• « Le Nigeria est mieux préparé que nous aux épidémies » , Entretien avec l’historien Guillaume Lachenal, 20 avril 2020
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/200420/le-nigeria-est-mieux-prepare-que-nous-aux-epidemies?onglet=full

    Leçons à tirer des façons dont le Sud fait face aux épidémies, approche sécuritaire des virus, relations entre le médical et le politique, logiques sous-jacentes à la « médecine de tri »…

    Guillaume Lachenal est historien des sciences, chercheur au Medialab de Sciences-Po. Ses principales recherches portent sur l’histoire et l’anthropologie des épidémies, de la médecine et de la santé publique dans les contextes coloniaux et post-coloniaux d’Afrique. Il a notamment publié Le Médicament qui devait sauver l’Afrique (La Découverte, 2014, traduction anglaise The Lomidine files, Johns Hopkins University Press, 2017) et Le Médecin qui voulut être roi (Seuil, 2017).

    Qu’est-ce que les épidémies vécues récemment par les pays du Sud peuvent nous apprendre sur ce qui se passe aujourd’hui ?

    Guillaume Lachenal : Comme le disaient déjà les anthropologues Jean et John Comaroff, la théorie sociale vient désormais du Sud, parce que les pays du Sud ont expérimenté, avec vingt ou vingt-cinq ans d’avance, les politiques d’austérité sous des formes radicales. Le néolibéralisme précoce s’est déployé au Sud, notamment dans les politiques de santé. Il est à l’arrière-plan des épidémies de sida et d’Ebola.

    On découvre aujourd’hui le besoin d’une grille de compréhension qui parte des questions de pénurie, de rareté, de rupture de stocks qui se trouvent être au cœur de l’anthropologie de la santé dans les pays du Sud. On parle aujourd’hui beaucoup de mondialisation, de flux et de la façon dont le virus a épousé ces mouvements, mais observée d’Afrique et des pays du Sud, la mondialisation est une histoire qui ressemble à ce qu’on voit aujourd’hui : des frontières fermées, des avions qu’on ne peut pas prendre, des mobilités impossibles.
    Jusqu’au début des années 2000, en Afrique, l’épidémie de sida, c’est une histoire de médicaments qu’on n’arrive pas à obtenir, qu’on fait passer dans des valises au marché noir… Durant la grande épidémie d’Ebola de 2014, les structures de santé ont été dépassées pour des raisons matérielles élémentaires : manque de personnel, pénurie de matériel…

    Il existe donc, au Sud, tout un corpus d’expériences riche d’enseignements, comme le soulignait récemment l’historien Jean-Paul Gaudillière. Comme Ebola, le Covid est à maints égards une maladie du soin, qui touche en premier lieu les structures de santé, mais aussi les relations de prises en charge domestiques. Surtout, le Sud nous montre comment on a voulu mobiliser une approche sécuritaire des épidémies, au moment même où on négligeait les systèmes de santé.

    Toute l’histoire de la santé publique dans ces pays rappelle pourtant qu’il ne suffit pas d’applications pour monitorer le virus et de drones pour envoyer les médicaments ; que ces modes de gouvernement sont de peu d’efficacité face à une épidémie. On peut tenter de transposer, ici, cette critique d’une gouvernementalité spectaculaire qui produit seulement une fiction de préparation.

    Il y a trois ans, la conférence de Munich sur la sécurité avait été inaugurée par Bill Gates qui affirmait que la menace principale pour le monde était de nature épidémique et pas sécuritaire. Depuis quinze ans, tous les livres blancs de la Défense mettent les épidémies tout en haut de l’agenda. Et nous sommes pourtant dépassés quand elle arrive. Cette contradiction n’est en réalité qu’apparente. Parce que nous avons en réalité confié cette question sanitaire à une logique de start-up, d’innovation et de philanthropie, dans laquelle la politique sécuritaire des États consiste d’abord à mettre en scène sa capacité à intervenir, à simuler son aptitude à gouverner, mais sans véritable moyen de le faire.

    L’anthropologue et médecin Paul Farmer, qui avait été notamment l’envoyé spécial des Nations unies à Haïti après le séisme en 2009, rappelait à propos du fiasco de la réponse à Ebola, en 2014, que la réponse à une épidémie, c’est avant tout « staff and stuff » , des gens et des choses. La France se prend aujourd’hui en pleine figure le manque de masques, de matériels et de tests, et expose ainsi l’hiatus profond entre un débat public expliquant qu’il faut tester davantage, se protéger davantage, et la matérialité de la situation, avec le manque de réactifs, l’incapacité de produire suffisamment de masques, mais aussi l’absence de personnels de santé publique capables de faire le suivi des cas.

    Actuellement, ce n’est pas d’idées, de stratégies, de perspectives critiques que l’on manque… On manque de choses. Les questions les plus intéressantes aujourd’hui sont logistiques et il est sans doute plus intéressant de parler à un brancardier de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis ou à un livreur de Franprix qu’à n’importe quel chercheur. La question centrale, aujourd’hui, c’est l’épidémiologie sociale : comment le virus s’engouffre dans les failles de nos sociétés : les inégalités, les conditions de vie, les différences d’exposition du fait du travail, et toutes les comorbidités qui aggravent la maladie, comme on le voit avec les disparités raciales aux États-Unis, ou le cas de la Seine-Saint-Denis, ici.

    Avec une certaine ironie, on constate que des pays comme le Cameroun ou le Nigeria sont mieux préparés car ils disposent de ce qu’on appelle des agents de santé communautaire ( Community Health Workers ) qui sont des gens peu formés – ce ne sont pas des infirmiers – mais qui sont des sortes d’aides-soignants de santé publique, qui s’occupent des campagnes de vaccination, mais aussi de surveillance épidémiologique, et qui s’avèrent très utiles pour faire le suivi des cas, et des contacts des personnes infectées. C’est un savoir social que ne peut faire la police ou un smartphone.

    Au moment d’Ebola, quelques cas se sont déclarés à Lagos, au Nigeria, et on a craint le pire dans une métropole comme celle-ci, avec un virus aussi mortel. Mais en réalité, le pays a pu s’appuyer sur ces personnes très bien implantées dans les quartiers et les communautés, qui devaient déjà faire face à une épidémie de polio, et ont donc su tracer les contacts, isoler les malades, et réussi à éteindre l’épidémie. Cette success story africaine rappelle que la principale réponse aux épidémies est une réponse humaine, qu’on a complètement négligée ici, où personne ne viendra frapper à notre porte, et où rares sont les quartiers organisés en « communautés ».

    Vous avez coordonné, en 2014, une publication sur la « médecine de tri », dont on saisit aujourd’hui l’ampleur. Pourquoi jugez-vous qu’il s’agit du paradigme de la médecine de notre temps ?

    Ces pratiques de tri qu’on découvre aujourd’hui dans le débat public sont routinières en médecine. Elles sont violentes pour les soignants, difficiles éthiquement, insupportables philosophiquement, mais elles sont aussi nécessaires. On ne peut pas bien soigner les gens sans choisir où faire porter ses efforts. Et ces pratiques de tri sur critères médicaux sont aussi un moyen de traiter les gens de manière égalitaire, au sens où ce ne sera pas seulement celui qui paie le plus qui aura le droit à un ventilateur par exemple.
    Cela dit, ce tri se fait parce qu’il existe un écart entre des ressources rares et les besoins des patients. Or, cette rareté peut aussi être produite, en raison par exemple de la politique d’austérité qui frappe les systèmes de santé. Il est donc important d’avoir un débat sur la production de cette rareté, par exemple au sujet de la réduction du nombre de lits. Mais ce qui produit de la rareté, c’est aussi l’innovation médicale en tant que telle. La dialyse, le respirateur, la réanimation soulèvent de nouvelles questions d’accès et de tri, qui ne se posent pas dans de nombreux pays du Sud où quasiment personne n’y a accès.

    Comment définissez-vous la « santé globale » ? Et pourquoi dites-vous qu’il s’agit du « stade Dubaï » de la santé publique, en faisant référence à la façon dont le sociologue Mike Davis faisait de Dubaï l’emblème du capitalisme avancé ?

    Depuis le milieu des années 1990, les questions de sécurité sanitaire et de biosécurité ont pris de plus en plus de place sur l’agenda. Les réponses très verticales à des épidémies comme celle de VIH ont été motivées avant tout par des préoccupations sécuritaires, notamment d’un point de vue américain, avec l’idée qu’il ne fallait pas les laisser hors de contrôle.

    Ce tournant sécuritaire a coïncidé avec un tournant néolibéral, notamment dans le Sud, où on a contraint les États à diminuer les dépenses de santé publique, et à avoir recours à la philanthropie, ou à développer des infrastructures privées. Lors de mes enquêtes en Afrique par exemple, j’ai pu constater que la santé publique n’était plus qu’un souvenir, dont les personnes âgées parlaient souvent avec nostalgie, comme d’une époque où on pouvait obtenir des médicaments et se faire soigner gratuitement. À partir de la fin des années 1990, tout devient payant et on passe à une approche beaucoup plus minimaliste et sécuritaire de l’intervention de l’État en matière de santé.

