• « #Trois_mesures pour sortir du désastre écologique »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/09/05/claude-henry-trois-mesures-pour-sortir-du-desastre-ecologique_535034

    Proposition 1 : réorienter la pression fiscale sur les activités et produits qui contribuent significativement à la dégradation du #capital_naturel

    Proposition 2 : prononcer et organiser la faillite des entreprises qui contribuent le plus à la dégradation du capital naturel

    Proposition 3 : substituer un modèle d’agriculture fondé sur la biologie au modèle fondé sur la chimie

    #simple #efficace #suède #fiscalité #planification #agriculture #plan

    • "Vers 1789 ?
      Comment de pareilles utopies ne seraient-elles pas écrasées par l’énorme concentration d’intérêts et de pouvoirs en place ? Comment a-t-il été possible que les structures et les bénéficiaires d’un ordre millénaire n’aient pas étouffé la marche vers 1789 ? Dans le « Livre III » de L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville décrit et analyse le fourmillement de visions nouvelles et d’actions au cours des décennies 1770 et 1780, convergeant finalement vers l’effondrement de l’ordre ancien et l’émergence (douloureuse)
      d’un monde nouveau. Visions et actions, aussi imaginatives et diverses que l’étaient celles du XVIII e siècle, foisonnent aujourd’hui sur le chemin d’une transition écologique et économique. Convergeront-elles à temps ? Assistera-t-on à une nuit mondiale du 4 août ? A chacun son optimisme ou son pessimisme. Au moins l’hypocrisie n’a-t-elle plus aucune excuse."

  • « Il est temps d’utiliser le smartphone en classe »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/08/27/il-est-temps-d-utiliser-le-smartphone-en-classe_5346455_3232.html

    Dans une tribune au « Monde », André Giordan, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Genève, estime que l’école, plutôt que de bannir le portable, doit apprendre aux élèves à s’en servir.

    et un autre point de vue :
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/08/25/preserver-les-eleves-de-ces-objets-qui-nous-possedent-plus-que-nous-

    « Préservons les élèves des smartphones qui nous possèdent plus que nous les possédons »

    Professeur de français en lycée et rétif à l’envahissement de l’école par le numérique, Loys Bonod estime que le smartphone est tout sauf un outil pédagogique et qu’il convient s’interroger sur la place grandissante qu’il occupe dans la vie des enfants.

    LE MONDE | 25.08.2018 à 05h30 • Mis à jour le 27.08.2018 à 07h04 | Par Loys Bonod (Professeur de lycée)

    Mon problème : il y a du vrai dans les deux positions. Trouver un nouvel arrangement : apprendre à s’en servir sans redistribuer la sauce vendue par les public relation de l’industrie numérique. Pas facile. Mais nous en sommes là dans tous les domaines : assurer l’autonomie des usagers devant la puissance de captation des géants du web passe par un renouvellement de l’éducation... mais aussi en limitant leur pouvoir (économique et mental) via des lois et de nouvelles mobilisations sociales. Du grain à moudre.

    #Education #Numérique_école #Smartphone

  • « La crise des opioïdes travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/12/les-opioides-un-mal-americain_5297825_3232.html

    Mouvement de désocialisation

    Ce changement des pratiques médicales – suscité par les laboratoires ayant développé et commercialisé ces antidouleurs – a provoqué une catastrophe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour l’année 2016, les autorités sanitaires américaines ont recensé 64 000 morts par overdose, dont une grande part provoquée par des produits à base d’opioïdes, obtenus sur prescription ou illégalement sur le marché noir. Dans ce bilan, l’héroïne est bien à l’origine d’environ 15 000 morts, mais une étude publiée en 2014 par le Journal of the American Medical Association (JAMA) suggère qu’aux Etats-Unis, les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin.
    Les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin

    Au total, même s’il est impossible de le démontrer formellement et de le quantifier de manière précise, il est plausible qu’une très large part de la mortalité par overdose enregistrée ces dernières années outre-Atlantique soit directement ou indirectement le fait de la mise sur le marché de ces analgésiques. Un simple chiffre permet de s’en convaincre : en 1990, au plus fort de la guerre de l’Etat fédéral contre les cartels colombiens, le nombre de morts par overdose aux Etats-Unis n’excédait pas 10 000 par an, toutes catégories confondues. C’est aujourd’hui sept fois plus. Pour fixer les idées, rappelons que les armes à feu font environ 34 000 morts par an aux Etats-Unis, ou encore que le pic de mortalité annuelle due au sida y a été atteint en 1995 avec quelque 46 000 morts…

    Et il ne s’agit encore là que de mortalité. Le problème posé par la crise des opioïdes est bien plus vaste. Ce fléau travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine. Selon un rapport récent de l’Académie des sciences des Etats-Unis, environ 2 millions d’Américains souffrent d’une dépendance aux opioïdes ; une étude récente, conduite par l’économiste Alan Krueger (université de Princeton), suggère que l’augmentation continue, entre 1999 et 2015, des prescriptions d’opioïdes, pourrait expliquer une partie de la baisse, récente et rapide, du taux de participation de la population au marché de l’emploi. La part de la population qui travaille ou est en recherche d’emploi a en effet atteint, aux Etats-Unis, à peine plus de 62 % en 2015.

    Lire aussi : Les opioïdes ravagent aussi le rap aux Etats-Unis

    Du jamais-vu depuis quarante ans. En l’espace d’une quinzaine d’années, au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), le pays est passé des plus forts taux de participation au marché de l’emploi, au plus faible de tous (avec l’Italie). L’évolution de cet indicateur signale un mouvement de désocialisation peut-être plus inquiétant encore que la mortalité galopante attribuable à la crise des opioïdes.

    #Opioides

  • « A partir de 27 ans, un mal sournois vous guette : la paralysie musicale »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/07/06/a-partir-de-27-ans-un-mal-sournois-vous-guette-la-paralysie-musicale

    En France, cette « paralysie » serait particulièrement opérante dans les trois mois passés le vingt-septième anniversaire. Elle est plus tardive en Allemagne (31 ans) et au Royaume-Uni (30 ans et six mois) mais plus précoce au Brésil (23 ans et deux mois).

