Tous dans le book bloc : avec le roman, contre la théorie du complot !

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    "C’est à la fois un personnage virtuel (« Q ») et la théorie du complot (QAnon) qui a le vent en poupe dans les milieux trumpistes fanatiques. L’intox démarre à l’automne dernier quand, sur les sites de la sphère conspirationniste, de premiers messages signés « Q » apparaissent. D’après la légende, l’émetteur - individu ou collectif - a choisi cette lettre pour exprimer son degré d’accréditation aux secrets d’Etat, une manière de prouver, selon ses adeptes, qu’il se trouve dans le premier cercle du pouvoir à la Maison Blanche. Ses partisans publient des photos censées attester de sa présence aux côtés de Donald Trump dans l’avion présidentiel Air Force One.

    (...)

    Comme toujours, avec les théories du complot, tout apporte de l’eau au moulin à paroles plus délirantes les unes que les autres. Mais cette fois, un grain de sable est peut-être en train de se glisser dans les rouages. Avec sa publicité désormais mondiale - les adeptes commencent à être recrutés au Canada et sans doute en Europe -, « Q » a attiré l’attention, hors de son terrain de chasse. Quelques lecteurs ont désormais repéré les emprunts - à fronts renversés, certes, mais tout de même - à une œuvre romanesque parue à la fin des années 1990 en Italie, tout comme aux pratiques de détournement et de guérilla communicationnelle conduites par ses auteurs. Pour les Wu Ming, auteurs de Q, sous le pseudonyme de Luther Blissett, les analogies ne sont pas toutes des coïncidences, évidemment : l’émetteur des messages porte le même nom ; dans QAnon, tout renvoie à des réseaux pédophiles ou satanistes, alors que les Italiens ont, eux, tourné en dérision les emballements médiatiques sur le sujet en organisant des canulars extrêmement sophistiqués il y a une vingtaine d’années. Tout en récusant l’idée d’une farce qu’ils auraient eux-mêmes fomentée aujourd’hui, ils sont déterminés à venir répandre, contre le venin de QAnon, le contre-poison d’une littérature autrement plus riche et stimulante."

    #complotisme #littérature #altermondialisme #Italie #Etats-Unis

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    Le quotidien l’Humanité publie ce mardi un dossier de quatre pages sur #Qanon, le dernier délire conspirationniste en vogue dans les cercles pro-Trump. Mais il y a une histoire dans l’histoire, voire, comme on le verra dans le grand entretien avec le collectif d’écrivains italiens Wu Ming, des histoires dans l’histoire. Et entre #Q et Q, il faut choisir son camp... Source : Humaginaire

    • Mauvais lien :
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      Très intéressant

      Mariano Tomatis, magicien et historien de l’illusionnisme qui fait désormais partie de la Wu Ming Foundation, théorise les moyens de révéler le truc derrière un tour de magie, sans ruiner l’émerveillement, mais en l’amplifiant, au contraire. Voilà, pour nous, un bon canular médiatique, c’était ça : un numéro de magie qui tire profit de son propre dévoilement.

      #politique #littérature #alt-right #théorie_du_complot #Wu_Ming #Italie #États-Unis

    • Le collectif d’écrivains italiens Wu Ming examine les traces de l’un de leurs romans, Q, semées dans le délire QAnon. Et défend une pratique politique de l’art renversant, par des narrations autres, le simplisme des dominants, complotistes ou non.

      Leur nom est personne. À moins qu’il n’en ait même pas un, de nom. En mandarin, Wu Ming signifie « personne » ou « sans nom ». C’est pourtant sous ce pseudonyme qu’est connu le collectif d’écrivains italiens qui intervient aujourd’hui dans ces pages. Très célèbres en Italie et dans de nombreux pays du monde, un peu moins en France où leurs ouvrages sont, pour la plupart, traduits et publiés par les éditions Métailié, les Wu Ming livrent depuis plus de vingt ans une œuvre romanesque éminemment politique, à la fois sur le fond et sur la forme. Signé Luther Blissett – le nom du collectif qui, dans les années 1990, s’échinait notamment à semer la zone dans le système médiatique italien –, leur premier grand roman, Q (publié en français, aux Éditions du Seuil, en 2001, sous le titre L’Œil de Carafa), est vite apparu comme une des références des mouvements altermondialistes naissant.