    Ce moment qu’on désigne comme celui de « Global Health » , de santé mondiale, est caractérisé, dans le Sud, à la fois par un retrait des États et par un boom du financement global, assuré en particulier par la fondation Gates et les grandes banques de développement dont la banque mondiale, qui mettent en place des infrastructures de santé, le plus souvent avec des partenariats public-privé.

    Pour le dire schématiquement, vous avez des dispensaires qui tombent en ruine et des hôpitaux champignons tout neufs qui poussent parfois juste à côté, construits par les Indiens ou les Chinois, et financés par les banques de développement. Pour les habitants, ces institutions sont le plus souvent des mirages, parce qu’ils sont payants, ou, au sens propre, parce que construire un hôpital, même en envoyant des médecins indiens comme on l’a vu par exemple au Congo, n’est pas très utile quand on manque d’eau, d’électricité, de médicaments…
    D’où la référence à Mike Davis. Ces infrastructures sont des coquilles de verre impressionnantes mais qui demeurent des énigmes pour les habitants, et favorisent toute une épidémiologie populaire qui s’interroge sur ce qu’on a pris ici pour financer cela là, sur l’économie extractive qui a permis la construction de tel ou tel hôpital.

    Cette épidémiologie populaire désigne la façon dont les populations confrontées à des épidémies de type VIH-sida ou Ebola les inscrivent dans des économies politiques globales et des formes vernaculaires de compréhension, et relient les épidémies à des interrogations sur le sens de la maladie.

    C’est comme cela qu’on entend que le sida a été envoyé par tel politicien soucieux de se venger de tel ou tel village, ou Ebola par MSF pour pouvoir prélever des organes sur les cadavres… C’est aussi comme ça qu’on relie telle maladie, comme l’ulcère de Buruli, avec une transformation du paysage, avec tel ou tel changement environnemental. Évidemment tout n’est pas vrai, loin de là, mais dire que l’Afrique est dégradée par une économie extractive, c’est banalement exact.

    L’utopie du docteur David, que vous avez étudiée dans Le Médecin qui voulut être roi , d’un monde dont l’organisation serait entièrement déterminée par la médecine est-elle en train de se réaliser ?

    L’histoire coloniale est riche d’enseignements car on y voit des médecins coloniaux qui, à l’instar du docteur David, peuvent enfin vivre leur rêve d’avoir les rênes du pouvoir et d’appliquer leur science à toute la société. Pendant la guerre, le docteur David possède ainsi un pouvoir absolu sur toute une partie du Cameroun. Il profite de ses pleins pouvoirs en tant que médecin pour lutter contre les épidémies. Mais ce qui est instructif, c’est qu’il découvre son impuissance et il n’arrive pas à changer grand-chose au destin des maladies, car il ne comprend pas la société locale, car il n’a pas tous les leviers d’action qu’il croit posséder en ayant pourtant à la fois la science médicale et le pouvoir politique.
    Il peut être intéressant de jouer du parallèle, car l’utopie qui donnerait tout le pouvoir aux médecins, et travaille toute la santé publique et la biopolitique, n’a jamais été vraiment mise en place, mais demeure à l’état de rêve et de projet politiques – Foucault parlait du « rêve politique de la peste » . Ce qu’on traverse en ce moment, c’est à la fois l’apparence d’une toute-puissance biopolitique, mais aussi l’impuissance fondamentale de tout cela, parce que la réalité ne coïncide pas avec le projet. Ce n’est pas parce que les citoyens ne respectent pas le confinement, au contraire, mais parce que les autorités, notamment municipales, improvisent et imposent une théorie du confinement qui est loin d’être fondée sur une preuve épidémiologique.

    Les derniers arrêtés municipaux, c’est le Gendarme de Saint-Tropez derrière les joggeurs ! Rien ne dit aujourd’hui que le virus s’est beaucoup transmis dans les parcs, et une approche de santé publique rationnelle, qui arbitrerait coûts, sur la santé mentale et les enfants notamment, et bénéfices, imposerait plutôt de les rouvrir au plus vite, avec des règles adaptées – comme en Allemagne par exemple. Comme à l’époque coloniale, on a plutôt l’impression d’une biopolitique qui ne calcule pas grand-chose, et dont la priorité reste en fait d’éprouver sa capacité à maintenir l’ordre.

    Dans un texte publié mi-février, vous affirmiez à propos de l’épidémie qui débutait alors, qu’il s’agissait d’un « phénomène sans message » et qu’il fallait « se méfier de cette volonté d’interpréter ce que le coronavirus “révèle” » . Vous situez-vous toujours sur cette position deux mois plus tard ?

    Je maintiens cette position d’hygiène mentale et d’hygiène publique qui me paraît importante. Sans vouloir jeter la pierre à quiconque, toute une industrie du commentaire s’est mise en place et on se demande aujourd’hui ce que le coronavirus ne « révèle » pas.

    En tant qu’enseignant qui se trouvait être en train de faire un cours sur l’histoire des épidémies lorsque celle-ci est apparue, je me méfiais de l’ennui qu’on peut ressentir à enseigner cette histoire si on s’en tient aux invariants : le commencement anodin, le déni, la panique, l’impuissance, les digues morales qui sautent, les tentatives plus ou moins rationnelles pour comprendre et contrôler, et puis la vague qui se retire avec ses blessures…

    Dans ce contexte, la pensée de l’écrivain Susan Sontag a été ma boussole, en tout cas une position qu’il me semble nécessaire de considérer : il est possible que tout cela n’ait pas de sens. La chercheuse Paula Treichler avait, dans un article célèbre, évoqué « l’épidémie de significations » autour du sida. On se trouve dans une configuration similaire, avec tout un tas de théories du complot, le raoultisme, mais aussi des interprétations savantes qui ne font guère avancer les choses. Il me paraît ainsi intéressant de relever l’homologie entre les théories du complot et celles qui attribuent cela à Macron, à Buzyn ou à telle ou telle multinationale, et qui ont en commun d’exiger qu’il y ait une faute humaine à l’origine de ce qui arrive.
    Ce sont des choses qu’on a beaucoup vues dans des pays du Sud qui n’ont jamais cessé de connaître des épidémies secouant la société, qu’il s’agisse du sida en Haïti et en Afrique ou du virus Ebola. Ces théories jugées complotistes ne sont pas forcément irrationnelles ou inintéressantes politiquement. Pendant la dernière épidémie d’Ebola au Kivu congolais, on a accusé le pouvoir central, l’OMS ou certains politiciens locaux d’être derrière l’épidémie pour profiter de « l’Ebola business ».

    Des enquêtes journalistiques menées depuis, comme celle d’Emmanuel Freudenthal, ont effectivement montré l’ampleur de la structure de corruption mise en place autour de la réponse Ebola au Kivu, même si cela ne veut pas dire qu’elle avait été provoquée. L’épidémiologie populaire, comme on la désigne en anthropologie de la santé, est porteuse de diagnostics sociaux et politiques qui sont souvent au moins aussi intéressants que certains discours de sciences sociales qui cherchent à mettre du sens là où il n’y en a pas toujours.

    Le stade Dubaï de la santé publique
    La santé globale en Afrique entre passé et futur
    Guillaume Lachenal
    Dans Revue Tiers Monde 2013/3 (n°215), pages 53 à 71
    https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2013-3-page-53.htm

    Sans gendarme de Saint-tropez : Security agents killed more Nigerians in two weeks than Coronavirus
    https://seenthis.net/messages/845017

    Articles cités :

    Covid-19 et santé globale : la fin du grand partage ?, Jean-Paul Gaudillière
    https://aoc.media/analyse/2020/04/02/covid-19-et-sante-globale-la-fin-du-grand-partage
    est sous#paywall...