    Nulle revue de médecine à l’origine de ces données mais une étude commandée par la plate-forme d’écoute de musique en ligne Deezer et dévoilée le 26 juin. D’où il ressort que parmi les 5 000 personnes interrogées, 65 % se sentent « figés dans une ornière musicale, écoutant seulement des morceaux qu’ils connaissent déjà ». Bref, les clients parfaits pour alimenter les tournées nostalgiques de leurs idoles de jeunesse et assurer le train de vie des vieilles gloires en mal de nouveautés mais jamais avares de rééditions.

    En février, le New York Times s’était également penché sur le sujet et en était arrivé à la conclusion que les hits sortis entre nos 13 ans et nos 14 ans, dans cette période où les émotions devant un morceau ou un groupe peuvent être si puissantes, avaient une influence majeure sur nos préférences musicales une fois devenus adultes.

    Dans un rapport mis en ligne en mai, le Joint Research Center (JRC), le service scientifique de la Commission, a prêté une oreille très attentive à deux des principales playlists de Spotify. La première « Hits du moment », fédérait au moment de l’étude 18,5 millions d’abonnés dans le monde ; la seconde « New music friday », propose une cinquantaine de nouveaux titres chaque semaine, pays par pays. L’étude décortique ainsi l’influence de ces sélections très populaires sur le succès d’un artiste ou d’une chanson et montre en creux qu’elles ne sont pas forcément le meilleur remède pour inciter leurs utilisateurs à enrichir leurs goûts.

    Le grief n’est pas nouveau. Depuis l’émergence du streaming et la mainmise de trois acteurs principaux (Spotify, Apple et Deezer) sur ce type d’écoute, de nombreuses voix se sont déjà élevées, aussi bien pour dénoncer la faiblesse de la rémunération des artistes que le manque de promotion de la diversité musicale.

    Chemins de traverse

    Sur ce dernier point, Spotify et ses rivaux essuient les mêmes reproches que les stations FM, accusées de faire tourner toujours les mêmes chansons, partant du principe – souvent avéré – qu’un auditeur plongé dans l’inconnu file vers d’autres ondes chercher un son plus familier.

    Dans ses conclusions, l’étude de la Commission souligne ainsi que la playlist « Hits du moment » favorise les chansons issues des grands labels discographiques et ceux des artistes américains. Au passage, on comprend que les groupes et les chanteurs croisent les doigts pour y voir figurer leur production : aux Etats-Unis, la présence sur cette liste de « tubes » augmente le nombre d’écoutes de 20 millions, ce qui peut rapporter entre 116 000 et 163 000 dollars (soit entre 99 000 et 140 000 euros)… Le constat est plus nuancé pour la playlist des nouveautés du vendredi puisque, selon le JCR, cette dernière « accroît fortement les probabilités de succès » d’une chanson, y compris pour les nouveaux artistes.

    « Paralysie musicale » d’un côté ; forte concentration autour de quelques dizaines de titres de l’autre : le débat sur les relations de cause à effet entre ces deux tropismes ne date pas d’hier. Certes, rien ne remplacera jamais la curiosité pour choisir de prendre ou non les chemins de traverse.

    #Musique #Pratiques_culturelles #Deezer #Spotify

  • « Le moment néofasciste du néolibéralisme »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/29/le-moment-neofasciste-du-neoliberalisme_5323080_3232.html

    Les « délinquants solidaires » persécutés

    Comment penser ensemble la montée des extrêmes droites et la dérive autoritaire du néolibéralisme ?

    D’un côté, il y a le suprémacisme blanc avec Donald Trump, et en Europe, la xénophobie politique d’un Viktor Orbán ou d’un Matteo Salvini.

    De l’autre, il y a des coups d’Etat démocratiques : il n’est pas besoin d’envoyer l’armée contre la Grèce (« des banques, pas des tanks »), pas plus qu’au Brésil (des votes au lieu des bottes) – même si, comme en France, les champions du néolibéralisme ne reculent pas devant les violences policières pour réprimer les mouvements sociaux. D’un côté comme de l’autre, les libertés publiques reculent.

    Et les deux n’ont rien d’incompatible : l’Europe s’accommode de l’extrême droite au pouvoir, et l’Union sous-traite la gestion des migrants à la Turquie ou à la Libye. Avec l’arrivée de la Lega (la « Ligue ») au pouvoir, Emmanuel Macron peut bien dénoncer la « lèpre qui monte » ; mais à la frontière franco-italienne comme en Méditerranée, les milices de Génération identitaire agissent illégalement sans être inquiétées par les autorités. En revanche, la justice française persécute les « délinquants solidaires », tel Cédric Herrou ; et déjà en 2017, l’Italie dirigée par le Parti démocrate poursuivait en justice les ONG qui sauvent les migrants en mer.

    Mieux vaut donc parler d’un « moment néofasciste ». On retrouve aujourd’hui des traits du fascisme historique : racisme et xénophobie, brouillage des frontières entre droite et gauche, leader charismatique et célébration de la nation, haine des élites et exaltation du peuple, etc. Après l’élection de Trump, le philosophe américain Cornel West dénonçait la responsabilité des politiques économiques des Clinton et d’Obama : « aux Etats-Unis, l’ère néolibérale vient de s’achever dans une explosion néofasciste. » Depuis, cependant, il est clair que la seconde n’a pas détruit la première…
    Une forme politique nouvelle

    Faut-il plutôt suivre la politologue américaine Wendy Brown qui privilégie la lecture néolibérale ? Pour cette politiste, avec Trump la combinaison paradoxale de l’« étatisme » et de la « dérégulation », soit d’un « autoritarisme libertarien », est une forme politique nouvelle, « effet collatéral de la rationalité néolibérale » ; on ne saurait donc la réduire aux figures anciennes du fascisme ou du populisme. Sa critique rejoint celle de Robert Paxton : pour l’historien de Vichy, « l’étiquette “fasciste” occulte le libertarisme économique et social de Trump. »

    Non pas que le néolibéralisme soit condamné au fascisme. Certes, il n’est pas voué à la démocratie, comme on l’entendait après la chute du mur de Berlin. Toutefois, Tony Blair et José Luis Zapatero, qui y ont converti la sociale-démocratie en Europe, loin de surfer sur la vague xénophobe, revendiquaient l’ouverture aux migrants économiques. Quant à la chancelière allemande, « Kaiser Merkel » n’est-elle pas devenue, quelques mois après la « crise grecque », lors de la « crise de l’asile » de 2015, « Mutti Angela » ? Mais ces deux moments appartiennent au passé.

