De la détresse des migrants au Christ en croix, il n’y a qu’un pas franchi avec panache par l’écrivain italien.
Les frontières fonctionnent dans la plaine, on dresse des barbelés et personne ne passe. Or, il n’en va pas de même en montagne. Dans ce roman au titre intriguant - La Nature exposée - jusqu’à la page 33, l’écrivain napolitain Erri de Luca enchaîne deux narrations. Au début, un sculpteur ajoute à ses activités celle de passeur pour clandestins. Il accompagne au-delà de la frontière « des étrangers désorientés » arrivés dans un village de montagne en Italie « avec une adresse comme seule boussole ».
Le sculpteur est un sexagénaire, comme ses deux compagnons. Ils connaissent la montagne par cœur, ses passages, ses pièges et ses dangers. Le service n’est pas gratuit. Les trois accompagnateurs œuvrent individuellement, mais ils se sont entendus sur le tarif. Ils n’ont pas affaire à des mendiants : ces migrants « ont assez d’argent pour voyager en première classe ».
Le « saint de la montagne »
Cependant, le narrateur agit d’une façon particulière. Il se fait payer, comme les autres, emmène ses « clients » dans la montagne, mais il le leur rend une fois parvenu à destination. Puis il s’en va aussitôt, sans se retourner, de peur d’être remercié. Pure grandeur d’âme. Simple plaisir d’être utile. Cette générosité ne trouble pas le commerce des autres passeurs, ni ne constitue une concurrence déloyale, car seuls ses bénéficiaires en prennent tardivement conscience.
Jusqu’au jour où un écrivain, guidé dans la montagne un an plus tôt, fait paraître un livre sur son terrible voyage. La télévision débarque et une auréole de bienfaiteur vient alors coiffer notre narrateur. Impossible d’y échapper. Il a beau nier, incriminer l’excès d’imagination de l’auteur, les témoignages de gratitude s’empilent et viennent démentir ses démentis. Tout le village regarde bientôt de travers le « saint de la montagne ». Un équilibre se rompt entre les trois montagnards aguerris et le passage pour clandestins devient impossible sous l’œil des caméras.
«Il personaggio di questa storia abita proprio sul confine, su uno di questi arbitrari confini che le nazioni hanno deciso di darsi. Hanno deciso che per esempio le montagne sono dei muri, sono dei confini naturali… Non sono dei confini, sono naturali, ma non sono dei confini, le montagne. Chiunque abita in montagna sa che quei versanti sono porosi. Possono essere attraversati facilmente e al di fuori di ogni controllo. E’ molto più facile sconfinare in montagna che in pianura, evidentemente, ma credono che le montagne sono dei confini. Le montagne sono un grande sistema di comunicazione tra i versanti»