• http://ledossierm.fr/dossier-m-piece-n20

    Bon je ne peux pas garder ce genre de choses pour moi, me dis-je. Il y a quelques temps, j’avais signalé ici ( https://seenthis.net/messages/718723 ) Le Dossier M. de Grégoire Bouillier. J’ai fini le premier tome de 900 pages à l’hôpital, on pourra dire qu’il m’aura bien tenu la main. Je suis dans le deuxième tome qui cumule d’avoir l’allant du premier tome mais avec des bouts en plus. Dans le premier tome j’avais déjà eu le sentiment que je n’étais peut-être pas seul dans ma tête tant certaines pages du livre m’apparaissaient familières, notamment dans les manières de raisonner et les souvenirs d’enfance du narrateur. Dans le deuxième tome, c’est un peu cela mais amplifié par une faculté curieuse du livre de décollement d’avec ma vie de tous les jours.

    Ainsi, pour tenter de tromper la douleur amoureuse, l’absence de M., le narrateur se lance des défis improbables, comme, par exemple, de retrouver, toutes affaires cessantes, un enregistrement pirate du fameux concert de Miles Davis à Paris en 1983 quand les plombs ont sauté et que Miles a joué Jean-Pierre en acoustique avant que l’électricien du Châtelet retrouve les bons fusibles et relance la machine lourdement électrique de Miles à l’époque. Ce sont quelques pages assez belles dans lesquelles le narrateur tourne autour d’une figure de l’absence pour se détourner de celle tellement douloureuse de M.

    Et plus encore que dans le premier tome, quand Grégoire Bouillier sent que les limites et le cadre de son livre explosent, il met ce qu’il y a en trop (façon il y a un peu plus, je vous le mets quand même ?) sur un site dédié ( http://ledossierm.fr ). Et donc joie ! Le narrateur a fini par retrouver l’enregistrement en question (tout en précisant bien qu’une telle quête d’un document sonore qui date d’avant l’arrivée du numérique et de son corollaire, internet, était, par définition, une mission impossible), et du coup, et bien il met l’enregistrement fétiche en ligne.

    A la différence d’autres concerts dont il est question dans le livre et dont pour certains je sais que j’y étais aussi, le concert de Zappa en 82 par exemple, je n’étais pas à ce concert de Miles Davis, mais qui n’a pas entendu parler de cette fameuse panne d’électricité ?

    D’ailleurs aparté, pendant que vous êtes toutes et tous rués sur l’enregistrement en question (n’est-ce pas @reicw, @odilon, @reka et peut-être même @vanderling…), je me souviens que lors de la création de Formes d’une guerre ( http://www.desordre.net/formes_d_une_guerre_poitiers/ursula ) quand je voyais les ramifications de câbles électriques et combien nous en étions dépendants pour les soirs de représentations, je m’en étais ému auprès de @dominique, qui m’avais répondu que je ne devais pas m’inquiéter, qu’en pareil cas, c’était solo de batterie. Etant donné le set de percussions du merveilleux Michele Rabbia, je ne trouvais pas la chose très rassurante.

    http://www.desordre.net/photographie/numerique/divers/videos/20181127_sylvain_lemetre.mp4

    Et donc hier soir, je suis allé écouter l’admirable Sylvain Lemêtre à l’atelier du plateau, pour son solo Sonore boréale au milieu duquel Sylvain mime la panne en plein concert. Non seulement le ressort comique de cette affaire est à pisser de rire, mais en plus la manière très subtile avec laquelle il remet le son est absolument magnifique de manipulations de l’intellect du public. Et le matin même je lisais le récit de la panne d’électricité au concert de Miles.

    Et tout est un peu comme ça dans ce livre.