    Aujourd’hui, refuser de nommer le néofascisme autorise à ne rien faire. Il ne faut pas se bercer de l’illusion que le populisme, qui en est le symptôme, pourrait en être le remède. Et les euphémismes empêchent la mobilisation d’un antifascisme qui, loin d’être la caution démocratique des politiques économiques actuelles, désigne la responsabilité du néolibéralisme dans la montée du néofascisme. Bref, chanter Bella Ciao n’a rien d’anachronique – contre Matteo Salvini ou son prédécesseur, Marco Minniti, ou contre son homologue, Gérard Collomb, même s’il en a « un peu marre de passer pour le facho de service. »

    #Néofascisme #Pentafascisme #Politique_Europe

  • Daniela Festa : « En Italie, un mouvement social a émergé autour des communs urbains »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/daniela-festa-en-italie-un-mouvement-social-a-emerge-autour-des-comm

    Quel a été le rôle de la commission Rodota dans l’émergence de cette question ?

    Elle a été centrale. Stefano Rodota [1933-2017] était un grand personnage de la culture juridique et politique italienne. En 2007, le gouvernement Prodi décida de lui confier la présidence d’une commission ministérielle chargée de rédiger un projet de loi pour la réforme des régimes des biens. Pour les juristes de cette commission, la question était la suivante : comment faire en sorte que les biens voués à satisfaire les besoins de la collectivité ne soient pas captés par le patrimoine privé, sans aucun retour pour la communauté ?

    La commission a décidé d’introduire, pour la première fois, la notion juridique de communs : des « biens qui comportent une utilité fonctionnelle pour l’exercice des droits fondamentaux et le libre développement de la personne ». Parmi eux figurent plusieurs ressources naturelles, des zones naturelles protégées, mais également des biens culturels. Ce projet n’a finalement pas eu de suite législative, mais il a fortement alimenté les débats et les actions citoyennes dans le pays.

    Autre rendez-vous politique important : le référendum de 2011 contre la privatisation de l’eau. Quelles forces ce succès a-t-il libérées ?

    Après cette victoire éclatante (57 % d’Italiens ont voté, et 95 % des votants se sont exprimés pour que l’eau reste publique), la question des communs a explosé en Italie. Tout le monde s’est mis à en débattre, dans les grandes villes comme dans les petites. Depuis, le pays est passé à autre chose, avec d’autres problèmes à régler.

    Mais ce moment n’en a pas moins donné naissance à plusieurs expériences importantes. A commencer par la charte de Bologne, un pacte élaboré en 2014 par un laboratoire de juristes et la municipalité, portant sur « la collaboration entre les citoyens et l’administration pour l’entretien et la régénération des biens communs urbains ».

    Quels sont les biens concernés par ce pacte ?

    Il s’agit en priorité de biens publics, matériels ou culturels, mais aussi éventuellement de biens privés s’il y a une volonté du propriétaire de les mettre à la disposition de la ville. Les citoyens peuvent se proposer eux-mêmes pour les prendre en charge, l’administration gardant un rôle de sélection et de régie. Ce pacte de collaboration entre la municipalité et les citoyens a progressivement été adopté par de nombreuses villes italiennes (environ 120 à ce jour), mais peu d’entre elles ont témoigné d’une volonté politique suffisante pour le rendre aussi effectif qu’à Bologne.

    Certaines villes n’en ont pas moins fait preuve d’originalité et ont réadapté cette charte à leur propre territoire. A Orvieto, par exemple, ville d’art et de culture, l’attention a été portée sur le patrimoine culturel. A Chieri (métropole de Turin), la charte a été rediscutée de manière à rendre plus égalitaire le rapport entre les institutions et les citoyens.

    A quelle critique ces chartes peuvent-elles donner lieu ?

    En promouvant l’engagement direct des citoyens autour des communs, ces initiatives peuvent être le symptôme d’une déresponsabilisation des institutions publiques. Celles-ci ne parvenant pas à assurer le maintien de patrimoines collectifs, elles s’appuieraient alors sur les citoyens, non pour promouvoir l’espace démocratique, mais pour s’en dégager.

    C’est un risque réel, dont il faut tenir compte. Car, dès lors qu’on parle de communs ayant une importance culturelle et sociale forte, il est illusoire de penser que les citoyens peuvent les préserver sans ressources économiques. Si les biens communs se transformaient en outil de démantèlement de l’Etat social, cela deviendrait très dangereux.

    #Communs #Daniela_Festa

  • Biens communs : jouir sans posséder
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/biens-communs-jouir-sans-posseder_5318960_3232.html

    Débats citoyens

    « Dans les interactions entre habitants “historiques”, paysans, squatteurs, voisins (…) s’est construit un territoire commun, au-delà de la propriété, des habitudes et des appartenances », constate ainsi un collectif d’intellectuels, parmi lesquels la philosophe Isabelle Stengers et l’anthropologue au Collège de France Philippe Descola (Mediapart, 6 avril). Une démarche « collective, construite comme un “commun”, au sein de laquelle les individualités trouvent leur propre énergie », appuient l’ingénieur des Ponts et Chaussées Olivier Frérot et le géographe Luc Gwiazdzinski (Libération, 20 avril).

    « Pourquoi ne pas reconnaître aux ­zadistes un droit à l’expérimentation ? Ils pourraient ainsi promouvoir une autre approche de la propriété qui est celle des “commons”, c’est-à-dire un dispositif fondé sur un collectif identifié et porteur d’un territoire », insiste l’économiste Bernard Paranque (Le Monde, 18 mai).

    Lire aussi : Daniela Festa : « En Italie, un mouvement social a émergé autour des communs urbains »

    La question des communs ne s’invite pas seulement dans le bocage nantais. Une Université du bien commun a été lancée à Paris en octobre 2017, dont le premier cycle de conférences et de débats citoyens a rencontré un franc succès. « Nous pensons que ce succès est lié, non seulement à la qualité des intervenants, mais également au fait que nous essayons d’articuler l’analyse et la recherche avec des pratiques de terrain et des initiatives en cours sur les biens communs (semences, eau, agriculture urbaine, logiciels libres, logement, etc.) », précise Cristina Bertelli, cofondatrice de l’université.

