• (20+) A l’Assemblée, une alliance atypique pour les « biens communs » dans la Constitution - Libération
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    Dans le sillage d’un appel de 50 personnalités du monde intellectuel, des députés de l’opposition mais aussi de la majorité proposent de modifier la loi fondamentale pour protéger l’environnement du pouvoir des multinationales.

    A l’Assemblée, une alliance atypique pour les « biens communs » dans la Constitution

    Le casting a de l’allure : trois députés de l’opposition et deux de la majorité. Mardi midi, au micro de la salle de presse de l’Assemblée nationale, cinq parlementaires issus de groupes différents – de La France insoumise à La République en marche en passant par le PCF, le PS et le Modem – se succèdent pour soutenir l’initiative du socialiste Dominique Potier d’amender le projet de loi constitutionnelle pour insérer une référence aux « biens communs » dans la loi fondamentale française. « Les démarches transpartisanes sont assez rares. Elles sont souvent transgressives », se réjouit d’emblée le député de Meurthe-et-Moselle connu pour avoir fait voter à l’unanimité sous le précédent quinquennat une proposition de loi sur le « devoir de vigilance des sociétés-mères » après le scandale de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh.

    Potier propose aujourd’hui de modifier la loi fondamentale pour en finir avec certaines censures du Conseil constitutionnel. Depuis plusieurs années, les sages de la rue de Montpensier retoquent ainsi de nombreux articles de projets de loi environnementaux ou sociaux sous prétexte d’atteinte à la liberté d’entreprendre ou individuelle. Un exemple : lorsque les députés socialistes ont voulu rendre obligatoire pour les entreprises la publication de leur « déclaration fiscale d’activité » (reporting) pays par pays afin de pouvoir dénicher leurs pratiques d’optimisation fiscale – voire de fraude – le Conseil constitutionnel leur avait opposé une « atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ».

    « Pas de procès d’intention » au gouvernement

    Dominique Potier milite donc pour faire sauter ce « verrou constitutionnel qui est une déformation de l’esprit des révolutionnaires qui ont écrit la déclaration des droits de l’homme ». Pour cela, il proposera, avec d’autres députés, de modifier l’article 1 de la Constitution. Mais aussi l’article 34 relatif au rôle du Parlement, reprenant la proposition de 50 intellectuels – dont certains accompagnaient Potier ce mardi à l’Assemblée – dans une tribune publiée fin mai dans le Monde : « La loi détermine les mesures propres à assurer que l’exercice du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre respecte le bien commun. Elle détermine les conditions dans lesquelles les exigences constitutionnelles ou d’intérêt général justifient des limitations à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété. » « Il faut aujourd’hui s’affranchir d’un éventuel despotisme économique, revendique le député socialiste. On va passer aux travaux pratiques. »

    Disons-le tout de suite : ils sont a priori voué à l’échec. « Je ne sais pas du tout la position du gouvernement. Je ne fais pas de procès d’intention. Je fais le pari que c’est ouvert », répond Potier. Sauf que le président du groupe LREM, Richard Ferrand, et son homologue Modem, Marc Fesneau, ont déjà fait savoir qu’il était hors de question de modifier la Constitution pour y intégrer une telle référence pouvant gêner, selon eux, l’activité économique. La présence de Matthieu Orphelin, député LREM proche de Nicolas Hulot, et du centriste Richard Ramos aux côtés de Potier est un signal envoyé à la majorité. « Il y a une vitesse, une mondialisation. […] Certains veulent piller ce que sont nos biens communs, souligne le député Modem du Loiret. On voudrait faire croire que ceux qui défendraient le "bien commun" sont contre les entreprises… Non, non. »

    « Pas de dogmes sur ce sujet »

    Orphelin souligne ensuite qu’avec une telle modification constitutionnelle, Hulot « aurait pu aller plus loin » dans sa loi sur les hydrocarbures. Pour l’élu du Maine-et-Loire, ce sujet est si important qu’il « mérite la concorde ». Mais, preuve que son initiative n’est pas bien vue par son président de groupe, l’ancien d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) précise dans la foulée qu’il ne « représente personne ici » puis qu’il ne déposera pas d’amendements même s’il « soutient » l’initiative. A sa droite, François Ruffin (La France insoumise) et Pierre Dharréville (Parti communiste français) ont compris le message : les marcheurs n’ont aucun bon de sortie sur une modification constitutionnelle qui doit rester avant tout celle du président de la République. La scène ne trompe pas : lorsque les cinq députés sont ensemble sur l’estrade, Ruffin est tout à gauche, presque caché derrière une télé éteinte quand Orphelin s’est positionné tout à droite. Pour une photo de famille, il faut un cadre très large.

    Déjà remarqué pour avoir porté des amendements contre la souffrance animale dans le projet de loi alimentation ou avoir voté contre la transposition en droit français du secret des affaires, c’est finalement le Modem Richard Ramos, « prêt à faire évoluer [son] groupe », qui se montre le plus unitaire des députés invités : « Il n’est pas possible de dire qu’on est prêt à faire de la politique autrement et ensuite rester le doigt sur la couture du pantalon, dit-il. Sur ce sujet-là, il n’y a pas de dogmes de groupes. On a tous à la fin un vote de conscience. » S’invitant une dernière fois au micro, le communiste Pierre Dharréville s’autorise une – légère – interpellation de ses homologues de la majorité : « Est-ce que l’initiative proposée aujourd’hui va dans le sens de ce qui se fait depuis un an ? » interroge faussement l’élu des Bouches-du-Rhône pour qui les lois adoptées depuis le début du quinquennat sont en contradiction avec la protection des « biens communs » souhaitée par cette initiative parlementaire. A voir si, en commission des lois la semaine prochaine, les « travaux pratiques » annoncés par Potier ce mardi trouveront d’autres oreilles marcheuses attentives. Pas sûr.

    #Communs #Constitution