• Vianney Mulliez : « J’ai la certitude qu’EuropaCity se fera » Grégoire Allix - 9 Juin 2018 - le monde
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/09/vianney-mulliez-j-ai-la-certitude-qu-europacity-se-fera_5312175_3244.html

    Dans un entretien au « Monde », l’actionnaire du mégaprojet du Triangle de Gonesse, qui souhaite y faire venir une annexe du Centre Pompidou, répond aux critiques de ses opposants.

    Un Centre Pompidou à EuropaCity ? Le mégacomplexe de culture, de loisirs et de commerces, qui prévoit de s’implanter sur 80 hectares dans le Triangle de Gonesse (Val-d’Oise), est candidat à l’accueil d’une annexe du musée parisien. Celui-ci cherche un point de chute pour installer ses futures réserves ouvertes au public. Porté à parité par Ceetrus – ex-Immochan, la branche immobilière du groupe Auchan – et le groupe chinois Wanda, le mastodonte EuropaCity, un investissement à 3,1 milliards d’euros, pourrait offrir cet écrin.


    Le président de Ceetrus, Vianney Mulliez, a défendu son dossier, jeudi 7 juin à Beaubourg, aux côtés de la star danoise de l’architecture Bjarke Ingels, maître d’œuvre du projet. Les incertitudes qui pèsent sur l’opération restent le principal handicap de cette candidature, alors que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé en mars la création de la zone d’aménagement concerté (ZAC) du Triangle de Gonesse et qu’EuropaCity continue de faire face à une vive opposition. Dans un entretien au Monde, M. Mulliez assure que le projet se fera.

    Quels sont les atouts d’EuropaCity pour attirer le Centre Pompidou ?
    L’architecture de Bjarke Ingels est un élément important pour l’emporter, mais surtout nous répondons à leurs besoins. Les réserves ouvertes du Centre Pompidou seraient situées dans la grande halle d’exposition d’EuropaCity, conçue comme une porte d’entrée de l’ensemble du site. Tous les visiteurs qui arriveront par la gare de métro du Grand Paris Express la traverseront. Cela représente 15 millions de personnes par an ! Nous avons une ambition pour les espaces d’exposition qui va au-delà du cahier des charges du Centre Pompidou et qui correspond à leur envie d’attirer de nouveaux publics.

    Etes-vous optimiste quant à votre capacité à faire venir de grands opérateurs ?
    Nous avons beaucoup de discussions et des protocoles d’accord . . . . . . .

    Le reste de l’article payant, mais après tout on en a pas besoin.

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  • L’œuvre négative du colonialisme français aux Antilles : la production et la reproduction d’une pigmentocratie Saïd Bouamama - 15 Juin 2018 - wordpress.com
    https://bouamamas.wordpress.com/2018/06/15/loeuvre-negative-du-colonialisme-francais-aux-antilles-la-produ

    La Guadeloupe et la Martinique sont célébrées dans le discours dominant comme le symbole du métissage réussi. L’angle mort de ce discours est celui de la reproduction de ce que Raphaël Confiant nomme la « pigmentocratie[i] » qui structure le système social des Antilles dites « françaises » de l’époque esclavagiste et coloniale jusqu’à aujourd’hui. Ce système social reste en effet caractérisé, rappelle le chercheur canadien Adrien Guyot, par « une hiérarchisation sociale basée sur les notions de race et de couleur, amenant par là même la création de néologismes comme « éthnoclasse » pour faire référence aux classes sociales dont le principal critère d’appartenance est l’ethnie[ii] ». Sur le plan économique la structure des Antilles dites « françaises » reste coloniale. La prise en compte des contextes historique, économique et géostratégique est incontournable pour saisir cette réalité coloniale qui se reproduit.
     


      Le génocide des autochtones et intensification de la traite
    C’est avec l’arrivée de Christophe Colomb que commence la violence puis le génocide des peuples autochtones des Antilles. La colonisation d’Haïti par les espagnols en 1496, de Puerto-Rico en 1508, de la Jamaïque en 1509 et de Cuba en 1511 impose la domination espagnole sur l’ensemble des Grandes Antilles. Le résultat de cette domination ne tarde pas : l’extermination des peuples autochtones. « Rien que pour l’île d’Hispaniola où débarque Colomb lors de son premier voyage, on dénombre 300000 personnes en 1492, 50000 en 1510, 16000 en 1530, 1000 en 1540[iii] » rappelle l’historien Frédéric Dorel. Pour les petites Antilles la résistance des peuples autochtones (Les Kalinas ou Kallinagos que les colonisateurs espagnols appellent « indiens Caraïbe ») est telle que les espagnols ne parviennent pas à s’implanter[iv]. La colonisation française qui débute en 1635 poursuit le génocide des peuples autochtones enclenché par les espagnols : « Les nouveaux conquérants entreprennent l’élimination systématique des Indiens et la colonisation des petites Antilles par le moyen de la traite africaine[v] » résume Chantal Maignan–Claverie, spécialiste des Antilles françaises.

    La résistance des peuples autochtones conduit en réponse au projet d’éliminer les « Caraïbe » comme groupe social sur leur propre terre. Trois leviers sont actionnés pour atteindre ce but : L’appel à la traite pour répondre au besoin en main-d’œuvre du capitalisme de plantation ; l’expulsion des autochtones de leurs îles (Ainsi en 1650 les « Caraïbes », sont expulsés de Martinique) ; la pratique systématique du viol des femmes autochtones. « Le viol des femmes indiennes par les colons s’inscrivait dans une politique « d’épuration ethnique » visant à faire disparaître les Caraïbes en tant que groupe[vi] » souligne l’historien Nicolas Rey. L’extermination des autochtones a, bien sûr, comme conséquence immédiate une intensification de la traite.

    La résistance des esclaves fut comme ailleurs au rendez-vous. Elles prennent en premier lieu la forme de révoltes. Argumentant son projet d’abolition de l’esclavage, Victor Schoelcher met en avant ces révoltes récurrentes. Répondant à ses opposants qui affirment que les noirs préfèrent la servitude, il déclare : « Pourquoi donc alors tant de révoltes d’esclaves de tous côtés ? […] Si les Nègres se félicitent tant de leur sort, pourquoi donc alors les colons tremblent-ils sans-cesse[vii] ? ».

    La seconde forme de la résistance fut comme dans toute la région le marronnage c’est-à-dire la fuite des esclaves pour constituer une société parallèle libre dans les montagnes des colonies. Si la taille des îles ne permet cependant pas à cette forme de révolte de prendre l’ampleur qu’elle a prise dans d’autres pays du continent américain, elle contribue avec les insurrections à mettre à l’ordre du jour la question de l’abolition. Abolir l’esclavage apparaît aux yeux de républicains de plus en plus nombreux comme la seule manière de sauvegarder les colonies et le capitalisme de plantation qui les caractérisent.