      Vingt ans après, c’est ce livre, et les pratiques de guérilla de l’information des Wu Ming, qui transpirent en filigrane dans QAnon, la dernière théorie du complot en vogue chez les partisans de Donald Trump. L’occasion pour eux, à travers ce grand entretien, de venir détourner et brouiller à leur tour les récits simplistes des fascistes, et de mettre en avant la puissance d’une littérature susceptible de contrer les narrations des dominants comme celles de leurs épigones conspirationnistes.

      Quels recoupements voyez-vous entre votre roman Q et le délire trumpo-conspirationniste QAnon ? Comment les interprétez-vous ?

      Wu Ming . Devant le phénomène QAnon, chacun de nos lecteurs ne peut s’empêcher de penser que celui-ci a été inspiré de notre roman. Et beaucoup nous ont écrit pour nous demander ce que nous en pensions. Ces correspondants ressentaient de la frustration parce qu’à leurs yeux, le lien était évident, alors que les commentateurs dominants aux Etats-Unis se perdaient en conjectures, mais sans jamais mentionner ni notre roman ni le Luther Blissett Project.

      En dehors de la France, où il a été un authentique fiasco – ce qui a gêné la diffusion de notre travail pendant quelques années -, le roman a été un best-seller dans toute l’Europe. Aux Etats-Unis, il reste peu connu, ce qui explique pourquoi les médias américains ont mis du temps à trouver la piste.

      Non seulement les références au roman sont difficiles à évacuer – à partir de la plus évidente de toutes, c’est le même Q, avec les mêmes missives -, mais les ressemblances entre QAnon et le genre de canulars médiatiques que nous fomentions à l’époque de Luther Blissett sont évidentes. QAnon ressemble à une application distordue de notre « manuel de stratégie » des années 1990.

      Nous aussi, nous nous occupions des affaires liées à la pédophilie, aux viols rituels sataniques, de conspirations impliquant le Vatican, etc. Nous aussi, nous adoptions des tactiques et des techniques narratives caractéristiques des jeux de rôle et de réalité alternée (alternate reality games).

      Nous soupçonnons celui qui a lancé QAnon d’avoir voulu faire une farce ou mener une expérience au détriment de la droite états-unienne, comme une opération de guerre psychologique (psy-op), directement inspirée de notre travail. En peu de temps, pour différentes raisons – des raisons qui étaient certainement prévisibles -, le canular a acquis son existence propre : il est devenu un jeu de rôle fasciste dans lequel les joueurs les plus influents aiguillonnent les plus crédules des soutiens de Trump, et ensuite, tous poussent pour rendre l’ensemble toujours plus débridé, absurde, extrême, sidérant. Ainsi, ceux qui jouent à QAnon font d’une pierre deux coups : ils sèment leurs messages racistes et fascistes à tous vents, et dans le même temps, ils assomment les commentateurs des médias dominants. Ceux-là n’en reviennent vraiment pas : comment tant de gens peuvent croire à des foutaises pareilles, ça leur échappe.

      A un certain niveau, QAnon demeure un canular… Mais aux dépens de qui ? Ça n’est pas très clair. Qui tourne en dérision qui ? Quelle qu’elle soit, la portée critique et radicale que pouvait revêtir le canular au début est désormais morte et enterrée, ensevelie par le bruit blanc. Comment peut-on se payer la tête de gens qui exploiteront et transformeront n’importe quel « jeu », pourvu qu’il leur permette d’attaquer leurs ennemis ? Ce n’est pas intelligent de donner une corde à des personnes dont le but est de te pendre à n’importe quel prix.

      C’est à ce stade que nous nous sommes insérés dans l’affaire, en appuyant l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’un canular inspiré par notre propre roman Q.

      Cette sortie a au moins répandu un peu d’incertitude et de confusion sur les forums de droite. Elle a surtout offert aux commentateurs une nouvelle clé d’interprétation qui peut désamorcer la théorie du complot. Aux dernières nouvelles, la droite américaine est très embarrassée. Tant les secteurs les plus malins de l’alt-right que les milieux traditionnellement conservateurs disent que QAnon fait des dégâts. Le principal forum trumpiste sur Reddit a banni tous les contenus relatifs à la théorie du complot.

      Nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse qu’un jour ou l’autre, QAnon sera revendiqué comme un canular. Même si cela arrive, il reste compliqué d’en prévoir toutes les conséquences. Et la situation demeure extrêmement dangereuse.

      Une chose est certaine : si un roman peut provoquer un tel tsunami, cela signifie que la littérature est encore importante.

