#MeToo et la libération de la parole chez les religieuses

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    • « Mon silence blesse ma conscience. Nous avons plus de 23 sœurs qui, en un an, ont été renvoyées de la congrégation car elles ont été abusées sexuellement, il y a eu un abus d’autorité. » Le 24 juillet, sur le plateau de la TVN, la chaîne de télévision nationale du Chili, sœur Yolanda Tondreaux et cinq religieuses de la congrégation du Bon samaritain ont dénoncé la série d’abus sexuels commis par les prêtres qui rendaient visite à leur communauté de Molina, rattachée au diocèse chilien de Talca.

      De l’autre côté de l’Atlantique, c’est une autre religieuse qui brise le silence, vingt ans après son agression. Dans un article d’Associated Press publié le 28 juillet, une sœur italienne raconte l’abus sexuel dont elle a été victime alors qu’elle se confessait auprès d’un prêtre à Bologne. « Cela a ouvert une blessure en moi, raconte-t-elle. J’ai fait comme si rien ne s’était produit. » Le 29 juin, en Inde, une sœur indienne a porté plainte pour viol et plusieurs agressions sexuelles contre un évêque du diocèse de Jalhandar qui, pour sa part, nie les faits.
      Depuis quelques mois, des cas d’abus commis par des membres du clergé sur des religieuses émergent de tous les continents. La libération de la parole due au mouvement #MeToo, né dans le sillage de l’affaire Weinstein en octobre 2017, se répandrait dans les ordres. Ces religieuses témoignent aussi de l’inaction et du silence de l’Église face à des pratiques qui seraient connues depuis une vingtaine d’années.

      À la fin des années 1990, des rapports avaient été présentés au Vatican. Parmi eux, celui de la sœur Maura O’Donohue, médecin et coordinatrice pour le sida au sein du Fonds catholique de développement outre-mer de la Caritas. Elle avait réalisé un sondage auprès de religieuses dans 23 pays en 1994. Elle y dénonçait, au milieu d’autres situations tragiques, les viols commis par des prêtres sur des religieuses, considérées comme des partenaires « sûres », dans les pays gravement atteints par l’épidémie de sida. Ces enquêtes devaient rester privées, mais le journal américain National Catholic Reporter les avait mises en ligne en 2001.

      #viol #catholicisme

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      La révolte des nonnes au Kerala
      https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2018/09/21/la-revolte-des-nonnes-au-kerala_5358317_4497186.html

      Les religieuses de la Congrégation des missionnaires de Jésus-Christ dénoncent l’inertie de l’Eglise et des autorités face aux accusations de viols d’une congréganiste par un évêque.

      Samedi 8 septembre, cinq religieuses vêtues de robes marron et coiffées d’un voile se sont installées sur une place de Kochi (Inde), dans l’Etat du Kerala, avec des pancartes sur les genoux et un micro.

      Jusqu’alors, personne n’avait voulu les entendre. Ni les responsables politiques, ni les médias, ni les autorités ecclésiastiques indiennes, et encore moins le Vatican. Alors depuis deux semaines, les cinq nonnes de la Congrégation des missionnaires de Jésus-Christ se relaient pour dénoncer l’inertie de l’Eglise et des autorités indiennes après les accusations de viol d’une congréganiste à l’encontre d’un évêque.
      « Nous nous battrons à l’intérieur de l’Eglise et de la congrégation. Nos supérieurs ont coupé tous les liens avec nous dès le moment où nous les avons questionnés. Mais nous continuerons à nous battre. » sœur Anupama

      Une religieuse de 44 ans accuse l’évêque Franco Mullackal de treize agressions sexuelles, entre 2014 et 2016. Après avoir alerté sa hiérarchie à plusieurs reprises, en vain, elle a finalement décidé de porter plainte, fin juin. La police a attendu près d’un mois et demi avant d’interroger le prélat qui est à la tête de la congrégation, basée à Jalandhar, dans l’Etat du Pendjab. Un délai inhabituellement long.
      Un geste de colère inouï en Inde

      L’évêque a finalement donné, le 16 septembre, sa démission temporaire au pape François pour se consacrer à sa défense, après avoir rejeté les accusations. Il a été arrêté et inculpé pour « viol », vendredi 22 septembre.

      La congrégation, de son côté, accuse la religieuse d’avoir « enfreint la discipline » de sa communauté et d’« avoir eu une liaison avec un chauffeur de taxi ».
      Monseigneur Franco Mullackal (en blanc), évêque de Jalandhar, est escorté par la police, près de Kochi, dans l’Etat du Kérala, le 21 septembre.

      Ce scandale éclate quelques semaines seulement après la publication, en août, d’une lettre du pape François dans laquelle ce dernier exprime « la honte et la repentance » de l’Eglise concernant les abus sexuels commis par des membres du clergé, et la passivité des responsables qui les ont couverts.

      Lire aussi : Violences sexuelles : le pape François condamne, les victimes demandent des actes

      « Nous nous battrons à l’intérieur de l’Eglise et de la congrégation, a déclaré la sœur Anupama, l’une des cinq religieuses à l’initiative du sit-in. Nos supérieurs ont coupé tous les liens avec nous dès le moment où nous les avons questionnés. Même les prêtres ont cessé de venir au couvent pour célébrer la messe. Mais nous continuerons à nous battre. »

      Ce geste de colère est inouï dans un pays où les nonnes n’ont pas l’habitude d’organiser des protestations, encore moins de dénoncer les agressions sexuelles. L’audace des cinq religieuses a pris de court le pays tout entier et, au fil des jours, le mouvement de soutien s’est amplifié. Des poètes, des acteurs de cinéma, des associations de résidents, des syndicats étudiants, de toutes les confessions, les ont rejointes sur le square de Kochi. « C’est le combat d’une religieuse sans argent ni pouvoir ni influence contre la puissante Eglise », explique Shyju Antony, l’un des leaders du mouvement.
      Le silence des responsables politiques

      Seuls absents : les responsables politiques de tous bords. Sauf un, P. C. George, député régional indépendant, qui a qualifié la religieuse de « prostituée ». « Douze fois, elle y a pris plaisir, et la treizième fois c’est un viol ? Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte la première fois ? », a-t-il déclaré à la presse locale.

      Dans un Etat où les chrétiens forment près de 19 % de la population, les partis hésitent à critiquer l’Eglise, y compris les communistes au pouvoir dans l’Etat du Kerala : « Même eux sont sous l’influence de l’Eglise », maugrée Shyju Antony.

      Des catholiques se sont pourtant mobilisés. Le père Augustine Vattoli, de l’Eglise catholique syro-malabare, a fondé le mouvement Save Our Sisters (SOS, Sauvez nos sœurs) pour venir en aide à la victime présumée de viols. « Bien sûr que ce scandale entache la réputation de l’Eglise, mais nous espérons qu’il va réveiller les consciences, explique-t-il. Le silence de l’Eglise est insupportable. »

      Sur le site d’informations India Currents, le prêtre capucin Suresh Mathew a également dénoncé en août les conditions de vie des religieuses. « En Inde, les nonnes de nombreuses congrégations ne sont pas autorisées à utiliser leur téléphone portable ou à envoyer des e-mails pour être en contact avec leurs proches », écrit-il, ajoutant qu’elles doivent « utiliser des vêtements pendant leurs règles car les serviettes hygiéniques sont interdites. »

      Par crainte que la révolte des sœurs ne se propage, plusieurs congrégations, dont celle de la mère du Carmel, ont demandé à leurs nonnes de ne surtout pas prendre part au débat, y compris sur Whatsapp ou sur les réseaux sociaux.