    Donner sens au sida, Guillaume Lachenal
    https://journals.openedition.org/gss/2867

    Bill Gates, « l’homme le plus généreux du monde », ne l’est pas tant que cela
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/110519/bill-gates-l-homme-le-plus-genereux-du-monde-ne-l-est-pas-tant-que-cela?on

    En RDC, la Riposte de l’OMS rattrapée par l’« Ebola business »
    https://www.liberation.fr/planete/2020/02/04/en-rdc-la-riposte-de-l-oms-rattrapee-par-l-ebola-business_1776970

    #Sud #histoire_des_sciences #anthropologie #Paul_Farmer #épidémies #santé_publique #tournant_sécuritaire #médecine #austérité #pénurie #maladie_du_soin #médecine_de_tri #médecin #sytèmes_de_santé #États #simulation #staff_and_stuff #épidémiologie_sociale #épidémiologie_populaire #agents_de_santé_communautaire #savoir_social #rareté #production_de_la_rareté #innovation_médicale #science #biopolitique #maintien_de_l'ordre #santé_communautaire #Nigeria #Afrique #politique_du_soin

  • « Les temps ont changé, il est devenu indéfendable » : dans un contexte post-#metoo, le malaise Gabriel Matzneff
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/12/23/les-temps-ont-change-il-est-devenu-indefendable-dans-un-contexte-post-metoo-


    Gabriel Matzneff en 2006. À droite, l’éditrice Vanessa Spingora. En haut, Bernard Pivot (en 1978), qui a reçu l’écrivain à six reprises dans son émission « Apostrophes ».
    Collage d’après les photos de Jean-Philippe Baltel/Sipa, Rue des Archives/Agip Jean-Francois Paga/Opale via Leemage. Collage de Jean-Baptiste Talbourdet Napoleone pour M Le magazine du Monde

    La parution du livre « Le Consentement » crée une secousse dans le monde littéraire. L’auteure Vanessa Springora y raconte sa relation traumatisante, à 14 ans, avec cet homme de trente-six ans son aîné, écrivain aux pratiques pédophiles assumées.

    le #paywall ne me permet pas de voir si Le Monde rappelle que Gabriel Matzneff a longtemps tenu une chronique hebdomadaire (dans mon souvenir, entièrement centrée sur sa personne) dans Le Monde des Livres.

    (et, je voudrais pas dire, mais à l’époque c’était déjà beaucoup plus que du malaise que m’inspirait ce bonhomme et ses œuvres…)

    • Puisque nous n’avons pas l’article en entier à cause du #paywall, on peut quand même bruler chaque lettre du titre.

      Comme si les crimes pouvaient s’absoudre dans le temps, que les faits n’existaient pas et n’avaient pas à voir avec un viol mais simplement à la définition morale d’une époque. Comme si il n’y avait pas eu de victimes avant et des prédateurs sexuels, toujours, pour profiter de leur position dominante sur des enfants et les violer en toute impunité.
      A cette époque certains se targuaient de leurs libertés basées sur la soumission sexuelles des autres, le monde de la politique et de la littérature, les #grands_hommes se congratulait et montrait comment détruire des personnes par le sexe pour maintenir leur position dominante.

      Oserait-on titrer la même chose avec Hitler ?

      « Les temps ont changé, il est devenu indéfendable »

    • L’article de Lacroix relate la courageuse intervention de #Denise_Bombardier chez #Pivot et comment elle fut agressée et ostracisée

      https://www.la-croix.com/Culture/Lecrivain-Gabriel-Matzneff-rattrape-passe-2019-12-25-1201068455

      Vanessa Springora rappelle, témoignage accablant sur les doctes errements des intellectuels, ce que fut aussi le « consentement » général. Tribune libre en 1977 à la une du Monde ; pétition signée par Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault, André Glucksmann, Jack Lang, Bernard Kouchner… Sans l’ombre depuis, chez les vivants, de l’expression d’un remords à l’égard des « victimes » de ce gourou de la pulsion pédophile, très en cour, défendu, au nom du style, par François Mitterrand.

      #livres
      Le Consentement, de Vanessa Springora. Grasset, 218 p., 18 €.

      Une vie sans peur et sans regret. Mémoires, de Denise Bombardier. Plon, 464 p., 21,90 €.

      A part ceux qui sont morts, tous les crevards de pédophiles cités plus haut se portent plutôt bien, la presse française leur déroule le tapis et ils ont toujours pignon sur rue.

    • La prestation de Matzneff et de Pivot dans la vidéo d’Apostrophes est insoutenable. Denise Bombardier très émue et très digne face à un porc…

      Denise Bombardier, dans Une vie sans peur et sans regret, Mémoires : […] Puis-je avouer que cette intervention fut l’une des rares où, dans ma vie, j’ai fait œuvre utile ? »

    • Ami de Matzneff, Philippe Sollers la qualifie publiquement de « mal baisée ». Dans Le Monde, Josyane Savigneau pourfend sa « sottise » et défend avec ardeur « l’homme qui aime l’amour ». Sur Twitter, ces jours-ci, elle le glorifie encore.

      Dans VSD, Jacques Lanzmann s’étonne que Matzneff n’ait pas « aligné la Bombardier d’une grande baffe en pleine figure ». À son retour au Québec, elle reçoit des lettres anonymes, des appels menaçants, sa maison est taguée, ses vitres cassées, ainsi qu’elle le raconte dans son autobiographie parue en février dernier. « Rétrospectivement, écrit Vanessa Springora, je m’aperçois du courage qu’il a fallu à cette auteure canadienne pour s’insurger, seule, contre la complaisance de toute une époque. »

      ici l’extrait de l’émission Denis Bombardier interviens à 1:43 mins
      https://www.dailymotion.com/video/x3ykex7

    • Même rhétorique, chez ce gros connard d’ardisson, il y a une quinzaine d’année.

      Interview biographie de Gabriel Matzneff - Archive INA - YouTube
      (je vous épargne le lien, c’est au début)

      Ardisson :

      mais vous ne croyez pas que la condamnation de la société envers vous est irrévocable ?

      matzneff (rigolard) :

      Mais non voyons, absolument pas, ça c’était au vingtième siècle, maintenant c’est le vingtième et unième siècle - c’était les années 90 où je me faisait insulter (...)

      et ensuite, de lui servir la soupe pendant un quart d’heure.

    • Mais il ne faudrait pas croire que c’est là le seul contexte où les médias préfèrent des formules qui ne contiennent pas « le mot en V » ; le même évitement peut être observé dans presque tous les contextes. Jane Gilmore, la féministe australienne à l’origine du projet ‘Fixed It’ [“rectification”], qui souligne en rouge les titres sexistes des journaux et publie une capture d’écran de sa version rectifiée avec la bulle « Allez-y » (nom de l’organe de presse), « je vous l’ai rectifié », est particulièrement au fait de l’utilisation médiatique permanente du mot « sexe » au lieu de « viol » dans les comptes-rendus d’affaires de viol, alors même que les médias pourraient tout à fait remplir leurs obligations légales de ne pas biaiser les procédures criminelles en procédant à une simple modification, en ajoutant « présumé » au mot « viol ». Comme le dit Gilmore, ce n’est pas ainsi qu’ils rendent compte d’autres crimes à propos desquels personne n’a encore été condamné. Si quelqu’un est accusé de voler une voiture, les médias ne se sentent pas obligés de le décrire comme étant simplement en train de « conduire une voiture », tant qu’un jury ne l’a pas condamné pour vol. Même si sa défense consiste à dire, « je conduisais avec la permission du propriétaire », des mots comme « voler » ou « dérober » ne seront pas complètement rejetés. Pour « violer », toutefois, les choses sont différentes.

      J’en suis venue à des conclusions semblables lors de ma recherche pour un article du TES [le Supplément Education du Times] sur le langage utilisé pour qualifier des agressions sexuelles commises à l’endroit d’enfants. Les articles que j’ai lus, surtout dans les cas concernant des adolescentes, faisaient preuve d’une résistance marquée envers l’utilisation du mot « viol » ou d’autres mots impliquant des sanctions pénales, comme « agression » ou « abus ».

      Par exemple, les enseignants qui avaient abusé de leur position d’autorité ont été très souvent considérés « comme ayant eu des relations sexuelles » avec les élèves adolescentes qu’ils avaient sollicitées ; parfois on disait qu’ils avaient eu « une liaison » ou « une aventure ». Le langage, en d’autres termes, était issu du registre généralement utilisé pour parler de sexe ou de relation amoureuse entre deux adultes consentants – même quand le professeur était un prédateur en série, agressant des élèves n’ayant pas plus de 13 ans, et cela même dans des articles après qu’il ait été condamné.

      Pourquoi les comptes-rendus des cas concernant des enfants sont-il si frileux quant à l’usage des termes « viol », « agression » ou « abus » ? Je me suis alors vraiment demandée si ce n’était pas parce qu’il ne s’agissait pas vraiment d’accusations de viol dans la plupart de ces cas (les atteintes contre les mineur·e·s sont désignées différemment, par exemple comme « relations sexuelles avec enfant »). Mais à la réflexion j’ai conclu que l’accusation n’était pas l’enjeu : l’évitement constaté était plus en rapport avec deux autres facteurs.

