• Revenu de base : treize départements français veulent tenter l’aventure, Elise Barthet, LE MONDE ECONOMIE | 06.06.2018
    https://abonnes.lemonde.fr/emploi/article/2018/06/06/solidarite-treize-departements-veulent-experimenter-le-revenu-de-bas

    Ce versement automatique sous condition de ressources permettrait, selon eux, d’être plus efficace que les aides actuelles. Ils souhaitent soumettre un texte de loi d’expérimentation à l’automne.

    On le croyait moribond, presque enterré, victime collatérale de la campagne présidentielle. Mais le revenu de base, promu par Benoît Hamon, qui en avait fait sa proposition phare, bouge encore. Il pourrait bientôt, si le gouvernement le permet, se déployer à l’échelle locale dans certains territoires français.

    C’est, en tout cas, ce qu’espèrent les treize présidents de conseils départementaux (Ardèche, Ariège, Aude, Dordogne, Gers, Gironde, Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Landes, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Moselle, Nièvre et Seine-Saint-Denis) qui devaient présenter, mercredi 6 juin à Bordeaux, une étude de faisabilité à laquelle Le Monde a eu accès. L’objectif : aboutir à un texte de loi d’expérimentation, permettant de le tester sur un échantillon de 20 000 personnes à l’automne.

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    https://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2018/06/06/revenu-de-base-c-est-comme-si-une-porte-s-etait-ouverte_5310498_3234

    Une idée aux contours élastiques

    Ses promoteurs savent qu’ils avancent en terrain miné. Le revenu de base est une vieille idée aux contours pour le moins élastiques. Dans sa version libérale, popularisée par l’économiste américain Milton Friedman, il est pensé comme un impôt négatif se substituant aux prestations sociales. Les sociaux-démocrates, à l’inverse, l’envisagent comme un complément d’aides. D’autres, enfin, militent pour en faire un socle qui libérerait les travailleurs du salariat.

    Le point mérite d’être souligné : quand ils parlent de revenu de base, les départements prêchent, eux, pour une allocation qui, dans sa version minimale, remplacerait le RSA et la prime d’activité. Un versement mensuel automatique sans contrepartie, mais sous condition de ressources et qui ne bénéficierait donc pas à tous.

    « Inconditionnel ne veut pas dire universel, insiste Jean-Luc Gleyze, président socialiste de la Gironde. On n’imagine pas une seconde que les Rothschild touchent le revenu de base. L’idée, c’est de viser ceux qui ont peu et ceux qui n’ont rien. »
    En d’autres termes, les plus précaires et notamment les travailleurs pauvres, qui enchaînent les contrats courts, comme les aides à domicile, les saisonniers, les jeunes agriculteurs…

    Comment mieux les aider ? « Je n’ai aucun dogme, assure l’élu aquitain. Bien sûr, on va nous accuser de vouloir payer des allocations à tous les cas sociaux. Le but n’est pas de mettre en application le programme de Benoît Hamon, mais de revoir les dispositifs de lutte contre la pauvreté. Pour évaluer correctement une politique, il faut la tester. » Les départements, chargés aujourd’hui de la distribution du revenu de solidarité active (RSA), semblent le niveau idéal. Reste à savoir sur quelles bases.

    Une première en France

    C’est justement ce que l’Institut des politiques publiques (IPP) s’est efforcé de modéliser en s’appuyant, pour la première fois en France, sur les données de l’administration fiscale et les enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

    Trois grandes variables ont été retenues pour ce revenu de base : l’élargissement du dispositif aux jeunes dès 18 ou 21 ans, la prise en compte ou non des aides au logement et, enfin, le niveau de dégressivité en fonction des revenus additionnels. Pour le directeur de l’IPP, l’économiste Antoine Bozio, qui a chapeauté l’étude, le but, quel que soit le scénario retenu, est de pallier les failles les plus béantes du système.

    Scénario 1 du revenu de base

    Scénario 2 du revenu de base


    L’automaticité des versements mensuels aurait l’avantage de réduire considérablement les #non-recours. Pour mémoire, entre 30 et 40 % des personnes éligibles au RSA « socle » n’en bénéficient pas aujourd’hui car ils n’en font pas la demande. En outre, les jeunes en sont pour l’essentiel exclus alors que la part des 18-24 ans vivant sous le seuil de pauvreté avoisine 16 %. Un taux deux fois plus élevé que celui des 25-64 ans.