    Le capitalisme de plantation  
    Le capitalisme de plantation que permet la traite débute par la culture du tabac pour très vite se réorienter vers la canne à sucre et la banane. Au même moment où en Europe le travail servile est abandonné au profit du salariat, l’esclavage devient aux Antilles la forme prédominante du travail. Le capitalisme de plantation peut dès lors se résumer comme suit :
    « Elle suppose, d’une part, l’organisation du travail de centaines d’esclaves encasernés ou casés, travaillant en brigades surveillées par des équipes de gardes-chiourme, pour la production extensive d’une plante unique (la canne à sucre) dont la transformation industrielle (toujours effectuée sur place, sur la plantation même) donnent lieu à des produits (essentiellement le sucre, la mélasse et le rhum) valorisables avec profit sur un marché. Elle implique par conséquent, d’autre part, l’investissement d’importants capitaux […], La plantation suppose enfin l’existence d’un vaste marché aux prix rémunérateurs dans les métropoles européennes[viii]. »
    La concentration des terres dans les mains de latifundistes est ainsi dès le début du capitalisme de plantation une caractéristique essentielle des économies antillaises. La concrétisation matérielle en est l’habitation-sucrerie, « centre moteur de l’économie coloniale[ix] ». En Martinique, rappelle l’historien Antillais Jean-Pierre Sainton, « une trentaine de propriétaires se partageait plus de 43 % des terres » dès 1671 en ajoutant qu’ « avec un temps de retard, l’évolution sera similaire en Guadeloupe[x] ». Quelques dizaines de familles blanches possèdent la plus grande partie de la terre et contrôlent ainsi l’ensemble de l’économie.
    L’abolition de l’esclavage ne mettra pas fin à la concentration foncière mais au contraire l’accentuera. L’indemnisation des propriétaires d’esclaves au moment de l’abolition contribuera à cette reproduction et accentuation de la concentration foncière. La loi du 30 avril 1849 prévoit en effet que les maîtres recevront une indemnité de dédommagement de 470 francs 20 centimes par esclave en Guadeloupe et de 430 francs 47 centimes pour la Martinique. Pour les anciens esclaves aucune indemnisation n’est prévue. « La restructuration post-esclavagiste, grandement impulsé par le capital bancaire, accentuera le degré d’accaparement des principaux moyens de production par la minorité oligarchique[xi] » résume le chercheur en sciences politiques Alain Philippes Blérald. Si la concentration foncière est commune, les processus vont cependant être différents pour les deux colonies. En Martinique les grandes familles békés de l’industrie sucrière restent les propriétaires des grands domaines, alors qu’en Guadeloupe le capital financier prend le relais. Les multinationales Somdia, Grands Moulins, Shneider, etc., investissent massivement dans le capitalisme de plantation. Cette différence a bien entendu des effets sur la structure foncière contemporaine.

    Le projet d’une généralisation de l’auto-exploitation en Guadeloupe
    En Guadeloupe la crise de l’économie sucrière sous le double effet du développement du sucre de betterave et de la concurrence de nouveaux pays producteurs conduira au retrait de ces grands groupes à la recherche d’investissement plus rentables. La production passe ainsi de 175 000 tonnes en 1965 à 107 000 tonnes en 1975 et à 56 000 tonnes en 1981[xii].

    L’Etat français accompagne ce retrait en achetant près de 11 000 hectares confiés à une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Sur ces terres vivent 3300 agriculteurs soit 1000 ouvriers agricoles et 2300 exploitants ayant un « bail de colonat partiaire », un statut hérité de la période de l’abolition définit comme suit par le géographe Guy Lasserre : « le propriétaire maintint la jouissance gratuite de la case et du jardin vivrier aux esclaves libérés qui acceptaient de rester sur le domaine. Une parcelle de 1 ou 2 ha était attribuée en métayage au colon, à charge pour lui de livrer ses cannes au propriétaire de l’habitation. Le colon partiaire recevait pour son travail, le tiers ou la moitié de la valeur de la production[xiii]. »

    La naissance de la SAFER en 1965 se réalise alors que la production cannière a commencé sa chute et que des mobilisations des salariés agricoles pour de meilleurs salaires d’une part et pour l’accès à la terre, d’autre part, se développent. A partir de 1977 ces mobilisations se radicalisent et prennent la forme d’une occupation et d’une mise en exploitation des terres vacantes non exploitées. C’est ce contexte qui explique le projet de « réforme foncière » dès la décennie 60 mais avec une accélération à partir de la décennie 80. Le projet est résumé comme suit par le sociologue Christian Deverre : « [Un] transfert de la production directe à des exploitants individuels, mais contrôle du débouché final par les anciens groupes de planteurs, [Une] substitution du prix du marché au salaire comme forme de soumission du travail agricole […] Ce type de « réforme agraire » [est] basée sur l’hypothèse de l’acceptation par le paysan de son auto-exploitation – et de celle de sa famille[xiv] ».

    Il s’agit on le voit d’une tentative de généralisation du colonat partiaire dont l’effet est de faire passer l’exploitation d’une forme directe à une forme indirecte. Le discours idéologique d’accompagnement est, bien entendu, celui de la « justice sociale ». Dans les faits, précise Christian Lasserre, nous sommes en présence : « [D’un] contournement de l’obstacle que représente la hausse continue des coûts salariaux sur les domaines capitalistes. Toute l’organisation des redistributions foncières tend à maintenir la production de canne sur les nouvelles exploitations, tandis que les usines restent entre les mains et sous la gestion des grands groupes sucriers[xv]. »

    La Cofepp par exemple (Compagnie financière européenne de prise de participation) est prédominante dans le contrôle de la production de cannes à sucre. Actionnaire principale à 51 % de la SMRG (Sucrerie Rhumerie de Marie Galante), la Cofepp est contrôlée par la famille Cayard, des Békés de Martinique. Elle a fait un bénéfice de 23 millions d’euros en 2015 et contrôle 80 % du rhum guadeloupéen mais aussi 70 % du Rhum martiniquais et réunionnais[xvi].

    La culture de la banane qui bénéficie de la baisse de celle de la canne à sucre et qui devance désormais celle-ci est également dominée par de grands groupes industriels et financiers sous la forme du colonat. Les gros planteurs békés dominent l’ensemble du système sur fond de « collusion entre l’Etat et planteurs békés […] dénoncée à de nombreuses reprises[xvii] ». Ces gros planteurs disposent, en outre, de moyens de réagir dont sont dépourvus les petits et moyens producteurs. Ceux-ci disposent « d’un monopole de fait » que l’économiste Athanasia Bonneton résume comme suit : « lorsque les cours de la banane baissent dans le marché métropolitain, les gros planteurs réduisent la coupe. Par contre, les petits et moyens planteurs ne peuvent pratiquement pas refuser de fournir leurs régimes[xviii]. »
     
    Le « grand féodalisme » béké en Martinique
     
    La concentration foncière et le pouvoir des grandes familles békés est encore plus forte en Martinique. Le capital local a gardé en Martinique une prédominance perdue en Guadeloupe. Nous empruntons l’expression « grand féodalisme » béké à André Breton qui l’utilise en 1942 pour caractériser Eugène Aubéry, une des figures caricaturale des grandes familles béké[xix]. L’origine de cette différence avec la Guadeloupe est le résultat de la séquence historique de la révolution française :

    « Le destin de la Guadeloupe s’est séparé de celui de la Martinique lors de la période révolutionnaire, au cours de laquelle s’est déroulée une séquence d’événements dont la portée symbolique demeure encore aujourd’hui particulièrement prégnante. Les planteurs de la Martinique se réfugièrent en effet dans le giron de la Grande-Bretagne, échappant ainsi à la première libération des esclaves promulguée en 1794 à la Guadeloupe par le représentant de la Convention Victor Hugues, suite à sa reconquête de l’île sur les Anglais. L’esclavage fut rétabli sur l’île par Bonaparte en 1802, au prix d’une répression sanglante contre la résistance menée, sous la conduite de certains de leurs officiers, par les anciens esclaves devenus soldats de la République. Mais la plantocratie locale, décimée durant les troubles, se trouvait trop amoindrie pour absorber les événements postérieurs du XIXe siècle, à savoir l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 et la concentration foncière autour des usines centrales de la seconde moitié du siècle. La Martinique, quant à elle, avait conservé intactes les vieilles structures antérieures à la Révolution, les planteurs ayant pu maintenir leur contrôle sur les terres et garantir la prééminence du capital local, ce qui a assuré le prolongement direct du système mis en place aux origines[xx]. »
     
