UNE VOLONTE DE NE PAS CONDAMNER – Le blog de Christine Delphy

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  • Violences sexuelles : UNE VOLONTE DE NE PAS CONDAMNER – Le blog de Christine Delphy
    https://christinedelphy.wordpress.com/2018/07/23/violences-sexuelles-une-volonte-de-ne-pas-condamner

    A la rigueur, condamner un violeur multirécidiviste comme celui de la Sambre, parce que là, il y a vraiment trop de victimes. Mais condamner les violeurs incestueux, les violeurs conjugaux, etc., pas question. Finalement, ils ne trouvent pas ça si grave – il y a un fossé effarant entre la lettre du Code pénal et la réalité des condamnations. Seulement 1% de condamnations en Cour d’assise, ça montre bien qu’il y a une mauvaise volonté judiciaire absolue. 80% d’affaires classées sans suite – quand on voit les raisons de ces classements sans suite, on voit bien qu’il y a une volonté de ne pas suivre.

    Ce sont les enfants, et surtout les filles, qui sont de loin les principales victimes des violences sexuelles : on parle de 93 000 viols subis par les filles, il y a beaucoup plus de filles que de femmes qui sont violées. Et quand on parle de 81% de viols avant 18 ans, c’est 51% avant 11 ans et 21% avant 6 ans ! Et 50% ont lieu dans la famille. Ça, on en parle très peu : en ce qui concerne les violences sexuelles sur enfants, la famille, c’est le lieu le plus dangereux. Il n’y a pas de campagnes là-dessus, c’est comme si ça n’existait pas. Et de toute façon, les enfants appartiennent à leur famille, donc les parents auraient le droit de leur faire ce qu’ils veulent. Et il y a le cas des personnes très vulnérables, qui sont oubliées et presque jamais citées : les femmes handicapées subissent énormément de violences sexuelles, et pas seulement les plus jeunes, de même que les femmes qui présentent des troubles liés à l’autisme. Les derniers chiffres qui sont sortis pour les violences sexuelles sur ces femmes, c’est 90%. Toutes les formes de handicap mental sont concernées, toutes les femmes qui présentent des troubles développementaux tels qu’elles n’ont pas la capacité de comprendre ce qui se passe ni de pouvoir s’opposer – ce sont elles qui vont être agressées en priorité. Et ce qu’on ne dit pas suffisamment, c’est que le fait d’avoir subi des violences dans la petite enfance est un facteur extrêmement important de subir d’autres violences plus tard. Du fait de leur impact traumatique gravissime, du fait qu’elles sont souvent isolées, pas protégées, ces femmes vont subir de nouvelles violences tout au long de leur vie, sans que ça émeuve grand’monde. Il y a cette vision de la société : tant pis pour les plus vulnérables – c’est celles qu’il faudrait le plus protéger qu’on laisse tomber.

    F. S. : Vous citez ce chiffre : les filles qui ont été victimes d’agression dans leur enfance ont jusqu’à 25 fois plus de « chances » d’être victimes de violences « conjugales » à l’âge adulte.

    M. S. : 25 fois, c’est le ratio maximum, le chiffre moyen c’est 16 fois. Et inversement, les hommes qui ont subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance ont 14 fois plus de risques de commettre des violences plus tard. Il est donc doublement important de protéger les enfants, qui sont pourtant les grands oubliés des politiques publiques. J’ai écrit une lettre ouverte au Président de la République, qui m’a répondu ; j’ai écrit aussi une lettre ouverte à Agnès Buzyn pour l’alerter sur les violences et violences sexuelles sur enfants et les problèmes de Santé publique majeurs que ça représente. Comme le Président de la République lui a renvoyé ma lettre, là, elle m’a répondu en disant : « chère Madame » (et non pas « cher confrère, je suis médecin, elle est médecin, c’est déjà un peu particulier de ne pas prendre en compte mon statut de médecin). Et tout ce qu’elle a répondu, c’était essentiellement : « ne vous inquiétez pas, on fait ce qu’il faut ». J’ai d’ailleurs posté la lettre sur les réseaux sociaux. Tout démarre dans l’enfance, et on peut toujours essayer d’améliorer les droits des femmes, œuvrer pour les protéger un peu mieux des violences au travail – tout ce qu’on entend en ce moment – ça ne changera rien à la problématique, on aura toujours autant de violences si on ne les prend pas à la source.

