• Mathilde Ramadier : « Echouer, un privilège que s’arrogent les patrons de la Silicon Valley »
    https://abonnes.lemonde.fr/series-d-ete-2018/article/2018/08/20/mathilde-ramadier-echouer-un-privilege-que-s-arrogent-les-patrons-de ?

    Alors que l’échec est vu comme une expérience positive et encouragée par les magnats de la Silicon Valley, pour l’essayiste Mathilde Ramadier, il se fait aux dépens des travailleurs.

    Mais il n’y a pas que des génies dans les start-up, non ? Il y a aussi de simples employés, parfois. L’échec est-il tout autant profitable aux petites mains du numérique ?
    L’échec vertueux, c’est-à-dire vecteur de possibilités et rémissible, serait donc l’apanage des décideurs

    Paris, juin 2017. Lors de l’inauguration de la Station F, le plus grand incubateur de start-up du monde, le président de la République Emmanuel Macron prononce un discours. Il y parle « des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien ». Pas ceux qui ne « font » rien, ceux qui ne « sont » rien. Parce qu’ils ne sont pas entrepreneurs, ils sont néantisés. Et c’est bien parce qu’ils ne réussissent pas qu’ils n’ont pas leur place dans la « start-up nation ».

    L’échec vertueux, c’est-à-dire vecteur de possibilités et rémissible, serait donc l’apanage des décideurs. Rien de neuf sous le soleil importé de Californie… Mais alors, qui sont ces gens qui ne « sont » rien ?
    L’allégorie du « Titanic »

    Un jour, un entrepreneur français m’a humblement expliqué, dans une lettre ouverte publiée sur le réseau LinkedIn, que l’écosystème des start-up élimine naturellement les plus faibles, et que c’est très bien ainsi : « Si tu te demandes toujours pourquoi certains continuent à apprécier le monde darwiniste des start-up, je pense que c’est avant tout parce que nous savons que nous aurons des choses extraordinaires à raconter plus tard à nos enfants et petits-enfants. On ne s’ennuiera jamais. Pendant ce temps, d’autres passeront leur vie dans des jobs alimentaires et sans intérêt aucun. »

    Ceux qui « passent leur vie dans des jobs alimentaires et sans intérêt aucun » sont ces mêmes gens qui « ne sont rien », ceux à qui le discours des failcon ne profite pas parce qu’il ne leur est pas destiné. Pour eux, l’échec n’est pas une prouesse mais une fatalité.

    Pour que Jeff Bezos et ses pairs puissent prendre des risques pour ensuite rebondir, il faut que d’autres essuient leur échec avec eux – avec leur investissement ou, pire, leur simple force de travail. Ils en subissent alors d’autres conséquences.

    Avril 2018. Un rapport ordonné par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur les conditions de travail des employés d’Amazon dans l’entrepôt logistique de Montélimar, dans la Drôme ; 71 % des cadres y sont insomniaques, 70 % des employés évoquent le stress au travail et 40 % ont déjà consulté un médecin. Les pauses pour se rendre aux toilettes sont chronométrées et certains manageurs interdisent de parler. « C’est un système qui ne pardonne pas la médiocrité », reconnaît l’un d’eux. On imagine les employés d’Amazon de Montélimar à une failcon, face à des entrepreneurs qui leur apprendront que c’est en tombant qu’on apprend à marcher.

    #Idéologie_californienne #Economie_numérique