• Michel Butel : un autre journalisme était possible
    http://next.liberation.fr/culture/2018/07/27/michel-butel-un-autre-journalisme-etait-possible_1669194

    S’il obtint le prix Médicis 1977 pour l’Autre amour, vingt ans avant de publier l’Autre Livre, Michel Butel, qui vient de mourir à 77 ans, fut surtout journaliste. Et pas tant journaliste qu’« autre » journaliste. Il se voulait « inventeur » de journaux et sa plus grande réussite fut L’Autre Journal, créé en 1984, qui parut comme mensuel en 1985, puis comme hebdomadaire à partir de 1986, puis qui s’interrompit, redevint mensuel et mourut dans des secousses post-guerre du Golfe durant l’hiver 1992. L’Autre Journal fut un magazine comme aucun autre, parlant poésie et politique, politiquement de la poésie, poétiquement de la politique. Marguerite Duras, Gilles Deleuze et Hervé Guibert en furent des collaborateurs réguliers.

    Un éditorial de Michel Butel était aussi comme aucun autre. Pour annoncer en 1986 le changement de rythme de parution : « Hebdomadaires ? Nous ne faisons rien que bouger à peine, juste un pas de côté. Il ne faut pas prendre cela trop au sérieux. Quelque chose comme une poussière dispersée dans les poumons nous gênait, nous cherchons simplement de l’air. Nos phrases et nos pensées, cette respiration contrariée les affectait. Nous opérons un léger déplacement, peut-être que la situation générale s’en trouvera plus heureuse. »

    C’est dans cet Autre Journal hebdomadaire que paraissent en 1986 les entretiens que Marguerite Duras eut avec François Mitterrand entre juillet 1985 et avril 1986, que Gallimard publiera vingt ans plus tard sous le titre le Bureau de poste de la rue Dupin et autres entretiens. Ce bureau de poste de la rue Dupin fait référence à la Résistance pendant laquelle les deux personnalités se sont connues mais Marguerite Duras, fidèle à elle-même, pouvait aborder des sujets de moindre envergure qui n’étaient pas forcément ceux qu’une autre personne aurait choisis en se retrouvant en face du président de la République de l’époque. L’entretien du 12 mars 1986 débute ainsi, dans la bouche de l’écrivain : « Il y a un petit scandale en ce moment à Paris : c’est le service d’enlèvement d’autos, les fourrières. Ce sont des entreprises privées qui ont pour fonction d’enlever les voitures qui gênent. Ils se conduisent comme des malfaiteurs. Ils sont payés à la pièce. Ils enlèvent des autos qui ne gênent personne, c’est l’arbitraire complet. On dirait que c’est fait exprès pour rendre les gens fous. » En réponse, François Mitterrand avoue, ou prétend, ne pas maîtriser entièrement la question.

    Né à Tarbes le 19 septembre 1940, Michel Butel avait passé deux ans, de 12 à 14 ans, à la clinique psychopédagogique de Saint-Maximin (Oise). « J’étais vraiment fou », dit-il à Libération qui fait son portrait le 31 janvier 2011. Il participera autour de Félix Guattari à la création de la clinique de La Borde, tentera de lancer avec Bernard-Henri Lévy l’Imprévu en 1975 mais le quotidien n’aura que quelques parutions et les deux hommes ne s’entendront pas comme larrons en foire. En 2011, il tâche de faire paraître un nouveau périodique qui s’arrêtera en 2013 à cause de la santé de son créateur qui aura toujours souffert d’un asthme sévère. Il expliqua à Libération pourquoi il l’avait appelé l’Impossible : parce que « tout ce qui est possible se consume ».

    Mathieu Lindon

    #Michel_Butel #RIP

    • cc @gresh qui va se souvenir d’un formidable déjeuner avec Butel, Alice qui manque était là aussi, accompagné de Jean, et Butel nous racontait son journalisme, histoire de rêver un peu à des temps révolus. Et dire qu’on a failli faire un truc avec lui, puis pour je ne sais quelle raison, ça n’a pas marché. Un peu loin de Paris et du travail et du bureau, mais ce soir un peu nostalgique.

