A Ychoux, l’ombre du racisme plane sur la mort de Saïd, visé par son voisin au 22 long rifle

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    A Ychoux (Landes), un homme de 38 ans d’origine marocaine est décédé le 4 juin dernier, quinze jours après que son voisin lui a tiré dessus. Il aurait crié « enculé d’arabe ». Une marche blanche aura lieu dimanche dans le village.

    C’est un pavillon banal, niché au bout d’un lotissement d’Ychoux (Landes) où les rues portent, comme pour faire plus joli, des noms de flore (genêts, mimosas) ou de faune (écureuils, pinsons). Contre le crépi jaunissant et le grillage fatigué, les enfants ont abandonné leurs VTT. Au fond du jardin, une balançoire où on les imagine s’élever vers le ciel à grands mouvements de jambes. A moins qu’ils ne tirent dans ces ballons, laissés sur le gazon. Et puis il y a ce rosier qui fait grise mine, les fleurs ternies par le soleil. « Ce rosier de merde où mon frère est tombé », dit Jamila, la voix brisée. Le 20 mai dernier, Saïd El Barkaoui s’est écroulé, blessé par les tirs de son voisin. S’il n’est pas mort sous les balles, le père de famille de 38 ans est décédé de retour à son domicile, deux semaines plus tard – vraisemblablement d’une rupture d’anévrisme. Ironie terrible, sur le bouquet accroché au grillage en sa mémoire, personne n’a pris soin d’ôter l’étiquette du fleuriste : « C’est si simple de faire plaisir. »

    « Enculé d’arabe »

    C’était un dimanche, en fin de journée. Saïd, 38 ans, installe des pièges à taupes dans le jardin. Sa compagne Angelina, 30 ans, prépare le dîner dans la cuisine. Les trois garçons du couple et la petite dernière jouent à l’intérieur. « J’ai tout vu depuis la fenêtre », se souvient la mère de famille, ses yeux bordés de larmes. Elle aurait d’abord entendu le voisin garer sa voiture. « Debout les mains sur les hanches, il attendait juste que Saïd lève le regard. » Le ton monte. Elle aperçoit soudain l’homme sortir une arme de sa voiture et tirer : « Regarde ce que je suis en train de te faire, enculé d’arabe ! » Cinq balles d’un « pistolet 22 long rifle », selon le procureur de la République de Mont-de-Marsan. Dans l’épaule, le bras (avec lequel Saïd tentait de se protéger le visage), la jambe et le dos. « Mon fils est sorti pour courir vers son père, à terre. Le voisin a dit : ‘Qu’est-ce qu’il veut celui-là ?’ J’ai eu peur qu’il tire sur mes enfants », tremble encore Angelina.

    Elle et Jamila sont convaincues que la mort de Saïd a été causée par ces coups de feu. Hospitalisé, l’homme d’origine marocaine avait pu rentrer chez lui après une première opération. Mais deux balles restaient logées près de sa moelle épinière, l’exposant à une éventuelle paralysie. « Il était très fatigué, très inquiet. Il n’a pas supporté la pression, la scène tournait dans sa tête constamment », dit la trentenaire. A part un diabète, RAS. « La question est de savoir si le décès est en lien avec les faits », explique Me Frédéric Dutin, avocat de la famille El Barkaoui, constituée partie civile. Le cas échéant, le retraité de 67 ans, qui a été placé en détention provisoire et mis en examen pour « tentative d’assassinat aggravée par une motivation à caractère raciste », pourrait l’être pour « assassinat ». Les résultats de l’autopsie, devant permettre de déterminer les circonstances du décès, ne sont toujours pas connus.

    « Boum boum » et ballons

    « Je savais qu’il y aurait un drame un jour ou l’autre », nous confie la femme du suspect, 65 ans, vêtue d’un chandail rose sans manches. Dans le village, on décrit cette assistante maternelle à la retraite depuis peu comme une femme « très dévouée, serviable », investie auprès du club de rugby local. Elle affirme que les problèmes auraient commencé avec l’installation du couple, il y a quatre ans. La sexagénaire parle d’insultes, des « boum boum » d’une musique au niveau sonore « intenable »… La tension serait montée crescendo.