    • @nepthys dans Touchez pas au grisbi qui est on ne peut plus misogyne (si je me souviens bien les femmes y ont des rôles d’inférieures merdiques avec des textes d’une ou deux phrases maximum) Jeanne Moreau se plaignait de Gabin qui avait pris plaisir à refaire la scène de la gifle hyper violente plusieurs fois.
      Mais ce film est toujours présenté comme un chef d’œuvre sans aucune mention de son virilisme.
      Et je ne trouve pas trace sur internet de critique de cette scène immonde. @le_cinema_est ?

    • Oui !
      Ce sont les petites manifestations quotidiennes de la domination masculine qu’il faut traquer et dénoncer, pas seulement l’anachronisme de la violence physique. La domination, qui passe par tous les canaux de la culture, des institutions et des comportements fonctionne toujours parce que les femmes ne questionnent pas encore assez cette intériorisation.
      Tant qu’une femme trouvera normal de ne pas transmettre son nom à ses enfants, tant qu’une mère hésitera à laisser son petit garçon porter une jupe ou jouer à la poupée, tant que personne ne relèvera que certains livres d’histoires des collèges nomment les exploratrices (quand ils acceptent de nommer ces invisibles !) par leur prénom dans le texte, mais les hommes par leur nom, tant que dans le contrat de vente d’une maison, la notaire trouvera normal de nommer la vendeuse « le vendeur » (vécu la semaine dernière), tant que dans une auto les femmes laisseront le volant à l’homme (amusez-vous à compter…), tant qu’elles croiront que faire l’amour avec un homme implique forcément la pénétration, tant qu’elles croiront ne pas être capable de se servir d’un marteau-piqueur, alors cette domination continuera de se nourrir de notre inconscient à toutes et à tous.

      #stéréotypes #domination_masculine #non_émancipation_féminine #devoir_de_révolte

    • @nepthys je ne suis plus d’accord avec ce discours qui rend responsables les femmes de ce qu’elles vivent comme les mères de l’éducation qu’elles donnent à leurs enfants.
      Je vis ça dans un groupe de logiciel libre formé à 97% d’hommes, où la plupart pensent ne pas avoir à se questionner du pourquoi il n’y a pas de femmes dans ce groupe. Leur réponse est que ce n’est pas un problème pour eux, que la solution ne peut venir que des femmes. Y’en a un peu marre de pointer du doigts les femmes alors qu’elles suffoquent et crèvent de cette domination masculine qui ne se remet jamais en question. Qui n’a besoin des femmes que pour toujours mieux leur taper dessus.

    • Je suis d’accord avec toi @touti surtout que le coté « tant qu’une femme fera si ou ca, on s’en sortira pas » me fait dire qu’on y arrivera jamais. Il y aura toujours des « femmes de droite » qui se satisfont des miettes que la société leur concède. Il y a moyen de retourné ce que tu dit @nepthys de manière moins injonctive pour les femmes. Par exemple : « Tant que des hommes trouveront normal de transmettre leur nom (et celui de tous les mâles de leur lignée qui ont opprimés et effacés toutes les femmes de leur lignés) aux enfants que des femmes ont portées ».

    • Mais, c’est l’histoire de la poule et de l’œuf. Ou commencer ? Qu’est-ce que la domination, sinon l’intériorisation de règles arbitraires que l’on prend pour naturelles, donc l’image à laquelle beaucoup de femmes se conforment inconsciemment faute d’avoir questionné cette « naturalité ». Les femmes qui acceptent cela, ce n’est de toute évidence pas toi @touti, ce n’est pas toi @mad meg, ce n’est pas moi, mais c’est probablement une majorité des femmes de 4 à 116 ans de cette terre, de droite ou de gauche, certainement plus de droite, probablement plutôt de nulle part, apolitiques et sages, ou apolitiques car épuisées, ou apolitiques car muselées. Si elles prennent conscience ne serait-ce que du mécanisme de la domination masculine ce sera bien plus efficace que d’attendre la même démarche de la part des hommes. Pourquoi un profiteur accepterait-il de changer les règles d’un jeu dont il tire profit ?
      Pour moi, et je le pratique, il est plus radical de commencer par soi-même et de refuser, au quotidien, des choses qui semblent mineures, voire ridicules, pour rompre cette logique. Et, aussi, de me questionner sans relâche sur mon propre conditionnement.
      C’est comme les quotas professionnels de femmes, oui, c’est indispensable à mes yeux, parce que 1. les femmes ont le droit d’être aussi incompétentes que les hommes et d’occuper pourtant des postes intéressants 2. un système aussi rodé que le système patriarcal a besoin d’être bousculé violemment dans un premier temps.
      La plupart des hommes trouveront toujours un tas d’arguments pour vouloir imposer leur propre nom aux enfants, mais ils ne le pourront qu’aussi longtemps que les femmes les écouteront et trouveront cela normal, elles aussi. Là est toute la perversion de la domination.
      C’est cette intériorisation que je dénonce. Je ne parlerai pas de responsabilité des femmes à propos de leur situation et à qui il incomberait d’en sortir par injonction. Les femmes sont tout simplement aussi conditionnées que les hommes dans cette histoire, et il me semble contre-productif de le nier. Je vois, au contraire, dans la prise de conscience par elles-mêmes de ce conditionnement un petit levier pour changer la donne.
      J’ai élevé mes quatre filles d’une certaine façon, j’ai cherché à leur transmettre ce que j’avais compris de la situation historique des femmes aujourd’hui et c’est moi seule qui ai décidé de leur éducation. En cela, oui, je suis responsable de mes choix d’éducation comme de tous mes autres choix, je ne suis pas responsable de la situation défavorable dans laquelle je me trouve en tant que femme, mais de ce que je choisis de faire contre, de mes actes d’insubordination, de ma lutte. C’est souvent lourd, c’est éreintant, cela me nuit parfois. Mais, même si je ne gagne pas toujours, je suis maîtresse de ma démarche. J’ai ce pouvoir, car je me le donne.
      Attendre des hommes qu’ils se libèrent eux-mêmes de leur carcan, c’est, comme dit, encore plus difficile (bien que je connaisse des hommes qui essaient sincèrement). Mais on ne va pas les prendre par la main. Si, face à eux, il y a des femmes qui ne jouent plus le jeu de la domination - et il y en a de plus en plus - ce sera toujours ça le grain de sable dans le système.