      L’un d’eux est la réticence à utiliser des mots impliquant la violence dans des cas où l’agresseur a usé de manipulation psychologique et affective plutôt que de force ou de menaces. C’est ainsi que beaucoup d’agresseurs d’enfants opèrent. Dans une émission télévisée récente au cours de laquelle j’ai entendu parler du cas de Larry Nassar, entraineur sportif qui a agressé sexuellement de centaines de filles pendant une vingtaine d’années, la journaliste Lindsey Smith (qui avec sa collègue Kate Wells a fait un reportage pour la radio publique du Michigan, et a poursuivi avec des récits des survivantes, dans le podcast primé “Believed”[« On vous croit »]), a expliqué que les raisons principales de l’impunité prolongée de Nassar était sa capacité a gagner la confiance à la fois de ses victimes, de leurs parents et de leurs entraineurs. Les professeurs qui agressent leurs élèves abusent de leur confiance ; peut-être, alors, n’est-il pas étonnant que dans les cas d’abus de pouvoir, des formules comme « ont eu un rapport sexuel / une relation / une aventure avec » ont été en toute logique préférées. En utilisant ce langage, toutefois, les médias ne font que reprendre l’éclairage déformé qui permet à cette forme d’abus de prospérer.

      Le second facteur est une tendance à nier ou à occulter le déséquilibre de pouvoir entre les hommes adultes et les adolescentes. Les termes « relations » ou « aventures » confirment implicitement ce que Jeffrey Epstein affirmait explicitement – à savoir que les adolescentes ne devraient pas être considérées comme des enfants vulnérables. Elles peuvent dans les faits être mineures, mais en réalité, elles sont sexuellement et socialement des adultes matures ; elles n’ont ni besoin ni envie d’être préservées des attentions sexuelles d’hommes plus âgés.

      Parfois le déni de la vulnérabilité des filles va encore plus loin, en les présentant comme plus puissantes, plus calculatrices et plus maîtresses d’elles-mêmes que les hommes qui les ont exploitées. Au tribunal, la faute est souvent rejetée sur la victime. Lors d’un procès en 2015, le juge a dit d’un professeur de 44 ans qui venait juste d’être inculpé pour abus de pouvoir sur une élève de 16 ans qu’il avait été « séduit » par une « fille intelligente et manipulatrice ». Une autre adolescente victime a été décrite comme une « allumeuse » cherchant à se venger.

      Ces descriptions d’hommes adultes comme étant les vraies victimes, pris au piège et manipulés par des adolescentes prédatrices, sont un bon exemple de ce que la philosophe Kate Manne appelle « virilo-empathie », la tendance socialisée et partagée de ressentir la souffrance d’un homme plus facilement et plus intensément que celle d’une femme, et de lui accorder, partout où c’est possible, le bénéfice du doute. Cette tendance fournit un autre motif de ne pas appeler « viol » les agissements de certains hommes : puisque tout le monde s’accorde pour reconnaître que le viol est un crime particulièrement odieux, on doit être très prudent avant de formuler une accusation aussi grave. On voit partout ce souci de ne pas briser la vie des hommes, depuis la réticence des juges à punir de jeunes hommes à l’avenir plein de promesses, jusqu’à la demande d’accorder aux accusés le même anonymat qu’aux victimes dans les affaires de viol. Bien qu’il y ait dans le monde un grand nombre d’hommes qui ont été accusés de viol et qui pourtant n’ont pas tout perdu, (pensez à Roman Polanski et Donald Trump), cela peut être encore une autre raison de la réticence des gens à utiliser le mot en V.

      La « virilo-empathie » peut influencer les mentalités par rapport au viol d’autres manières moins évidentes. Dans le courant du mois, la Juge des Tutelles a statué sur le cas d’un déficient mental qui voulait avoir des relations sexuelles, mais qui ne comprenait pas l’idée de consentement. Auparavant il avait eu une « conduite inappropriée » envers les femmes, et ses aidants, inquiets à l’idée qu’il puisse être arrêté pour des raisons qu’il était incapable de comprendre, avaient pris des mesures de prévention dans ce sens. La juge, toutefois, déclara que ces mesures portaient atteinte à ses droits fondamentaux. Il avait le droit, dit-elle, de « commettre les mêmes erreurs que n’importe quel être humain pourra commettre, ou commettra, dans le cours de sa vie ».

      Selon le commentaire de la juriste Ann Olivarius sur Twitter, la juge a semblé totalement indifférente aux répercussions de sa déclaration pour les femmes susceptibles d’être, selon les aidants, des victimes de cet homme. Elle a même minimisé les menaces qu’il faisait peser sur ces femmes en les reformulant dans un langage insipide et euphémisant. Parler des « fautes que tout être humain commet au cours d’une vie » suggère que le problème – la possibilité que nous puissions offenser ou humilier en faisant des avances mal venues et maladroites – est courant et relativement mineur. En fait les aidants craignaient qu’il ne commette une grave infraction sexuelle. Peu de gens pourraient décrire un viol comme « une faute » et certainement pas comme le genre de faute que « tous les êtres humains peuvent commettre un jour » (surtout si l’on considère les femmes comme des êtres humains). Bien entendu, la juge n’aurait pas pu dire, avec autant de mots : « cet homme devrait avoir la même liberté de violer les femmes que tout un chacun ». Mais si l’on dépasse les non-dits et les euphémismes, n’est-ce pas le sens même de son jugement ?

      Cette année, les écoles d’Angleterre et du Pays de Galles devront enseigner à leurs élèves ce que dit la loi sur le consentement sexuel. Des jeunes gens apprendront qu’on doit avoir 16 ans pour pouvoir consentir, et que le sexe sans consentement est illégal. Mais en dehors de la salle de classe, les mêmes jeunes gens seront confrontés à quantité de messages dans lesquels le sexe non consenti, y compris des actes impliquant des mineurs, sont décrits en des termes qui, ou bien les normalisent (sexe, relation, aventure), ou bien les banalisent (« se conduire de façon inappropriée », « commettre des erreurs »). Comment savoir lequel de ces messages contradictoires ils retiendront ?

      Nous devons parler du viol, et par là j’entends : en parler en termes de viol. La définition légale peut avoir changé, mais « ce que la société en général considère comme du viol » est le plus souvent plus proche du point de vue que Susan Estrich a critiqué dans son livre de 1987 Real Rape (Ce que le viol est réellement), à savoir : le viol n’est avéré que s’il s’agit de l’attaque brutale par un inconnu d’une femme de réputation irréprochable. (Il n’y a que dans les comptes-rendus de ce genre d’affaires qu’on ne voit aucun évitement du mot en V.) Si nous voulons changer le consensus actuel, nous devons (entre autres choses) cesser d’utiliser, ou de tolérer un langage qui occulte la réalité du viol.

      https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/12/25/nous-devons-parler-du-viol

      #viriol-empathie #fraternité #violophilie #vocabulaire #victime_blaming #déni #male_gaze

    • Je me demande si il n’y aurait pas une carte des collusions du viol à créer. Avec des sources genre relevé d’écriture, paroles reprises dans les journaux, médias, films, etc. On verrait se dessiner le boyclub français qui sévit encore pour dédouaner les violeurs.

      J’ai envie de comprendre comment la plupart de mes amies qui ont cinquante ans aujourd’hui ont été violées si jeunes sans que personne ne pense jamais à prendre leur défense. Envie de savoir qui étaient ceux qui facilitaient l’acceptation culturelle et le principe de normalité pour qu’on accepte qu’un enfant devienne une proie sexuelle à 13 ans et comment les empêcher aujourd’hui de poursuivre leur massacre en les dénonçant.
      Rien que ça :)

    • J’ai mis la liste complète ici @tintin
      https://seenthis.net/messages/817715#message817775

      Pour la carte ca serait plutot un bingo des pedo-violophiles que j’imagine. Je veux bien y participé, il me semble que seenthis se prête bien à cet exercice collectif. Je vais ouvrir un sujet là dessus pour le rendre plus visible. Je pense qu’il y a aussi un truc à faire avec des cercles d’influence, comme une carte des misogynes médiatiques français- il y a des figures autour desquelles s’articulent plusieurs dossiers pas seulement des violences sexuelles et pas seulement sur des enfants. J’y pensait parce que Denise Bombardier explique qu’elle a été blacklisté d’un cercle.
      Du coup je voie bien un #bingo + une carte des réseaux pédophobes et misogynes

    • @mad_meg attention à ne pas abuser de l’interpellation du compte seenthis car ses notifications arrosent la liste de diffusion par email (ce qui nous permet de veiller à plusieurs pour les différents problèmes communautaires et techniques). Merci :)

    • @mad_meg cool pour la carte, je voyais quelque chose d’interactif un peu comme societe.com. Comme dit plus haut, je voudrais souligner la construction de ces réseaux et leur pouvoir d’influence, pas seulement de personnes mais des médias pour lesquels ils ont bossé, et montrer dans le temps que ces pédos violeurs misogynes se tiennent la main pour conserver leur domination destructrice. D’ailleurs la liste des salopards du torchon causeur est une base où en retrouver plusieurs cités déjà ici.

