Poétique du texte macroniste

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  • À propos de l’opération « Mondes nouveaux » (de la culture et des arts), Par Valérie Duponchelle (Le Figaro, 09/11/2021)
    https://www.lefigaro.fr/arts-expositions/avec-les-mondes-nouveaux-macron-relance-la-commande-publique-aux-artistes-2

    NOUS Y ÉTIONS - Le président de la République a reçu lundi soir les artistes et le monde de l’art pour annoncer ce vaste programme chiffré à 30 millions d’euros qui doit soutenir 264 projets.

    Devant l’Élysée, quelque 200 nouveaux venus, ou presque, font patiemment la queue pour montrer patte blanche, soit invitation et passe sanitaire. Ils sont très majoritairement jeunes, rieurs, avec toute une panoplie de coupes asymétriques et de coiffures déstructurées qui respirent les beaux-arts et la créativité débridée. En ce lundi 8 novembre, à 18h30, ils attendent de pénétrer dans le sanctuaire de la République dont ils sont soudain les héros.

    Sous peu, le président de la République les recevra en personne et lancera devant ce public, beaucoup plus jeune que d’habitude, le programme « Mondes Nouveaux », nouveau titre pour parler de la fort concrète commande publique (l’enveloppe globale est de 30 millions d’euros !). Sur les 3200 candidats prétendant à cette manne de l’État, quelque 264 projets ont été choisis, ce qui, compte tenu des 85 collectifs, représente déjà près de 430 personnes.

    Dans les 600 m2 de la Salle des fêtes de l’Élysée, construite par l’architecte Eugène Debressenne et inaugurée par le président Sadi Carnot pour l’Exposition Universelle de 1889, ils ne semblent pas si nombreux, manifestement plus surpris et intrigués qu’intimidés sous l’extraordinaire plafond Napoléon III. Les saluts se font par légers coups de poing, comme les « bros » des films Downtown Los Angeles. Un arc de chaises à dos précieux a été disposé face à l’estrade présidentielle, derrière des cordons gris et or.

    Elles sont réservées aux éminences du jour. (…)

    Aucun des artistes, toutes disciplines confondues, ne sait quel argent il aura. L’enveloppe globale du budget laisse entendre une moyenne de 100 000 euros par projet, ce qu’un habitué des projets fous, Stefano Stoll, 47 ans, le fondateur du festival Vevey Images, trouve « copieux et propice à la créativité ». Mais aucuns chiffres pour l’instant ne dépassent le premier seuil des bourses de recherches (de 3000€ à 10 000€, pendant trois mois au maximum). D’argent, il ne sera d’ailleurs ce soir guère question. Mais bien plus de principes vitaux, d’art, de son sens, de sa nécessité et de son avenir.

    À 19h 25, le président de la République fait son entrée solennelle, suivi de Bernard Blistène, président de ce comité artistique déterminant pour toutes ces carrières en herbes (« 50 des 264 projets vont très vite entrer en chantier », dira-t-il). Emmanuel Macron s’assoit au premier rang, à peine d’ailleurs, comme un danseur prêt à bondir. (…)

    Tendu comme un agrégatif, Bernard Blistène a rappelé le défi d’une mission que lui a confiée le président Macron en mars dernier : « Les derniers mois passés ont permis d’étudier quelque 3200 dossiers que nous avons reçus : c’est dire la ferveur et l’attente de toutes celles et tous ceux qui ont voulu répondre à l’Appel à manifestation d’intérêt – l’AMI : les acronymes sont parfois bienvenus ! – que le Ministère de la Culture a lancé dès le mois de juin dernier. Et ce sont donc 264 propositions que nous avons sélectionnées pour leur singularité, leur originalité, leur ambition. 264 propositions de créateurs et créatrices venus de tous horizons géographiques et artistiques car il ne pouvait être question de cantonner notre approche à un seul espace, une seule discipline, tant la création vivante se constitue en une formidable heuristique. »