    Plus de 75 ans après la citation d’André Breton la situation reste fondamentalement la même. Le leader indépendantiste Guy Cabort-Masson résume comme suit en 2002 la place des Békés dans l’économie martiniquaise : « Une caste faisant 0,8 % de la population contrôlant 60 % des terres utiles, plus de 15 % de l’économie du pays alors que le peuple de couleur n’a qu’environ 10 % de cette économie atomisée en « entreprises » ayant en moyenne entre 1 et 2 employés ![xxi] » Sept ans plus tard, un reportage de l’émission Spéciale Investigation intitulé « les derniers maîtres de la Martinique » avance les chiffres suivants : « ces personnes qui représentent 1 % de la population martiniquaise, détiennent 52 % des terres agricoles et 20 % de la richesse de l’île[xxii]. »

    La répartition des terres et des richesses selon un critère de couleur conduit à une structure sociale basée sur « hiérarchie socio-raciale[xxiii] ». Esquissant une description de cette hiérarchie, le sociologue Miche Giraud décrit comme suit la classe dominante en 1980 : « constituées de propriétaires latifundistes, des dirigeants et des principaux actionnaires des usines, des grands commerçants, dont l’immense majorité sont des Blancs créoles regroupés en quelques familles étendues le plus souvent alliées entre eux. Ces derniers possèdent plus des 2/3 des terres cultivables, la quasi-totalité des usines à sucre, les 9/10 des plantations de bananes, la totalité des conserveries d’ananas et ont également le quasi-monopole du commerce d’import-export[xxiv]. » Si les chiffres avancés ont légèrement variés depuis 1980, la structure de base reste fondamentalement la même.

    Une telle structure sociale où la couleur est le symptôme visible de la place sociale n’est possible que par l’intériorisation profonde d’un sentiment d’infériorité. « Aux Antilles la perception se situe toujours sur le plan de l’imaginaire. C’est en termes de Blanc que l’on y perçoit son semblable. […] C’est donc en référence à l’essence du Blanc que l’Antillais est appelé à être perçu par son congénère[xxv] » analysait déjà Frantz Fanon en 1953. « Les structures idéologiques héritées de l’esclavage restent gravées dans les mémoires, malgré l’évolution liée au cours de l’histoire[xxvi] » confirme l’ethnologue Ulrike Zandle 61 ans après. Ces structures continuent à irriguer la quotidienneté martiniquaise en imposant le « blanc » comme critère du souhaitable et du légitime. Un tel processus existe bien sûr également en Guadeloupe et ailleurs mais sa prégnance en Martinique est notable. Cette prégnance est un résultat historique conduisant à une correspondance plus forte qu’ailleurs entre hiérarchie sociale et hiérarchie de couleur. 
     
    Le pacte colonial maintenu
    Les inégalités colorées liées à la concentration foncière sont encore renforcées par le maintien d’un lien avec la « métropole » qui garde toutes les caractéristiques du « pacte colonial ». L’expression est définit comme suit par un document officiel de 1861 : « Sous l’empire de ce qu’on appelait le pacte colonial, la France se réservait le droit exclusif d’approvisionner ses colonies de tous les objets dont elles avaient besoin ; il était défendu aux colonies de vendre leurs produits à d’autres pays que la métropole, et de les élever à l’état de produit manufacturés ; le transport entre la métropole et les colonies était réservé aux bâtiments français[xxvii]. » Officiellement ce « pacte colonial » n’existe plus, les acteurs économiques étant libres de commercer avec qui ils veulent. Dans les faits au contraire le pacte reste, selon nous, une réalité indéniable.

    Le premier principe figurant dans cette définition, le monopole de l’approvisionnement, reste une réalité des colonies dites « françaises » des Antilles. Un regard sur les importations suffit à prendre la mesure du lien de dépendance. En 2016 la France hexagonale fournit 68.9 % du montant des importations pour la Martinique et 60, 6 % pour la Guadeloupe[xxviii]. Le deuxième partenaire étant les autres pays de l’Union Européenne (avec 13 % pour la Guadeloupe et 14.8 % pour la Martinique), nous sommes en présence d’une socialisation européenne du pacte colonial. Les importations avec les autres pays des Caraïbes plane péniblement à 5 ou 6% selon les années.

    Le deuxième principe du pacte colonial, le monopole de la métropole sur les exportations, reste lui aussi activée aujourd’hui. Les destinations des exportations révèlent la même dépendance que celle des importations. Pour la Guadeloupe les données sont les suivantes : 40 % vers la France ; 17, 7 % vers la Martinique et 12 % vers le reste de l’Union européenne. Pour la Martinique les données sont les suivantes : 73.6 % vers la France et 19 % vers deux autres colonies françaises (la Guadeloupe et la Guyane).

    Le troisième principe du pacte colonial, la spécialisation des colonies dans des cultures de rentes et de la métropole dans les produits manufacturés, est tout aussi vivace. La structure des exportations est sensiblement le même pour les deux pays, révélant la nature coloniale du lien avec la France : Ils importent des biens de consommation non durable (produits alimentaires, pharmaceutiques, etc.), des biens d’investissement (produits de l’industrie automobile, machines et équipements, etc.) et des biens intermédiaires (caoutchouc, plastiques, etc.). Ils exportent des produits agro-alimentaires (Bananes, cannes, etc.). Daniel Guérin résume comme suit en 1956 cette dépendance économique : « En bref les Antilles servent de marchés à peu près exclusifs pour les denrées alimentaires et les produits fabriqués métropolitains qu’elles échangent contre leur sucre et […] contre leur banane[xxix] ». A part des variations dans la part du sucre ou de la banane dans les exportations, rien n’a véritablement changé.

    L’enjeu économique des Antilles dites « françaises » ne se limite pas au capitalisme de plantation. Comme pour les colonies du pacifique la Zone Economique Exclusive (47 000 km² pour la Martinique et 86 000 km² pour la Guadeloupe) contient des nodules polymétalliques exploitables. A ces enjeux strictement économique, il faut ajouter ceux relevant de la géostratégie que le géographe François Taglioni résume comme suit :

    La Caraïbe présente, en outre, par l’intermédiaire des DOM français, un solide réseau de points d’appui. Fort-de-France, abrite une station-relais pour les transmissions en provenance des satellites. La Guadeloupe est une escale aérienne garante de l’indépendance militaire française. […] Enfin les forces navales françaises, anglaises et néerlandaises affirment leur présence militaire dans la zone. Les nodules polymétalliques exploitables, à des coûts certes encore très élevés, sur les fonds marins représentent peut-être pour l’avenir une richesse non négligeable.[xxx].

    Une telle logique économique avec 7000 km de séparation a, bien entendu, un coût que payent les peuples guadeloupéen et martiniquais. La dernière étude de l’INSEE datée de 2015 sur la comparaison des prix entre l’hexagone et les colonies des Antilles met en évidence des écarts de prix « significatifs » : le niveau général des prix est 12,3 % plus élevé en Martinique qu’en métropole (12.5 % pour la Guadeloupe). Cet écart est essentiellement issu d’un poste peu compressible, les produits alimentaires, qui indiquent un différentiel beaucoup plus important : 38 % pour la Martinique et 33 % pour la Guadeloupe[xxxi].