    Pour son film Nul homme n’est une île, sorti en avril, le documentariste Dominique Marchais a parcouru l’Italie, l’Autriche et la Suisse, en quête d’initiatives d’entraide et de sauvegarde des territoires allant à contre-courant des modèles économiques dominants. Et il ne se passe pas un mois sans que sorte un nouvel ouvrage consacré à l’économie ou à la gouvernance des biens communs. Ces derniers font donc un retour en force dans le monde des idées. Mais de quoi parle-t-on précisément ?

    #Communs

  • Roberto Saviano : « Le nouveau gouvernement italien a déjà causé trop de mal »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/roberto-saviano-le-nouveau-gouvernement-italien-a-deja-cause-trop-de

    Un texte fabuleux, à lire en entier.

    L’écrivain spécialiste de la Mafia et auteur de « Gomorra » s’insurge, dans un texte exclusif transmis au « Monde », contre la politique migratoire du ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini, et invite les autres pays européens à réexaminer la leur.

    Roberto Saviano

    L’écrivain et journaliste Roberto Saviano est né à Naples (Campanie) en 1979. En 2006, ses enquêtes sur la mafia ­napolitaine, la Camorra, lui valent des menaces de mort et une mise sous protection policière. Son livre le plus connu, Gomorra (Gallimard, 2007), a été un succès planétaire, aujourd’hui adapté en série télévisée. Mais la criminalité n’est pas son seul domaine d’intervention. Il a publié d’autres ouvrages, et il prend souvent part aux débats politiques et ­sociétaux qui agitent son pays. Il interviendra lors du prochain Monde Festival, dimanche ­7 octobre, à Paris, quelques jours après la sortie, le 4 octobre, de son premier roman, Piranhas, chez Gallimard.
    L’écrivain italien Roberto Saviano au Salon du livre de Göteborg (Suède), en septembre 2017.

    Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. Personne en Europe ne peut le faire. Personne en Europe n’a la conscience assez propre pour se permettre d’indiquer aux autres le chemin à suivre pour résoudre la tragédie des migrants qui risquent leur vie pour rejoindre l’Europe. Personne ne peut le faire, parce que l’Europe a non seulement laissé l’Italie porter seule le poids d’une responsabilité qu’elle n’était manifestement pas en mesure de porter, mais aussi parce qu’elle a commis les mêmes erreurs de communication qui, en Italie, ont conduit au pouvoir des forces de droite, xénophobes et incapables d’assurer la cohésion sociale.

    L’Italie est en campagne électorale depuis 2013. Savez-vous ce que cela signifie ? Que tout est communication politique – et la communication politique est une chose très différente de la politique elle-même : c’est de la communication, de la vulgarisation, de la simplification. Cela signifie que les Italiens sont entourés, assiégés, écrasés sous le poids d’une politique qui, loin d’être réelle, se fait dans les talk-shows et sur les réseaux sociaux. Cela signifie que pour rester sur le marché, la presse et la télévision accordent de la place à quiconque, d’une manière plus ou moins provocatrice, parle aux citoyens furieux qui, dévastés par des décennies de berlusconisme, d’antiberlusconisme et de récession, estiment que le monde leur doit quelque chose, que l’Europe leur doit quelque chose.

    Cela signifie que ceux qui parlent des migrants comme d’un fléau à éradiquer obtiennent aussitôt de la visibilité, surtout s’ils ont gagné en crédibilité dans des milieux dits « de gauche ». Cela signifie que ceux qui parlent de l’Europe comme d’une utopie faillie et d’un système perfide sont considérés comme réalistes, au contraire de ceux qui parlent de l’Europe comme d’un projet commun à façonner et à améliorer.

    On ne compte plus les journalistes et les faiseurs d’opinion qui, à l’aube du nouveau gouvernement, mais aussi au crépuscule du précédent, adoptent déjà des positions xénophobes à peine voilées. Matteo Salvini est en train de mettre en œuvre la « méthode Minniti », la doctrine de ce penseur politique [membre du Parti démocrate, ancien ministre de l’intérieur] qui entendait – je ne sais par quel miracle – éloigner le spectre d’un gouvernement jaune-vert (ainsi appelle-t-on en Italie, avec une pointe d’ironie, le ramassis formé par la Ligue et le M5S) en proposant une ligne politique proto-léguiste.
    Infinie amertume

    C’est Marco Minniti qui, l’année passée, fut le premier à déclarer : « Nous fermerons les ports aux ONG. » C’est lui qui obligea, au moyen d’une politique médiatique sans précédent, les ONG à signer un code de conduite parfaitement arbitraire, dont l’effet immédiat a été de diviser un front humanitaire qui doit rester uni pour pouvoir défendre ceux qui viennent en aide aux plus faibles. C’est encore Minniti qui expliqua aux Italiens à peu près ceci : même si les chiffres des cambriolages sont en baisse, nous, nous ne nous intéressons ni aux faits ni aux statistiques, mais à vos sentiments et, si vous vous sentez en insécurité, nous étudierons les moyens de vous laisser davantage de marge de manœuvre pour que vous puissiez vous défendre seuls. Tout cela a préparé le terrain à ce qui est en train de se produire aujourd’hui – pas de stupeur donc, rien qu’une infinie amertume.

    Lire aussi : Un navire des garde-côtes italiens accoste avec plus de 500 migrants en Sicile

    Et pendant que tout cela se passe en Italie, que fait l’Europe exactement ? Où est l’Europe solidaire ? Quelqu’un a dit – à juste titre – que l’Italie, d’abord avec Berlusconi, puis avec Renzi, a accepté d’accueillir les migrants en échange d’une certaine souplesse économique. Mais est-ce possible que l’Europe ne se rende pas compte que cela ne pouvait pas fonctionner ? Est-ce possible que les chefs d’Etat européens mésestiment à ce point les effets de leurs politiques inefficaces, si ce n’est criminelles ?

    L’accord entre l’Allemagne et la Turquie pour fermer la route des Balkans a ouvert la voie à l’accord entre l’Italie et la Libye : des milliards d’euros ont été versés à des gouvernements antidémocratiques pour créer de véritables camps où la torture et les mauvais traitements sont avérés. En 2016, la Turquie a conclu avec l’Europe un pacte des plus juteux : 6 milliards d’euros sur trois ans ; l’an passé, la Libye a demandé à l’Italie 800 millions d’euros pour bloquer les flux migratoires. Ces fonds auraient pu servir à l’aide et à l’accueil. Mais, semble-t-il, nous préférons payer des tortionnaires pour tenir les problèmes loin de nos yeux plutôt que de chercher de réelles solutions.