    • @mad_meg
      pour le côté interactif, au pire on trouvera de l’aide :) il faut en premier essayer d’anticiper les liens et relations que l’on veut voir apparaitre.
      Je suis en train de penser la structure de la base de données.
      Chaque personne qui s’est exprimée publiquement a sa place : nom, prenom, date de naissance (pour regrouper par ages et voir si ça évolue ou pas).
      Ces personnes sont liées à leur milieu d’influence via leur métier : politique, journalisme, art, cinéma, sport, mode.
      Les faits sont datés et sourcés et chaque personne est liée à un rôle : victime / à fait barrage / a défendu le violeur /signataire de la pétition Z.
      Les pétitions sont sourcées et reliées à chaque personne.

      Je fais des essais pour voir les regroupements systématiques des soutiens à Polansky, DSK, Matzneff, n’hésite pas si tu as des idées, et tu as mon mail aussi !

      Ok, je viens de voir ton lien, super !

    • (Texte intégral de l’article, @simplicissimus)

      Le Monde (site web)
      m-le-mag, lundi 23 décembre 2019 - 11:25 UTC +0100 3842 mots

      « Les temps ont changé, il est devenu indéfendable » : dans un contexte post-#metoo, le malaise Gabriel Matzneff
      Dominique Perrin

      La parution du livre « Le Consentement » crée une secousse dans le monde littéraire. L’auteure Vanessa Springora y raconte sa relation traumatisante, à 14 ans, avec cet homme de trente-six ans son aîné, écrivain aux pratiques pédophiles assumées.

      Le livre est à la fois cru et subtil. « À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. (…) De cette anormalité, j’ai fait en quelque sorte ma nouvelle identité. À l’inverse, quand personne ne s’étonne de ma situation, j’ai tout de même l’intuition que le monde autour de moi ne tourne pas rond. » Dans Le Consentement (Grasset), Vanessa Springora raconte tout, la rencontre avec G. en 1985, à l’âge de 13 ans, la fascination, l’amour qu’elle dit avoir éprouvé, l’emprise, la séparation, la chute, avec crises d’angoisse et épisode psychotique, puis les années pour s’en remettre. Il lui aura fallu trente ans pour livrer sa version de l’histoire. Jusque-là, en littérature, elle n’était que Vanessa, une des multiples conquêtes de « l’homme à la sortie du collège », un écrivain qui a eu son heure de gloire, mais que les moins de 50 ans ne connaissent guère : Gabriel Matzneff.

      « Le Consentement » pousse à remonter le temps, jusqu’à ces années 1970 et 1980, quand le milieu littéraire et certains médias encensaient le dandy parisien, sans questionner les conséquences de ses attirances sexuelles.

      Ce récit, qui sort le 2 janvier, est une première. Jamais les enfants et les adolescentes ayant eu une relation avec cet écrivain n’avaient pris la parole. Devenus adultes, aucun n’était sorti du silence. À 47 ans, Vanessa Springora, nouvelle directrice des éditions Julliard, se lance et couvre de ses mots ceux d’un homme de 83 ans, qui a toujours revendiqué son désir pour les mineurs – il ne dit pas pédophile mais « philopède », même si le verlan n’est pas son style. Récit littéraire, personnel et très fort, Le Consentement est aussi un ouvrage qui interroge la société. Il pousse à remonter le temps, jusqu’à ces années 1970 et 1980, quand le milieu littéraire et certains médias encensaient le dandy parisien, sans questionner les conséquences de ses attirances sexuelles.

      Aujourd’hui, Gabriel Matzneff parle à ses amis de « retour du puritanisme » mais refuse de s’exprimer – « Je sors de chez le médecin, je n’ai pas la tête à ça, ce n’est pas du tout par désobligeance, croyez-le bien », répond-il, très courtois. Dans un contexte post-#metoo de remise en cause de la domination masculine et peu après le témoignage de l’actrice Adèle Haenel, il sait que l’époque ne lui est plus favorable.

      Une autre époque

      Crâne rasé, chemise grande ouverte sur torse bronzé, pantalon pattes d’éph, Gabriel Matzneff a 39 ans. Costume vert amande, chemise rose pâle et cravate bariolée, Bernard Pivot n’a pas un cheveu blanc. Nous sommes le 12 septembre 1975, sur Antenne 2. Présenté comme l’ami de Montherlant, l’écrivain est invité pour son essai Les Moins de seize ans (Julliard), sorti un an plus tôt. Déjà, il révèle ce qui fera tout son succès, ses airs d’aristocrate, son amour des interdits, son besoin de scandaliser. Déjà, ses propos sont limpides : « Je pense que les adolescents, les jeunes enfants, disons entre 10 et 16 ans, sont peut-être à l’âge où les pulsions d’affectivités, les pulsions sexuelles également, sont les plus fortes parce que les plus neuves. Et je crois que rien ne peut arriver de plus beau et de plus fécond à un adolescent ou une adolescente que de vivre un amour. Soit avec quelqu’un de son âge (…), mais aussi peut-être avec un adulte qui l’aide à se découvrir soi-même, à découvrir la beauté du monde créé, la beauté des choses. » Il enchaîne sur l’éveil, Bouddha, le Christ, les stoïciens.

      Pédophile certes, mais pédophile mystique. « Est-ce que vous avez été choqué par le livre ? », interroge Pivot. Deux invités s’avouent gênés. Une professeure de lycée parle « d’attentat à la dignité de l’enfant » et un universitaire interroge l’écrivain, à propos « des petits garçons qu’il drague » : « Vous les avez peut-être traumatisés pour la vie ? » Matzneff ne se démonte pas : « Je vous dirais qu’il y a beaucoup d’autres façons de pourrir un enfant que de coucher avec. » Fin du débat. « Le livre n’a pas soulevé de vagues de protestation, se remémore Bernard Pivot. Ce sont les époques qui diffèrent. » Lui-même n’a aucun souvenir de cet essai. Il réinvitera l’écrivain à cinq reprises.

      « Bernard Pivot invite systématiquement Matzneff, “Le Monde” ne dit jamais de mal de l’écrivain pendant les années 1970 et “Libération” en parle peu mais soutient le mouvement pro-pédophile. » Anne-Claude Ambroise-Rendu, universitaire

      Une autre époque en effet. Une période difficile à juger avec les critères actuels. « Bernard Pivot invite systématiquement Matzneff, Le Monde ne dit jamais de mal de l’écrivain pendant les années 1970 et Libération en parle peu mais soutient le mouvement pro-pédophile, raconte l’universitaire Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteur d’Histoire de la pédophilie : XIXe-XXe siècles (Fayard). Aux côtés de l’écrivain Tony Duvert et du philosophe René Schérer, il est la tête de proue de la défense de ce qu’il répugne à appeler la pédophilie, avec des arguments très structurés et ce qu’il faut de mauvaise foi. Le Monde et Libération y voient un discours de défense de la liberté, une cause plus que transgressive, révolutionnaire. Les seuls à critiquer Matzneff, au nom de la morale, sont des titres conservateurs, comme France Soir, ou d’extrême droite comme Minute. Le partage des médias est très politique. » A partir de 1977, l’écrivain tient une chronique hebdomadaire au Monde. Le journal y mettra fin en 1982 quand Gabriel Matzneff sera soupçonné de pédophilie, finalement à tort, dans l’affaire du Coral, un centre éducatif dans le Gard. Sa voix est reconnue, ses romans sont lus. Un de ses plus grands succès, Ivre du vin perdu, sort en 1981 et se vendra au fil des ans à 20 000 exemplaires.

      Dans le milieu littéraire, le personnage séduit. Petit-fils de Russes blancs à l’écriture classique, mâtinée de références grecques et latines, l’écrivain possède l’aura de l’homme cultivé qui ose briser les tabous, choquer le bourgeois. Un héritier de Gide, de Byron et de Casanova tout à la fois. En janvier 1977, il rédige une lettre ouverte publiée dans Le Monde demandant la relaxe de trois hommes incarcérés, accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec des filles et des garçons de 13 et 14 ans. Tout Saint-Germain-des-Prés signe : Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, Guy Hocquenghem, Louis Aragon, Roland Barthes, Philippe Sollers, Jack Lang… L’heure est à la liberté des mœurs, il faut extraire l’enfant du carcan familial, l’aider à s’épanouir. Dans les milieux intellectuels et artistiques, défendre la cause pédophile et militer pour l’abrogation de la majorité sexuelle fixée à 15 ans, est un combat d’avant-garde. À cette même époque, la photographe Irina Ionesco fait des portraits érotiques de sa fille, Eva, dès ses 4 ans, et David Hamilton (accusé plus tard de viols sur mineures) repère ses jeunes modèles sur les plages du Cap d’Agde.

