qui confirme par ailleurs que M. Maisonneuve « a la fibre pour repérer les malversations scientifiques ». Le travail est titanesque mais, face à la fronde des syndicats, ces références médicales opposables (RMO) ne seront finalement pas appliquées.

    Pour le médecin, ces six années restent une bonne expérience, l’occasion d’une prise de conscience aussi. « Comme directeur de l’évaluation, j’ai pris conscience que, quand on n’est ni praticien hospitalo-universitaire ni énarque, on ne peut pas avoir de promotion dans le système », raconte-t-il, « sans amertume ». Après un séjour de deux ans à Cambridge, comme consultant, il s’occupe pendant quatre ans d’un programme de formation de chirurgiens avec le professeur Jacques Marescaux à Strasbourg. Puis reprend un poste dans un laboratoire, Pfizer, pour assurer des formations.

    A 59 ans, en 2009, il est contacté par le professeur Joël Ménard, ancien directeur général de la santé, qui prépare le plan Alzheimer 2008-2012. M. Maisonneuve se souvient comme si c’était hier de son audition. Ils sont dix candidats, dont neuf spécialistes de cette maladie neurodégénérative, et lui qui n’y connaît à peu près rien.

    Alors il joue une autre carte. « Je vais vous montrer comment je forme, dit-il au jury en leur distribuant un éditorial du New England Journal of Medicine sur le sujet avec des passages surlignés. Moi, ça me pose beaucoup de questions, qu’en pensez-vous ? » Pendant deux minutes, il y a un gros malaise, puis les universitaires se mettent à parler, et Hervé Maisonneuve anime la discussion. Il a emporté le morceau, ou plutôt le poste, partagé à mi-temps avec un autre candidat.

    « IL Y A À PEU PRÈS 10 000 DE CES FAUSSES REVUES CRÉÉES DE TOUTES PIÈCES PAR DES INFORMATICIENS INDIENS, ELLES PUBLIENT 500 000 ARTICLES PAR AN. »

    « On a formé chaque année une centaine d’étudiants. C’est un pédagogue hors pair, et il a des capacités d’organisation extraordinaires dont j’avais bien besoin », loue Joël Ménard, qui se dit ravi de la nomination de M. Maisonneuve comme professeur associé de santé publique. Il insiste sur son esprit (parfois trop) critique : « Sa sensibilité lui permet de voir les défauts de l’endroit où il est, mais on se demande si cet écorché vif ne prend pas parfois un peu trop plaisir à annoncer des mauvaises nouvelles. C’est un lanceur d’alertes lucide. »

    Depuis cinq ans, Hervé Maisonneuve s’attaque à un nouveau fléau de l’édition scientifique : les revues prédatrices. « Il y a à peu près 10 000 de ces fausses revues créées de toutes pièces par des informaticiens indiens, elles publient 500 000 articles par an », s’inquiète-t-il. Selon lui, ce sont pour beaucoup des chercheurs des pays en voie de développement qui se font piéger, séduits par des tarifs attractifs (3 à 10 fois plus bas que pour publier dans une revue classique). « Il existe aussi des cas en France. Certains universitaires y ont recours pour embellir leur CV, mais les institutions et jurys d’évaluation français ne sont pas conscients du problème », soupire-t-il. Un combat de plus à mener.