      Pourriez-vous expliquer en quelques phrases qui était Luther Blissett, l’auteur de Q, et ce qu’était le Luther Blissett Project ?

      Wu Ming . Le Luther Blissett Project (LBP) est né au carrefour d’influences diverses : le « marxisme autonome » italien, le zapatisme, la tradition d’agit-prop de la gauche, les avant-gardes de Dada au Néoisme en passant par Fluxus et l’art postal (Mail Art), et les exemples d’agitation culturelle que nous avions trouvés dans le monumental numéro de la revue américaine Re:Search consacré aux canulars et intitulé « Pranks ! ».

      Tout ça était tenu ensemble par une théorie plutôt éclectique de la « mythopoiesis », ce qui signifie que nous voulions créer des mythes, des narrations communautaires qui stimulent l’imagination collective et la coopération.

      Le « mythe des mythes », c’était le pseudonyme collectif Luther Blissett que nous avions emprunté à un footballeur britannique. Des centaines de personnes l’ont adopté, elles ont partagé ce nom avec l’intention de créer, action après action, canular après canular, publication après publication, la réputation ouverte d’un guérillero culturel imaginaire.

      Sans cette intention mythopoétique, notre activité principale pendant les années du Luther Blissett Project – entre 1994 et 1999 – pourrait être rabaissée à la « fabrication de fake news ». Mais les fausses nouvelles n’étaient pas l’objectif ultime. Nos canulars avaient des objectifs précis. Par exemple, certains d’entre eux ont pu aider les campagnes de solidarité avec les victimes de répression judiciaire.

      Les canulars avaient surtout une dimension « éducative », pédagogique, destinée à accroître les capacités propres de chacun sur le mode Do It Yourself : depuis nos fausses nouvelles, nous faisions toujours nous-mêmes le parcours en sens inverse, révélant au grand public qu’il s’agissait de canulars, expliquant dans le détail quels réflexes culturels, quels points faibles du système médiatique nous avions utilisés. Mariano Tomatis, magicien et historien de l’illusionnisme qui fait désormais partie de la Wu Ming Foundation, théorise les moyens de révéler le truc derrière un tour de magie, sans ruiner l’émerveillement, mais en l’amplifiant, au contraire. Voilà, pour nous, un bon canular médiatique, c’était ça : un numéro de magie qui tire profit de son propre dévoilement.

      A la fin, chaque canular ajoutait quelque chose à la réputation mythique de Luther Blissett, et rendait le fait de s’appeler Luther Blissett toujours plus attrayant et stimulant. En adoptant ce nom passe-partout et multi-usages, on se sentait membre d’une communauté, on partageait un certain style, un certain imaginaire, même sans avoir jamais rencontré d’autres membres de la communauté.

      Aujourd’hui, fabriquer des fake news n’a jamais été aussi facile. Ce qui est toujours plus difficile, c’est de tenir cet équilibre, cet aspect éducatif, ce sens d’une intention commune, et la confiance en une pensée critique qui n’est pas l’ennemie de l’émerveillement, et vice versa.

      Quelles leçons avez-vous tirées de l’influence très grande qu’a eu votre roman Q dans la contestation altermondialiste ?

      Wu Ming . En 2009, dix ans après la première parution de Q en Italie, nous avons écrit un long texte autocritique, intitulé Spectres de Muntzer à l’aube. Dans ce texte, nous évoquions l’influence que le roman avait eu sur la génération de militants qui participèrent aux cycles de luttes entre la « Bataille de Seattle » en novembre 1999 et le G8 de Gênes en juillet 2001. Q a eu la chance d’être publié juste avant l’apogée de cette vague mondiale, et il est très vite devenu un livre de chevet pour une bonne partie du mouvement italien, et pas seulement. Le mot d’ordre « Omnia sunt communia ! » (« Tout est commun ») commença à apparaître sur les murs et sur les banderoles dans les cortèges.

