• Rien n’affaiblira #MeToo si on reste honnête intellectuellement | Slate.fr
    http://www.slate.fr/story/166169/metoo-agression-sexuelle-feminisme-asia-argento

    Les accusations à l’encontre d’Asia Argento, figure du mouvement #MeToo, n’abîmeront pas un mouvement d’une telle ampleur si l’on est cohérent avec la ligne défendue : lutter contre toutes les agressions sexuelles.

    « L’arroseuse arrosée », « Tel est pris qui croyait prendre »… Aucun poncif ne nous aura été épargné immédiatement après les révélations du New York Times à propos d’Asia Argento.

    Cette dernière, qui figure parmi les accusatrices d’Harvey Weinstein, est à son tour accusée d’agression sexuelle. Le quotidien américain fait état d’un arrangement financier qui aurait été conclu entre un jeune acteur et Asia Argento, à hauteur de 380.000 dollars (333.000 euros) pour éviter des poursuites judiciaires. Ce que l’intéressée dément dans un communiqué : « J’ai été profondément choquée et touchée en lisant ces nouvelles qui sont totalement fausses. Je n’ai jamais eu aucune relation sexuelle avec Bennett. Je n’ai d’autre choix que de m’opposer à tous ces mensonges et à me protéger par tous les moyens ».

    L’article, et c’est normal, a suscité de multiples réactions. Allant de l’étonnement le plus simple à, et c’est là que ça devient moins normal, des séries de tweets réjouis. Oui, des gens (Franz-Olivier Giesbert et bien d’autres) semblent parfaitement enchantés, franchement ravis qu’une personne ait été agressée sexuellement.

    Pas un mot pour la victime présumée, le jeune Jimmy Bennet dont le New York Times rapporte pourtant l’état de détresse. Mais des petits sourires satisfaits à l’idée qu’une féministe ait pu exercer sur un jeune garçon la domination qu’elle prétend combattre. Et on fait semblant de découvrir que l’on peut être victime ET bourreau, et qu’il est possible de lutter publiquement contre quelque chose dont on est soi-même coupable (souvenez-vous de Denis Baupin, les lèvres peinturlurées en rouge pour soutenir les droits des femmes).

    Mais oui, en effet, on peut être profondément surpris et écœuré par ce qu’on a présenté comme un véritable coup de théâtre (allez hop un autre poncif tant qu’à faire) sans être ni misogyne, ni faussement naïf, ni vouloir danser sur la tombe de #MeToo.
    Même stratégie que Weinstein, DSK et leurs défenseurs

    Quel que soit le fond de l’affaire, elle devrait surtout nous peiner pour la victime présumée d’abord, mais aussi pour Nimrod Reitman, l’étudiant ayant accusé la philosophe féministe Avital Ronnel d’agression sexuelle. Dans les deux cas, la victime est encore une fois escamotée au profit d’idéologies, mais est aussi niée par des féministes elles-mêmes.

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    Que penser, en effet, de la tribune de soutien à Ronnel rédigée par des chercheurs et chercheuses, dont Judith Butler, qui invoque « une campagne malveillante », mettant en avant la « stature » et « la réputation » de la philosophe comme si la célébrité ou un CV bien garni avaient déjà empêché quelqu’un d’être un violeur ? C’est exactement la stratégie adoptée par Weinstein, DSK et leurs défenseurs : crier à la cabale, faire de l’accusé un parangon de vertu, se préoccuper des conséquences sur sa carrière, en avoir rien à foutre de la parole des victimes.

    Il faut avoir l’honnêteté de dire que si le mouvement #MeToo peut être décrédibilisé, cela peut aussi se faire de l’intérieur.

    On ne sort pas grandies quand on arbore des airs vaguement complotistes en affirmant que les révélations du New York Times « [tombaient] bien pour décrédibiliser ces femmes qui dérangent ». Cela revient là aussi à adopter exactement les mêmes mécanismes que ceux que #MeToo est censé combattre : minimiser les agressions, mettre en doute la parole des victimes, héroïser l’agresseur présumé.
    Le besoin d’avoir des muses

    Reste que c’est une véritable gageure formulée par un autre article du quotidien new-yorkais : « Qu’arrive-t-il au mouvement #MeToo quand une féministe est accusée ? ». Rien, je crois, si l’on ne serre pas bêtement et aveuglement les rangs sans accorder aux victimes, aux faits, au travail des journalistes qui révèlent les enquêtes, le respect qu’ils méritent. On n’affaiblit pas un mouvement d’une telle ampleur si l’on reste honnête intellectuellement et cohérent avec la ligne défendue : lutter contre les agressions sexuelles.

    Ce que cette histoire interroge également, c’est notre besoin de personnaliser les mouvements, d’avoir des muses. Même si elles font bien le job. Oui, le discours prononcé par Asia Argento au festival de Cannes avait de la gueule et a eu une répercussion mondiale. Oui, il faut bien que les victimes, comme Rose Mac Gowan, s’expriment publiquement et on ne peut que louer leur courage quand elles s’engagent au-dela de propre cas.

    Mais #MeToo a pris une telle ampleur que l’on peut parfaitement continuer à mener le combat sans égérie. Les combats féministes sont trop vastes et importants pour prendre le risque de les lier à quelques têtes de gondoles.

    • ici un article sur l’affaire Ronell que je ne connaissait pas : http://www.slate.fr/story/165956/avita-ronell-nimrod-reitman-metoo-harcelement-sexuel

      « Bien que nous n’ayons pas eu accès au dossier, nous avons tous travaillé pendant de nombreuses années avec la Professeure Ronell, peut-on lire sur le blog d’un universitaire ayant partagé la lettre, Nous avons tous vu ses relations avec ses étudiants, et certains d’entre nous connaissons l’individu qui a mené cette campagne malveillante contre elle. »

      Après avoir rappelé leur « profonde et tenace admiration » pour la professeure, la lettre déplore « les dommages que cette procédure lui causent, et nous visons à inscrire dans des termes clairs notre objection à tout jugement produit contre elle. Nous maintenons que les allégations prononcées à son égard ne constituent pas de preuves, mais soutiennent plutôt l’attention malveillante qui a animé et soutenu ce cauchemar juridique ».

      « Nous témoignons de la grâce, de l’esprit affuté et de l’engagement intellectuel de la professeure Ronell et demandons à ce que lui soit accordé la dignité qu’elle mérite pour quelqu’un de cette stature internationale et de sa réputation. »

      Le New York Times et Quartz notent que la lettre rappelle les arguments utilisés pour contrer les enquêtes de harcèlement sexuel commis par des hommes : elle s’intéresse aux dommages potentiels sur la réputation de la chercheuse. Sans avoir eu accès au dossier, les soutiens certifient du côté malveillant et malhonnête de la plainte.

      Il a été par ailleurs reproché à l’étudiant d’utiliser un outil féministe comme le Title IX pour attaquer une féministe. Diane Davis qui dirige le département de réthorique de l’université du Texas, signataire de la lettre, précise au New-York Times : « Je soutiens, bien sûr, ce que le Title IX et le mouvement #MeToo essaie d’accomplir, leur effort pour confronter et éviter les abus, le fait de réclamer plus de justice. Mais, c’est pour cette raison qu’il est tellement décevant quand cette énergie incroyable de justice est retournée contre elle-même, ce que beaucoup de nous pensons qu’il s’agit dans ce cas. »