    Et la France dans tout cela ? Elle a criminalisé la solidarité, exactement comme l’a fait le gouvernement Gentiloni et exactement comme est en train de le faire le gouvernement Salvini-Di Maio. Prenez le cas de ce guide de montagne, Benoît Ducos, interpellé par la police française pour avoir porté secours à une migrante enceinte à la frontière franco-italienne. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais un exemple criant qui nous dit ce qui se fait couramment, et nous raconte comment les gouvernements ont décidé de contrer les extrémistes de droite en cherchant à les battre sur leur propre terrain.

    En Italie, nous avons vu à quel point cette stratégie est un échec – espérons que les autres pays tireront les leçons de notre débâcle. Parce que, au cas où ce ne serait pas encore clair, voilà l’Europe idéale de Salvini, qui, comme parlementaire européen, est connu pour son absentéisme à Bruxelles et qui, comme ministre de l’intérieur, passera à la postérité pour sa campagne de communication contre les migrants.
    Racisme grossier

    Matteo Salvini s’installe au Viminal [siège du ministère de l’intérieur] et il en oublie que, dans son mandat, parmi ses priorités, il doit garantir la sécurité des Italiens, la vraie sécurité, menacée quotidiennement par les organisations criminelles – le contrat entre la Ligue et le M5S n’en parle pas, si ce n’est de façon tout à fait marginale. Matteo Salvini ignore ce que sont et comment opèrent les organisations criminelles. Matteo Salvini l’ignore et pour le dissimuler, il parle des immigrés. Pour le dissimuler, il fait de la communication sur les réseaux sociaux, des déclarations à propos desquelles, dans quelques années, les nouvelles générations nous demanderont de rendre des comptes. Concrètement : une bombe a explosé il y a quelques jours dans le centre historique de Naples. Comment le ministre de l’intérieur a -t-il réagi à ces graves problèmes d’ordre public et de criminalité organisée ? En s’occupant « D’abord des Italiens », pour reprendre un slogan habituel de la Ligue ?

    On en arrive à se demander quels sont les Italiens qui passent d’abord, étant donné que ceux du sud, où Salvini a pourtant été élu sénateur (dans la circonscription de Rosarno, en Calabre), sont victimes, plus que d’autres, de la violence des organisations criminelles mais ne rentrent pas dans son champ de vision myope, qui ne perçoit aujourd’hui que les immigrés qui servent à transformer en soutien électoral le racisme le plus grossier.

    A peine nommé, le ministre de l’intérieur déclare : « Pour les migrants, la fête est finie. » Quelle fête de naître en Afrique, de tout sacrifier et de s’endetter pour tenter de construire un avenir meilleur, dans l’espoir de pouvoir changer la donne et d’aider sa famille qui, en attendant, reste là-bas, parce qu’elle est trop nombreuse, parce qu’elle compte des femmes, des personnes âgées et des enfants qui ne supporteraient pas les souffrances d’un voyage long et éprouvant. Quelle fête de traverser le continent, de voyager entassé dans un véhicule conçu pour dix personnes qui en transporte cinquante. Quelle fête d’aller sans nourriture et presque sans eau, d’être dans la fleur de l’âge et pourtant si fatigué, épuisé, à bout et d’avoir, malgré tout, encore de l’espoir.

    Quelle fête d’arriver en Libye, de faire l’impossible pour ne pas rester prisonnier dans un camp de réfugiés, de chercher à ne pas devenir une monnaie d’échange entre des ravisseurs assoiffés d’argent et la famille restée au pays qui, pour aider celui qui s’enfuit en Europe, contracte des dettes qu’elle remboursera avec des années de labeur – un emprunt pour la liberté, un crédit pour acheter l’espoir.

    Quelle fête de payer sa place sur un Zodiac et d’être, peut-être, celui qui sera chargé de le diriger et qui se trouvera de fait considéré comme « passeur » au cas où les choses tourneraient mal. Quelle fête de passer des heures et des heures en mer. En mer calme, en mer agitée. En mer chaude et éblouissante le jour, froide et noire la nuit. Quelle fête d’être écrasé, entassé avec plus de cent personnes sur une embarcation qui prend l’eau de toutes parts, et de se trouver au centre, là où l’air manque, puis d’être assis au bord, les jambes ballantes, engourdies, glacées. Quelle fête d’être enfant et de vivre cet enfer, d’être mère, père, et de se sentir responsable d’avoir emmené ce que l’on a de plus précieux au monde dans une situation de danger extrême. Quelle fête quand le Zodiac ne tient plus le coup, qu’il prend l’eau et que la peur de couler vous tenaille.

    Quelle fête quand Malte, l’Italie et le reste de l’Europe tentent de se débarrasser de la patate chaude et de l’envoyer le plus loin possible. Quelle fête quand les ONG – ces « taxis de la mer » (copyright Luigi Di Maio), ces « vice-trafiquants » (copyright Matteo Salvini) – sont empêchées de porter secours à des êtres humains, mais que l’on donne le feu vert à la garde côtière libyenne, à elle oui, elle qui est de mèche avec les trafiquants (source : ONU). Quelle fête lorsque l’on transmet à la télévision des vidéos des opérations de sauvetage de cette même garde libyenne et que l’on coupe les longues minutes pendant lesquelles les militaires frappent les migrants, tirent en direction des embarcations et menacent le personnel des ONG.
    Impossible de me taire

    Quelle fête quand personne ne vient à votre secours et quand votre embarcation est en train de sombrer, emportant avec elle les corps à présent sans force de ceux qui ont supporté la séparation d’avec leur famille, le voyage à travers le désert, la faim, les coups, les tortures dans les camps libyens, les viols et violences de tout type. Pensons-y, merde, quelle fête ! Quand, dans cent ans, on sondera les fonds de ce petit bout de Méditerranée et qu’on y trouvera des centaines de corps humains, on se demandera quelle guerre s’est jouée là.
    L’Italie réitère l’interdiction aux ONG d’accéder à ses ports

    Rome persiste et signe : Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur et nouvel homme fort de la politique italienne, a réitéré, samedi 16 juin, l’interdiction aux ONG d’accéder aux ports de la péninsule, au risque d’envenimer encore les tensions européennes autour de la crise migratoire.