    • L’écrivain et homme de presse #Michel_Butel est mort ce 26 juillet 2018 à l’âge de 77 ans. Célèbre notamment pour avoir fondé et dirigé de 1984 à 1993 un titre marquant, L’Autre journal, il s’entretenait en 2012 avec Alain Veinstein au moment de la sortie d’une nouvelle aventure journalistique, L’Impossible.-
      https://www.franceculture.fr/emissions/du-jour-au-lendemain/michel-butel-un-journal-est-dembl%C3%A9e-politique-lie-aussi-au-sortil

      On me renvoie toujours à cela. L’Autre journal, je l’ai inventé, je ne m’en cache pas puisque je le dis même avec peut-être trop de gloriole à certains moments, je l’ai vraiment conçu, comme L’Impossible. J’ai imaginé une maquette, un contenu, des rubriques. Mais c’était facile : je ne pensais pratiquement qu’à ça depuis que j’avais 4 ou 5 ans, vraiment. Mais pour l’âme même du journal, je ne l’aurais jamais fait, je ne pouvais pas le faire sans celles et ceux qui m’ont rejoint. Et les discordes, y compris extraordinairement violentes, je ne vois pas comment elles ne le seraient pas si il y a de la sincérité et de la loyauté, ces discordes ne contreviennent en rien, en rien en la perpétuation des sentiments d’origine.

      https://www.franceculture.fr/histoire/quand-michel-butel-duras-et-mitterrand-sous-leurs-voix-ecoutez-bien-le

    • Triste monde - Joffrin est vivant, Butel est mort par Jean-Baptiste Bernard dans De l’autre côté du papier @cqfd
      http://cqfd-journal.org/Triste-monde-Joffrin-est-vivant

      Il y a quatre jours, affairé à préparer un proche déménagement, je me suis retrouvé à trier de vieux carnets de notes, vestiges d’anciens papiers ou interviews n’ayant jamais été menés à bout. Parmi ceux-ci, les mots saisis sur le vif d’un entretien (pour feu Article11) avec l’ami Michel Butel, six ans en arrière. Je m’en souviens très bien, il faisait chaud, Paris à l’été 2012, on se trouvait à la terrasse d’une brasserie près de République à causer de la presse pas pareille. L’Impossible, étrange et bel ovni papier, qui n’a finalement déployé ses petites ailes [1] en kiosques qu’une année avant de baisser le rideau, avait sorti son premier numéro quelques mois avant. Et on (c’est-à-dire Lémi et moi) avait décidé de mettre son fondateur et animateur sur le grill, avec l’idée de le faire parler du « modèle économique » des canards alternatifs et des coûts de distribution.

      Ouhlà. Grossière erreur. L’argent, ce n’était pas son truc, à Michel. Mais alors, pas du tout. Ce jour-là, il était parti dans tous les sens, répondant succinctement aux questions avant de s’emballer sur tout autre chose, sautant du coq à l’âne pour mieux éviter le cœur du sujet. Résultat : un entretien foutraque, mêlant vagues considérations économiques et classieuses fulgurances sur la poésie, la littérature et la presse pas pareille. L’une de ces interviews qui ne voit finalement jamais le jour sur papier, faute de réelle colonne vertébrale – difficile d’ordonner à l’écrit ce feu d’artifices oral tous azimuts. Et depuis, donc, mes notes prenaient la poussière dans un carton, au milieu d’autres articles décédés avant terme. Ça arrive. Ça n’avait d’ailleurs rien d’une surprise : amis avec Michel depuis un an ou deux, on savait fort bien qu’il préférait mille fois s’emballer sur la beauté des mots et des choses que de rentrer dans le détail du fragile équilibre financier des publications (plus ou moins) marginales.

      En vrai, il n’était pas fait pour vendre des revues. Non, lui, sa came, c’était d’en faire. Des foutrement classes. Surprenantes. Inattendues. Des publications comme des bras d’honneur à l’ordre comptable du monde et à la pesanteur matérielle des choses. Si elles ont parfois connu un certain succès (voire un succès certain dans le cas de la première mouture du mythique Autre Journal, au milieu des années 1980), c’est presque à la manière d’un accident de parcours. Fortuitement. C’est qu’elles étaient pensées pour être belles et bravaches, sûrement pas pour équilibrer recettes et dépenses (ainsi des 200 pages sur papier glacé de L’Autre Journal, au coût d’impression pas piqué des hannetons). Des revues à l’image de leur fondateur, poète agité et passionné qui se souciait comme d’une guigne des fins de mois – à tel point que certain.e.s de ses amis et admirateurs avaient mis en place un versement automatique mensuel, chacun.e donnant un petit peu pour lui permettre de vivre et créer en toute liberté.