    Mais le coût payé ne concerne pas que le niveau de vie. Les guadeloupéens et martiniquais payent également ce rapport colonial sur le plan de la santé. L’utilisation de pesticides à outrance, y compris ceux dont la dangerosité est avérée, est une caractéristique de ce modèle. Avec la complicité de l’Etat français des pesticides interdits en France ont continués à être utilisés massivement en Guadeloupe et Martinique. Le scandale du chlordécone, un pesticide cancérogène et mutagène, en est une illustration dramatique. Il a été utilisé massivement aux Antilles dites « française » de 1972 à 1993 alors qu’il était interdit dans l’hexagone à partir de 1989. L’Etat français a, en effet, accordé, sur pression des gros planteurs, un moratoire de trois ans. Les effets sur la santé étaient pourtant déjà connus : cancer de la prostate, puberté précoce, prématurité lors des grossesses, troubles de la motricité et de la mémoire visuelle, etc. La journaliste du Monde Faustine Vincent résume comme suit les conséquences de cette dérogation meurtrière :
    La quasi-totalité des Guadeloupéens et des Martiniquais sont contaminés par ce pesticide ultra-toxique, utilisé massivement de 1972 à 1993 dans les bananeraies. Une situation unique au monde. […] Les Antilles sont contaminées pour des siècles, car la molécule est très persistante dans l’environnement − jusqu’à sept cents ans. A partir du début des années 2000, on a découvert que le chlordécone, qui passe dans la chaîne alimentaire, avait non seulement contaminé les sols, mais aussi les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes-racines… et la population elle-même. La quasi-totalité des 800 000 habitants de la Guadeloupe (95 %) et de la Martinique (92 %) sont aujourd’hui contaminés[xxxii].

    Interdire dans l’hexagone et autoriser aux Antilles, voilà un bel exemple d’un traitement d’exception, qui est une des caractéristiques essentielles du colonialisme. Le mépris pour la santé des indigènes révélé ici par les pesticides est du même type que le mépris révélé en Polynésie avec les essais nucléaires.
     
    Les dessous d’une déportation de la jeunesse
    Le modèle colonial de développement crée logiquement une « disproportion entre la population et les ressources que le système économique actuel met à sa disposition » remarque en 1956 Daniel Guérin[xxxiii]. Toute une littérature se développe alors pour expliquer cette « poussée démographique » et proposer des solutions. Les explications sont généralement essentialistes et les solutions orientées vers le malthusianisme. Les causes sont ainsi recherchées dans la culture antillaise et la piste privilégiée en solution est celle du contrôle des naissances. Or nous le savons depuis longtemps un des facteurs déterminants de la fécondité se situe dans les conditions matérielles d’existence.

    L’inquiétude sur la fécondité antillaise est à inscrire dans le contexte des décennies 50 et 60 qui inaugure des transformations profondes aux Antilles dites « française ». La première d’entre elle est l’ébranlement du complexe d’infériorité que les écrits d’Aimé Césaire résument. Frantz Fanon décrit comme suit en 1955 ce processus de réaffirmation de soi : « Pour la première fois, on verra un professeur de lycée donc apparemment un homme digne, simplement dire à la société antillaise « qu’il est beau et bon d’être nègre […] Ainsi donc l’Antillais, après 1945, a changé ses valeurs. Alors qu’avant 1939 il avait les yeux fixés sur l’Europe blanche […] il se découvre en 1945, non seulement un noir mais un nègre et c’est vers la lointaine Afrique qu’il lancera désormais ses pseudopodes[xxxiv]. »

    L’Afrique est pendant la décennie 50 en pleine effervescence anticoloniale avec une guerre d’Algérie qui devient rapidement une centralité dans le positionnement politique des militants africains. Se penchant sur l’identité antillaise en 1979, le sociologue Jean-Pierre Jardel résume comme suit les bouleversements de ces deux décennies :
     Depuis deux décennies environ, des changements rapides se produisent aux différents paliers de la réalité socio-culturelle des Antilles françaises. Les discours prononcés par des hommes politiques, les idées diffusées par les écrivains de la négritude, l’autonomie ou l’indépendance acquise par plusieurs îles de l’archipel Caraïbe, ont fait comprendre à une large fraction de la population qu’il existait une entité antillaise ayant ses propres valeurs, face aux valeurs de la métropole européenne. On se trouve donc en présence d’une phase de réajustement des normes et par conséquent d’une situation conflictuelle généralisée.[xxxv]

    Les émeutes de Fort de France du 20 décembre 1959 et celles du Lamentin en mars 1961 sonnent comme un avertissement aux yeux des autorités françaises. De cette époque date l’encouragement à une émigration de la jeunesse des Antilles dites « françaises » vers la métropole qui sera systématisé trois ans plus tard par la création du BUMIDOM en 1963 (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer). De 1963 à 1982, ce bureau utilise toute une panoplie de moyens divers et de promesses (de formation, de logement, d’emplois, de salaires élevés, etc.) pour pousser à l’exil toute une jeunesse afin de désamorcer une crise sociale et politique latente. Le journaliste et écrivain guadeloupéen Hugues Pagesy donne la lecture suivante de l’action du BUMIDOM en quatrième de couverture de l’ouvrage qu’il lui consacre :

    « La traite négrière n’aurait-elle servi à rien pour que, 115 ans après l’abolition de l’esclavage, un organisme d’État répondant au nom de BUMIDOM […] mette en place un système pour vider la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique, de toute une partie de leur jeunesse ? Sous prétexte de lutter contre le manque d’activité qui frappe ces régions, le BUMIDOM va en fait organiser une déportation de ces jeunes vers la France, que d’aucuns dénonceront comme étant un vrai génocide par substitution. […] L’empire qui perd petit à petit une bonne partie de ses territoires veut museler ceux d’Outre-mer. Les prétextes évoqués sont leur démographie galopante et un chômage endémique[xxxvi].

    Au total se sont près de 260 000 personnes qui ont migrés vers l’hexagone sous l’effet direct ou indirect du Bumidom dont 42 622 martiniquais et 42 689 guadeloupéens[xxxvii] : une véritable saignée dans la jeunesse antillaise compte tenu de la taille de la population et de l’âge des personnes concernées. Aimé Césaire qualifie à l’assemblée nationale cette politique de « génocide par substitution » et la délégation guadeloupéenne à la Tricontinentale de la Havane en janvier 1966 (Conférence de solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine) dénonce « la politique coloniale du gouvernement français à la Guadeloupe, notamment l’expatriation de la jeunesse[xxxviii] ».
     
    « Dissiper les malentendus » sur la question nationale
     « L’heure est venue de clarifier les problèmes et de dissiper le malentendus », c’est par ces mots que Frantz Fanon conclue l’article consacré aux émeutes de Fort de France du 20 décembre 1959 cité plus haut. Pour lui cette révolte indique une mutation dans le processus d’émergence d’une conscience nationale antillaise. Celui-ci est complexe du fait des spécificités de la colonisation aux Antilles : ancienneté pluriséculaire de la colonisation, génocide des peuples autochtones, hétérogénéité de peuplement liée à l’esclavage et aux immigrations suscitées par le colonisateur, ampleur du processus d’assimilation liée à la violence esclavagiste initiale puis par la durée pluriséculaire de la domination, histoire politique spécifique de chacune des îles, etc.

    L’ensemble de ces facteurs explique l’épisode de 1946 où « des larges masses antillaises » rappelle Aimé Césaire ont approuvées la départementalisation c’est-à-dire ont votées pour rester française. Césaire lui-même a soutenu cette option en raison du danger que constitue la proximité avec les Etats-Unis : « Une autre objection plus sévère encore est l’existence à côté des Antilles d’un voisin dont la puissance et l’appétit ne sont que trop connus[xxxix]. » Coincés entre deux dominations, les Antillais ont dans le contexte de l‘époque considérés qu’obtenir une égalité plus grande dans le cadre français étaient la seule voie possible complète Aimé Césaire[xl]. 

    Au moment où Césaire tire ce bilan de la loi de 1946 (en 1956), les peuples des Antilles dites « françaises » ont fait leur expérience de l’impasse de l’assimilationnisme. Si des spécificités sont indéniables dans le processus de conscientisation nationale, celui-ci est tout aussi indéniablement en accélération rapide dans les deux colonies.

