Le baiser de la mort ou la main tendue des Occidentaux à la Syrie ?
François Burgat pour Catherine Gouëset l’Express
Comment accorder crédit aux invocations vertueuses de ces Etats-Unis dont le Plan Condor a soutenu les pires tortionnaires d’Amérique latine avant de livrer à Saddam Hussein le gaz destiné à leur ennemi iranien ? Comment croire à la vocation démocratique de ces Européens qui boycottent les urnes arabes chaque fois que les vainqueurs ne leur plaisent pas ?
Au coeur de tous les malentendus que manifeste la lamentable “complotite” qui paralyse aujourd’hui la solidarité internationale à l’égard de l’opposition syrienne, il y a le fait que des diplomaties occidentales au lourd passé de cynisme impérialiste ont compris, après le désaveu des révoltes tunisienne et égyptienne, les limites tactiques du soutien aveugle qu’elles apportaient à des régimes autoritaires déchus. Et qu’elles ont décidé de “changer”, au moins partiellement, leur fusil d’épaule.
Mais l’Europe et les Etats-Unis ont au Proche-Orient un tel passif d’illégitimité qu’il est devenu difficile à quiconque n’est pas directement sous le feu de la répression assadienne de croire qu’ils puissent s’être rangés aujourd’hui “du bon côté de l’histoire”, dans un camp que leurs adversaires de toujours devraient, en s’affichant même ponctuellement à leurs côtés, accepter eux aussi de soutenir.
Une large partie des opinions, arabes et occidentales, particulièrement à gauche, échoue ainsi à accepter l’idée que ce n’est pas parce que des forces politiques considérées, à juste titre, comme illégitimes à “défendre la démocratie”, se décident aujourd’hui à affaiblir militairement un régime tortionnaire, que la révolte des victimes de ce régime devient ipso facto illégitime. Et qu’il faut croire la propagande de tous ceux qui la combatte. L’effort demandé aux gauches est d’autant plus exigeant qu’il leur paraît de surcroit, à mi chemin entre la propagande assadiste et une donnée incompressible du paysage arabe, se faire au bénéfice de ces forces islamistes qui les ont, ici et là, distancé dans toutes les urnes de la région, les renvoyant à l’indicible tentation de l’alliance avec ces militaires qui disent vouloir “sauver la révolution”.
Le paradoxe du soutien des occidentaux à l’opposition syrienne est d’autant plus criant que celle ci n’en a vu pour l’heure que les épines : contrairement à l’effort russe, iranien ou libanais, efficacement concentré sur le maintien de l’écrasante supériorité militaire du régime, l’appui occidental à l’opposition syrienne est plus verbal qu’effectif. Jalonné d’une longue série d’’atermoiements, fait de promesses incertaines soumises à des exigences irréalistes (Etes vous vraiment tous laïques ?) il est demeuré ainsi jusqu’à ce jour plus proche du baiser de la mort que de la main salvatrice.
C’est ce bilan terriblement contradictoire que pourrait changer demain, si difficiles à réunir soient les conditions de sa reconnaissance par le droit international, un soutien plus concret à la lutte des opposants de toutes tendances pour mettre un terme à une catastrophe politique et humanitaire qui n’a que trop duré.