    Son mari, raciste ? « Jamais de la vie ! En tant que fils d’immigrés polonais, il a lui-même connu le racisme. » Non, ils ne votent pas FN, assure-t-elle, dans cette commune landaise où Marine Le Pen est arrivée en tête du premier tour de la dernière présidentielle avec plus de 24% des suffrages (contre 19% en 2012). Les insultes pourtant peu équivoques qu’il aurait proférées lors d’une précédente altercation ? « Des propos tenus sous le coup de la colère. » D’ailleurs, il a beaucoup voyagé dans « les pays noirs », se sent-elle obligée d’ajouter. Avant de noter, renfrognée : « Si on peut encore dire ‘noir’, parce qu’on ne peut plus rien dire… » L’avocat du suspect, Me Anthony Sutter déplore : « On tombe dans la caricature de l’homme blanc qui tue son voisin arabe. C’est un conflit de voisinage latent depuis plusieurs années qu’on n’a pas su arrêter. » S’il a reconnu les faits, son client rejette la préméditation et le caractère raciste de l’acte.

    Des tirs en l’air

    Quinze jours avant le drame, une dispute avait opposé les voisins, dont les habitations se font face. Pour une histoire de ballon, passé par dessus l’épaisse haie du couple de retraités. Angelina avait fini par venir le chercher, après que son fils aîné de 11 ans s’était fait rabrouer. « Là, le voisin a commencé à m’insulter. Quand je suis arrivée au portail, il m’a frappée direct. » Une gifle devant les enfants, les lunettes volent. Saïd intervient, les esprits s’échauffent. Déjà là, des propos racistes – « enculé d’arabe ». Le retraité porte plainte, Angelina aussi. Début mars, le sexagénaire avait déposé une main courante à la gendarmerie en raison d’une musique trop forte.

    S’il n’a jamais été condamné, cet ancien ingénieur a fait l’objet de « rappels à la loi » pour « des violences légères » sur un autre voisin, a indiqué le procureur de la République de Mont-de-Marsan. Croisé par hasard, David, 40 ans, connaît bien une voisine immédiate du suspect. Quand les ballons de ses deux fils disparaissaient de l’autre côté de la haie, ils « ne revenaient jamais ». Surtout, ce père de famille n’a pas oublié le soir d’été où ils célébraient l’anniversaire de cette amie musulmane, attablés dehors entre couples d’amis et leurs enfants. « D’un coup, on a entendu quelqu’un tirer en l’air en criant : "Faites moins de bruit". On est vite rentrés ; on s’est dit : "Qu’est ce que c’est que ce mec ?!" »

    Fan de Messi

    « C’est pas facile, pas facile », répète en boucle Mohamed, le père de Saïd, dans le salon quasi-vide du pavillon. L’homme de 82 ans vient tous les soirs humer les vêtements encore imprégnés de l’odeur de son fils. Les cheveux voilés, le menton fendu d’un trait de henné noir, son épouse Daouia, 69 ans, pleure à ses côtés. Elle ne veut pas que « (son) fils soit mort pour rien ». Depuis leur arrivée à Ychoux « le 17 mars 1972 », ils n’ont « jamais eu de problème ». Ensemble, Mohamed et Daouia ont élevé sept enfants – Saïd était le plus jeune – et mené une discrète vie de labeur : des champs aux usines de carottes ou de machines agricoles.