    En Martinique le processus se traduit par la création de l’OJAM (’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique) qui inaugure son action politique par l’apposition d’immense banderoles sur les murs de tous les bâtiments publics de l’île, portant le slogan « la Martinique aux Martiniquais » le 23 décembre 1962. Un tabou est brisé. Pour la première fois une organisation revendique ouvertement l’indépendance. Dans le même temps le « manifeste de l’OJAM » est placardé sur les murs proclamant :
    Que la Martinique est une colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l’était l’Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. […] En conséquence l’O.J.A.M […] Proclame le droit des martiniquais de diriger leurs propres affaires. Demande aux Guadeloupéens, aux Guyanais de conjuguer plus que jamais leurs efforts dans libération de leur pays pour un avenir commun. Soutien que la Martinique fait partie du monde antillais. Appelle les jeunes de la Martinique, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions, à s’unir pour l’écrasement définitif du colonialisme dans la lutte de libération de la Martinique[xli].

    La réponse de l’Etat français est, bien sûr, la répression. 18 militants de l’OJAM sont déférés devant la Cour de sûreté de l’Etat pour « atteinte à l’intégrité du territoire ». 5 militants écopent de peine de prisons et les autres sont relaxés. Si l’OJAM ne survit pas à cette épreuve, le mouvement indépendantiste existe désormais, même s’il reste encore minoritaire et éparpillé. A partir de la fin de la décennie 60 et tout au long de la décennie 70, les organisations indépendantistes se multiplient : Mouvement National de Libération de la Martinique (MNLA) en 1969, Groupe Révolution socialiste (GRS) en 1970, Groupe d’Action Prolétarienne (GAP) au début de la décennie 70, Mouvement Indépendantiste Martiniquais (MIM) en 1978, le Pati kominis pour lendépandans èk sosyalizm (Parti Communiste pour l’Indépendance et le Socialisme) en 1984, le Parti pour la Libération de la Martinique (PALIMA) en 1999. Malgré cet éparpillement l’idée indépendantiste progressera de manière significative depuis dernières décennies du siècle dernier. Lors des élections régionales de 1986 les indépendantistes ne comptent que pour 3 %, 6 ans plus tard le MIM devient la première force organisée du pays. Aux régionales de 1998 le MIM obtient 31, 71 % des suffrages et son président, Alfred Marie-Jeanne, devient président du conseil régional (il sera reconduit à ce poste en 2004). En dépit des multiples divisions et de la bureaucratisation suscitée par la participation au jeu institutionnel et encouragée par l’Etat français, le projet indépendantiste est désormais une réalité incontournable en Martinique.

    La décennie 60 est également celle qui voit s’organiser un mouvement indépendantiste en Guadeloupe. C’est au sein du mouvement étudiant en métropole, dans l’AGEC (Association Générale des Etudiants Guadeloupéen), qu’est lancé pour la première fois le mot d’ordre d’indépendance nationale. En Guadeloupe même c’est en 1963 qu’est constitué le GONG (Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe) dont certains membres fondateurs sont issus de l’AGEG. Peu nombreux les militants du GONG sont très actifs. Ils ont présent systématiquement pour soutenir chaque grève ouvrières, ce qui les rend rapidement populaire. « Chaque fois que des ouvriers, qu’ils soient du bâtiment ou de la canne étaient en grève ou en difficulté quelconque, le GONG, et ses militants devaient venir leur prêter main-forte[xlii] » se souvient le militant nationaliste Claude Makouke. Le mouvement social qui secoue la Guadeloupe en 1967 et le massacre qui l’accompagne, est le prétexte que prendra l’Etat français pour décapiter ce mouvement indépendantiste ayant une audience populaire grandissante.

    A l’origine du mouvement se trouve une grève des ouvriers du bâtiment pour exiger une hausse de 2,5 % des salaires. Les négociations entre le patronat et le syndicat CGTG échouent le 26 mai et une manifestation devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre se transforme en émeute. Les CRS tirent sur la foule provoquant les premiers décès. Les affrontements s’étendent alors à toute la ville. Lorsqu’elles cessent le lendemain un bilan officiel annonce 8 morts. La réalité du massacre mettra vingt ans à percer. En 1985 Georges Lemoine, secrétaire d’Etat chargé des départements et territoires d’Outre-mer reconnaîtra le chiffre de 87 victimes et plus d’une cinquantaine de blessés. C’est dans ce contexte que l’Etat français décide de profiter de la situation pour décapiter le mouvement indépendantiste. L’organisation et ses militants sont accusés de la responsabilité des émeutes et des victimes. 19 militants du GONG sont arrêtés et inculpés « d’atteinte à la sureté de l’Etat et à l’intégrité du territoire ». La presse colonialiste exulte à l’image du journal France-Antilles qui titre en première page et en gros caractère le 13 juin : « Le Gong est décapité. Dix-neuf arrestations à Paris et en Guadeloupe[xliii] ». Le mouvement massif de solidarité qui s’organise alors sauvera les inculpés dont le jugement de février 1968 prononce 6 peines avec sursis et 13 acquittements. En Guadeloupe même cependant 70 autres militants attendent leur jugement. Six d’entre eux écoperont de peines de prison ferme allant d’1 à 6 mois.

    Le GONG ne survie pas à cette dure épreuve mais ses militants sont nombreux à être présent dans la création ultérieure d’autres organisations indépendantistes. Ils réinvestissent d’abord leurs forces dans la dynamique syndicale en créant l’UTA (Union des Travailleurs Agricole) en 1970, l’Union des Paysans Pauvres de Guadeloupe (UPG) en 1972 et enfin l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG) qui regroupe les deux précédente et d’autres syndicats en 1973. Tels sont les facteurs qui expliquent le lien étroit entre indépendantistes et syndicalistes en Guadeloupe. En témoigne l’élection à la tête de l’UGTG de l’indépendantiste Elie Domota et sa désignation comme porte-parole du LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon– Collectif contre l’exploitation outrancière), un regroupement syndical, associatif et politique qui a mené le vaste mouvement social en janvier et février 2009.

    En 1977 ces militants créent l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe (UPLG) qui reste jusqu’à aujourd’hui la principale organisation politique indépendantiste. A côté de celle-ci existe également le Mouvement pour une Guadeloupe Indépendante (MPGI) crée en 1981, le Konvwa pou liberasyon nasyonal Gwadloup (KNLG) fondé en 1997 et Fòs pou konstwi nasyon Gwadloup (Forces pour batir la nation guadeloupéenne) fondé en 2010. Des tentatives de luttes armées ont également eu lieu par le GLA (Groupe de Libération Armée) qui mène une série d’attentats contre des édifices publics en 1980 et 1981, puis par l’ARC (Alliance Révolutionnaire Caraïbe) menant le même type d’actions de 1983 à 1989.

    Si comme en Martinique la multiplicité des organisations, l’institutionnalisation de certains leaders, la répression et les divisions du mouvement nationaliste, le rapport des forces disproportionné avec une des principales puissances mondiale, etc., rendent difficile une perspective d’indépendance à court terme, cela ne veut pas dire que la question de l’indépendance nationale est enterré. « Le Mouvement Patriotique Guadeloupéen au niveau organisationnel et militant connaît une passe difficile, un mouvement de reflux, mais c’est là le paradoxe, les idées nationalistes n’ont jamais cessé de progresser et d’irriguer au quotidien la vie des guadeloupéens[xliv] » résume le journaliste Danik Zandwonis.

    Comme nous le disions dans nos précédents articles consacrés à Mayotte, la Kanaky et la Polynésie, la faiblesse de la conscience internationaliste et du mouvement anticolonialiste en France fait partie du rapport des forces défavorable auquel sont confrontés les militants nationalistes des colonies françaises. Qu’un tel mouvement se développe et que le rapport de forces mondial se transforme et la perspective indépendantiste redeviendra un objectif atteignable rapidement. A plus ou moins long terme l’indépendance est inévitable : la situation géographique, la rationalité économique et la communauté des traits culturels avec les autres peuples de la région orientent structurellement vers un projet de fédération des Antilles.