      Changement d’atmosphère

      Milieu des années 1980, changement d’atmosphère. « Un basculement s’opère en 1986, explique Anne-Claude Ambroise-Rendu, quand “Les Dossiers de l’écran” consacrent une soirée à la question de l’inceste. » Armand Jammot y reçoit Eva Thomas, qui publie Le Viol du silence (Aubier, 1986), dans lequel elle raconte qu’à 15 ans, elle a été abusée par son père. « L’opinion commence alors à se retourner, note l’historienne. Via l’inceste, les Français s’intéressent davantage aux enfants victimes d’abus sexuels. » C’est à cette période-là que le mot pédophilie apparaît dans le langage courant.

      Lorsque le 2 mars 1990, Gabriel Matzneff est de nouveau invité à « Apostrophes », l’ambiance n’est donc plus celle de 1975. L’écrivain, que Vanessa Springora a quitté deux ans plus tôt, présente un tome de son journal intime, au titre baudelairien : Mes amours décomposées (Gallimard). Un tableau de chasse, autobiographique donc, de filles de 14 ou 15 ans, agrémenté de garçons philippins de 11 et 12 ans, prostitués à Manille. Ton bravache. Sur le plateau chacun intervient tour à tour, quand, soudain, une journaliste et écrivaine québécoise crée la surprise. D’un ton assuré, celle qui a été la première femme à animer une émission politique à la télévision de Radio-Canada, se lance : « Moi, M. Matzneff me semble pitoyable. (…) On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un monsieur qui a une certaine aura littéraire, d’ailleurs on sait que les vieux messieurs attirent les petits enfants avec des bonbons. M. Matzneff, lui, les attire avec sa réputation. » Assis à sa gauche, « l’écrivain pitoyable » est soufflé : « Je trouve insensé de parler comme vous venez de le faire. (…) Je suis le contraire d’un macho, d’un type qui force qui que ce soit à faire quoi que ce soit. »

      Le cocktail qui suit est tendu, les olives passent mal. « C’était affreux, se souvient depuis Montréal, Denise Bombardier, 78 ans aujourd’hui. Les gens faisaient cercle autour de Matzneff, je ne suis restée que cinq minutes. » Bernard Pivot est alors le premier étonné : « Parfois j’organisais des conflits, mais là ce n’était pas le cas. Gabriel Matzneff avait le prestige de l’écrivain qui a une belle écriture. Ce qu’il racontait, on ne le trouvait pas dans d’autres livres, c’était original, osé, aventureux. À ceux qui pensaient qu’il bluffait, ses proches confirmaient que tout était vrai. Mais cela n’indignait pas comme aujourd’hui. » Sauf à venir d’un autre continent.

      Après l’émission, les critiques ne visent pas l’homme mis en cause… Mais la femme qui a cassé l’ambiance. « Connasse ! », s’énerve Philippe Sollers, l’éditeur de Matzneff, le 19 mars, sur France 3. Dans Le Monde du 30 mars, Josyane Savigneau encense l’écrivain, qui « ne viole personne », et tacle la Canadienne : « Denise Bombardier a eu la sottise d’appeler quasiment à l’arrestation de Matzneff, au nom des “jeunes filles flêtries” par lui… Découvrir en 1990 que des jeunes filles de 15 et 16 ans font l’amour à des hommes de trente ans de plus qu’elles, la belle affaire ! [ni l’ex-responsable du Monde des livres, ni Philippe Sollers n’ont souhaité nous parler] ». Dans Le Nouvel Observateur, Guy Sitbon est un des rares à écrire un article au vitriol contre l’écrivain « qui ne recule devant aucune goujaterie ».

      Impunité des artistes

      Des années plus tard, le 18 mars 1999, à l’occasion de la critique d’un livre, le chroniqueur Pierre Marcelle pourfendra encore, dans Libération, les « glapissements torquemadesques » de la journaliste (en référence au grand inquisiteur espagnol Tomás de Torquemada) et écrira que « déjà Christine Boutin pointait sous Bombardier ». « Je me suis fait traiter de mégère et de mal-baisée, raconte celle-ci. Matzneff était protégé par une partie du milieu littéraire et des médias, complètement complaisants à son égard. Ils ont justifié l’injustifiable au nom de la littérature. » Aujourd’hui, Vanessa Springora s’étonne aussi de l’impunité des artistes. « Tout autre individu, qui (…) se vanterait de sa collection de maîtresses de 14 ans, aurait affaire à la justice », écrit-elle dans son récit.

      Mais l’émission reste dans les mémoires et sonne la progressive mise au ban de l’écrivain. Tout le monde réalise que la pédophilie transforme l’enfant en simple objet de jouissance. Les années 1990 sont aussi celles de l’affaire Dutroux. Le pédophile n’a plus rien de libertaire, il devient un monstre. Pour son livre L’Enfant interdit, comment la pédophilie est devenue scandaleuse (Armand Colin, 2013), le sociologue Pierre Verdrager a étudié de près le parcours de l’écrivain. Il a une théorie cocasse : « Le journal de Matzneff est à la pédophilie ce que les carottes glaciaires sont à la climatologie. » Plus précisément, « les changements dans les mœurs se réfléchissent dans sa mauvaise humeur ». Ces années-là, l’écrivain au crâne rasé est bougon. Il est de moins en moins invité par les médias. Et quand il l’est, constate Verdrager, c’est moins pour la qualité de ses livres que pour le caractère sulfureux de sa vie.

      Prix Renaudot en 2013 à sept voix contre trois

      Le milieu littéraire parisien le remet soudain à l’honneur en 2013. À 77 ans, après une quarantaine de livres publiés, il reçoit son premier prix, le Renaudot essai, pour Séraphin, c’est la fin ! (La Table ronde). Un recueil de textes rédigés entre 1964 et 2012, sur Schopenhauer, Kadhafi, les prêtres ou le viol. Le jury (Jérôme Garcin, Patrick Besson, Dominique Bona…) l’a choisi à sept voix contre trois, après qu’un de ses membres eut longuement plaidé sa cause : Christian Giudicelli. Il n’est autre que l’éditeur de Matzneff chez Gallimard et son ami. Mais dans le grand jeu des prix littéraires, être juge et partie n’est pas un souci. « C’est un prix que l’on a décerné à un auteur ostracisé, jugé sulfureux et scandaleux depuis une vingtaine d’années et qui n’avait plus accès aux médias », se souvient Frédéric Beigbeder, membre du jury. Le ton était à la compassion. L’écrivain Patrick Besson : « Dans ce qu’il a pu écrire sur sa vie amoureuse, il y a des choses ahurissantes et inacceptables, mais c’est un vieux monsieur blacklisté et dans le besoin, on a fait la part des choses. »

      Ex-directeur du Point, Franz-Olivier Giesbert n’a voté pour Matzneff qu’au second tour. « C’est un excellent écrivain, dont j’aime certains livres, d’autres pas du tout, précise-t-il. J’exècre la pédophilie, mais je déteste aussi la police de la maréchaussée. Les gens cloués au pilori ont toujours ma sympathie. » Il souligne que jamais l’écrivain n’a été condamné par la justice. Aussitôt le Renaudot annoncé, trois pétitions apparaissent pour retirer le prix « à un militant pro-pédophile ». En vain. L’essai ne fera pas date, mais, grâce au prix, se vendra à 3 800 exemplaires.

      « Sur les réseaux sociaux, je me fais parfois interpeller pour le virer. Notre philosophie est claire : plus on nous demande de virer quelqu’un, moins on le fera. C’est une question de liberté d’expression. » Étienne Gernelle, directeur du « Point »

      Les médias qui le soutiennent s’amusent de son côté « politiquement incorrect ». Ses relations sexuelles avec des mineurs sont, pour eux, une histoire ancienne. D’ailleurs, dans ses derniers tomes de journaux, ses amantes ont passé les 18 ans. Et puis l’écrivain a d’autres sujets de prédilection : la Russie, la religion, la politique… La politique, c’est compliqué. Tendance réac, proche du penseur de la nouvelle droite, Alain de Benoist, Matzneff a voté Mélenchon en 2017. La chaîne Russia Today l’invite parfois, tout comme la très à droite Radio Courtoisie. Depuis 2013, il tient une chronique irrégulière sur le site du Point. « Il écrit sur tout et n’importe quoi avec un talent fou, se réjouit le directeur de l’hebdomadaire, Étienne Gernelle. Il dit le contraire de ce qu’il y a dans beaucoup de journaux, ça détonne. Sur les réseaux sociaux, je me fais parfois interpeller pour le virer. Notre philosophie est claire : plus on nous demande de virer quelqu’un, moins on le fera. C’est une question de liberté d’expression. »