      De toute façon, Michel n’était pas homme à se laisser abattre par les contingences matérielles. Non plus qu’à céder aux coups de boutoir que lui infligeait son propre corps - ce salopard. On l’a toujours connu malade. Un asthme sévère, moult problèmes respiratoires et plein de complications plus ou moins graves. Il avait souvent la respiration sifflante, s’arrêtait parfois de causer pour s’enfiler deux grandes bouffées de Ventoline, rougissait s’il parlait trop longtemps, presque suffoquant, et se fatiguait vite. Mais peu importe, il gardait envers le monde le même enthousiasme et la même curiosité. Et toujours, une putain de gentillesse chevillée à ce corps fatigué. Là où tant d’autres auraient succombé à l’amertume et à la lassitude causés par la pesanteur de la maladie et des nombreux passages aux urgences, lui continuait à foncer droit devant, hardi, un cerveau qui turbine à fond, vingt idées à la minute et autant de digressions.

      Alors forcément, il n’était pas toujours facile à suivre. Parfois, on perdait le fil. Mais jamais longtemps, parce qu’il avait ce truc pour te récupérer par la manche quand tu pensais t’être égaré dans ses tirades bondissantes et aléatoires. Tu n’y étais plus, et boum d’un coup, entre trois salves de postillons et deux gorgées de rosé, tu y étais à nouveau, à la fois noyé et enthousiasmé par le flot des mots et l’ivresse du discours. Homme d’un autre temps, sans qu’on sache lequel, Michel naviguait toujours entre deux eaux, à la fois ancré dans le monde et totalement ailleurs. Les pieds sur terre et un peu à l’ouest. Il me faisait penser à la description que donne Hunter S. Thompson de son avocat samoan, l’azimuté Oscar Zeta Acosta, dans Las Vegas Parano : « Prototype personnel de Dieu, mutant à l’énergie dense jamais conçu pour la production en série. Il était le dernier d’une espèce : trop bizarre pour vivre, mais trop rare pour mourir... »

      Bah finalement, non – pas trop rare pour mourir. Michel a passé l’arme à gauche jeudi [2]. Et moi, comme un con, j’ai jeté les notes de l’entretien trois jours avant. C’est déjà assez triste comme ça (même si je l’avais perdu de vue depuis trois ans), alors je n’aimerais pas penser qu’il y a un lien de cause à effet. S’il y a bien une chose à ne pas faire avec les mots d’un poète insurgé, c’est de les mettre à la poubelle. Et s’il y a bien une chose que ne devait pas faire Michel Butel, c’est de mourir. Putain de sacrilège.

      http://cqfd-journal.org/De-l-autre-cote-du-papier
      #cqfd

  • Lolita : c’est pas sa faute à elle ? - Culture / Next
    http://next.liberation.fr/culture/2018/07/20/lolita-c-est-pas-sa-faute-a-elle_1667837

    Lolita : c’est pas sa faute à elle ?
    Par Mathieu Lindon — 20 juillet 2018 à 17:06
    Tous les samedis, « Libération » part à la rencontre de grands tordus de la littérature. Cette semaine, exploration de la personnalité - scandaleuse ? - de la célèbre allumeuse du roman de Vladimir Nabokov.

    L’humour est-il un vice ? En tout cas, l’atmosphère créée par Vladimir Nabokov dans Lolita amène à se poser des questions inattendues : est-ce une perversion d’être une adolescente ? Et d’être (ou de ne pas être) un Américain ? Et d’être un écrivain ? Dans un texte de 1957 intitulé A propos d’un livre intitulé « Lolita » et qui accompagne désormais le roman paru deux ans plus tôt, Nabokov se défend de manière joyeusement dépravée de toute dépravation. « Certes, il est tout à fait vrai que mon roman contient diverses allusions aux pulsions physiologiques d’un pervers. Mais, après tout, nous ne sommes pas des enfants, ni des délinquants juvéniles analphabètes, encore moins ces élèves de public schools anglaises qui, après une nuit de frasques homosexuelles, se voient paradoxalement contraints de lire les Anciens dans des versions expurgées. »