    Il s’est exprimé sur son compte Facebook : « Alors que le navire Aquarius navigue vers l’Espagne [arrivée prévue dimanche] deux autres navires d’ONG battant pavillon des Pays-Bas [Lifeline et Seefuchs] sont arrivés au large des côtes libyennes, en attente de leur cargaison d’être humains abandonnés par les passeurs. Que ces messieurs sachent que l’Italie ne veut plus être complice du business de l’immigration clandestine, et ils devront donc chercher d’autres ports (non italiens) vers lesquels se diriger. En ministre et en père, je le fais pour le bien de tous », a-t-il ajouté.

    Quelle fête quand les choses vont mieux, quand la marine militaire italienne donne son autorisation et que les « taxis de la mer » peuvent enfin commencer les opérations de sauvetage. Et quelle fête, ensuite, une fois monté à bord de ces « taxis », de savoir, ou d’avoir la nette intuition, que ces heures de navigation seront les seules au cours desquelles il sera possible, peut-être, de souffler un peu. Peut-être de dormir. Peut-être d’espérer que ces douloureuses plaies aux pieds, nus, qui, au sec, se sont ouvertes après être restées tout ce temps dans l’eau, sont le pire qui puisse arriver.

    Mais le pire, ce ne sont pas les pieds blessés, ce n’est pas la faim, ce n’est pas le manque de sommeil ni les pensées pour ces compagnons de voyage morts ou disparus. Le pire, c’est en Italie qu’il se produira, si les ports sont ouverts. Ou ailleurs si, comme ces jours-ci, le duo Salvini-Toninelli [ministre des infrastructures et des transports] ferme les ports aux « passagers » de ces délectables « croisières ».

    La « fête », pour quelqu’un qui a débarqué de nuit en Italie et obtenu un permis de séjour, peut avoir lieu de nuit, un samedi soir, alors qu’il aide des compagnons à se procurer de la tôle pour construire un refuge résistant aux flammes. La fête est soudaine. La fête est une balle tirée dans la tête. Soumaila Sacko est mort ainsi, en Calabre, à quelques kilomètres de Rosarno, la petite commune où Salvini a été élu sénateur. Soumaila avait un permis de séjour en règle. Je n’ose imaginer quelle est la fête pour celui qui n’a pas de papiers.

    Ce que je sais avec certitude, c’est que nous ne pouvons accorder de répit à ce gouvernement, qui procède à coups de déclarations, et que nous devons lui faire regretter le jour où, par égoïsme, intérêt et méchanceté, il a décidé – car, oui, il l’a décidé – que pour exister, il fallait devenir raciste. Voilà pourquoi, en ces heures comme jamais, il m’est impossible de me taire. En ces jours comme jamais, je me sens, et heureusement je ne suis pas le seul, comme un fleuve en crue qui doit expliquer pourquoi on ne peut laisser du temps au nouveau gouvernement qui, alors qu’il ne s’est pas encore mis sérieusement au travail, a déjà causé trop de mal. Un mal irréparable.
    Guerre fratricide

    Comment est-ce possible, me demanderez-vous, s’il est en place depuis si peu de temps ? C’est possible parce qu’il a été précédé par la longue et exténuante campagne électorale de la Ligue (Forza Italia n’a été qu’une béquille, le dindon de la farce) et du M5S qui ont, sans aucun scrupule ni limites, joué avec le point faible de ce pays dont le lien de confiance avec la politique était déjà définitivement rompu. Et pourquoi, me demanderez-vous, fait-il à présent confiance à deux mouvements politiques comme la Ligue et le M5S qui, aux yeux de beaucoup – dont je fais partie – sont aussi peu fiables que le Parti démocrate (PD) et Forza Italia (FI) ?

    D’abord, parce que ces partis savent communiquer sur les réseaux sociaux, ensuite, parce qu’ils entretiennent des rapports réels (et pas seulement virtuels) avec les électeurs, des rapports que FI et le PD n’ont plus depuis longtemps, mais surtout, parce que, même s’ils l’ont fait de la plus mauvaise façon qui soit, ils sont parvenus à faire passer ce message : « Chers Italiens, nous vous comprenons, nous sommes de votre côté. Vos peurs ? Elles sont justifiées. Votre rancœur ? Justifiée aussi. » Mais la Ligue et le M5S sont allés encore plus loin. En diffusant des informations et des chiffres faux, ils ont donné à beaucoup d’Italiens ce qu’ils voulaient : des ennemis en chair et en os.

    Une guerre vient d’éclater en Italie, une guerre longtemps restée silencieuse, et elle se mène sur deux fronts. Le premier est celui où s’opposent ce gouvernement et ceux qui tentent de dire qu’il n’offre pas de solutions réelles aux problèmes économiques et au mal-être du pays. Le second est un front où les victimes sont nombreuses et réelles, parce que c’est une guerre fratricide entre personnes qui souffrent. Une guerre dont dépend le destin de l’Italie et de l’Europe. Les migrants africains qui arrivent ici sont au centre de cette guerre, mais en apparence seulement ; en réalité, ce qui est en jeu, c’est le genre d’avenir que nous voulons construire, un avenir fait d’engagement et de travail, ou bien un avenir de terreur et de pauvreté. Nos actions d’aujourd’hui conditionneront davantage que ce que l’on peut prévoir (ou plus que ce que l’on veut bien voir) notre monde de demain.

    La guerre qui se joue n’est pas, comme les apparences pourraient le laisser croire, une guerre pour la fermeture des frontières ou la réduction du flux de migrants qui arrivent en Italie ; si c’était le cas, il conviendrait de rediscuter les accords signés avec l’Europe, et non d’armer les Italiens contre d’autres êtres humains.