    Saïd Bouamama

    Notes :  
    [i] Raphaël Confiant, Aimé Césaire, une traversée paradoxales du siècle, Stock, Paris, 1993,
    [ii] Adrien Guyot, L’Amérique, un ailleurs partagé, Départment of Modern Languages and Cultural Studies, University of Albama, 2016, pp. 104-105. .
    [iii] Frédéric Dorel, La thèse du « génocide indien » : guerre de position entre science et mémoire, Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques, N° 6, 2006.
    [iv] Nicolas Rey, Quand la révolution aux Amériques était nègre … Caraïbes noirs, negros franceses et autres « oubliés » de l’histoire, Karthala, Paris, 2005, p. 48.
    [v]Chantal Maignan-Claverie, Le métissage dans la littérature des Antilles françaises. Le complexe d’Ariel, Karthala, Paris, 2005, p. 118.
    [vi] Nicolas Rey, Quand la révolution aux Amériques était nègre … Caraïbes noirs, negros franceses et autres « oubliés » de l’histoire, op. cit., p. 53.
    [vii] Victor Schoelcher, Abolitions de l’esclavage ; Examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des Sang-Mêlés, Porthmann, Paris, 1840, p. 138.
    [viii] Alain Bihr, Recension du livre de Caroline Oudin-Bastide, Travail, capitalisme et société esclavagiste. Guadeloupe, Martinique (XVIIe-XIXe siècle), Revue « Interrogation ? », n° 10, mai 2010.
    [ix] Alain Philippe Blérald, Histoire économique de la Guadeloupe et de la Martinique : du XVIIe siècle à nos jours, Karthala, Paris, 1986, p. 26. 
    [x] Alain Philippe Blérald, Histoire économique de la Guadeloupe et de la Martinique : du XVIIe siècle à nos jours, Karthala, Paris, 1986, p. 26. 
    [xi] Ibid, p. 138.
    [xii] Christian Deverre, Crise sucrière et réforme foncière en Guadeloupe, Cahiers d’économie et sociologie rurales, n° 17, 1990, p. 100.
    [xiii] Guy Lasserre, La Guadeloupe. Etude géographique, Union Française d’Edition, Bordeaux, 1961, p. 393.
    [xiv] Christian Deverre, Crise sucrière et réforme foncière en Guadeloupe, Cahiers d’économie et sociologie rurales, op. cit., p. 108.
    [xv] Ibid, p. 111.
    [xvi] Luce Blanchard, Qui se cache derrière le projet de centrale thermique d’Albioma à Marie-Galante, https://blogs.mediapart.fr/luce-blanchard/blog/020217/qui-se-cache-derriere-le-projet-de-centrale-thermique-dalbioma-marie, Consulté le 10 juin 2018 à 19 h 55.
    [xvii] Muriel Bonin et Cécile Cathelin, Conversion environnementale de la production bananière guadeloupéenne : une stratégie politique et économique, Economie rurale, n° 341, mai-juin 2014, p. 76.
    [xviii] Athanasia Bonneton, La banane en Guadeloupe : les conditions économiques et sociales de la culture et de la commercialisation, CDDP Guadeloupe, 1988, p. 52.
    [xix] André Breton, Martinique charmeuse des serpents, 10/18, Paris, 1973.
    [xx] Jean-Luc Boniol, Janvier-mars 2009, trois mois de lutte en Guadeloupe, Les Temps modernes, 1/2011, n° 662-663, pp. 82-113.
    [xxi] Guy Cabort-Masson, Interview à la revue Antilla, n° 961, 9 novembre 2001, p. 6.
    [xxii] Les derniers maîtres de la Martinique, http://www.fxgpariscaraibe.com/article-27520586.html, consulté le 11 juin 2018 à 16 h 30.
    [xxiii] Ulrike Zander, La hiérarchie « socio-raciale »en Martinique. Entre persistance postcoloniale et évolution vers un désir de vivre ensemble, Revue en ligne Asylon (s), n° 11, mai 2013, http://www.reseau-terra.eu/article1288.html#nh37, consulté le 11 juin 2018 à 16 h50.
    [xxiv] Michel Giraud, races, clases et colonialisme à la Martinique, L’Homme et la société. Volume n° 55. Nº 1, 1980, p. 206.
    [xxv] Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, 1971, p. 132.
    [xxvi] Ulrike Zander, La hiérarchie « socio-raciale »en Martinique. Entre persistance postcoloniale et évolution vers un désir de vivre ensemble, op. cit.
    [xxvii] Rapport du secrétaire d’Etat de la Marine et des Colonies du 2 février 1861, Revue maritime et coloniale, tome 2, Lahure, Paris, juillet 1861, p. 53.
    [xxviii] L’ensemble des données de cette partie sont issues de deux documents de l’Institut d’Emission des Département d’Outre-Mer (IEDOM) : Guadeloupe 2016 et Martinique 2016, Paris, 2017.
    [xxix] Daniel Guérin, Les Antilles décolonisées, Présence Africaine, Paris, 1956, p. 55.
    [xxx] François Taglioni, Géopolitique et insularité : l’exemple des petites Antilles, in André-Louis Sanguin (coord.), Vivre dans une île, L’Harmattan, Paris, 1997, p. 179.
    [xxxi] INSEE première, n° 1589, avril 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908163, consulté le 13 juin 2018 à 10 h 00.
    [xxxii] Faustine Vincent, Scandale sanitaire aux Antilles, Le Monde du six juin 2018, https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/06/scandale-sanitaire-aux-antilles-qu-est-ce-que-le-chlordecone_5310485_3244.ht, consulté le 13 juin 2018 à 10 h 45.
    [xxxiii] Daniel Guérin, Les Antilles décolonisées, op. cit., p. 37.
    [xxxiv] Frantz Fanon, Antillais et Africains, in Pour la révolution africaine, La Découverte, Paris, 2001, p. 31 et 34.
    [xxxv] Jean-Pierre Darnel, Langues et identité culturelle aux Antilles françaises, Pluriel débat, n° 17, année 1979, p. 27.
    [xxxvi] Hugues Pagesy, Kolombie 2 : Bumidom la vérité, Editions Nestor, Gourbeyre – Guadeloupe, 2017, quatrième de couverture.
    [xxxvii] André Calmont, et Cédric Audebert, Dynamique migratoire de la Caraïbe, Karthala, Paris, 2007, p. 99.
    [xxxviii] Première conférence Tricontinentale, Interventions et résolutions, La Havane, 1966, p. 90.
    [xxxix] Aimé Césaire, Introduction au livre de Daniel Guerin, Antilles décolonisées, op. cit., p. 9.
    [xl] Ibid, pp. 10-11.
    [xli] Manifeste de l’OJAM, https://afcam.org/index.php/fr/dossiers/dossiers-4/les-collectivites-invitees-au-haut-comite/2-uncategorised/4194-le-manifeste-de-l-o-j-a-m, consulté le 14 juin 2018 à 8 h 30.
    [xlii] Xavier-marie Bonnot et Francois-Xavier Guillerm, Le sang des nègres, Galaade, Paris, 2015.
    [xliii] Raymond Gama et Jean-Pierre Sainton, Mé 67 : Mémoire d’un évènement, Société Guadeloupéenne d’Edition et de Diffusion, 1985, p. 122.
    [xliv] Danik I. Zandwonis, Guadeloupe. L’indépendance est plus proche qu’on ne le dit …, http://7seizh.info/2014/12/11/guadeloupe-lindependance-est-plus-proche-quon-ne-le-dit, consulté le 14 juin 2018 à 16 h 45.

