« On gagne lorsque l’on cesse d’être le candidat de la gauche pour devenir celui de la dignité et de la souveraineté nationale »

/inigo-errejon-on-gagne-lorsqu-on-devien

  • Pourquoi Antonio Gramsci nous appelle à la guerre de position
    http://lvsl.fr/pourquoi-antonio-gramsci-nous-appelle-a-la-guerre-de-position

    Au-delà des « lieux » fictifs ou réels, au sein desquels les acteurs politiques mènent la guerre de position, on peut étendre cette lutte à l’ensemble des signifiants sur lesquels repose une certaine hégémonie. Ainsi, les forces politiques en présence doivent conduire des assauts pour s’emparer de ces bastions que sont la crédibilité, la justice, l’autorité, etc. L’enjeu n’est pas de mimer l’adversaire, mais de travailler le sens de ces notions, tout en s’en emparant. Cette lutte ne consiste donc pas à produire une vision du monde hors-sol et à la faire fructifier dans l’ensemble de la société. Il ne suffit pas de diffuser une idéologie abstraite. Une vision du monde, pour se répandre, doit absolument puiser dans l’état idéologique et culturel d’une société donnée. Le sens commun, à la fois unifié et fragmenté, est le terrain de lutte de la guerre de position. La bataille politique est alors une lutte pour le sens. Elle est inséparable d’une analyse permanente de l’état idéologique de la société, de reconnaissance du terrain sur lequel la lutte a lieu. Il ne s’agit pas uniquement d’analyse, mais aussi de capacité à « sentir ». Gramsci explique ainsi que : « L’élément populaire « sent » mais ne comprend pas ou ne sait pas toujours ; l’élément intellectuel « sait », mais ne comprend pas ou surtout ne « sent » pas toujours ». Les stratèges et les intellectuels organiques producteurs d’idéologie ne doivent jamais oublier cette donnée, et doivent donc toujours tenter de s’imprégner de ce sens commun avant de tenter le travailler à leur tour. Sans quoi leur adversaire occupera le terrain.

    « Emmanuel Macron n’est donc pas une « dernière cartouche du système »

    L’art de la politique moderne est un art dynamique, car le terrain de la lutte n’est jamais statique, et le sens commun, diffracté, ne l’est pas non plus. La guerre de position est donc aussi, d’une certaine façon, un art du repositionnement permanent. C’est ce qu’a bien compris Emmanuel Macron. Devant la dévalorisation symbolique des partis politiques, il a incorporé une partie de la critique destituante envers le « système », il a pris en charge une partie de ce sens commun, et a mené un projet de régénération qui refonde l’hégémonie néolibérale. Comme la critique artiste de Mai 68 en son temps, absorbée avec brio par le capitalisme grâce au néo-management « joyeux et inventif » ou grâce à la valorisation de « l’autonomie du travailleur » comme le décrivent Eve Chiapello et Luc Boltanski dans Le nouvel esprit du capitalisme (1999), le projet macroniste a incorporé une partie de la critique démocratique qui structurait les dernières années, et qui s’exprimait par la crise de représentation des partis et par un vote « souverainiste » croissant. L’omniprésence de la thématique de la « société civile » est au cœur de cette stratégie de régénération du projet néolibéral. Emmanuel Macron n’est donc pas une « dernière cartouche du système ». Le bloc hégémonique néolibéral, tant qu’il n’est pas désarticulé profondément par une guerre de position adéquate, trouve toujours un moyen de diminuer la pression en incorporant une partie de la critique des forces adverses. Ainsi, une stratégie pertinente exige de débouter le bloc hégémonique néolibéral de toutes les positions qui assurent sa cohérence globale et sa capacité régénératrice.

    Le grand soir n’aura pas lieu

    Les forces contre-hégémoniques ne peuvent donc espérer un « grand soir » ou une étincelle qui « mettra le feu à la plaine », et conduirait à remodeler définitivement les rapports de force. En France, seule l’élection présidentielle est un moment de politisation suffisamment puissant pour que les rapports de force basculent dans les grandes largeurs. Que faire dans l’interlude ? Il faut mener un travail de sape multidimensionnel. Sans être exhaustif, produire des cadres, développer une vision du monde, investir les médias, se constituer en média, analyser l’adversaire, l’affaiblir sur les points clés sur lesquels sa domination repose et construire une crédibilité sont autant d’objectifs intermédiaires à atteindre dans la guerre de position. Ils n’ont néanmoins de sens qu’en étant articulés afin de se doter d’une capacité à déterminer l’agenda, car la maîtrise de la narration de la politique est sûrement le meilleur moyen de conquérir la centralité. La détermination de l’agenda doit être globale, et ne peut pas se réduire à l’agenda de la lutte sociale. C’est pourquoi une force culturelle structurée doit offrir une vision du monde générale et unifiée. La politique est alors à la fois une lutte pour le sens et pour la construction du récit quotidien de la société sur elle-même.