    • C’est pas attendre, plutot exigé. Ce que tu dit n’est pas faux @nepthys mais @touti et moi avons choisi de ne pas ajouté d’injonctions ou de pression aux femmes. Par exemple lorsque tu dit que : « Les femmes qui acceptent cela, ce n’est de toute évidence pas toi @touti, ce n’est pas toi @mad meg, ce n’est pas moi, mais c’est probablement une majorité des femmes de 4 à 116 ans de cette terre... »
      Je ne fait pas un sans faute par rapport à ton cahier des charges de la femme acceptable sur le plan féministe. Par exemple j’ai pas le permis de conduire et sur le partage des tâches j’ai pas toujours pu faire comme j’aurais souhaité de mon point de vue féministe, sans parlé de 1000 autres choses que je vais pas énuméré.... Il y a tellement de choses à faire, de domaine dans lesquels ca se passe que je suis toujours à un moment ou une autre une « mauvaise féministe ». Ce que tu dit met beaucoup de pression sur les femmes, catégorie dont je fait partie.
      Je sais que les hommes ne sont globalement pas près de bouger et que ca semble vain de s’adressé à eux, mais si on ne pointe pas leurs responsabilités ca ne risque pas d’arriver à leur cerveau. Ca me semble plus utile de les secoués eux et de leur faire entendre à eux mon/notre mécontentement, que de le faire aux femmes qui se mangent deja assez copieusement de la culpabilité.

    • Je vous comprends bien @mad_meg et @touti. Il y a plusieurs chemins qui mènent au même but, et c’est ça qui est appréciable et constructif : la diversité et les modèles alternatifs.
      Je me suis moi-même retiré beaucoup de la pression qui s’impose à quiconque lutte pour ses droits quand j’ai décidé d’inverser la donne, de ne pas me placer en situation de réaction par rapport à un état de fait, mais de me considérer comme maîtresse du jeu. Et pour cela, il a fallu que je prenne conscience de mon propre conditionnement. J’y ai mis du temps, avec des avancées, des reculs, des échecs, des victoires, mais un jour j’ai compris (je parle pour moi) que de me soustraire au conditionnement, que de me dés-approprier les réflexes qu’il induit, était la façon qui me convenait le mieux pour me libérer mentalement et oser, assurer et assumer mes actes parfois radicaux. C’est aussi ce que j’ai transmis à mes filles.
      Mon crédo est donc le suivant (et chacune a le sien) :
      1. Ne confondons pas violence et domination. Les deux principes, qui assoient le pouvoir exercé sur nous, marchent de paire et se conditionnent l’un l’autre, mais nous ne pouvons pas nous en défendre de la même manière : à la violence on répond avec les armes (lutte politique pour la justice et l’égalité, concertation, information, contre-violence (oui !)..). A la domination on ne peut répondre que par le noyautage des subtils mécanismes à l’œuvre.
      2. Sortons du discours chrétien de la culpabilité. Bien sûr, on nous inculque depuis que nous sommes petites qu’il y a quelque chose qui cloche avec nous, que notre comportement ne sera jamais le bon et qu’il y aura toujours faute (merci Eve et Adam) : lutter pour nos droits nous rendrait donc doublement coupables. Voilà un bel exemple de domination culturelle. Changeons de perspective, plaçons-nous dans le champ de la psychologie et non de la morale. J’ai moi-même mis des décennies à me débarrasser de ce travers. Ma subversion est à présent une démarche positive : je ne me sens pas acculée à faire tout le travail d’émancipation seule parce que je serais de genre féminin, mais parce qu’être de ce genre-là est une chance, que je l’assume, que je le mets en avant, que c’est immensément gratifiant pour moi, que je me sens forte et libre dans ma tête. A moins d’une idéologie (mais pourquoi pas), le libre-arbitre se constitue par confrontation, opposition et dépassement de notre conditionnement culturel.
      3. La prise de conscience par les femmes de leur propre conditionnement me semble tactiquement aussi nécessaire qu’une guerre frontale, en tout cas, le b.a.-ba pour faire table rase de notre automutilation mentale.
      4. Travailler sur soi-même, c’est ce que nous demandons aux hommes. Ne lâchons jamais prise, le chantier est trop vaste et les risques de régressions sont trop nombreux. Mais si nous travaillons sur nous-mêmes, nous obtiendrons deux émancipations au carré.
      Je ne me considère pas comme une « bonne féministe » (attention, jugement de valeur), je me considère comme une être humaine.
      En conjuguant nos démarches, en apprenant les unes des autres, nous irons beaucoup plus vite.

