Oeuvres Ouvertes : Roman national (24)

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  • Suite du Roman national, épisode 24

    C’est admirable, ce retour en grâce des écrivains collabos, notre époque redécouvre enfin ses criminels de plume. Ils vont tous finir à la Pléiade : Drieu, Brasillach, Céline y est déjà, et puis pourquoi pas un volume « Ecrivains mineurs de la Collaboration », parce qu’il y a du stock derrière ! La longue carrière criminelle de Gallimard a commencé par une victime expiatoire, c’est toujours comme ça que ça commence. Schiffrin, vous connaissez Schiffrin ? C’est lui l’inventeur de la Pléiade : papier bible, format, reliure en cuir (de la peau de mouton, c’était un signe que ça allait mal finir !). Schiffrin a fait ses premiers volumes tout seul, puis Gide a convaincu Gallimard de racheter la collection, et voilà Schiffrin embarqué dans une sale histoire. En 1940, Schiffrin a fui Paris, il finit le volume Balzac à la campagne, et qu’est-ce qu’il reçoit par la poste ? Une lettre de licenciement signée Gaston, à la botte des Allemands. Plus de Juifs chez Gallimuche, aryanisation de la boîte ! Désespéré, Schiffrin s’exile aux Etats-Unis, où il meurt en 1950, dépossédé. Pendant la guerre, Gallimard a continué à vendre ses Pléiade et ne lui a rien versé par la suite, pas un sou, rien, alors que l’homme était souffrant ! Et dire que Gallimard n’a jamais publié Fouché, c’est incroyable, non ? Il aurait pourtant été l’éditeur idéal, avec une histoire pareille et une telle passion du crime sordide ! Cela me donne une idée : je devrais lui proposer de signer un seul contrat pour les deux volumes de Mitterrand et ma bio de Fouché, voilà ce que je vais faire. Après la guerre, Gallimard a publié les auteurs de la Résistance, après Jünger c’est René Char – le fameux capitaine Alexandre – qui a été la vedette de la maison, et puis ça a été la mode des écrivains engagés, Camus, Sartre, que des écrivains de gauche, aux oubliettes les écrivains collabos, vive les staliniens ! Et voilà que cinquante ans plus tard on les ressort ! C’est qu’il y a des millions d’électeurs lepénistes à nourrir !

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  • Suite du Roman national, épisode 24

    Bien sûr, tous ces documents sont explosifs, je ne vous dirai pas comment je me les suis procurés, on perd des choses parfois dans les déménagements, voilà tout. Un jour, on les publiera, vous verrez. Je suis sûr que Gallimard sera intéressé, encore quelques années et ils sortiront les deux volumes dans la Blanche avec un bandeau rouge : « Une amitié secrète ». Enorme scandale partout dans les médias : comment Mitterrand, ce grand humaniste, a-t-il pu être l’ami du vieux tortionnaire d’extrême droite ? Après Bousquet, Le Pen ! C’était donc sa créature ! Enfin, vous imaginez le boucan. International ! On débaptisera des rues Mitterrand, peut-être même la Très Grande Bibliothèque ! Ses descendants ne voudront plus porter son nom et partiront vivre à l’étranger ! Je m’occuperai de faire publier ces deux volumes dans mes vieux jours, ce sera mon ultime feu d’artifices après la bio de Fouché. Gallimard m’achètera ça à prix d’or vu que la maison est revenue à ses anciennes amours nazies, je ne vous apprends rien. Le passé criminel du roi des éditeurs est assez remarquable. On sait qu’il a fricoté avec les plus hautes autorités allemandes pendant l’Occupation pour obtenir du papier. D’accord, il n’était pas le seul, tous les éditeurs parisiens ont collaboré, mais c’était l’un des plus compromis. Toutes ces soirées passées avec des officiers allemands à L’Abbaye de Thélème, place Pigalle, à boire, à danser, à négocier, et même, au milieu des truands, à discuter littérature avec de fins esthètes prussiens comme Ernst Jünger, devenu bien vite un auteur Gallimard. Drieu la Rochelle à la tête de la NRF, chef de file des écrivains collaborationnistes, la belle époque de l’édition française, n’est-ce pas ?

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