Des turpitudes des dialectes bretons tiraillés par un statut social lié à une pression économique, des récupérations politiques et une actuelle complaisance administrative de façade. Comment et pourquoi parler breton au XXIème siècle ?
Reportage : Comment peut-on parler breton ? - CQFD, mensuel de critique et d’expérimentation sociales
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Ce lundi du mois d’avril, l’état de la soirée est déjà bien avancé au zinc du bar-tabac du bourg de Guerlesquin (Finistère). Quand on leur demande s’ils connaissent le breton, les piliers de comptoirs présents se confient volontiers. Tous le parlent et l’ont appris dans leur famille. « Mon grand frère s’est même enfui de l’école le premier jour, parce qu’il ne comprenait rien à ce qu’on lui disait. C’est ma sœur qui a dû le ramener par les oreilles », s’amuse un sexagénaire qui a travaillé toute sa vie chez Tilly, baron de l’industrie locale du poulet. « Moi, j’ai été élevé par des curés qui nous interdisaient le breton ! Faut voir comment, les vaches ! », explose Hervé, un quinquagénaire de la commune voisine de Loguivy-Plougras, fan de Francis Cabrel. Pour Olivier, un couvreur qui a grandi dans les années 1970 à Gourin, plus au sud, puis a exercé mille métiers dans la région parisienne, c’est moins le stigmate de la langue que le mépris social qu’il a eu à subir : « Arrivés au collège, on nous faisait sentir qu’on était des bouseux et que ça s’arrêtait là pour nous. Même quand j’étais gardien d’immeuble en banlieue, les jeunes m’appelaient “le plouc” ! », dit-il en souriant, sans ressentiment apparent.
Mis à la remorque du marketing « Produit en Bretagne », l’argument identitaire de façade fait taire des différences politiques fondamentales, les différences de classe ou les modifications de rapport de production. Le mouvement des bonnets rouges a été symptomatique de cette confusion, en cherchant à réunir un éventail très large de gens aux intérêts divers, voire antagonistes : entrepreneurs et prolétaires, routiers, militants anti-impôts, défenseurs du modèle productiviste agro-industriel, natios, stars de la musique néoceltique, gauchistes, etc.