      #sororité

    • @nepthys Je ne dit pas que tu te considère comme une « bonne féministe ». Par contre ton énumération de départ m’apparait comme des exemple de mauvais comportements pointés seulement en direction des femmes pour dire qu’elles ne sont pas assez bonnes féministes. « Tant qu’une femme trouvera normal de ... » est une tournure quant même assez moralisante.

      Je suis toute à fait d’accord avec toi pour l’importance de la sororité et de la conjugaison des démarches, c’est pour cette sororité que @touti et moi n’aimons pas faire de reproche aux femmes et préférons mettre la pression sur la classe des hommes et c’est aussi dans l’idée de conjugaison de nos démarches qu’on t’a répondu pour te faire partagé nos choix radicaux et inhabituel (puisque l’habitude est porter la faute sur Eve, Lafâme, les femmes ca serait pas mal que du coté des féministes on en remette pas une couche). Il n’y a pas de désaccord sur le fond entre nous, nous sommes féministes.

    • Tu es courageuse, @touti, de partager ton expérience personnelle de la violence quotidienne faite aux femmes. C’est absolument révoltant. Nous avons toutes subi cette violence à des degrés divers et elle est inadmissible, sous quelque forme que ce soit.
      De nos expériences, chacune retient les aspects pour lesquels elle choisit de s’engager. Moi, j’ai été sensibilisée très jeune aux questions du conditionnement. Quand dans les années 1980, j’ai voulu présenter en cours de philo au lycée Du côté des petites filles (1973) d’Elena Belotti, ma prof a estimé que le sujet datait trop… Depuis, j’ai accumulé les expériences qui me montrent que le sujet ne date vraiment pas. Les stéréotypes sont là, plus subtils parfois, mais tout aussi prégnants, intériorisés selon le même mécanisme. Le détricotage de ce conditionnement des femmes autant que des hommes est le combat qui m’intéresse. Ce qui n’enlève rien à mes autres formes de lutte et de soutien.
      Oui, courage à toutes !
      #conditionnement

  • Violences sexuelles : UNE VOLONTE DE NE PAS CONDAMNER – Le blog de Christine Delphy

    La docteure Muriel Salmona, psychiatre psychothérapeute spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences, est également chercheuse et formatrice en psychotraumatologie et Présidente de l’association « Mémoire traumatique et victimologie ». Elle est l’auteure de « Le livre noir des violences sexuelles », « Violences sexuelles, les 40 questions-réponses incontournables », « Violences conjugales et famille », « Châtiments corporels et violences éducatives. Pourquoi il faut les interdire en 20 questions-réponses » et de nombreux articles sur les violences intra-familiales, conjugales et sexuelles et la protection et la prise en charge des victimes. Elle a lancé avec son association la campagne « Stop au déni » pour lutter contre la « culture du viol » et l’abandon dans lequel sont laissées les victimes de violences.

    https://christinedelphy.wordpress.com/2018/07/23/violences-sexuelles-une-volonte-de-ne-pas-condamner
    #violences_sexuelles #Christine_Delphy #metoo