les députés sur la corde raide

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    • Déjouer les ingérences étrangères et la propagande, en particulier en période électorale et sur les réseaux sociaux : c’est l’objectif ambitieux des deux propositions de loi de lutte contre la manipulation de l’information, déposées par La République en marche (LRM) et que doit examiner l’Assemblée nationale en séance publique, jeudi 7 juin. Directement descendus de l’Elysée, ces textes – l’un ordinaire, l’autre organique, portant sur la période de l’élection présidentielle – entendent attaquer le problème sur trois fronts.

      La disposition-phare, la plus sensible politiquement, est la lutte contre la propagation de « fausses informations » sur les réseaux sociaux. En commission, les députés ont dû se frayer un chemin dans le maquis de ce concept à la définition impossible. Aiguillés par le Conseil d’Etat, auteur d’un rapport critique sur le texte originel, ils ont resserré la notion de fausse information. Cette dernière sera constituée de « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ».

      Il ne s’agit donc plus de déterminer si une information circulant sur les réseaux sociaux est vraie, mais si elle est vraisemblable. « Chercher à différencier le vrai du faux, c’est un combat perdu pour tout le monde », explique un conseiller proche de l’Elysée. Signe de l’inconfort face à ce concept, le titre de la loi a été remanié en commission : le terme de « fausse information » a ainsi fait place à celui de « manipulation de l’information ».

      Sur la base de cette définition, qui pourrait encore être modifiée en séance, les propositions de loi créent une nouvelle procédure judiciaire, différente de celle qui existe déjà en matière de fausses nouvelles dans le code électoral. Le juge des référés pourra être saisi, dans une période d’un peu plus de trois mois avant une élection générale, afin de contrecarrer la diffusion d’une « fausse information » sur les réseaux sociaux, par exemple en faisant bloquer un site. Les conditions à remplir sont drastiques : outre caractériser la « fausse information », le juge devra, en quarante-huit heures, déterminer si ces fausses informations peuvent « altérer la sincérité du scrutin », si elles sont diffusées « de mauvaise foi », si leur propagation est assurée par des robots et si leur portée est « massive ».

      LA PUBLICITÉ POLITIQUE EN PÉRIODE ÉLECTORALE EST DÉJÀ INTERDITE EN FRANCE : LA LOI CIBLE PLUTÔT LES MESSAGES QUI, SANS ÊTRE DIRECTEMENT RATTACHÉS À UN CANDIDAT, ABORDENT DES QUESTIONS POLITIQUES ET D’ACTUALITÉ

      Ces cinq critères seront-ils un jour réunis ? Les formes les plus récentes de propagande sur les réseaux sociaux, en France et à l’étranger, auraient eu du mal à tomber dans les filets de la loi. Cette dernière n’aurait vraisemblablement pas trouvé à s’appliquer à l’épisode dit des « MacronLeaks », où des boîtes courriels de membres de l’équipe d’En marche ! ont été piratées et leur contenu posté sur Internet, quelques heures avant le second tour de l’élection présidentielle. Si la volonté des pirates de peser sur l’élection ne fait guère de doute, le contenu des boîtes e-mail, authentique, et leur mode de diffusion, dont le caractère massif et robotisé n’est pas établi, auraient rendu le dispositif difficilement applicable.

      Marges de manœuvre réduites

      Les opérations menées par la Russie sur les réseaux sociaux lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, qui ont également servi d’aiguillon pour ce texte, ne seraient pas non plus tombées dans son escarcelle : une part conséquente de la propagande du Kremlin consistait en des informations véridiques, mais présentées de manière biaisée et diffusées auprès d’audiences soigneusement sélectionnées.

      Ce type de manipulation, friand de publicités sur les réseaux sociaux, est justement au cœur du deuxième étage du dispositif prévu par les propositions de loi. Ces dernières entendent imposer aux réseaux sociaux des obligations de transparence sur les contenus à connotation politique, lorsque leur diffusion et leur ciblage sont optimisés par le réseau social contre rémunération. La publicité politique en période électorale est déjà interdite en France : la loi cible plutôt les messages qui, sans être directement rattachés à un candidat, abordent des questions politiques et d’actualité.

      Les réseaux sociaux devront donc, dans la période d’un peu plus de trois mois avant des élections générales, indiquer qui a sorti le porte-monnaie pour augmenter la viralité de ses messages politiques, et, à partir d’un seuil qui devrait être fixé à 7 500 euros – soit le plafond annuel des dons à un parti politique –, combien il a déboursé. Sous la pression des parlementaires américains, Facebook a d’ores et déjà lancé la mise en place d’un dispositif très similaire.

      LE CSA POURRA REJETER UNE CONVENTION SI UNE CHAÎNE « CONTRÔLÉE PAR UN ETAT ÉTRANGER » PORTE « ATTEINTE AUX INTÉRÊTS FONDAMENTAUX DE LA NATION »

      Les réseaux sociaux devront aussi mettre en place un système permettant à leurs utilisateurs de leur signaler de fausses informations et être plus transparents sur le fonctionnement de leur algorithme. C’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qu’échoira la supervision des réseaux sociaux en matière de lutte contre les fausses informations. Ces derniers devront lui adresser un rapport annuel, et ce dernier pourra prodiguer des recommandations.

      Même si le texte ne lui confère guère de pouvoir coercitif, le CSA met tout de même le pied dans la porte de la régulation d’Internet, une marotte de l’instance depuis deux décennies. Ces obligations de transparence constituent aussi un moyen, pour la France, de s’essayer à davantage de régulation des grandes plates-formes. Un thème qui progresse au gré des scandales touchant les géants du Web, des données personnelles à la propagande terroriste en passant par les discours haineux.

      Le rapporteur des propositions de loi, Bruno Studer (LRM, Bas-Rhin), espère même créer par amendement une délégation parlementaire dévolue à ces plates-formes en ligne. Les marges de manœuvre de la France sont cependant extrêmement réduites, le droit européen limitant la responsabilité des plates-formes sur les contenus qui y sont postés.

      Suspensions temporaires

      Enfin, les propositions de loi, légèrement remaniées sur ce point en commission à la suite des injonctions à la prudence du Conseil d’Etat, veulent armer le CSA face à certaines chaînes de télévision et de radio. Elle n’est bien sûr pas citée, mais dans le viseur figure la chaîne Russia Today, conventionnée par le CSA en 2015 et qualifiée par Emmanuel Macron d’« organe de propagande mensongère ». Le CSA pourra ainsi rejeter une convention si une chaîne « contrôlée par un Etat étranger » porte « atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », mais aussi « à la dignité de la personne humaine » ou à la « protection de l’enfance et de l’adolescence », entre autres grands principes.

      En période électorale, le gendarme de l’audiovisuel pourra même suspendre temporairement une convention si ce même type de chaîne diffuse « de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Et si, hors élection, une chaîne « contrôlée par un Etat étranger (…) porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », le CSA pourra résilier purement et simplement la convention, sans que la diffusion de « fausses informations » soit nécessaire.