    De ce point de vue, l’Aquarius a été un piège dans lequel nous sommes tous tombés et qui a servi à diviser l’opinion publique, à stimuler les passions et à étouffer toute réflexion. D’un côté, il y a ceux qui, malgré les 630 êtres humains en mer, estiment juste de donner une leçon à l’Europe et, de l’autre, ceux qui jugent insensé d’instrumentaliser 630 âmes pour obtenir des négociations. Reste que nous avons tous perdu de vue le cadre d’ensemble. Qui est plus ou moins le suivant.
    La propagande et les faits

    L’objectif du « zéro débarquement » en Méditerranée n’est que de la propagande criminelle. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain – cela n’arrivera de toute façon jamais. Matteo Salvini – c’est la ligne partagée par la Ligue et le M5S et c’est ce que nous souhaitons tous – dit vouloir empêcher d’autres tragédies en mer et soustraire les migrants à la voracité des trafiquants d’êtres humains de Libye et à celle des organisations criminelles d’Italie, mais la propagande est une chose, les faits en sont une autre. Le « zéro débarquement », tous les prédécesseurs de Salvini ont essayé d’y parvenir avant lui, avec les mêmes recettes et le même fiasco (construire des camps en Libye ne marche pas ; ce qui marche, c’est respecter les droits de tous les êtres humains). Salvini est juste plus ostensiblement mauvais et il a des alliés au gouvernement qui le soutiennent.

    Au fil des ans, nous avons accordé des fonds à des pays instables, nous avons arrosé trafiquants et criminels avec l’argent des Italiens et des Européens sans rien résoudre, parce que tant qu’il y aura des personnes pour vouloir quitter l’Afrique et venir en Europe, en l’absence de moyens légaux de le faire, il y aura des personnes pour prendre leur argent et les y conduire.

    Pour les Africains, les portes de l’Europe sont closes et l’unique voie est celle de la clandestinité – et il se trouve que ce sont les mafias libyennes qui les font passer (en moyenne 100 000 par an). Il existe une demande mais aucune offre légale pour la satisfaire. Qu’importent les méthodes brutales de Matteo Salvini et les discours mielleux de Luigi Di Maio, c’est la loi du marché la plus élémentaire : quand il y a une demande, il y a une offre, légale ou non.

    Pouvons-nous accueillir tout le monde ? Non. Mais la part assumée par l’Italie n’est pas telle que l’on pourrait dire : « Là, c’est bon, ça suffit ! » Je me demande souvent quelle est la solution, comme s’il existait une solution qui pourrait résoudre le phénomène de la migration. Il n’existe pas une solution définitive, mais plusieurs pas à accomplir.

    Premièrement : régulariser tous les immigrés clandestins qui se trouvent aujourd’hui en Italie : en 2002, Roberto Maroni l’a fait en donnant des papiers à 700 000 immigrés qui se sont aussitôt transformés en 700 000 contribuables ; l’actuel gouvernement peut et doit aussi le faire.
    Consicence endormie

    Deuxièmement : plancher sur la réglementation sur les visas et cesser de donner de l’argent aux mafias libyennes, parce que ce sont des geôliers que nous payons. Ces fonds pèsent sur notre budget mais surtout sur nos consciences, même si, après tant d’années de campagne électorale au ras des pâquerettes, bien des Italiens ont la conscience endormie.

    Troisièmement : passer des accords avec les pays européens pour que les permis délivrés en Italie permettent de circuler et de travailler dans l’ensemble de l’Union européenne. Ce qui signifie faire de la politique et arrêter de bavasser. Sans cela, il est facile de prédire ce que nous vivrons dans les prochains mois et les prochaines années.

    Ces derniers jours, les migrants de l’Aquarius ont été retenus en mer pendant deux jours, alors que ceux qui étaient à bord du Diciotti [navire de la garde côtière italienne] ont pu débarquer à Catane. Y aurait-il des migrants de classe A et d’autres de classe B ? Sur l’Aquarius, il y avait des gens provenant d’opérations de sauvetage de la garde côtière italienne ; la prochaine fois, j’imagine qu’aucun ne voudra quitter le navire des « secours » officiels pour aller sur celui d’une ONG pour qui, vraisemblablement, les ports resteront fermés dieu sait combien d’heures ou de journées.

    Mais les conséquences de tout cela, nous les vivons en Italie, où la guerre qui est en train de se jouer est une guerre fratricide entre des Italiens qui le sont depuis des générations et des migrants qui, en situation régulière ou irrégulière, vivent désormais dans ce pays et y travaillent souvent pour une misère, dans des conditions proches de l’esclavage.

    Paradoxalement, quand on se concentre sur ceux qui doivent encore arriver dans ce pays, on en perd de vue les droits de ceux qui s’y trouvent déjà : des droits qui appartiennent à tout être humain, en possession ou non d’un permis de séjour. Mais – et voilà le mal principal – la vague de haine que certains alimentent envers les Africains qui n’ont pas encore posé le pied en Italie se déverse sur les immigrés qui y vivent déjà. Nous assistons à une régression du lien social, à la montée d’une vague nationaliste et raciste envers tout ce qui est perçu comme un corps étranger.

    Et l’Europe dans tout cela ?

    Mais la triste vérité, c’est que, malgré tout, ce gouvernement plaît – et ses soutiens se multiplient – parce qu’il indique des cibles, des ennemis à lapider, des catégories de personnes contre lesquelles se battre. Que cela plaise ou non aux Italiens de se l’entendre dire, c’est comme cela. Or l’énorme masse des Italiens « d’origine contrôlée » qui vivent dans la souffrance et l’intolérance n’amélioreront en rien leur propre condition en s’armant contre les migrants, avec ou sans permis de séjour. Bien au contraire, quand les droits sont garantis même aux minorités, la communauté entière en bénéficie. Les retombées sur la société et la sécurité sont immédiates.

    Il a fallu des dizaines d’années à des communautés entières pour s’intégrer, et il en suffit de quelques-unes pour que tout s’effondre comme un château de cartes sous les coups portés par ce nationalisme qui est en train de tous nous faire devenir les ennemis de tous. Une fois encore, je pose la question : et l’Europe dans tout cela ? L’Europe s’est déjà faite à l’idée que l’Italie était perdue. Comment interpréter autrement les jugements d’Emmanuel Macron et de son entourage à propos de Matteo Salvini ? Si un écrivain, un intellectuel, un journaliste de quelque nationalité que ce soit disait que la stratégie de celui-ci est « à vomir », il ne ferait qu’exercer son droit à la critique, qui est légitime. Mais quand c’est l’équipe d’un chef d’Etat qui le dit, c’est la preuve que l’Italie est déjà sortie de l’Europe.

    Si l’Europe faillit à sa mission d’accueil et d’intégration, il est du devoir de l’Italie de se faire la chef de file d’un mouvement pour un changement vertueux, et non de sombrer dans le nationalisme le plus abject. Et les responsables européens qui ne sont pas à la hauteur de la situation feraient mieux de se taire plutôt que de lancer des insultes par calcul, parce que des vies humaines sont en jeu, et que quand des vies humaines sont en jeu, le calcul politique n’est que cruel cynisme.