      Dans notre texte, nous faisions essentiellement trois choses :

      Expliquer le tissu d’influences qui avait façonné notre imaginaire jusqu’à inspirer le projet et l’écriture de Q ; avec le recul, nous avions identifié une influence principale, celle du zapatisme.
      Reconstituer comment l’imaginaire représenté dans Q, lié surtout aux insurrections paysannes, aux libérations des villages et des cités de la mainmise du pouvoir princier, épiscopal et impérial, était rentré en résonance avec l’imaginaire du mouvement altermondialiste. Ce mouvement se dépeignait lui-même comme en lutte contre un empire, et agissait sur la base d’une allégorie de fond, celle du « Siège contre le château », c’est-à-dire le lieu où les puissants de la Terre – G8, Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce, etc. – se réunissaient pour tenir leurs sommets. C’était un imaginaire du Bas Moyen Âge. Même les tactiques du black bloc, au fond, renvoient à d’antiques jacqueries. Mais l’allégorie était erronée : nous n’étions pas vraiment en train d’assiéger le pouvoir, parce que le pouvoir capitaliste n’était pas dans ces cérémonies. Nous étions en train d’agir sur le plan symbolique, mais en commettant l’erreur de prendre au pied de la lettre nos propres figures rhétoriques.
      Raconter notre travail d’agit-prop à l’intérieur du mouvement italien et international, sans masquer les erreurs que nous avons commises. En 2000-2001, galvanisés par le succès de Q, nous avions fait tout ce qui était possible pour renforcer l’allégorie du Siège : nous écrivions des textes aux accents moyenâgeux, nous réalisions des actions de propagande pour convaincre un maximum de gens d’aller à Gênes pour protester contre le G8. Et c’est ainsi qu’un mouvement réticulaire et polycentrique qui tirait sa force d’être partout à la fois canalisa toute sa propre énergie en un lieu unique et sur un seul rendez-vous. C’était exactement l’erreur des paysans révolutionnaires emmenés par Thomas Muntzer : mettre en jeu tout son destin dans une seule bataille, celle de Frankenhausen (en mai 1525, en Allemagne). A Gênes, nous sommes tombés dans le piège, nous avons été surpris par l’intensité de la répression, l’adversaire a réussi à nous balayer. Nous avons perdu exactement sur le plan symbolique et allégorique que nous avions stimulé. Et les conséquences ont été désastreuses.

      En Italie, la « capture » de l’imaginaire par les fascistes, l’affirmation d’un mouvement poujadiste comme le Mouvement 5 Etoiles (M5S), la formation récente du gouvernement le plus réactionnaire et raciste de toute l’histoire du pays, sont la conséquence de la défaite du mouvement altermondialiste. Une défaite à laquelle, à notre petite échelle, nous avons contribué. Ce mouvement a laissé un espace vide, et en politique, le vide n’existe jamais bien longtemps, il est vite rempli par quelque chose. Et celui qui l’a rempli, ça a été Beppe Grillo, le fondateur du M5S.

      De cet excès de confiance prométhéen dans la mythopoeisis, nous sommes repartis, avec de nouvelles réflexions, de nouvelles expérimentations. Et à travers ces expérimentations, la Wu Ming Foundation s’est développée.

      Votre pratique réflexive et collective de la littérature peut-elle aider à dépasser la sinistre ironie de l’Histoire qui voit les imaginaires de droite extrême, dont QAnon peut apparaître comme l’expression la plus pauvre et sordide, en supplanter d’autres ?

      Wu Ming. Nous sommes écrivains. Nos créations et nos histoires ne peuvent pas se substituer au mouvement réel. Elles ne peuvent pas non plus le diriger. En 2000-2001, notre erreur a justement été d’essayer de « donner la ligne » mythopoétique. Nous-mêmes, nous avions réduit la complexité et la richesse de notre travail blissettien pour rechercher la narration la plus « aérodynamique » et la plus aiguisée qui soit. En anglais, on utilise le verbe « to weaponize », transformer quelque chose en arme. Nous, nous avions weaponisé la mythopoiesis.

      Par la suite, nous avons réintroduit toute la complexité, éliminé les aspects guerriers ou prométhéens, et parié de nouveau sur la création de communautés, sur l’extension des réseaux de collaboration, sur la « biodiversité » des stratégies, sur le démontage de ce que nous appelons les « narrations toxiques ». Le démontage, ceci dit, n’est pas suffisant, il doit être accompagné de narrations autres, différentes, qui ne peuvent en aucun cas être weaponisées à leur tour.