    (…) Le troisième discours est philosophe, cite Derrida, évite de comparer les candidats perdus au Salon des Refusés, et après une vraie dissertation toute en paradoxes se conclut sur une chute légèrement emphatique : « Criez, créez ou crevez. » Dans la salle, l’atmosphère est proche du paroxysme des sentiments, la réalité est une chose très lointaine qui n’atteint plus personne. Lorsque le président de la République prend enfin la parole, à 19h 46, il est l’heure d’y revenir doucement, mais sûrement. Son propos est plus rationnel, ses considérations plus teintées de réserve. Il s’agit d’expliquer le pourquoi du comment, cette enveloppe de 30 millions d’euros attribuée à la commande publique, même si c’est une « réinvention collective d’un vieil usage français ».

    « Durant tout le début de l’épidémie, au moment même où cette idée avait jailli, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais on parlait beaucoup du ’’monde d’après’’. On disait : ’’on va réinventer le monde d’après.’’ Il se peut qu’on soit dans le monde d’après et il ressemble quand même furieusement au monde d’avant, avec des contraintes supplémentaires, les mêmes choses qu’on n’avait pas tellement envie de revoir dans le monde d’avant, mais qui sont toujours là, têtues. Le monde d’après, je crois, n’existe pas totalement, souligne-t-il avec le pragmatisme du politique.

    « Je ne sais pas si les mondes nouveaux existent non plus totalement (...). Mais au fond, je ne sais pas s’il est possible d’avoir des mondes nouveaux, mais il est en tout cas souhaitable d’avoir des femmes et des hommes suffisamment fous pour le rêver. Ce qui rend le monde actuel insupportable, c’est de ne plus avoir à espérer un monde nouveau ou de penser que le souhaitable est le monde ancien, ou plutôt une idée fantasmée du monde ancien, ou plutôt le rêve d’un monde ancien qui n’a jamais été, mais apparaît comme plus étriqué et rassurant que le monde dans lequel on vit. Donc il y a quelque chose de formidablement intempestif dans votre aventure. Je pense qu’elle n’est pas possible, mais terriblement nécessaire, parce que je pense qu’on a besoin d’artistes qui aident à penser chaque jour qu’un monde nouveau est réalisable. Et il adviendra. » Face aux jeunes artistes qui le filment sur leurs téléphones, le président a livré un discours de campagne assurément.

    Où va la littérature ? Elle va vers Macron, par @artemis1 ici présente
    https://diacritik.com/2021/11/15/ou-va-la-litterature-elle-va-vers-macron

    (…) Au passage, aucune adresse ou intérêt particulier en direction une population spécifique et vulnérable (les Roms, les paysans, les pêcheurs, les immigrés, les migrants, les femmes aux foyers, les femmes battues, les enfants…) : ça ne sera pas franchement non plus de l’enquête de terrain à visée sociale et documentaire à la façon de Walker Evans et Dorothea Lange, ou James Agee, non, cela tournera autour du patrimoine national et/ou naturel français. Ils étaient 20 photographes en 1935, sous Roosevelt, à avoir été missionnés par le Département de l’agriculture des États-Unis pour documenter la crise mais n’est pas Roosevelt qui veut… Cet appel d’offre à visée patrimoniale, cela s’appelle de la récupération de l’air du temps en mode transformation académico-républicaine : on reprend les slogans, on les émousse et on en fait du petit lait. Voilà comment on récupère avec aisance l’écologie, le vivant, les paysages, la nature, la mer, les forêts, le ciel, les fleuves, le littoral, les animaux, les poissons, voilà comment on siphonne la nature, voilà comment on transforme les non-humains en porte-paroles républicains et même élyséens. Il paraît que c’est toujours comme ça, qu’il y a toujours une part de siphonage technique dans l’intérêt et le rapport construit à la nature, oui, mais pour servir qui ?

    Lire aussi Sandra Lucbert qui repartage cet entretien avec Ballast « j’ai essayé d’y déplier les mécanismes qui produisent pareil enrôlement des champs littéraires et artistiques » https://www.revue-ballast.fr/sandra-lucbert-lart-peut-participer-a-la-guerre-de-position