Frédéric Worms s’entretient avec le philosophe et historien de l’art
Georges Didi-Huberman de son ouvrage "Passer, quoi qu’il en coûte" co-écrit avec Niki Giannari (Minuit, 2017).
Idomeni, frontière entre la Grèce et la Macédoine, mars 2016
Crédits : Maria Kourkouta
« Ils », ce sont eux, les « migrants », ils demandent « seulement à passer » comme le dit Nika Gianniri dans le poème qui ouvre le livre qu’elle partage avec Georges Didi-Huberman. Leur livre « du passage » à eux, face à ce passage arrêté, bloqué, ce laissez-passer refusé, cette Europe murée, ici, à Idomeni au Nord de la Grèce. Une cinéaste, une poète qui travaille dans une association, et l’historien des images passantes, survivantes, résistantes, s’unissent pour nous donner à penser ce passage. Nous permettre de le voir. Car cela se passe sous nos yeux, littéralement sous nos yeux et nous ne le voyons pas. Avec en arrière plan tous les passages bloqués, les « spectres qui hantent l’Europe ». L’auteur du « livre des passages », Walter Benjamin, qui se suicide en 1940 à Port-Bou, ville frontière d’un autre temps d’arrêt. Surimpression des images. Regardons « les ». Leur passage, c’est le nôtre. Le temps des laissez passer est revenu.
Georges Didi-Huberman : Comme dit Hannah Arendt des réfugiés "ils sont notre avant-garde". Ils sont notre passé et notre futur.
Il n’est pas d’image qui ne soit migrante. Toute image est une migration. Les images ne sont jamais autochtones.
On pourrait dire que mon idée fixe, c’est le mouvement. Notre tragédie politique aujourd’hui ce sont les mouvements empêchés.
Il y a des choses qui sont et ces choses qui sont ont, à chaque moment de leur existence, la traîne de leur mémoire et la dynamique de leur futur qui arrive.
L’art du désir ne doit jamais oublier l’art de la mémoire. L’art de la mémoire ne doit jamais oublier son art du désir.