    Traduit de l’italien par Valentine Morizot

    #Migrants #Italie #Europe #Humanisme

  • Didier Leschi : «  La France reste un grand pays d’immigration  »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/didier-leschi-la-france-reste-un-grand-pays-d-immigration_5318655_32

    Franchement, c’est n’importe quoi... les gens quittent leur pays parce qu’ils y sont malheureux, sans espoir, et nous devons les accueillir (ou trouver une autre mondialisation) ; ou alors parce qu’ils veulent voir le monde et apprendre, et nous avons intérêt à les accueillir.

    « Migrant », un mot fourre-tout

    Ainsi, du fait du tarissement de l’immigration ibérique, la part de la migration venant du Maghreb et du reste de l’Afrique a fortement augmenté, passant de 20 % à près de 50 % dans les années 2000. Alors qu’au début des années 1980 un immigré sur deux venait d’Europe, aujourd’hui un sur deux vient d’Afrique – il en va de même globalement en matière de demande d’asile. Et si la part des Maghrébins reste stable, représentant 30 % de cette immigration, le fait notable est l’arrivée massive de Subsahariens issus en particulier des pays francophones.

    Non seulement les nationalités en tête de la migration légale demeurent les pays du Maghreb, mais dans le même temps la demande d’asile des originaires du Maghreb comme ceux de l’Afrique francophone ne cesse d’augmenter, alors que les taux de protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour ces pays sont très faibles. Le fait est là, il y a quatre fois plus d’Africains de l’Ouest que de Syriens qui demandent l’asile en France.

    C’est un peu pour ne pas appréhender comme il se doit ces réalités nouvelles des migrations que « migrant » est maintenant utilisé comme un mot fourre-tout mélangeant sans cesse ceux qui fuient parce qu’ils sont en besoin de protection avec ceux qui viennent parce qu’ils ont un droit au séjour et ceux qui espèrent quitter la misère au risque de demeurer longtemps clandestins. Le vocable « migrant » a ainsi fait disparaître le « travailleur immigré », terme qui situait les personnes dans un espace social laïque et indiquait une place positive dans l’utilité collective – et non le seul regard compassionnel, parfois même condescendant, qui semble s’accompagner chez nos concitoyens d’une cécité devant les problèmes nouveaux d’intégration qui se posent à nous.

    Il en va ainsi de la répartition géographique des nouveaux arrivants. Un phénomène de concentration s’accentue. Les immigrés sont plus visibles dans l’habitat urbain populaire que dans les quartiers bourgeois. Une ville comme Paris illustre parfaitement le phénomène. Le pourcentage d’immigrés dans la population globale représentait 30 % au début des années 1980, il n’est plus que de 20 % aujourd’hui. L’apparition ponctuelle de campements dans la capitale cache le phénomène de longue durée : le prix du foncier éloigne les pauvres, comme les demandeurs d’asile, qui sont relégués aux portes de Paris ou en régions.

    #Migrants #France #Europe

  • « La crise des opioïdes travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/12/les-opioides-un-mal-americain_5297825_3232.html

    A presque un quart de siècle de distance, les deux scènes se ressemblent étrangement : des quinquagénaires à la mise impeccable, grisonnants et cravatés, debout en rang d’oignons sous les ors du Capitole, levant la main droite pour prêter serment. Mardi 8 mai, une brochette de patrons de sociétés de distribution de produits pharmaceutiques ont été interrogés, trois heures durant, par une commission parlementaire désireuse de faire la lumière sur la « crise des opioïdes » qui frappe les Etats-Unis.

    Voilà qui rappelait les auditions, au printemps 1994 et au même endroit ou presque, des sept grands capitaines de l’industrie cigarettière américaine, jurant leurs grands dieux que la nicotine n’induisait aucune dépendance chez les fumeurs… Comme le scandale de la dissimulation des risques du tabac en son temps, celui des opioïdes vient rappeler que les principales menaces qu’affronte la société américaine ne sont aujourd’hui pas extérieures – comme les gesticulations de Donald Trump veulent le faire accroire –, mais intérieures.

    Ce changement des pratiques médicales – suscité par les laboratoires ayant développé et commercialisé ces antidouleurs – a provoqué une catastrophe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour l’année 2016, les autorités sanitaires américaines ont recensé 64 000 morts par overdose, dont une grande part provoquée par des produits à base d’opioïdes, obtenus sur prescription ou illégalement sur le marché noir. Dans ce bilan, l’héroïne est bien à l’origine d’environ 15 000 morts, mais une étude publiée en 2014 par le Journal of the American Medical Association (JAMA) suggère qu’aux Etats-Unis, les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin.
    Les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin

    Au total, même s’il est impossible de le démontrer formellement et de le quantifier de manière précise, il est plausible qu’une très large part de la mortalité par overdose enregistrée ces dernières années outre-Atlantique soit directement ou indirectement le fait de la mise sur le marché de ces analgésiques. Un simple chiffre permet de s’en convaincre : en 1990, au plus fort de la guerre de l’Etat fédéral contre les cartels colombiens, le nombre de morts par overdose aux Etats-Unis n’excédait pas 10 000 par an, toutes catégories confondues. C’est aujourd’hui sept fois plus. Pour fixer les idées, rappelons que les armes à feu font environ 34 000 morts par an aux Etats-Unis, ou encore que le pic de mortalité annuelle due au sida y a été atteint en 1995 avec quelque 46 000 morts…

    Et il ne s’agit encore là que de mortalité. Le problème posé par la crise des opioïdes est bien plus vaste. Ce fléau travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine. Selon un rapport récent de l’Académie des sciences des Etats-Unis, environ 2 millions d’Américains souffrent d’une dépendance aux opioïdes ; une étude récente, conduite par l’économiste Alan Krueger (université de Princeton), suggère que l’augmentation continue, entre 1999 et 2015, des prescriptions d’opioïdes, pourrait expliquer une partie de la baisse, récente et rapide, du taux de participation de la population au marché de l’emploi. La part de la population qui travaille ou est en recherche d’emploi a en effet atteint, aux Etats-Unis, à peine plus de 62 % en 2015.

    #Opioides #Etats-Unis