      Dans l’édition aussi, il sème la pagaille. Au printemps 2016, il signe un contrat avec son ami Jean-François Colosimo, orthodoxe comme lui et directeur des Éditions du Cerf, pour publier un essai. En juillet, la maison fondée par l’ordre dominicain change d’avis « pas par censure », soutient Colosimo, « plus par incommodité ». « Quand j’ai appris que son essai avait été refusé, je n’ai pas hésité », raconte Manuel Carcassone, directeur de Stock. En 2017, il publie Un diable dans le bénitier. L’éditeur n’est pas un ami proche, mais il l’a admiré très tôt – « sans être familier du volet privé de son œuvre », s’empresse-t-il de préciser. « Quand j’avais 22 ans, à la fin des années 1980, Gabriel Matzneff était un personnage légendaire, perçu comme un auteur de qualité et un esprit libre. En plus, c’est un diariste, genre que j’aime beaucoup. Il me fascinait. Je l’ai rencontré à ce moment-là, je me souviens d’un dîner avec lui chez Guy Hocquenghem. On manque de gens comme eux. Le milieu littéraire est de plus en plus uniforme, aseptisé, politiquement correct. »

      A Saint-Germain-des-Prés, Matzneff est désormais synonyme de malaise. L’annonce de la sortie du livre de Springora a jeté un froid. Rares sont les personnes qui acceptent de parler. « Ça ne m’étonne pas, confie anonymement un professionnel de l’édition. Tout le monde connaissait l’histoire entre Vanessa Springora et Gabriel Matzneff et leur relation avait la bénédiction du milieu. Certains connaissaient aussi la mère de l’adolescente, attachée de presse dans l’édition. Aujourd’hui, forcément, tout le monde est gêné. » Matzneff n’hésitait d’ailleurs pas à se faire accompagner de sa jeune amante pour se rendre sur un plateau télé.

      « Pourriez-vous écrire qu’il est mon ami et le restera quoi qu’il advienne. » Frédéric Beigbeder

      Dans sa maison de la côte basque, à Guéthary, Frédéric Beigbeder est plus courageux. Il ne nous fait pas croire qu’il est parti faire du surf, mais se noie un peu dans ses hésitations. « Un nouveau tribunal va se mettre en place, comme pour Polanski, soupire-t-il. C’est une époque qui en juge une autre, mais les temps ont changé… Tout le milieu littéraire a peur. » Revoterait-il aujourd’hui pour le Renaudot ? « Je ne sais pas… C’est un auteur que j’aime beaucoup. Nous ne sommes ni flics ni juges, juste des personnes qui aiment la littérature. C’est triste si quelqu’un a souffert, c’est très triste… Mais quand on juge une œuvre d’art, il ne faut pas avoir de critères moraux. Je ne sais pas quoi dire de plus… C’est terminé pour lui, il est devenu indéfendable. Je ne serais pas étonné qu’il se suicide, il a tellement écrit sur le suicide. » Le lendemain, il envoie un message : « Pourriez-vous écrire qu’il est mon ami et le restera quoi qu’il advienne. » Manuel Carcassonne est partagé. « La transgression, comme celle de Rimbaud ou de Verlaine, devrait être consubstantielle à un certain nombre d’écrivains. Mais à un moment, si c’est illégal, il y a un prix à payer. L’affaire qui se profile est à la fois sûrement nécessaire et triste pour un homme de 83 ans. »

      Dans son studio du Quartier latin, Gabriel Matzneff doit, une fois de plus, se sentir victime d’un « retour de l’ordre moral, qui nous vient des sectes puritaines américaines » (Russia Today, le 1er décembre, au sujet de sa mauvaise réputation). « Il ne s’agit pas d’un retour à l’ordre moral, estime Patrick Besson, juste d’un retour à la raison. Les filles de 13 ans ont autre chose à faire que de tomber amoureuse d’un mec de 50 ans. Elles ne sont pas à armes égales avec lui. »

      L’auteur scandaleux n’intéresse plus grand monde

      Ce qui nuit le plus au vieil écrivain, selon Besson, ce ne sont ni les ligues de vertu, ni la bien-pensance, mais lui-même. « Il devient sa proie. Gabriel est attachant mais aussi exaspérant. Il est prisonnier de ses obsessions littéraires. Entre Marie-Élisabeth, Sandra, Juliette et Anne-Sophie, je ne vois plus la différence, lui non plus je crois. Il est prisonnier aussi de sa folie narcissique, il ne s’intéresse qu’à son poids, ses conquêtes, son œuvre. Il ne restera pas dans l’histoire de la littérature, mais dans celle de la psychiatrie. » Des propos sans concession, qui ne lui font pour autant pas regretter le Renaudot : « C’était un essai, pas un tome de journal ». L’auteur scandaleux n’intéresse en tout cas plus grand monde. Il a sorti en novembre le quinzième volume de son journal, L’Amante de l’Arsenal (Gallimard, 2019), alors que le quatorzième, La Jeune Moabite (Gallimard, 2017) n’avait pas dépassé les 1 000 exemplaires vendus.

      Lundi 9 décembre, rendez-vous avec un « matznévien » dans le Quartier latin. Normalien, Arthur, 21 ans, veut devenir écrivain et n’aime rien tant que citer son maître (rencontré à 17 ans, après lui avoir écrit). Choix du jour : « être différent, c’est être coupable ». Il se dit furieux de la sortie du livre de Vanessa Springora. « Pour Matzneff, c’est très douloureux, confie-t-il en buvant un chocolat chaud. Quand il l’a appris, il en avait les larmes aux yeux. Il se sent poignardé en plein cœur par une des trois femmes qui ont le plus compté dans sa vie. » Il raconte leur histoire dans La Prunelle de mes yeux (Gallimard, 1993). Par la vitre du café, on aperçoit en face, rue du Cardinal-Lemoine, un bar littéraire qui sert de l’absinthe, entièrement peint de jaune : L’Eurydice.

      « Les pédophiles à Cayenne ! »

      C’est là que, le 17 octobre, Arthur a organisé avec deux amis une soirée en hommage à son auteur fétiche. Ce jour-là, une cinquantaine de personnes, dont son ami l’écrivain Roland Jaccard, s’installe face à la scène. Invité, Philippe Sollers n’est pas venu. Au premier rang, Gabriel Matzneff est assis à côté d’une étudiante de 24 ans. Arthur lui offre une bouteille de vin jaune du Jura et tend à l’ancien ami d’Hergé une photo sur laquelle Tintin est emprisonné au quai de Gesvres, l’adresse de la brigade des mineurs. Tout le monde trouve ça très drôle.

      Puis Matzneff lit un extrait de roman, quand soudain trois étudiants – « avec des têtes de nazillon », précise Arthur – se lèvent et crient : « Casse-toi ! », « Les pédophiles à Cayenne ! ». Échanges de coups de poings, exfiltration de l’écrivain. Les organisateurs croient l’incident fini, quand d’autres jeunes tentent de rentrer. Cette fois, ils hurlent : « Matzneff au goulag ! ». Des étudiants d’extrême gauche, selon Arthur. Ils reprochent à l’écrivain sa proximité avec Alain de Benoist. C’est ce qui s’appelle un hommage raté. Le héros du soir s’est juré d’arrêter les rencontres publiques et Arthur s’en veut encore de n’avoir su prévenir tant de violence. Il saura que soutenir Matzneff est désormais devenu un loisir à haut risque.
      Cet article est paru dans Le Monde (site web)

      Note(s) :

      Mis à jour : 2019-12-27 07:02 UTC +0100

    • #merci @gata ! ça répond à ma question. L’auteur, Dominique Perrin donne un compte-rendu fidèle.

      Le jury (Jérôme Garcin, Patrick Besson, Dominique Bona…) l’a choisi à sept voix contre trois, après qu’un de ses membres eut longuement plaidé sa cause : Christian Giudicelli. Il n’est autre que l’éditeur de Matzneff chez Gallimard et son ami. Mais dans le grand jeu des prix littéraires, être juge et partie n’est pas un souci.