    « Nos parents venaient tous du Maroc, on était tous une famille », raconte Kamel, qui a grandi avec Saïd dans le quartier des HLM. Enfants, ils jouaient « aux pirates » et fabriquaient des cabanes dans la forêt de pins juste derrière « la cité ». Surtout, « on était tous inscrits au club de foot ». Saïd supportait le Barça, en témoigne un imposant poster de Messi – « il adorait son style, ses dribbles » – accroché dans le salon familial, à droite de l’écran plat. Faute de mobylettes, « on faisait du stop le week-end », poursuit l’électricien de 44 ans. L’été, direction le lac ou l’océan. L’hiver, le café de Parentis-en-Borne « parce qu’ici, y’avait pas grand chose ».

    « Caïd du village »

    Dans la commune de quelque 2 200 âmes, c’est d’ailleurs la première fois qu’un tel drame survient. Ici, on attend encore le déploiement de la fibre optique, la station-service fait office de bureau de tabac et de kiosque, et il faut se rendre dans le bourg d’à-côté (à dix kilomètres) pour trouver le premier distributeur de billets. « Les gens vivent très paisiblement, assure une mère de famille, dont la fille est scolarisée avec l’un des fils de Saïd. Il n’y a pas de délinquance, pas de racisme. » Mais « beaucoup de on-dit ». Le long de la D43 qui coupe le village, chacun s’en méfie, tout en les colportant à sa manière.

    Il y a la rumeur, lancinante, qui voudrait faire de Saïd le « caïd du village ». « C’est largement exagéré ! », se marre à moitié Jacky, 30 ans, un copain d’enfance. « Ça lui est arrivé de se bagarrer, mais c’était un travailleur et un mec toujours prêt à rendre service. » Le grand blond tatoué a d’ailleurs « manqué de mettre une gifle » à un collègue s’étant permis le commentaire : « C’est bien fait pour lui, il avait qu’à moins faire le con ». « Beaucoup vous diront que c’était un cas soc’, un bon à rien. Les gens mélangent tout, ça ne justifie rien », glisse une riveraine préférant garder l’anonymat. Pour ce qui est des faits, Saïd était « connu des services de police pour des faits mineurs », a indiqué le parquet de Mont-de-Marsan.

    « Si c’était un noir qui avait tiré... »

    « Si personne ne fait rien, ce sera bientôt le Far West », s’agace une Ychouxoise d’origine portugaise. C’est vrai qu’elle « ne lui aurait pas donné le bon dieu sans confession », mais elle adorait Saïd, qui venait parfois manger avec ses enfants dans son snack-kebab. Sur la devanture, on lit « fermeture exceptionnelle dimanche ». Cette brune de 49 ans a donné pour la cagnotte destinée à aider la famille et participera à la marche blanche organisée dimanche à la mémoire de Saïd. Les délégations locales de la Licra, SOS Racisme et du Mrap seront présentes. Rangeant les glaces au fond de son congélateur, elle lâche : « Si c’était un Noir qui avait tiré... Je vous dis pas ! Là, parce que c’est un Blanc, certains disent : "Il a eu raison, il emmerdait tout le monde". Y’a plus de racistes qu’autre chose ici, vous savez ! »

    En presque 30 ans de mandat, le maire Marc Ducom n’a jamais connu « ambiance aussi détestable ». L’affaire divise son village en deux camps. « Le fondement d’Ychoux, c’est la diversité. Je ne peux pas cautionner un tel acte », dit-il, encore choqué par ce message lu sur les réseaux : « Deux balles auraient suffi ». Dimanche, l’édile marchera auprès de la famille El Barkaoui. Une habitante d’Ychoux résume l’enjeu du rendez-vous : « La seule chose que je souhaite, c’est qu’il y ait beaucoup de "blancs". »
    Chloé Pilorget-Rezzouk envoyée spéciale à Ychoux (Landes)

    Il n’y a vraiment aucune mort d’arabe ou de noir où les blancs, les journalistes n’essaient pas de minimiser la motivation raciste du meurtre ! Et Libé avec leur « ombre » du racisme. Mais allez-y, mouillez vous un peu purée ! Bandes de collabos !

    #racisme #meurtre #Ychoux #el_barkaoui