    #barbarie génocide #histoire #colonialisme #colonisation #Noirs #Noir #nègre #Antilles #Guadeloupe #Martinique #Mayotte, #Kanaky #Polynésie #DOM #Haïti #Hispaniola #Caraïbe #France #néo-colonialisme #libéralisme_postcolonial #peuples_autochtones #békés #Révolte #Kalinas #métissage #banane #sucre #mélasse #rhum #canne_à_sucre #Indépendance
    #SAFER #auto-exploitation #migration #Cofepp #SMRG #BUMIDOM #OJAM #MNLA #GAP #MIM #PALIMA #AGEC #GONG #UTA #UPG #UGTG #LKP #UPLG #MPGI #KNLG #GLA #Cayard #importations #exportation #UE #union_européenne #prix #Santé #chlordécone
    Eugène_Aubéry Guy_Cabort_Masson #Alfred_Marie_Jeanne #Elie_Domota

  • « La France compte 1 000 espèces d’abeilles » indispensables à la pollinisation
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/14/la-france-compte-1-000-especes-d-abeilles-indispensables-a-la-pollinisation_

    Nous n’avons pas de recul, ni de recensement, sur la situation des abeilles sauvages. Elles sont moins vulnérables à certaines maladies ou parasites, comme le varroa, mais d’un point de vue écologique, elles semblent plus exposées. Contrairement aux abeilles domestiques, elles sont à la fois reproductrices, butineuses et leur reine, la cellule reproductrice, n’est pas protégée par des ouvrières. Des espèces d’abeilles sauvages récoltent aussi des ressources diverses pour constituer leur nid : de la boue, des disques de feuille. Si ces éléments sont contaminés, la colonie est menacée. Les facteurs qui entraînent la réduction des insectes pollinisateurs sont multiples et les #insecticides y contribuent considérablement. Il est clair, sans que nous sachions dans quelle mesure, que les abeilles sauvages sont concernées par ce déclin.

    Lire aussi : En trente ans, près de 80 % des insectes auraient disparu en Europe

    L’interdiction de trois #néonicotinoïdes dans l’Union européenne suffira-t-elle à sauver les pollinisateurs ?

    Sur le long terme, cette restriction n’aura de sens que si ces produits ne sont pas remplacés par d’autres, encore plus toxiques . J’estime essentiel, aujourd’hui, qu’on prenne la mesure de l’évolution des #insectes_pollinisateurs et des 20 000 espèces d’#abeilles. A ma connaissance, aucune sorte d’abeille n’est résistante à un insecticide et leur existence est de ce fait rendue compliquée par l’agriculture conventionnelle. D’où la nécessité de la transformer en #agriculture intégrée, avec une prise en compte de tous les facteurs de production, dont la #pollinisation est partie prenante.

  • Dans l’Utah, la bataille pour protéger le sommet Bears Ears, en territoire navajo

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/12/dans-l-utah-la-bataille-pour-proteger-bears-ears_5313295_3244.html

    Pour satisfaire les éleveurs locaux et l’industrie minière, Donald Trump a réduit de 85 % la zone protégée créée par Barack Obama à la demande des tribus indiennes.

    Difficile, quand on arrive dans le comté de San Juan, dans le sud-est de l’Utah, de ne pas songer à un scénario de western. D’un côté, les ranchers, mormons arrivés à la fin du XIXe siècle. De l’autre, les Indiens, héritiers des Pueblos qui peuplent le plateau du Colorado depuis plus d’un millénaire. Alliés modernes des tribus : les défenseurs de l’environnement. Ils sont détestés, selon un sondage, par 61 % des premiers.

    Décor ? L’Ouest américain mythologique, le paysage de canyons rouges immortalisé par John Wayne et John Ford. La région de Bears Ears compte l’une des plus grandes concentrations du monde de trésors archéologiques – à peine enfouis dans le sable – et de fossiles. En 2016, le paléontologue Robert Gay y a découvert des centaines d’os de phytosaures datant de quelque 220 millions d’années.

    Hors de l’Utah, personne n’avait entendu parler de Bears Ears jusqu’à ce que Barack Obama en fasse, en décembre 2016, un monument national (deuxième catégorie, dans la nomenclature des espaces protégés, derrière les parcs nationaux). Et que Donald Trump, à son habitude, s’empresse de défaire ce que son prédécesseur avait fait. Aujourd’hui, les visiteurs se bousculent pour apercevoir le sommet reconnaissable à ses deux buttes en forme d’oreilles d’ours (l’une à 2 721 m d’altitude, l’autre à 2 760 m). Les défenseurs de l’environnement s’installent, les journalistes accourent.

    Le « monument » est devenu l’enjeu d’une bataille majeure : entre « Anglos » et Amérindiens, entre éleveurs et écologistes, entre secteur du plein air et compagnies minières. Un affrontement qui pourrait aussi redéfinir l’Antiquities Act, la loi de 1906 sur les antiquités qui permet au président des Etats-Unis de protéger des régions dotées d’une richesse culturelle ou scientifique exceptionnelle.

    Six mois après la décision de Donald Trump, les tensions restent vives entre opposants et partisans du monument. Les écologistes trouvent leurs pneus lacérés. Les ranchers se disent harcelés dès qu’ils mettent le nez dehors, par exemple dans les canyons, avec leurs quads tout-terrain. « Le comté est poursuivi en justice trois fois par an », soupire l’élu républicain Phil Lyman. En 2014, lorsque les défenseurs de la nature ont obtenu l’interdiction des véhicules à moteur dans le Recapture Canyon, Phil Lyman y a conduit une armada d’une centaine de 4x4. La reconquête a tourné court. L’élu a été envoyé dix jours en prison au pénitencier de Purgatory, à 500 kilomètres de là.

    « Welcome home »

    La bataille de Bears Ears couve depuis des années. Depuis ce matin de 2009 où 140 agents fédéraux ont perquisitionné 26 domiciles dans le cours d’une enquête sur le vol d’objets indiens sacrés (ce que les locaux considéraient jusque-là comme un passe-temps sans conséquence : le « pot hunting » ou chasse aux poteries). L’investigation a connu des développements tragiques – deux figures du comté se sont suicidées. Et elle a créé des antagonismes majeurs. L’hostilité au gouvernement fédéral a gagné le fief mormon. La nécessité de protéger officiellement leur passé est apparue clairement aux Navajo.

    La première manche a été remportée par les tribus. En l’occurrence, le conseil intertribal des Navajo, Hopi, Zuni, Mountain Ute et Indian Ute, lorsque Barack Obama a protégé plus de 546 000 hectares, interdisant tout nouveau projet d’extraction minière ou pétrolière. Une victoire historique. Non seulement les Indiens avaient réussi à se mettre d’accord, surmontant leurs animosités ancestrales (les Hopi, dont le territoire est encerclé par la réserve des Navajo, ne leur ont jamais pardonné. Les Navajo, eux, en veulent encore aux Ute d’avoir accepté d’être recrutés par l’armée américaine pour les surveiller) ; mais ils avaient obtenu de Barack Obama une forme de reconnaissance. Ils seraient associés, consultés.

    « Et non pas à la manière habituelle, à savoir : le gouvernement informe les Indiens de ce qu’il compte faire », résume Alexander Tallchief Skibine, professeur à l’université de l’Utah et éminent spécialiste de droit indien. Cette fois, les agences fédérales seraient tenues de prendre en compte les recommandations formulées par les tribus, incluant le « savoir traditionnel ».

    « C’était historique, poursuit le professeur Skibine. Une reconnaissance du fait que les Indiens font partie de l’histoire de ces terres. Alors que souvent, avant la création d’un parc national, ils étaient écartés ; il fallait que la vision présentée soit juste, la vision de terres sauvages non peuplées. »

    Malcolm Lehi, du conseil tribal des Mountain Ute, était présent ce jour d’avril 2015, quand Mark Maryboy, le chef des Navajo, a accueilli les autres nations d’un « Welcome home », qui a tiré des larmes à plus d’un participant. Lui aussi le dit : « C’était historique. » En accueillant les autres tribus « à la maison », Mark Maryboy reconnaissait que les Hopi et les Zuni étaient installés dans la région avant les Navajo. Bears Ears est une montagne sacrée, « C’est là où on va prier pour vous tous », décrit Butch Russell, le medecine man des Mountain Ute.

