Après des mois de malaise au sein de la station et la démission de sa directrice, accusée de management brutal, les résultats de l’enquête interne à France Culture ont été communiqués aux salariés. Ils sont édifiants.
« Management très vertical », « brutal », « autoritaire voire autoritariste », « comportements et modes relationnels déviants voire parfois violents de la part de la directrice », « manque de reconnaissance », « logique de boucs émissaires »… Les termes de l’enquête interne diligentée à France Culture, et dont les résultats viennent d’être communiqués aux salariés, sont sans appel. « On était tous émus, c’était assez touchant », raconte à Télérama, sous couvert d’anonymat, un journaliste qui a participé ce jeudi, plus de deux heures durant, à l’une des séances de restitution (dont nous avons pu écouter un enregistrement). « I l y a du très lourd, on est surpris de la largeur et de la profondeur du diagnostic. Les membres des ressources humaines sont tombés de leur chaise », confie un employé. « Ça nous a fait du bien », résume une salariée, soulagée de voir officiellement établi ce que sa chaîne traversait depuis plusieurs années.
Après l’enquête publiée par Libération en septembre, révélant des années de souffrance et de non-dits au sein de la station des savoirs, la direction du groupe public n’avait eu d’autre choix que de commander un audit, confié à un cabinet extérieur indépendant. « Le mot important de ce rapport est le mot peur, voire le mot terreur. C’est cette peur qui a empêché pendant des années les salariés de parler en interne », glisse Renaud Dalmar, élu CFDT.
Au total, 174 personnes se sont exprimées entre octobre et novembre, la plupart rue de l’Assomption, à Paris, au « confessionnal », comme certains l’ont rebaptisé, dans un ancien couvent qui sert également de lieu de réunion. Soit 280 heures d’entretiens, pour dire leur profond « attachement » à l’entreprise, mais surtout témoigner du climat délétère en son sein. « La plupart ont fait preuve de pertinence et de nuance dans des témoignages qui ont paru sincères, a tenu à préciser face aux employés l’un des consultants du cabinet Alcens, qui a conduit les entretiens en question. Nous avons constaté une absence d’esprit vindicatif de la part des personnes qui sont venues nous voir ». « Tout cela a corroboré de façon très précise et analytique ce qui avait été raconté dans la presse », note un producteur de la chaîne, présent lors de la restitution.
“80 % des salariés reconnaissent éprouver un sentiment de peur.”
« C’est un management par la peur qui a fini par faire système », a résumé le consultant, précisant avoir rarement vu une telle situation, où plus de « 80 % des salariés reconnaissent éprouver un sentiment de peur », et où l’écrasante majorité d’entre eux « n’aurait pas ou plus confiance dans la direction ». Sandrine Treiner, qui dirigeait France Culture depuis 2015, n’a d’ailleurs pas attendu les conclusions de l’enquête pour quitter son poste : elle a préféré prendre les devants le 24 janvier dernier. « Il va de soi que j’ai fait des erreurs, je suis désolée », avait-elle écrit dans son message d’adieu aux équipes, insistant sur ses résultats et des audiences en hausse (1,7 million d’auditeurs par jour). Le cabinet a cependant rappelé que les bons chiffres de la station avaient été obtenus non pas grâce au système instauré par Sandrine Treiner, mais malgré lui.
Concernant la dirigeante, le consultant relate que « pour la quasi totalité des personnes rencontrées, il y a ce constat qu’elle a une réelle passion pour France Culture, on lui reconnaît une vision, une intuition éditoriale (...) ; en revanche elle a un rapport au travail qui inquiète, avec une forme d’inconditionnalité, un déni de fatigue, pour elle mais aussi pour les autres. Il y a l’idée [pour elle] que le travail ne peut pas ou ne doit pas être un lieu de plaisir, où les choses se passent trop bien ».
« Le rapport indique qu’il y a eu à la fois des dysfonctionnements managériaux, comme une hypercentralisation des décisions, un manque de retours sur le travail, le sentiment de décisions arbitraires, et aussi des déviances relationnelles qui viennent de la personnalité de l’ancienne directrice, comme du dénigrement, une forme de brutalité dans le mode d’expression, des relations professionnelles teintées d’affect », reconnaît une source proche de la direction, pointant « l’effet amplificateur de la grève en 2019 puis de la crise du Covid, qui a vu s’accentuer l’hypercentralisation. » Les chiffres égrenés devant les employés surprennent : 31 d’entre eux ont affirmé souffrir de « troubles physiologiques », « de troubles du sommeil », « de burn out »…
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Quelles seront les suites données à un tel rapport ? Devant les salariés, la direction des ressources humaines a dit « assumer la totalité du diagnostic ». Un plan d’action et un comité de suivi vont être mis en place. La présidence de Radio France cherche la perle rare pour reprendre les rênes de la station : Florian Delorme, ex-producteur de Cultures monde, continuera d’assurer l’intérim de la direction, probablement jusqu’en juin. « J’essaie d’être à l’écoute : 80 % du management, c’est de l’écoute », nous disait-il fin janvier. La journaliste Cécile Bidault vient de rejoindre son équipe comme conseillère aux programmes. Au-delà des problèmes managériaux, la radio publique continue d’affronter des problèmes structurels, comme la précarité de ses troupes – les producteurs notamment étant, chaque saison, employés en CDD. L’ex-patronne de la chaîne Sandrine Treiner compte toujours, pour le moment, parmi les effectifs de Radio France. Des discussions concernant son départ du groupe seraient en cours.