Comment les talk-shows ont fait grimper l’extrême droite

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    « Ce qui se passe en Italie aujourd’hui, c’est représentatif de ce qui se passe partout ailleurs », commente sans ambages la journaliste italienne Anaïs Ginori en faisant référence aux plateaux télévisés qui de plus en plus servent de tremplin aux idées populistes. Le phénomène ne connait pas de frontières : en France, la chaîne CNews est par exemple épinglée pour sa ressemblance de plus en plus saisissante avec la chaîne américaine Fox News, proche de Trump, tristement célèbre pour ses fake news construites de toutes pièces et reposant la plupart du temps sur les préjugés de ses téléspectateurs. Un phénomène qui commence à être pointé du doigt, notamment par le célèbre auteur de Gomorra, Roberto Saviano. L’écrivain et journaliste napolitain a ainsi affirmé avec virulence dans les pages du Monde que les talk-shows assiégeaient les citoyens par « une politique [populiste, du gouvernement Di Maio-Salvini] qui, loin d’être réelle, se fait dans les talk-shows et sur les réseaux sociaux » et « parle aux citoyens furieux ».

    « Il est vrai que la télévision pèche parce qu’elle est superficielle et spectaculaire, elle simplifie tout pour s’adresser à tous », reconnaît Karsten Kurowski. Le journaliste allemand qui a longtemps travaillé pour la chaîne Arte fait référence au « framing ». Bien-aimée des plateaux télévisés, cette technique consiste à formuler des questions de manière schématique et subjective, comme par exemple : « Criminalité : est-il vraiment possible d’intégrer les migrants ? ». Le journaliste et professeur à l’Institut d’études journalistiques de Bordeaux souligne néanmoins la déontologie des journalistes des talk-shows, qui « n’ont plus jamais invité le président de l’AFD Alexander Gauland après que ce dernier a déclaré que le IIIe Reich n’était qu’une fiente d’oiseau » dans l’histoire allemande, à la manière de Jean-Marie Le Pen déclarant que « les chambres à gaz n’étaient qu’un détail de l’histoire ».

    Cependant, Karsten Kurowski concède que les talk-shows « font le commerce » de l’extrême droite dans leur forme actuelle, qui pourrait s’approcher « du podium » si les plateaux allemands « restent comme ils sont aujourd’hui, différenciés et racoleurs, alors ils font le jeu de l’extrême droite ». « D’ailleurs, la technique du framing avec l’association de préjugés et d’amalgames marche sur le moment, ça fait le buzz, mais après c’est fini, on oublie », tance le journaliste, qui estime que les plateaux télévisés actuels sont « tabloïds et vendeurs ». C’est de la « dramaturgie, on invite l’émotion là où il devrait y avoir de la réflexion », condamne Karsten Kurowski, qui réitère que « le format des talk-shows pourrait ne pas être si stérile si les invités des émissions offraient un argumentaire tranquille et posé ».

    Être au gouvernement sans gouverner

    « Pourquoi pas, finalement, avoir recours au framing, si on s’impose des limites ? Il faut absolument apporter une réflexion, au risque de seulement nourrir et encourager les préjugés », met en garde Anaïs Ginori, correspondante du journal italien La Repubblica. Et de regretter que le paysage télévisuel italien n’apporte pas de réponses constructives aux enjeux politiques : « la spécificité italienne, c’est la ’politica spectacolo’, la politique du spectacle, c’est ce à quoi se réfère Roberto Saviano en disant que les talk-shows politiques reposent sur la vulgarisation et la provocation ». Il s’agit de chercher le clash à tout prix. « C’est vieux comme le monde, poursuit-elle. Mais aujourd’hui, ce qui est extrêmement dangereux, c’est que le système de l’information est démultiplié par les réseaux sociaux et les médias audiovisuels, une info trash circule beaucoup plus vite. » L’écueil des talk-shows est de trop « courir après les combats de pugilat pour assurer leur taux d’audience ».

    Anaïs Ginori est absolument certaine que Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur du gouvernement italien actuel, populiste et d’extrême droite, « est une pure créature de la télé, il s’est construit lui-même et sa carrière politique grâce aux talk-shows ». Cet homme de pouvoir transalpin est un véritable professionnel de communication politique. L’homme fort de la Ligue du Nord a gravi les échelons du pouvoir au moyen de son sens de la rhétorique, particulièrement éloquente devant la caméra. S’il a pu tenir un rythme haletant en participant à une dizaine de talk-shows par jour, ses sujets de prédilection restent restreints : Salvini n’a de cesse d’alpaguer son audience au sujet de l’immigration et du danger que représentent les réfugiés.

    Matteo Salvini, pur produit des plateaux télévisés

    C’est d’ailleurs là « où le rôle du bon journalisme intervient : quand Salvini détourne l’attention d’autres problèmes de fond en déblatérant sur les méfaits de l’immigration, le journaliste doit axer le débat sur les vrais enjeux », sans quoi « un emballement du reste des médias est à craindre » puisque ceux-ci ont tendance à traiter l’information comme elle a d’abord été présentée sur les plateaux télévisés. Pour la journaliste, « Matteo Salvini et Berlusconi avant lui ont lancé, par la politique du spectaculaire qui se déroule sur les talk-shows, la mode d’être au gouvernement sans gouverner ».

    Pour Christopher Lauer, membre du parti social démocrate allemand, les talk-shows « servent juste à entériner des idées reçues, comme celle que les étrangers représentent un danger pour les citoyens allemands ». Pour cet homme politique allemand de 33 ans, « les talk-shows ont totalement provoqué l’ascension de l’extrême droite allemande, cela ne fait pas l’ombre d’un doute ».

    Le journalisme est véritablement « dans la merde »

    Amer, il souligne que les journalistes de talk-shows « se disent : ’on a un très grand public, on atteint plein de gens, il faut continuer à faire grandir notre audience en choisissant des thèmes racoleurs’ », alors qu’ils « devraient justement ne pas faire ça puisqu’ils ont un impact extrêmement fort sur la manière dont vont penser le commun des Allemands ». Ainsi, le parti populiste AFD a fait une entrée remarquée au Bundestag, avec des scores jamais vus depuis la Seconde guerre mondiale.

    « Associer de manière négative des idées reçues sur les migrants n’est pas la bonne manière de mener un débat », s’indigne Christopher Lauer. Quand les journalistes de talk-shows se justifient en disant qu’ils traitent des sujets qui « occupent le peuple », c’est « exactement comme du fascisme, idéologie qui repose sur le fait de vouloir ‘parler au peuple ‘ ». Et de conclure que sur ce point, « le journalisme télévisuel est globalement dans la merde ».

    • Le problème me semble tout de même plus large que ce qui est directement énoncé d’extrême-droite à la télé (notamment la focalisation sur des thèmes racistes).

      Même sans inviter les purs-fachos, on est lourdement dans la vulgarisation de méthode de « discussion » qui n’ont rigoureusement rien de la discussion. Pour les sujets foireux : néo-libéralisme à l’emporte-pièce, guerre aux pauvres, haines des fonctionnaires et des assistés, fascination pour le fric… Et pour la forme : couper systématiquement la parole, l’attaque ad hominem, la mauvaise foi assumée, la confusion systématique entre opinions, analyses et exposé de faits…