    SI LES NAVAJO ONT – POUR L’INSTANT – « PERDU » BEARS EARS, LEUR MONTÉE EN PUISSANCE EST RÉELLE

    Mais le « grand » Bears Ears n’a pas duré longtemps. Le 4 décembre 2017, Donald Trump, pressé par les élus républicains de l’Utah, a réduit la taille du monument de 85 %. Courriels officiels à l’appui, le New York Times a montré que le ministère de l’intérieur avait travaillé en liaison avec l’industrie pétrolière et minière. Résultat : un tracé savamment découpé selon les desiderata des exploitants. Ici, le pétrole ; là, l’uranium, à la satisfaction de la compagnie canadienne Energy Fuels Resources, qui possède l’unique usine de concentration d’uranium des Etats-Unis. Elle se trouve à 3 kilomètres de la réserve des Mountain Ute. A l’entrée, une pancarte se veut rassurante : aucun incident n’a été enregistré « depuis 517 751 heures ».

    Phil Lyman, 53 ans, est le héros local de la rébellion antimonument. Ancien missionnaire mormon en Afrique du Sud, il reçoit dans son cabinet d’expert-comptable, au milieu des chèques du trésor public et des cartes topographiques. Son arrière-grand-père est arrivé avec la fameuse expédition dite du « Hole in the rock », le « trou » dans la montagne où a réussi à se glisser, en 1880, un convoi de 250 colons et 1 000 têtes de bétail, envoyés par l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours pour convertir les populations indigènes du sud de l’Utah. Après l’or, c’est l’uranium qui a fait les beaux jours du comté. « On l’expédiait à Marie Curie », se flatte-t-il.

    500 mines abandonnées

    Au nom de cette légitimité historique, Phil Lyman dénonce la prétention des tribus à vouloir soustraire à l’industrie une zone aussi vaste. Le comté avait commencé à négocier avec les élus indiens sur une zone plus réduite, explique-t-il. Mais les mouvements environnementaux sont arrivés et, avec eux, les géants des sports de plein air. « Ils ont mis 30 millions de dollars sur la table, accuse-t-il. Aucune de ces personnes n’est d’ici. Et elles prétendent être les sauveurs des Navajo. »

    Qui remportera la prochaine bataille ? Trois plaintes ont été déposées contre le président Trump, décrit Steve Bloch, le juriste de l’association Southern Utah Wilderness Alliance. Elles réunissent les tribus, les écologistes et la compagnie de vêtements de sport Patagonia. Même la Société américaine de paléontologie vertébrée s’est portée en justice. Le site de la découverte de Robert Gay n’est plus dans les limites du nouveau monument : il est vrai que la formation de Chinle, où se trouvent les fossiles, recèle aussi de l’uranium.

    Bears Ears est devenu « monument national » en 2016.
    Sans attendre la décision de la juge fédérale chargée du dossier à Washington, l’administration Trump a ouvert les zones contestées à l’exploitation du sous-sol. Aucun rush n’a été enregistré pour l’instant sur les hydrocarbures (la dernière ouverture de puits remonte à 1984). Quant à l’uranium, « le cours, heureusement, est au plus bas », souligne Alastair Lee Bitsoi, de l’association Utah Dine Bikeyah (Protect Bears Ears), fondée en 2012 pour la sauvegarde de la culture navajo (et financée par Patagonia). Les Navajo sont particulièrement sensibles à la question : plus de 500 mines abandonnées se trouvent sur leurs terres ou à proximité. Des puits sont toujours contaminés.

    « Bears Ears-Disneyland »

    Byron Clarke, 39 ans, est le directeur du système de santé navajo de l’Utah, un ensemble de quatre cliniques qui servent 13 000 patients. Petit-fils de medicine man, fils d’une enseignante et traductrice navajo et d’un professeur de Virginie, le juriste comprend mieux que quiconque les contradictions locales. En tant qu’Amérindien, il apprécie la signification historique de l’accord avec l’Etat fédéral.

    En tant que chasseur à l’arc, qui fabrique lui-même ses flèches avec le cèdre traditionnel, il est opposé au classement de Bears Ears. Il craint que les lieux sacrés, les tombes des ancêtres où les Navajo, par respect, ne pénètrent pas, ne deviennent un « Bears Ears-Disneyland » envahi de visiteurs à sacs à dos et VTT. C’est le modèle prôné par le secteur des activités de plein air, un mammouth en pleine expansion qui a généré 374 milliards de dollars de retombées en 2016, selon le Bureau des analyses économiques, soit 2 % du PIB.

    Si les Navajo ont – pour l’instant – « perdu » Bears Ears, leur montée en puissance est réelle. A la grande déconvenue de Phil Lyman, un juge fédéral, qui avait été saisi par la tribu pour discrimination, vient d’ordonner un nouveau redécoupage électoral. Lors des élections américaines de novembre 2018, le rapport de forces devrait s’inverser dans le comté de San Juan. Jusqu’à présent, deux des trois élus de la commission du comté étaient des Blancs, alors que les Navajo représentent plus de 50 % de la population. Pour la première fois, les « Anglos » risquent de perdre la majorité. Mais rien n’est joué. Un assesseur conteste les titres de créances du candidat navajo, qui risque d’être disqualifié. Au pied de Bears Ears, la bataille est loin d’être terminée…

  • Glyphosate retrouvé dans du miel : des apiculteurs portent plainte contre Bayer
    Le Monde.fr avec AFP | 08.06.2018 à 12h02
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/08/glyphosate-retrouve-dans-du-miel-des-apiculteurs-portent-plainte-contre-baye

    Après la découverte de glyphosate dans le miel d’un de ses adhérents, le syndicat L’Abeille de l’Aisne a porté plainte mercredi 6 juin contre Bayer, qui vient de boucler le rachat de Monsanto, a-t-on appris vendredi 8 juin de sources concordantes.

    Le syndicat, qui réunit deux cents apiculteurs pour la plupart amateurs, a reçu l’alerte d’un de ses membres qui vend ses excédents au groupe Famille Michaud Apiculteurs, le plus gros acteur du miel en France, notamment avec sa marque Lune de Miel. « Lorsqu’ils reçoivent le miel, ils le font systématiquement analyser et là ils ont trouvé du glyphosate », explique Jean-Marie Camus, président de L’Abeille de l’Aisne, confirmant une information du quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France.

  • Banane : une industrie pourrie à la racine
    https://www.franceculture.fr/histoire/banane-une-industrie-pourrie-a-la-racine
    De 1972 à 1993, un #pesticide puissant, le chlordécone, est utilisé massivement sur les bananeraies antillaises. La population et les sols sont empoisonnés pour des générations. Face à ce scandale, l’histoire nous apprend que l’industrie bananière est dès son origine viciée par les tares propres à une #mondialisation_économique sans scrupule, portée par la première entreprise mondialisée : la « United fruit company ».
    #entreprises_bananières #banane

  • Chlordécone : les Antilles empoisonnées pour des générations
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/06/chlordecone-les-antilles-empoisonnees-pour-sept-siecles_5310192_3244.html

    La France n’en a pas fini avec le scandale du chlordécone aux Antilles, un dossier tentaculaire dont les répercussions à la fois sanitaires, environnementales, économiques et sociales sont une bombe à retardement. Cette histoire, entachée de zones d’ombre, est méconnue en métropole. Elle fait pourtant l’objet d’une immense inquiétude aux Antilles, et d’un débat de plus en plus vif, sur fond d’accusations de néocolonialisme.

    C’est quand même pas un scoop cette histoire #paywall