  • Depuis le début de l’été, je suis happé par un livre incroyable dont je ne peux pas dire que je sois tombé dessus autrement que par hasard, je n’en avais jamais entendu parler (en dépit que ce livre ait obtenu le prix Décembre 2017, ce qui devait le ranger en évidence sur les tables des libraires que je fréquente pourtant assidument). Le titre du livre, Le dossier M. et le nom de son auteur, Grégoire Bouillier, ne me disaient rien. Ça avait l’air d’être un sacré pavé, un livre de 900 pages, pensais-je, dont j’ai lu le début, un peu sarcastique : « qui peut encore écrire des romans de 900 pages ? » La phrase en exergue est une phrase célèbre de John Coltrane (Je pars d’un point et je vais jusqu’au bout) ce qui ne manque pas de gagner un peu ma confiance, quant à l’incipit de cette affaire, il m’a poussé à trouver un siège dans la librairie et à en lire les 30 premières pages, entièrement ferré, puis interdit quand j’ai compris que ces premières pages était là uniquement pour faire diversion et qu’un récit énorme, 900 pages tout de même ! était tapis sous ce faux-départ comme une girolle qui se cache sous une lauze au pied d’un châtaignier. J’ai acquis le livre séance tenante et c’est tout juste si je ne le lisais pas en marchant, voire en conduisant. Arrivé à la maison, je réalise qu’en fait le livre est double, il y a deux tomes de 900 pages, un roman contemporain de 1800 pages c’est assez original pensé-je, retournant derechef à la librairie acheter le tome 2, captif, déjà captif. Et depuis je suis perdu dans ce livre dans lequel je progresse avec ma lenteur de dyslexique, non sans me rappeler, je sais c’est à peine croyable, mon plaisir de lecture il y a plus de vingt ans d’A la recherche du temps perdu de Proust, pour la première fois, dans un style assez différent, il faut bien le dire, ici la phrase est courte et pas toujours élégante, mais le récit lui, est vertigineux.

    Je note que je suis plus que contemporain de Grégoire Bouillier qui me rend trois ans et c’est effectivement un plaisir proustien que de lire ses souvenirs d’enfance et d’adolescence qui datent de la même époque que les miens, oui, je me souviens parfaitement qu’à époque l’école élémentaire était non mixte, j’en ai connu la toute fin.

    Il y a des passages de ce livre dont j’ai parfois le sentiment que quelqu’un a reçu des données toutes personnelles en provenance de ma mémoire pour les inclure dans un récit (les pages à propos de rugby, comment dire ? ), sans parler des séries télévisuelles telles que Zorro et comment l’affreux J.R. de la série Dallas (notre choix iconographique) a tué non seulement Zorro, mais a ouvert le monde à l’expression la plus folle de son cynisme actuel.

    Tandis que je lisais le livre dans les Cévennes et donc déconnecté, je relevais bien que, de temps en temps, Grégoire Bouillier faisait un peu le malin en expliquant qu’il ne pouvait pas faire tout rentrer dans son livre (qui fait 1800 pages, donc on peut effectivement se demander ce qui ne rentre pas dans 1800 pages) et que du coup il mettait tout ce qui dépassait sur internet, depuis que je suis rentré des Cévennes, je me suis connecté au site cité dans les marges du livre, et j’ai pris un peu la mesure de la folie du gars, effectivement, il y a des passages sur Internet qui sont encore plus développés que dans le livre et je découvre donc que Zappa, qui est tout juste mentionné comme un type qui lui débouché les oreilles dans le livre, au cours d’un concert, et bien il les lui a débouchées le même jour que les miennes, lors du même concert le 18 mai 1982 (c’était mon premier concert et je n’en revenais pas), donc oui, le gars Bouillier et moi, on se sera croisés au moins une fois, ce qui a tendance à me faire sourire.

    En tout cas, ce qui est en ligne, cette manière de surplus, est bel et bien en ligne, ici, http://ledossierm.fr les pages plus développées à propos de rugby que je jurerais presque avoir écrites (mais je ne serais jamais parvenu à cela, croyez-moi), elles sont bien là : http://ledossierm.fr/dossier-m-piece-n03 et le ticket de concert de Zappa en 82 il est bien là aussi :

    http://www.desordre.net/musique/zappa.mp3