      Nous avons continué d’écrire des romans – 54, Manituana, Altai (tous parus en France chez Métailié), L’Armée des somnambules (non traduit en français), et ces jours-ci, nous sommes en train de finir notre nouveau roman intitulé Proletkult -, mais nous avons flanqué ces romans de narrations plus étranges et moins classables que nous qualifions d’« objets narratifs non identifiés ». Ce sont des enquêtes – sur le territoire, sur la mémoire collective, sur l’environnement, sur l’influence du passé colonial italien dans le racisme aujourd’hui -, avec une documentation très dense mais écrites avec des techniques littéraires. Ils font partie de cette zone grise difficilement délimitable que les anglo-saxons appellent parfois « creative non-fiction ». Avec le temps, ces objets narratifs non identifiés commencent à rétroagir sur notre écriture de romanciers, ce qui a donné L’Invisible Ovunque (à paraître bientôt chez Métailié).

      De tout ce travail, de toutes ces discussions sur notre blog Giap, de la collaboration avec toujours plus de gens, est née la Wu Ming Foundation, un « collectif de collectifs », un ensemble d’expérimentations, de narrations multimédias, de projets coopératifs, de laboratoires, de séminaires. Il en sort en permanence de nouveaux collectifs, de nouveaux blogs. C’est un processus qui avait déjà commencé dans les années 2000, mais qui s’est accéléré ces dernières années.

      Aujourd’hui, la Wu Ming Foundation est plus étendue que ne l’était le Luther Blissett Project. Si quelque chose de bon et utilisable par les mouvements futurs doit sortir de notre travail, ce sera grâce à la Wu Ming Foundation.

      Entretien réalisé par Thomas Lemahieu

  • Aurélien Bellanger : « le complot est un dévoiement de l’art romanesque qui a pris le dessus »
    https://www.lesinrocks.com/2014/11/13/livres/aurelien-bellanger-remporte-prix-flore-11535357

    [À propos de L’Aménagement du territoire (Gallimard, 2014)] Autour de ces pôles antagonistes gravitent une myriade de satellites : Pierre, le neveu de Taulpin, jeune paumé d’extrême droite ; son cousin Sébastien, activiste écologiste radicalisé à Notre-Dame-des-Landes ; Clément, l’archéologue chargé des fouilles sur le chantier du TGV ; et surtout le préfet Roland Peltier, ancien secrétaire particulier de Jacques Foccart, “l’homme le plus puissant et le plus secret de la Ve République”, seul personnage réel du livre, mais peut-être le plus romanesque. “Foccart était une espèce de super Charles Pasqua, le versant noir du gaullisme”, ajoute Aurélien Bellanger au sujet de cette figure centrale de la Françafrique.

    Les liens entre les personnages, tous mus par des idéologies qui les déterminent, dessinent une cartographie complexe, parcourue de réseaux souterrains. Au sens propre comme au figuré. Le livre regorge de passages secrets, de grottes, de catacombes. A partir d’une lettre de Foccart envoyée à Peltier, dans laquelle il lui révèle son appartenance à une société secrète inspirée par La Chanson de Roland, L’Aménagement du territoire dévie de ses rails réalistes pour basculer dans le roman d’aventures façon Club des Cinq aux confins du fantastique, sur fond d’occultisme et de théories du complot.

    “Au moment de l’écriture, la lettre de Foccart a été déterminante, explique le romancier. Comme si je m’étais fait une énorme injection de romanesque à l’état pur. Un ami m’a dit un jour que la dernière grande forme artistique à avoir émergé ces dernières années, ces dernières années, ce sont les vidéos complotistes sur internet. Ce sont des #romans au premier degré, une explication globale des événements avec des méchants, des gentils. Le complot est un dévoiement de l’art romanesque qui a pris le dessus. Pour le contrer, il faut lui opposer encore plus de complot. Avec ce livre, j’ai voulu voler un peu de cette force narrative en racontant l’histoire comme s’il s’agissait d’un #complot de druides.”

    A cet ésotérisme débridé, l’écrivain mêle des morceaux de bravoure technicistes, descriptions minutieuses de silos à grains, inventaire chiffré des éléments qui composent un TGV, évocation à base d’équations du réacteur naturel d’Oklo… “Paradoxalement, il s’agit pour moi des passages les plus agréables à écrire, des moments de rêverie, indique Bellanger. C’est sans doute un problème pour un romancier, mais j’ai toujours l’impression que le romanesque, raconter des intrigues, c’est sale. Une digression de vingt pages sur la forme des silex, je m’y jette avec plaisir. En revanche, s’il faut raconter qu’une personne entre dans une pièce et entame une conversation avec quelqu’un d’autre, je suis terrorisé. Peut-être parce que j’ai une vision un peu autistique des rapports humains.”

    #littérature #conspirationnisme