    Et Lolita non plus n’est pas vraiment une enfant, puisque c’est une adolescente. Avec une hypocrisie exquise, Nabokov prétend que le seul reproche qui le touche envers son roman est celui d’« antiaméricanisme » alors que la critique de son pays de résidence est une évidence de chaque ligne. Chacun sa stratégie. « Quant à moi, j’étais aussi naïf que peut l’être un pervers », prétend Humbert Humbert, narrateur dont on ne peut pas prendre la moindre phrase pour argent comptant mais dont le déroulé de Lolita prouvera malheureusement pour lui la relative vérité de celle-ci.
    « LE MOT JUSTE EST INCESTE »

    Qu’est-ce qui rend Lolita si perverse ? C’est si mal habiter la place de victime. Ce « petit démon fatal », ainsi que Humbert Humbert définit la « nymphette », serait une allumeuse à qui la vulgarité offrirait un charme supplémentaire. Voici un des exemples de la candeur du pervers : il croit détourner une mineure et c’est elle qui détourne un majeur après l’autre. La nymphette est double, un être diabolique dont le chasseur est persuadé de l’innocence. C’est aussi une « vilaine petite garce » quand elle refuse d’aller jusqu’au bout des volontés de son maître autoproclamé. Dans ces conditions, quoi de plus légitime pour Humbert Humbert, du moins à ses propres yeux vicieux, que de recourir au chantage et aux « gratifications financières » ? Il n’arriverait à rien sinon.

    Pour qui s’est éveillé aux charmes des nymphettes, il n’y a plus de choix sur cette Terre. « Le plus terne de mes rêves pollutifs était mille fois plus éblouissant que tous les adultères que pourraient imaginer l’écrivain de génie le plus viril ou l’impuissant le plus talentueux. » Humbert Humbert, en tant que criminel sexuel, est en phase avec l’opinion publique qui juge sévèrement cette race de prévenus : la récidive viendra forcément (sur l’âge du consentement - il est vrai qu’il donne à ces mots un sens plus passif qu’actif -, on le trouve en revanche en farouche opposition avec les partisans de son rehaussement). Que pèse « cette chose fade et pitoyable : une belle femme » face à sa fille ? Le problème moral, selon ce narrateur dont le caractère pervers éclate aux yeux de tous les lecteurs (et a fortiori de toutes les lectrices), est que, dans ce chantage qu’il met si difficilement en place, Lolita, pourtant mentalement « horriblement conventionnelle », tire son épingle du jeu. Pas autant qu’elle le souhaiterait, mais enfin, si elle cède, c’est que c’est ce qui lui est le plus bénéfique.

    Après la mort de sa mère, la perspective de passer sa jeunesse en maison de redressement si elle est trop peu réceptive a tout pour lui fermer la bouche et lui détendre les cuisses. Quand Humbert Humbert a du mal à définir décemment leur relation à tous deux, Lolita l’interrompt : « Le mot juste est inceste. » Or on n’est plus à l’époque de Phèdre et d’Hippolyte, le violeur présumé pourrait arguer qu’aucun lien du sang ne les relie. D’autant qu’il n’a jamais pu profiter de la virginité de la gamine, malgré qu’il en ait, il est venu trop tard dans un monde trop vieux. Et puis quand l’adolescente le quitte, c’est pour un autre homme qui aurait toujours l’âge d’être son père. Si ce n’est pas de la perversion, ça : s’il s’agit de se mettre illégalement en couple avec un adulte, pourquoi un autre que lui ?

    Voilà ce qui, pour Humbert Humbert, est impardonnable chez Lolita : elle n’a été sensible au vice avec lui ni dans un sens ni dans l’autre, ni excitée ni scandalisée. Lorsque, la nymphette devenue femme et mère, la vérité de la relation apparaît enfin, c’est le comble de l’humiliation pour le séducteur pervers. « Dans ses yeux d’un gris délavé curieusement habillés de lunettes, notre misérable idylle se refléta un instant, fut méditée et écartée comme une surprise-partie terne, un pique-nique pluvieux auquel seuls étaient venus les raseurs les plus assommants, comme un pensum, comme une légère pellicule de boue séchée recouvrant son enfance. » Violée par un emmerdeur, quelle humiliation aussi pour une perverse adolescente à qui il est devenu évident « que la plus misérable des vies de famille était préférable à cette parodie d’inceste ».
    STRATÉGIE PLEINE DE VICE