    Lire aussi : Ils testent le revenu de base : « J’ai ressenti la liberté qui allait arriver »
    https://abonnes.lemonde.fr/revenu-universel/article/2018/01/19/ils-testent-le-revenu-de-base-j-ai-ressenti-la-liberte-qui-allait-ar

    Autre écueil : les aides comme le RSA et l’APL (aide personnalisée au logement) n’étant pas synchronisées entre elles dans le temps, elles ne sont pas toujours adaptées aux changements de vie des bénéficiaires. Une complexité qui plombe la lisibilité de l’ensemble et pèserait aujourd’hui sur le retour à l’emploi. « Pour une personne seule touchant le RSA et l’APL, chaque euro gagné en plus représente en moyenne 65 centimes d’allocations en moins, estime Antoine Bozio. Ça n’incite pas certains bénéficiaires à travailler, alors même que c’est le but des autorités. »

    « PARCE QUE LES CRISES ÉCONOMIQUES DES TRENTE DERNIÈRES ANNÉES ONT ENGENDRÉ UNE HAUSSE DE LA PRÉCARITÉ PHÉNOMÉNALE, IL FAUT REDESSINER LA PROTECTION SOCIALE »
    DANIEL COHEN, ÉCONOMISTE
    « Le système fonctionne d’autant moins bien, ajoute Jean-Luc Gleyze, que les travailleurs sociaux passent un temps fou à contrôler les uns et les autres. Moins de répression et plus d’accompagnement, voilà ce qu’ils attendent. »

    Au bout du compte, sur les dix-huit scénarios développés par l’IPP, deux tiennent la corde. Le premier, minimaliste, est conçu pour remplacer uniquement le RSA et la prime d’activité.
    Sur cette base, il garantirait 461 euros par mois à une personne seule et décroîtrait à un rythme de 30 % en fonction des revenus d’activité, pour s’annuler à 1 536 euros net. Automatisé et élargi aux jeunes dès 21 ans, son déploiement coûterait 9,6 milliards d’euros à l’échelle nationale (2,8 millions d’euros dans le cadre de l’expérimentation). Le chiffre grimpe à 16,2 milliards avec une éligibilité à partir de 18 ans (4,7 millions pour l’expérimentation). Des montants qui s’ajouteraient aux 16 milliards d’euros du coût actuel du RSA et de la prime d’activité.

    « Dans le sens de l’histoire »

    Plus ambitieux, le deuxième scénario englobe les aides au logement. Pour les locataires, le revenu de base monterait alors à 725 euros, et à 530 euros pour les propriétaires, avec une dégressivité de 38 %. Logiquement, les coûts finaux seraient plus élevés : 17,6 milliards en plus pour les plus de 21 ans (5,2 millions dans le cadre de l’expérimentation), et 25,7 milliards pour les jeunes dès 18 ans (7,5 millions pour l’expérimentation).

    Comment financer tout cela ? Les présidents de département n’en ont de toute évidence pas les moyens. « Mais, normalement, quand le gouvernement passe par une loi d’expérimentation, comme c’est le cas pour le programme “territoires zéro chômeur de longue durée”, il y a un fonds de dotation abondé par l’Etat », explique André Viola, président socialiste du conseil de l’Aude. « Emmanuel Macron s’est dit à plusieurs reprises favorable à ce genre de tests à l’échelle locale. Le revenu de base pourrait être la mesure de gauche de la deuxième partie de son mandat », estime l’élu.

    Lire aussi : « Et vous, que feriez-vous avec 1 000 euros par mois pendant un an ? » : une association propose de tester le revenu de base

    « Aux Etats-Unis, les rivalités entre secteurs public et privé stimulent l’innovation. En France, les collectivités locales peuvent favoriser une émulation similaire », insiste l’économiste Daniel Cohen (membre du conseil de surveillance du Monde). Pour l’enseignant, pas de doute : « Le revenu de base va dans le sens de l’histoire. »

    Les départements se donnent quelques mois pour soumettre à l’exécutif un texte de loi. Selon Gilles Finchelstein, de la Fondation Jean-Jaurès, il faudra aussi d’ici là trouver un nom au dispositif. « Revenu de base » sonnerait encore trop « ancien monde ».

    Lire aussi : Revenu de base : bilan contrasté pour l’expérience finlandaise
    https://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2018/06/06/revenu-de-base-bilan-contraste-pour-l-experience-finlandaise_5310400

    #RdB #Revenu