      Voilà,…

    • Plusieurs ressources via @kinkybambou sur twitter
      https://twitter.com/kinkybambou/status/1210913811638759425
      En framapad par @PacoHerin :

      Retranscription des tweet de Xanax (comme Twitter les bloque pour certain.e.s)

      « Quelques personnes à lire sur un type de violences sexuelles à l’encontre des enfants et ados, les violences incestueuses. Je n’indique ici que des ressources facilement disponibles en ligne. »

      Comptes-rendus de l’étude de Léonore Le Caisne, Un inceste ordinaire. Et pourtant tout le monde savait, paru en 2014, qui résument le livre : https://journals.openedition.org/gss/3619

      Les travaux de Dorothée Dussy : je commence par deux compte-rendus de ses ouvrages (qu’elle a écrit en nom propre ou dirigé). Dussy s’intéresse particulièrement à ce qui conduit (contraint) les victimes au silence. https://journals.openedition.org/clio/12872

      Des articles de Dorothée Dussy : https://www.erudit.org/fr/revues/as/2009-v33-n1-as3337/037816ar

      Un texte co-écrit par Dussy et Le Caisne
      https://journals.openedition.org/terrain/5000

      une étude ethnographique sur un cas d’inceste d’un père sur sa fille, au tribunal, qui interroge profondément les dynamiques familiales.
      https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2008-1-page-161.htm

      Ici, un rapport d’expertise qui avait été commandé à l’époque par le Ministère des familles (sous Hollande), qui devait enclencher un travail de fond, et qui est depuis tombé dans les oubliettes de la macronie.
      https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/documents/cnrs_expertise_inceste_avril17.pdf

      Et le site de la grande enquête Virage de l’INED, mine d’informations toujours en cours d’exploitation, sur les violences sexuelles en France en général. Ce lien renvoie directement vers les publications actuellement disponibles au téléchargement.
      https://virage.site.ined.fr/fr/publications/Publications%20Virage

      Bibliographie :
      Lydia Guardo et Jean-Michel Caradec’h, ’ Le Silence des autres’ (qui est la personne dont parle Le Casine dans Un inceste ordinaire). (Merci à Valery Rey-Robert !)

      https://hebdo.framapad.org/p/9e4e-ressources-et-liens-sur-violences-incest?lang=fr (pour une semaine)

      via
      https://twitter.com/PacoHerin/status/1210932869603966981

    • @tintin : dans ta liste, je crois qu’il faut retirer Sorj Chalandon qui est celui qui dénonce Libé...

      Et sinon, juste pour compléter, bien que l’intervention de Denise Bombardier soit impeccable, il faut rappeler que c’est une chroniqueuse québécoise assez réac...

  • Analyses féministes des rapports de domination dans l’enseignement supérieur et la recherche

    Après douze ans d’existence, le comité de rédaction de la revue Genre, Sexualité & Société a souhaité réfléchir aux normes et #hiérarchies qui organisent le #monde_académique, et influencent son travail de multiples manières. C’est dans le cadre de cette démarche que nous avons décidé de publier ce dossier qui propose des analyses féministes, queer et trans*, pour plusieurs à la première personne, produites principalement par des enseignant·es et chercheur·es francophones, dont beaucoup ne sont pas titulaires d’un poste fixe. Nous l’avons conçu comme un espace de formalisation et d’approfondissement de conversations et d’analyses rarement publicisées. Il ne s’agit toutefois pas tant de dénoncer des situations individuelles – bien que ce travail soit aussi important – que de réfléchir à la façon dont les rapports de domination structurent l’enseignement dit « supérieur » et la recherche, et d’interroger comment les normes et hiérarchies ainsi façonnées sont remises en cause, mais aussi parfois reproduites dans le contexte du développement des études de genre et de sexualité.

    https://journals.openedition.org/gss/6146

    #revue #féminisme #rapports_de_domination #université #ESR #enseignement_supérieur_et_de_la_recherche #domination

    Le sommaire du numéro :

    Marie-Eveline Belinga, Yaël Eched et Rose Ndengue
    Les Féministes des marges peuvent-elles parler ?
    Retour sur un « échec » académique et ses implications épistémologiques et politiques
    Can the feminists from the margins speak ?
    About an academic “failure” and its epistemological and political consequences

    Aden Gaide et Elisabeth Kam
    Militer avec ou contre la référente égalité femmes-hommes ? Retour collectif sur des mobilisations étudiantes infructueuses
    Fighting with or against the gender equality advisor ? A collective feedback on disappointing student-led mobilisations

    Renaud Cornand et Pauline Delage
    Minorisations ordinaires dans l’enseignement supérieur.
    L’expérience d’étudiantes portant un #hijab dans les Bouches du Rhône
    Everyday marginalization in higher education : the experiences of university students who wear a hidjab in Bouches du Rhone

    Clark Pignedoli et Maxime Faddoul
    Recherches sur la #transitude au Québec : entre absence et exploitation des savoirs #trans
    Research on transness in Quebec : between silence and the exploitation of trans knowledge

    Karine Espineira et Maud-Yeuse Thomas
    Études Trans
    Interroger les conditions de production et de diffusion des savoirs
    Transgender Studies
    Examining the conditions of production and dissemination of knowledge

    Cha Prieur
    Les violences envers les personnes trans* à l’université. Des conséquences sur la #santé_mentale aux pistes pour s’en sortir
    Violence against trans* people in academia. From mental health implications to ways to get out of it

    Vanina Mozziconacci
    « Le personnel est académique ».
    Pour une subversion féministe de l’université, de la pédagogie à l’institution
    "The personal is academical". Feminist subversions of the university

    Sklaerenn Le Gallo et Mélanie Millette
    Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour prendre en compte les personnes concernées
    Positioning oneself as researcher in the prism of intersectional struggles : Reframing the notion of ally from the concerned people’s perspective

    https://journals.openedition.org/gss/5684

    #intersectionnalité #LGBT

  • Les différentes versions de la « découverte » du clitoris par Helen O’Connell
    https://journals.openedition.org/gss/4403

    6Participant en 2003 en tant que consultante scientifique à un documentaire – « Le clitoris, ce cher inconnu » (Dominici et al., 2003) –, elle y est également interviewée. Dans ce contexte, O’Connell évoque le manuel anatomique de référence utilisé lors de sa formation universitaire au milieu et à la fin des années 1980 pour en critiquer le manque de description du clitoris : « il a sans doute exercé une grande influence, m’incitant à travailler en priorité dans ce domaine, car de fait on ne trouvait pas la moindre description du clitoris lui-même, alors qu’il comportait tout un chapitre sur le mécanisme de l’érection, avec des informations sur l’anatomie neurologique et l’alimentation vasculaire du pénis, sans jamais mentionner le clitoris. J’ai pensé… mmm… ce n’est pas vraiment normal »3 (Dominici et (...)

  • Les différentes versions de la « découverte » du clitoris par Helen O’Connell (1998-2005)
    http://journals.openedition.org/gss/4403

    Participant en 2003 en tant que consultante scientifique à un documentaire – « Le clitoris, ce cher inconnu » (Dominici et al., 2003) –, elle y est également interviewée. Dans ce contexte, O’Connell évoque le manuel anatomique de référence utilisé lors de sa formation universitaire au milieu et à la fin des années 1980 pour en critiquer le manque de description du clitoris : « il a sans doute exercé une grande influence, m’incitant à travailler en priorité dans ce domaine, car de fait on ne trouvait pas la moindre description du clitoris lui-même, alors qu’il comportait tout un chapitre sur le mécanisme de l’érection, avec des informations sur l’anatomie neurologique et l’alimentation vasculaire du pénis, sans jamais mentionner le clitoris. J’ai pensé… mmm… ce n’est pas vraiment normal »3 (Dominici et al., 2003, 10e min.). Ce sentiment d’anormalité se renouvelle lorsque O’Connell, par la suite stagiaire, constate une attention particulière dans le geste chirurgical afin de préserver la fonction sexuelle chez les hommes. En revanche, la préservation de la fonction sexuelle des femmes dans le même type d’intervention semble, quant à elle, fortuite. Le résultat hasardeux de l’opération semble logique et O’Connell précise à ce propos dans une autre interview donnée deux ans plus tard à la presse australienne « qu’aucun manuel disponible ne décrivait les nerfs ou apports sanguins du clitoris »4 (Fawcett, 2005). Ainsi O’Connell définit-elle le clitoris comme le lieu de l’orgasme féminin, ce qui fonde son objectif de faire avancer la recherche, qu’elle qualifie de « balbutiante », sur l’anatomie et la physiologie sexuelles féminines (O’Connell, 2004, 129).

    O’Connell établit dans ses articles de restitution, par une forme d’épistémologie critique, un mode de construction différencié des connaissances sur l’anatomie féminine et masculine. À l’instar de la critique féministe des sciences dont elle cite des travaux, O’Connell identifie et dénonce un mode de production de savoirs sur les corps fondé sur la comparaison entre le corps des femmes et celui des hommes – plaçant le masculin comme modèle de référence et produisant du même coup une description inexacte de l’anatomie génitale féminine. Quant à la diffusion de connaissances incomplètes et, par conséquent, de représentations visuelles inexactes, l’article de #2005 invoque une responsabilité des anatomistes, qui auraient « aggravé la représentation pauvre du clitoris en le montrant seulement sur un plan » (O’Connell et al., 2005a, 2062). Ce propos fait référence à la manière de montrer les appareils génitaux féminin et masculin sur un plan de coupe sagittal, une figuration classique dans les planches anatomiques de cette zone. Selon O’Connell, ce type de coupe favorise la présentation d’une structure essentiellement linéaire comme le pénis, mais guère celle multiplanaire du complexe clitoridien. Ainsi l’urologue identifie-t-elle des facteurs historiques, sociaux et scientifiques « responsables de la représentation pauvre de l’anatomie clitoridienne, même dans la littérature actuelle » (O’Connell et al., 2005a, 2062).

    #clitoris #féminisme #connaissance #plaisir #sexisme_médical #historisation