    Rappelons que le roman se présente comme un document, le plaidoyer écrit par Humbert Humbert pour son procès (qui n’aura pas lieu pour cause d’infarctus du myocarde) étant censément reçu par un psychiatre qui s’en explique dans un « avant-propos » de fiction. Ce qu’avançait pour sa défense le pédophile jaloux devenu assassin relevait d’une stratégie juridiquement contestable, pleine de vice, et pas seulement envers la procédure. « Mesdames et Messieurs les jurés, la majorité des pervers sexuels qui brûlent d’avoir avec une gamine quelque relation physique palpitante capable de les faire gémir de plaisir, sans aller nécessairement jusqu’au coït, sont des individus insignifiants, inadéquats, passifs, timorés, qui demandent seulement à la société de leur permettre de poursuivre leurs activités pratiquement innocentes, prétendument aberrantes, de se livrer en toute intimité à leurs petites perversions sexuelles brûlantes et moites sans que la police et la société leur tombent dessus. Nous ne sommes pas des monstres sexuels ! Nous ne violons pas comme le font ces braves soldats. »

    La vie de ces pervers serait infiniment plus simple si les nymphettes étaient plus ou moins contraintes à l’obéissance. Il ne serait plus question de viols et les pédophiles et la société ne s’en porteraient de concert que mieux. Quant aux gamines… Humbert Humbert est bien obligé de se rendre compte qu’il n’est pour Lolita « ni un petit ami, ni un bel Apollon, ni un copain, pas même un être humain, mais seulement deux yeux et un pied de muscle congestionné ». Dans ces conditions, ce serait un comble qu’elle se plaigne. Il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise.

    La perversion déborde de beaucoup les goûts sexuels d’Humbert Humbert, dont un crime fut peut-être d’avoir connu la vieille Europe, et s’attache à ses raisonnements. Heureusement, la société veille, il ne faudrait pas non plus que Lolita ait le vice de se prendre pour autre chose qu’une petite Américaine de rien. « Tant que l’on ne pourra pas me prouver […] que cela est sans conséquence aucune à très long terme qu’une enfant nord-américaine nommée Dolores Haze ait été privée de son enfance par un maniaque, tant qu’on ne pourra pas le prouver (et si on le peut, alors la vie n’est qu’une farce), je n’entrevois d’autre cure à mon tourment que le palliatif triste et très local de l’art verbal. » Et c’est pourquoi le narrateur écrit sa confession - le docteur Ray débute son avant-propos en disant que le titre initial du document rédigé par Humbert Humbert est « Lolita, ou la Confession d’un veuf de race blanche ». Et c’est pourquoi aussi Vladimir Nabokov, dont la responsabilité saute aux yeux dans toute cette affaire, écrit ce roman, le titre choisi par son personnage renvoyant à ce qu’il évoque dans son A propos de « Lolita » : qu’il y a trois thèmes « tabous » dans la littérature américaine, celui qu’il a traité, « un mariage entre un homme de couleur et une femme blanche qui se révèle être une totale et magnifique réussite et se solde par une ribambelle d’enfants et de petits-enfants ; et l’athée invétéré qui mène une existence heureuse et utile, et meurt dans son sommeil à l’âge de 106 ans ».
    « COPULATION DES CLICHÉS »

    Le vrai scandale de Lolita est de mettre à jour les croyances religieuses, matrimoniales, raciales et financières des Etats-Unis. Et aussi littéraires : il doit être difficile de pardonner à Vladimir Nabokov, toujours dans A propos de « Lolita », d’assassiner le roman policier, « un genre où, si l’on n’y prend garde, le lecteur risque de découvrir avec écœurement que le vrai meurtrier est l’originalité artistique », et de sodomiser sans précaution les textes pornographiques, où « l’action doit […] être limitée à la copulation des clichés ». Et tout cela avec une désinvolture apparente qui ne fait qu’augmenter le caractère destructeur de l’entreprise. D’autant que le narrateur ne se contente pas d’abuser d’une gamine et d’assassiner son amant, à la fin du roman il est prêt à mettre à bas les valeurs les plus essentielles de la patrie de l’automobile : « Maintenant que j’avais violé toutes les lois de l’humanité, je pouvais aussi bien ne pas tenir compte du code de la route. »

    #lolita #culture_du_viol #pedoviol #fraternité